Épisode 227 – Entrepreneure et maman x5 : le défi d’Aliette dans les années 90

JE ME LANCE AVEC MEME PAS CAP

On a toujours à gagner à écouter les générations qui nous précèdent.

Comprendre comment faisaient nos aînées au moment de leurs débuts dans leur maternité m’a toujours fascinée.

Aliette Trocheris 63 ans, mère de 5 enfants, aujourd’hui tous adultes et cheffe d’entreprise vient nous raconter son parcours atypique depuis la fin des années 80.

Dans cet épisode, Aliette nous raconte à quoi cela ressemblait  d’être mère de 5 enfants. 

A l’époque avoir autant d’enfants et continuer de travailler n’est pas commun. 

Mais Aliette a de l’énergie à revendre, elle fait des pauses dans sa carrière et se lance finalement dans l’aventure de l’entreprenariat à 40 ans.

La vie un peu extraordinaire d’Aliette est fascinante. 

Et puis en 2018, Aliette accepte l’invitation de son fils aîné, et le rejoint pour lancer Même pas Cap, un organisme de bilan de compétences.

Ensemble avec une autre de ses filles, elle continue sur sa lancée d’entrepreneuse et vient boucler la boucle.

Aliette est solaire et cet épisode reflète son tempérament. Que vous ayez beaucoup d’enfants ou non, que vous vouliez vous lancer dans l’aventure de l’entreprenariat ou non, cet épisode est fait pour vous !  


🗣️ Au programme :

👩‍👧‍👦 Parcours familial d’Aliette (00:00 – 15:00)
🏢 Carrière et entrepreneuriat (15:00 – 30:00)
👨‍👩‍👧‍👦 Création de Memepascap avec ses enfants (30:00 – 45:00)
💼 Conseils pour l’entrepreneuriat (45:00 – 01:02:20)



TRANSCRIPTION DE L’ÉPISODE

Clémentine

Salut Aliette. 

Aliette

Bonjour. 

Clémentine

Je suis ravie de te recevoir aujourd’hui pour parler de ta famille, mais aussi de Même pas cap et de la construction de cette entreprise et le fait d’être mère de beaucoup trop d’enfants. Je ne sais pas comment t’as fait. Et au final, je réfléchissais, la dernière fois que j’ai interviewé quelqu’un de ta génération, c’est ma maman. 

Aliette

D’accord. 

Clémentine

Et je n’ai pas refait d’interview avec une personne qui a l’expérience d’être mère, et d’avoir des petits-enfants aujourd’hui et qui a du recul du coup, donc ça m’intéresse vraiment. Merci d’être venue jusqu’à nous. 

Aliette

Je suis ravie d’être là et de faire ta connaissance également. 

Clémentine

Alors, déjà ma première question, c’était comment pour toi quand tu es devenue mère la première fois ? C’était en quelle année déjà ? 

Aliette

Alors la première fois, c’était en 1986. Et j’avais tout juste 24 ans.

Clémentine

Il y a 38 ans. 

Aliette

Voilà, exactement. 

Clémentine

Donc c’était comment ? 

Aliette

C’était une plénitude et un bonheur parce que c’était vraiment un choix et j’avais hâte de pouvoir vivre cette maternité, d’accueillir un enfant dans mon foyer. Donc c’est que du bonheur, que des bons souvenirs et des grands moments. 

Clémentine

Donc à 24 ans, t’avais déjà l’envie de construire tout de suite ta famille et d’avoir un premier enfant ? 

Aliette

Je crois clairement que dans ma génération, en tout cas moi, dans mon éducation, c’était un peu notre mission de vie. Ça faisait partie d’une… Les femmes, leur place c’était d’être à la maison, d’avoir des enfants, de bien s’en occuper, de s’occuper de leur mari, etc. Donc moi j’ai grandi à la fois dans une famille assez anticonformiste et en même temps où cette place là pour les femmes elle était écrite d’avance pour nous. Et puis moi j’avais vraiment fait le choix et depuis très longtemps, c’est comme ça d’ailleurs que j’ai rencontré mon mari, de vouloir avoir cinq enfants. Donc le premier c’était un bonheur de pouvoir l’accueillir et de m’assurer que je puisse avoir des enfants. Déjà c’était hyper précieux, hyper important pour moi. 

Clémentine

Pourquoi cinq ? 

Aliette

Je ne sais pas te dire pourquoi. 5 je crois parce que nous on était 4 et que du coup ça ne permettait pas toujours d’arbitrer. Tu vois quand il y avait des différents. Donc 5 je me disais c’est un nombre impair, il y aura une majorité qui va se dégager d’un côté ou de l’autre. Ça aurait pu être 3. Mais c’était forcément une famille nombreuse. 

Clémentine

Donc il fallait que tu rencontres ton mari, qu’il soit d’accord pour avoir cinq enfants, c’est ça ? 

Aliette

Écoute, j’ai eu de la chance lors d’une conversation avec une de mes amies à la fac de lui dire, elle me posait la question, combien tu veux avoir d’enfants ? Et je lui ai répondu, ben écoute, cinq. Et elle me répondait que deux seraient largement assez pour elle. Et derrière, un jeune homme a répondu, ben tu veux cinq enfants, ça tombe bien moi aussi. Et on s’est rencontrés comme ça. Donc voilà, c’était vraiment un projet de vie commun. 

Clémentine

À l’époque tu fais des études, tu travailles, comment elle est ta vie ? 

Aliette

Alors je fais des études effectivement et je commence à travailler comme prof d’histoire géo, donc de façon à travailler à temps partiel, à bénéficier des vacances et mon idée c’était d’avoir des enfants et de pouvoir concilier facilement grâce à ce métier un rythme de vie et une organisation qui puisse me permettre d’être présente et de réussir de part et d’autre. 

Clémentine

T’avais déjà cette notion-là dans la tête ? Il fallait que ta carrière et ta vie familiale soient équilibrées ? 

Aliette

Oui, c’était une priorité. J’ai eu la chance de grandir avec une maman qui a toujours travaillé, ce qui à ma génération n’était pas très fréquent. Mais qui a du coup beaucoup travaillé et n’a pas été très présente. Et donc je voulais vraiment dès le départ assurer cette possibilité d’être présente d’un côté et de l’autre. Je ne voulais pas renoncer à aucun des domaines. 

Clémentine

Nous, notre génération, on a plutôt la sensation de se dire que c’est impossible de trouver cet équilibre dont on parle, que c’est très difficile d’être une bonne mère présente, mais aussi d’avoir une carrière florissante et où on grimpe les étages. Tu ne te posais pas cette question dans cet état d’esprit-là à l’époque ? 

Aliette

Si, complètement. Je savais que la société et que le monde du travail n’allait pas me faciliter la tâche et que globalement, en tout cas dans ma représentation, vouloir travailler à temps partiel, c’était forcément être caissière. Parce que c’était quasiment les seuls boulots qui offraient la possibilité de gérer son temps et de s’organiser. Et ça je savais que je l’allais tout faire pour l’éviter. J’avais d’autres ambitions, envie de faire des études, envie d’exercer d’autres métiers. Et d’avoir une activité plus intellectuelle peut-être, sans dénigrer forcément ce job-là. J’avais d’autres projets, mais je voulais quand même trouver cet équilibre-là. Donc, prof, ça a été la première bonne réponse pour moi. 

Clémentine

En combien de temps tu fais cinq enfants ? 

Aliette

En un peu moins de dix ans. J’avais l’impression d’avoir passé beaucoup de temps pendant ces périodes-là en congé mat et enceinte. Mais bon, j’avais la chance que ce soit des grossesses qui étaient souvent faciles et puis de bien le vivre, de pouvoir encore une fois, a lors même s’il faut beaucoup d’énergie pour enseigner et animer une classe et lui donner vie, malgré tout c’était quand même un emploi du temps qui me permettait d’avoir des pauses régulières et puis de pas forcément travailler toute la semaine non plus, je travaillais pas 35 heures quoi. 

Clémentine

Donc tu as tout à fait continué de travailler pendant les dix années où tu as eu des enfants en bas âge, parce que tu fais en dix ans mais il reste toujours des tout petits quoi, tu as toujours des petits avec toi. Tout à fait. Tu mets très vite à la crèche et en garde ou est-ce que tu prends plus de temps ? 

Aliette

Alors j’ai pris deux fois une année entière parce qu’on a déménagé pendant ces périodes-là et je trouvais ça important de prendre du temps pour poser, trouver un équilibre, retrouver justement une organisation, éventuellement des solutions de garde et que les enfants trouvent leur repère aussi dans le nouvel environnement que l’on était en train de rejoindre. Mais sinon oui, j’ai continuellement travaillé, alors plus ou moins deux jours, trois jours, quatre jours par semaine, ça dépendait des périodes. Et les derniers congés de maternité m’ont permis de commencer à réfléchir à l’hypothèse de créer ma propre activité. Parce que je sentais bien, d’abord je commençais à rencontrer des difficultés pour faire garder, à partir de quatre enfants ça commençait à devenir compliqué. 

Clémentine

Déjà quatre! 

Aliette

Exactement! Les baby-sitters, elles te disent, bon, comment te dire… 

Clémentine

Si on est trois, ok ! 

Aliette

Ouais, exactement ! Jusqu’à trois, bon, c’est un tarif. Mais après, quand on a quatre ou cinq, ça commence à être difficile. Et puis eux, ils commençaient aussi à avoir compris qu’ils pouvaient prendre l’ascendant sur les baby-sitters éventuellement. Donc ça commençait aussi à être plus compliqué, quelquefois, de les faire garder, tout simplement. 

Clémentine

T’as de l’aide à ce moment-là, donc t’as les baby-sitter, mais est-ce que vous avez de la famille, est-ce que ton mari travaille à temps partiel, j’en sais rien, comment ça s’organise ? 

Aliette

Alors non, le choix que j’ai fait moi, ça a toujours été de, en tout cas toutes les premières années, d’avoir quelqu’un à la maison. Soit une jeune fille au pair, qui était française en l’occurrence, qui faisait des études mais qui logeait à la maison pendant plusieurs années. On a eu la chance d’avoir Sonia à nos côtés. Et puis oui, j’ai plutôt compté sur la présence chez moi de quelqu’un qui venait parce que ça m’évitait d’avoir à courir et à conduire les uns et les autres à l’extérieur et à préparer tout le monde tôt le matin. 

Clémentine

Donc t’avais un château de dix chambres à peu près ? 

Aliette

Pas vraiment! Non, ça a commencé… Non, même à Paris, quelqu’un venait le matin pour garder les enfants chez moi. Et puis après, oui, on a eu une maison suffisamment grande pour pouvoir proposer à la jeune fille qui gardait les enfants en journée de venir habiter, loger avec nous. 

Clémentine

Est-ce qu’il y a eu des fois dans cette période de toute petite enfance où tu t’es dit mais pourquoi j’en ai fait cinq ? Ou c’était too much, tu vois, où il y avait vraiment une charge énorme ? 

Aliette

Alors à aucun moment je me suis dit que c’était too much, c’était vraiment un choix, je me suis dit que j’allais l’assumer, clairement. Par contre j’ai quand même connu une période après la naissance du cinquième où je me suis un peu effondrée, il faut l’avouer, parce que la fatigue d’abord, parce que le rythme c’était quand même, tout le monde le sait, c’est quand même sport d’avoir des enfants en bas âge, donc physiquement il faut tenir la route avec des nuits qui ne sont pas toujours très longues. Après la naissance du cinquième, j’ai eu un passage vraiment qui m’a beaucoup appris, mais où j’ai vraiment passé quelques mois déprimée. 

Clémentine

Et est-ce qu’à cette époque-là, on entend parler de la santé mentale des mères, des femmes, de ce que ça veut dire la maternité, l’impact que ça peut avoir sur nos hormones, la restructuration du cerveau ? Non, parce qu’à l’époque il n’y a pas de neurosciences, mais… 

Aliette

Clairement, ça fait même… Tu vois, l’idée seulement de penser à un burn-out parental, on n’en parlait même pas, ça n’existait pas. Les femmes devaient faire le choix de rester chez elles si ça n’allait pas. Mais tu vois, il fallait arrêter de travailler. Mais la solution, elle n’était pas ailleurs. Donc il n’y avait pas tellement d’options pour être forcément entourée. 

Clémentine

Et entre femmes, entre mères, vous en parliez un peu plus par contre ? 

Aliette

Oui, davantage. Mais encore une fois, je trouve qu’il y avait encore une pression ou en tout cas une organisation de la société qui faisait que c’était normal. Les femmes avaient ce rôle-là. Je trouve que de ce point de vue-là, il y a eu quand même beaucoup d’évolutions et de prises en considération aussi. Un, du partage plus équitable dans le couple des tâches aussi. Parce que malgré toute la bonne volonté de mon mari, il était aussi d’une génération où la partie tâche matérielle et charge mentale était souvent pour moi toute seule. 

Clémentine

J’imagine déjà que nous, notre génération, on se dit, oh, vous poussez un peu les gars, alors qu’on a la sensation qu’on a atteint une certaine égalité. Est-ce qu’on te regardait avec des yeux un peut-être un ovni, d’avoir cinq enfants et une carrière à côté ? 

Aliette

Oui. Alors ça, j’ai toujours été vue, oui, effectivement, ce regard était clairement… Alors pas tant peut-être pendant que j’étais prof, parce que tout le monde pensait qu’effectivement c’était facile de s’organiser. Il y avait quand même quelques difficultés, parce que voilà. Pour corriger des copies où tout le temps libre n’était pas forcément disponible. Mais c’était plus compris. Après, quand je suis devenue cheffe d’entreprise, c’était différent. Là, effectivement, les gens se sont dit comment elle a fait ce choix-là et pourquoi et comment c’est possible de tout mener de front ?

Clémentine

Je pense à cet exemple de Mercedes Ezra qui a fondé l’agence BTC de marketing et qui elle a six enfants et qui a toujours dit moi j’ai pu avoir cette carrière parce que mon mari a arrêté de travailler parce que je n’étais pas seule et qu’on m’a déchargé des épaules l’éducation des enfants même si elle dit j’avais quand même une énorme charge mentale parce que je suis toujours une femme même si c’est mon mari qui arrêtait de travailler je faisais beaucoup. Vous vous avez tous les deux continué votre parcours professionnel, donc à quoi tu penses que ça tient le fait que tu aies réussi à trouver la force de tout gérer ? Tu nous parleras après de ton parcours d’entrepreneur si ça m’intéresse, mais même dans les premières années de vie de tes cinq enfants et de ta carrière, à quoi tu penses que c’est dû ? 

Aliette

Je pense que c’était tellement ancré, tellement une priorité. C’est un sujet sur lequel je n’ai jamais douté. C’était un choix d’avoir voulu avoir cinq enfants. J’ai toujours plutôt cherché à construire autour de cette priorité-là, et tout ensuite va être décliné à partir de cette priorité de vie, c’est-à-dire du temps que je pouvais consacrer d’avoir mes mercredis, de ne pas terminer trop tard le soir, d’avoir des vacances scolaires disponibles, etc. Donc je pense que ça a quand même facilité ma vie. Mais je pense que j’avais suffisamment de libre arbitre et d’indépendance d’esprit et de libre pensée pour pouvoir me dire voilà c’est mon chemin, c’est mon choix, les autres en penseront ce qu’ils voudront. 

Clémentine

Tu t’es conditionnée finalement, c’était comme ça, c’était pas autrement. Et comme ce que tu dis, c’était un choix, tu l’as pas subi, tu l’as vécu d’une manière différente. Notre génération en est beaucoup, et c’est pour ça que j’ai créé ce podcast, à se prendre un peu un mur au premier enfant, à se dire, wow, en fait, C’est hard, c’est difficile, ca remet en question de plein de choses. Et notamment, il y a beaucoup de femmes qui vont faire un bilan de compétences à ce moment-là. Je ne sais plus ce que c’est ma priorité. Est-ce que toi, tu as eu la sensation en devenant mère que ton monde changeait ou que c’était une continuité ? 

Aliette

Alors écoute, j’ai l’impression, en tout cas pour le premier enfant et puis les deuxièmes, troisième, j’ai eu l’impression que c’était une continuité parce que tout avait été pensé, construit. Puis je te dis, c’était vraiment un projet commun avec mon mari. Donc tous les deux, on avait construit toute notre vie autour de ce projet d’avoir cinq enfants. Là où j’ai vraiment pris conscience de la charge, à la fois mentale, physique, et puis de l’incidence dans ma vie professionnelle, c’est après le cinquième. C’est pour ça que je pense que j’ai aussi connu une période de down. C’est que là, je me suis dit, OK, comment tu vas faire ma fille pour continuer à avoir une carrière professionnelle?

Je me souviendrai toute ma vie d’une amie, quand j’ai voulu faire mon CV après la naissance du cinquième enfant, elle m’a dit, surtout n’écris pas sur ton CV que tu as cinq enfants. On va jamais te prendre. Et j’ai encore des frissons à l’idée de les avoir reniés, parce que je me dis aujourd’hui quelqu’un qui n’est pas capable de comprendre que je veux bosser, que j’ai les compétences, tout en gérant une famille de cinq enfants parce que c’était mon choix, je ne pourrais jamais m’entendre avec lui. Donc autant que je ne le rencontre surtout pas. 

Clémentine

Et puis fin sincèrement, avoir cinq enfants ça demande énormément de compétences. En plus je trouve comme, tu vois, de compétences que tu peux mettre sur le CV, c’est un truc de ouf quand même. Tu sais gérer cinq enfants. 

Aliette

Absolument, absolument. Je pense qu’aujourd’hui en termes et d’organisation et de… 

Clémentine

Les soft skills là, tu les a. 

Aliette

Carrément. 

Clémentine

Mais à l’époque c’était mal vu de vouloir avoir une carrière et d’avoir cinq enfants. 

Aliette

C’est exactement ça. 

Clémentine

C’est qu’on t’aurait normalement étiqueté de tu restes à la maison en fait. C’est bon, t’as choisi ça, viens pas nous taper à la porte pour prendre du travail. 

Aliette

Tu n’as pas ta place. Et du coup, il fallait a priori accepter l’idée qu’on devait renoncer de soi-même à chercher à se faire une place intéressante, équilibrée, heureuse dans une entreprise en fait. 

Clémentine

Parce qu’à l’arrivée de ton cinquième enfant, tu ne veux plus être prof d’histoire-géo ? 

Aliette

Alors entre temps, oui, j’ai déjà arrêté parce qu’on a déménagé plusieurs fois et effectivement, la petite histoire est que mon mari était également dans l’univers de l’enseignement et que je me suis dit que pour les cinq enfants, avoir deux parents profs, ça allait être franchement compliqué. Donc je me suis dit il faut qu’un de nous deux aille naviguer ailleurs. Et j’ai fait le choix de m’éloigner pour que je pensais que ça participerait de leur équilibre. Donc lui faisant carrière dans la direction d’école, etc. Je me suis dit bon moi je peux aller faire d’autres choses. Dans d’autres environnements et ça a été une chance de pouvoir justement aller d’abord dans un cabinet de recrutement puis dans l’accompagnement professionnel. 

Clémentine

Est-ce que dans les années début 90, donc quand t’es en plein dans le dur de toute petite enfance, on parle d’entrepreneuriat au féminin ? 

Aliette

Non, pas du tout. Pas du tout et même je pense qu’il y avait vraiment… En tout cas, moi, je l’ai vraiment ressenti des a priori. Alors, à l’intérieur même de ma famille, de mon foyer, puisque pour mon mari, il valait mieux que je crée une association. C’était plus acceptable que d’avoir une femme qui allait devenir chef d’entreprise. C’était pour lui quand même une menace potentielle, je pense. Il n’est malheureusement plus là pour en témoigner, mais je crois qu’il le vivait comme ça. En tout cas, moi, je le ressentais comme ça. Et puis, dans ma propre famille aussi, j’avais trois frères chefs d’entreprise. Mais pour mes parents, que leur fille soit cheffe d’entreprise, c’était inacceptable. Ils ont mis dix ans à s’y faire. Alors que pour mes frères c’était tout naturel. Donc on a eu la même éducation, la même envie d’entreprendre tous mais pour moi c’était effectivement pas attendu en tout cas. 

Clémentine

Et alors je te parle d’entrepreneuriat au féminin en étant mère, j’imagine que c’est encore un autre niveau, c’est inenvisageable d’associer les deux. 

Aliette

Clairement. Et je te dis à tel point que moi ma première expérience a été de créer une association parce que moi-même j’avais du mal à me sentir légitime Je savais, j’avais compris que j’avais la personnalité, l’énergie, certaines compétences qui me conduiraient à entreprendre un jour. Mais être vraiment chef d’entreprise, je ne le visualisais pas encore. 

Clémentine

Tu t’es dit à un moment, après ton cinquième enfant, peut-être qu’il faut que je fasse une pause aussi, parce que c’est fatigant, ton corps il a quand même donné. Je voudrais quand même souligner que tu as eu cinq grossesses, c’est-à-dire cinq accouchements, cinq post-partum. Je pense que tu avais donné ce que tu avais à donner, de prendre soin de toi. Est-ce que cette notion-là, elle existait ? 

Aliette

Je pense que ça a participé de ce moment dont je te parle qui a été un moment un peu down parce qu’après la naissance du cinquième je pense que mon corps effectivement était aussi fatigué que j’ai rien trouvé de mieux que de choisir ce moment là aussi pour me dire ok si je veux voir mes enfants grandir il faut que j’arrête de fumer donc je fumais beaucoup et j’ai arrêté du jour au lendemain en me disant voilà c’est le moment donc tout combiné, il y a eu cette prise de conscience que le corps avait aussi besoin d’être soigné, cajolé et pris en considération. 

Clémentine

Tout à l’heure je te parlais de est-ce qu’on te regardait comme un ovni parce qu’aujourd’hui on a des statistiques de l’INSEE qui disent qu’après trois enfants 70% des femmes, donc mères, soit arrêtent de travailler soit sont à temps partiel jusqu’aux trois ans du dernier enfant, jusqu’à l’entrée à l’école. Donc avec cinq enfants j’imagine même pas le pourcentage de femmes qui travaillent à temps plein. T’as jamais réalisé que ce que tu faisais ça demandait énormément d’énergie et que c’était pas le chemin le plus simple que tu avais choisi en tout cas dans les premières années de vie de ton dernier du coup ? 

Aliette

Alors si, j’ai eu même des amis qui me l’ont rappelé puisque moi je crois que j’ai eu la chance d’avoir naturellement beaucoup d’énergie. Et un certain dynamisme. Mais effectivement, même pendant la grossesse du cinquième, j’ai eu une de mes amies proches qui m’a dit « Aliette, est-ce que tu t’es rendu compte là que t’étais enceinte et que t’allais accoucher bientôt et qu’il est grand temps que tu prennes soin de t’occuper de ce petit cinquième qui arrive ? » Parce que prise dans le flux de la vie quotidienne, de s’occuper des quatre autres, oui, je pense que j’ai pu passer éventuellement à côté de la prise en conscience de chaque moment de cette grossesse-là et j’ai pris une année entière effectivement après cet accouchement-là pour encore une fois prendre le temps de me remettre de mes émotions. 

Clémentine

Est-ce que tu as eu la sensation que les dix premières années de ta parentalité sont passées comme ça et que tu n’as pas eu cette conscience de je suis mère, je regarde mes enfants, parce que quand on est pris dans le quotidien avec des enfants, on dit les jours sont très longs mais les années sont très rapides. Tu vois cette sensation que c’est passé. Est-ce que tu as eu la sensation de le subir ou de bien en profiter ? 

Aliette

Moi j’ai l’impression d’avoir bien profité parce qu’en fait encore une fois c’était un choix donc j’avais l’impression vraiment peut-être pas de profiter de chaque instant parce que il y a des choses qui passent tellement vite. C’est maintenant que je me rends compte que c’est passé vite, tu vois. Mais j’ai quand même l’impression d’avoir savouré. Alors peut-être que le fait d’avoir cinq enfants, ce que je mesure aujourd’hui c’est que j’avais pas forcément le temps matériel de porter attention à chacun autant que j’aurais peut-être aimé. Après c’était aussi une autre façon de grandir, il y avait aussi quelque chose qui se jouait entre eux dans la fratrie et aujourd’hui je le mesure Ils sont assez proches tous les cinq et je pense que ça a aussi participé de leur éducation et de l’équilibre qui s’est construit. Mais non, j’ai l’impression quand même de… C’est plus tard que j’ai réalisé effectivement que c’était passé vite. 

Clémentine

Ton mari joue quel rôle dans l’éducation ? Est-ce que tu l’as bien expliqué ? On est début 90, on n’a pas vraiment encore parlé de l’égalité dans le foyer, on le parle à l’extérieur. Tout repose sur tes épaules ou tu as un mari qui est très présent et qui peut te soulager dans le quotidien ? 

Aliette

Il est très présent auprès des enfants pour jouer, pour animer, pour les vacances, très présent aussi sur les règles et la culture et l’éducation qu’il souhaite leur transmettre et leur donner. Par contre, effectivement, il est absent quasi presque totalement des tâches matérielles de l’organisation quotidienne, de la gestion du foyer, de son organisation, des déplacements pour les activités ou des choses comme ça. 

Clémentine

Donc c’est pour ça que tu te réfères à une jeune fille au père ?

Aliette

Exactement. Donc je partageais effectivement avec une autre femme, enfin une jeune fille souvent, l’accompagnement des enfants. Puis il rentrait relativement tard tous les jours, donc il essayait quand même de faire en sorte de pouvoir voir les enfants chaque jour et d’être présent le matin un petit peu. Mais le temps qu’il leur consacrait était surtout sur les week-ends et les vacances. 

Clémentine

On est sur une représentation classique de la famille de cette époque-là, des rôles genrés où le père joue. C’est toujours ce rôle-là, il vient exciter les enfants avant de dormir. 

Aliette

C’est exactement ça. Là, pour le coup, il était vraiment bon. 

Clémentine

Et tu t’es quand même dit que ben oui, cinq enfants, il n’y a pas de souci, même si… Tu vois quelque chose qui aujourd’hui, ma génération, je pense, freinerait beaucoup de femmes de dire, non, si mon mec, il n’est pas impliqué jamais de la vie, je me sacrifie pour faire cinq enfants seule, en fait, quelque part. Parce que tu parles de la charge mentale, les tâches matérielles, mais la gestion du soin et des émotions des enfants, c’est ce qui prend beaucoup de temps. Gérer les crises, les conflits. Et quand on est seul parent référent de ça, ça peut épuiser quand même. 

Aliette

Oui, complètement. Complètement et en même temps encore une fois moi je crois que je l’ai fait alors peut-être que ça rejoint aussi le job que je fais aujourd’hui mais j’ai toujours aimé accompagner, faire réussir, voir réussir tu vois donc je pense que je l’ai fait, je l’ai toujours été coach que ce soit avec mes frères, avec mes enfants peut-être que ça les a saoulés d’ailleurs Mais j’aimais cet accompagnement et prendre en compte justement cette particularité de chacun, sa place et la façon dont chacun pouvait évoluer et grandir. 

Clémentine

Est-ce que tu as la sensation, je sais pas si ton aîné est un garçon ou une fille moi en plus, d’avoir donné beaucoup de responsabilité aussi à la grande, parce qu’il y a une étude qui est sortie cette semaine sur le fait que le syndrome de la grande sœur, pas du grand frère, les grands frères sont très tranquilles, mais les grandes sœurs sont le relais maternel et ont beaucoup de charges sur les épaules d’un très jeune âge. Je suis une grande sœur aussi, donc je sais. Tu as la sensation que ta grande fille, elle a eu plus de responsabilités que les autres ?

Aliette

Clairement, j’avais pourtant moi, j’étais aussi aînée et grande sœur à mon tour, donc j’avais conscience de la charge que ça pouvait représenter. Et pourtant, je pense que malheureusement, même en en ayant conscience immanquablement, il y a des choses que j’ai essayé de lui épargner. Mais avec le recul, je me rends compte que… Et puis d’elle-même, elle a aussi beaucoup proposé. En fait, elle a eu cet instinct naturel, presque maternel, vis-à-vis surtout de ses deux plus petits frères. Et puis elle avait un âge où, au début, elle l’a fait en jouant un peu à la poupée. Et puis finalement, s’est installée effectivement une relation qui, je pense, lui a conféré plus de responsabilités que…

Clémentine

Que si elle avait été enfant unique. 

Aliette

Ou que si elle avait été à une autre place dans la fratrie en tout cas. 

Clémentine

Mais c’est vrai que les gens se rendent pas compte, bon j’en ai que trois, j’en ai pas cinq, mais la dynamique… Parfois je trouve que c’est moins épuisant trois enfants que un qui est toujours collé à toi, qu’à trois elles jouent ensemble. À trois elles font leur monde, elles font leur vie et elles te laissent vachement de… Bon, à partir du moment où la dernière parle un peu et il y a des interactions, mais c’est vrai qu’il y a un chiffre qui fait peur, mais quelque part ils créent, comme tu dis, leur fratrie, leur monde, qui est trop beau à voir d’ailleurs. Et qui soulage les parents. 

Aliette

C’est pas faux. Alors là où vraiment les gens m’ont pris pour une ovnis, c’est quand effectivement il se trouve que la vie a fait que j’ai été veuve assez jeune et du coup que j’ai éduqué et accompagné les enfants seuls et là les gens me disaient mais c’est pire d’avoir été seule avec cinq enfants alors que moi je trouvais que c’était une chance. Parce qu’en fait je crois que si j’en avais eu qu’un j’aurais pu m’effondrer ou me lamenter sur mon sort alors que là j’avais pas le temps j’avais pas trop le temps de m’apitoyer sur la situation et même s’il y avait beaucoup d’émotions à gérer, à accueillir. Malgré tout, le fait qu’ils aient été cinq, je pense que ça a été notre chance à tous les six, parce qu’on a reconstruit une famille un peu bancale, mais qui finalement n’a pas si mal évolué que ça, enfin même plutôt très bien évolué, et avec un soutien, une présence, beaucoup d’amour. Je suis très fière aujourd’hui de constater qu’ils vont tous super bien. Je pense que c’était heureux qu’ils soient finalement plus nombreux. Alors que si j’en avais eu un ou deux, je ne suis pas certaine qu’on aurait eu cette énergie-là en tout cas. 

Clémentine

Il a quel âge ton dernier enfant quand ton mari décède ? 

Aliette

5 ans. Ils ont entre 5 et 14 ans. 

Clémentine

Donc t’as encore un petit quand même. 

Aliette

J’ai les deux derniers qui ont 5 et 7 ans. 

Clémentine

Donc tu as une charge qui pèse encore plus lourd sur tes épaules quand tu deviens mère seule. 

Aliette

Oui, alors effectivement, là aussi j’ai arrêté une année entière. Ça a été un choix de faire une pause d’un an dans mon activité professionnelle pour vraiment prendre soin et de la fratrie et de chacun d’eux et de moi. Et oui, ça a été effectivement un moment lourd, compliqué, mais encore une fois, ils ont été top. 

Clémentine

Alors si on parle de ta carrière en parallèle, parce qu’on a dit que tu as été prof d’histoire géo mais que tu as mis un terme, que tu as voulu faire un CV et te réinsérer dans le monde professionnel après ton cinquième enfant, à quel moment te vient l’idée d’être cheffe d’entreprise ou en tout cas de commencer à faire de l’accompagnement puisque tu es coach à la base ? Et après tu vas nous expliquer. 

Aliette

En fait, c’est justement la même année, ou Pierre décède, que j’avais choisi de créer mon entreprise cette année-là. Et il s’en va. Donc je décide finalement de prendre une année sans travailler. En me disant que la priorité, encore une fois, c’était l’équilibre de la famille et qu’ensuite, à la rentrée scolaire suivante, tout le monde irait bien et aurait repris, voilà. Ce serait remis, enfin même si je pense pas qu’une année suffisait, mais en tout cas, moi j’estimais qu’il fallait du temps pour me consacrer à eux à ce moment-là. Et donc naturellement, la rentrée scolaire d’après, je retourne travailler et effectivement commencer à développer des activités d’accompagnement au bilan de compétences. Et là, le choix très vite a été de me dire, bon, comme je suis toute seule, il va falloir quand même que j’assure un minimum de présence. Donc je vais essayer de m’organiser pour travailler de 9h à 16h et je prenais les vacances scolaires. Et je savais qu’il n’y aurait aucun patron qui m’aurait dit ok pour avoir un tel rythme. Donc le fait d’entreprendre était presque une nécessité en fait, d’équilibre et de choix de vie si je voulais pouvoir assurer une présence auprès d’eux, être là pour faire les devoirs et assurer une présence aussi affective au quotidien. 

Clémentine

C’est vrai que c’est beaucoup plus commun dans l’entreprenariat féminin de démarrer une aventure où on devient chef d’entreprise pour agencer notre vie perso ou en tout cas avoir du sens et créer quelque chose qui a un impact, que ça peut l’être dans l’entreprenariat masculin. Ce qui veut dire qu’entre le moment où tu as ton cinquième enfant, tu prends ton année, tu refais ton CV, tu te formes au coaching. À ce moment-là, qu’est-ce que tu fais avant de sauter le pas pour être entrepreneur ? 

Aliette

Alors en fait j’avais commencé, je n’ai pas tout de suite fait la formation de coach, je l’ai fait plus tard. En fait je ne l’ai faite que quand j’ai pu laisser les enfants deux soirs par semaine se débrouiller tout seul en fin de journée pour pouvoir faire la formation de coach parce que donc c’est arrivé peut-être sept, huit ans après. Par contre je faisais déjà, j’étais déjà indépendante et je faisais des bilans de compétences, de l’accompagnement au bilan de compétences pour des cabinets de recrutement ou pour d’autres structures. Et donc j’ai commencé à démarrer ma propre activité sur cette activité bilan de compétences d’abord. Et je suis devenue coach que plus qu’après. 

Clémentine

Quand on parle de l’entreprenariat, masculin, féminin, peu importe, on voit aussi des gens qui travaillent non-stop les premières années pour que l’entreprise soit viable, qui, c’est leur enfant en final, investissent énormément de temps avant potentiellement d’avoir un retour sur investissement où on peut lever le pied. Toi, t’as pas eu cette capacité, cette possibilité. Qu’est-ce que t’as trouvé qui était difficile quand tu t’es lancée ? Est-ce que ça a roulé ou il a fallu que tu fasses des concessions ? 

Aliette

Encore une fois, je pense que j’ai eu la chance que ce soit un choix. Je n’avais pas la vocation de travailler et d’être envahie par l’entrepreneuriat et les décisions et les choix qui allaient s’imposer à moi. Je voulais pas non plus me laisser dicter la durée de mes vacances. J’avais tous mes copains entrepreneurs qui prenaient que 15 jours de vacances. Et quand ils me voyaient partir de moi, ils me disaient mais comment tu vas faire ? Et tout le monde me regardait en me disant, sa boîte elle va pas tourner en fait. C’est pas possible de s’arrêter à 4 heures et de prendre autant de vacances. Et en fait, alors je crois que c’est la chance des femmes, on n’a peut-être pas les mêmes ambitions ou pas la même pression sociale, je sais pas, ou peut-être un peu des deux. Mais en tout cas, moi j’ai vraiment fait le choix de me dire je vais essayer d’en vivre et de nourrir mes cinq enfants, c’était ça ma principale ambition en fait. Et en faisant un job que j’aimais, en étant indépendante et en le faisant à mon rythme. C’était vraiment ça les cartes sur lesquelles je voulais miser. Il se trouve que j’ai eu la chance peut-être c’est d’avoir pu signer assez rapidement un partenariat à l’époque avec la NPE, ça ne nous rajeunit pas vraiment. C’est France Travail maintenant. Un partenariat qui me confiait des bilans de compétences et qui m’assurait en fait une activité pendant trois ans de sous-traitance pour eux. Donc en fait j’avais une certaine tranquillité, je savais que l’activité allait pouvoir fonctionner, que j’aurais de quoi payer les charges du bureau. Et normalement pouvoir gagner ma vie suffisamment correctement pour assumer les charges qui étaient les miennes. 

Clémentine

T’avais une motivation qui est hyper forte finalement, c’est qu’il faut que tu nourrisses tes enfants. 

Aliette

Clairement. Et ça je savais, alors c’était un pari, je m’étais dit je vais essayer de le faire en exerçant le métier que j’aime le plus. Et j’avais toujours dans un coin de ma tête l’idée que si ça marchait pas, je serais femme de ménage, ça me faisait pas peur. Je me disais, je me débrouillerais bien de toute façon pour les nourrir, donc je ferais toutes les activités possibles et là je savais que je trouverais du boulot ou caissière, ce qui était réservé aux femmes qui voulaient travailler qu’à temps partiel. 

Clémentine

Et tu t’es jamais reproché à repartir être prof d’histoire-géo ? Ça ne collait pas avec ton rythme de vie ? 

Aliette

Je crois que vraiment j’en avais fait le tour pour le coup. L’animation de la classe, le fait d’être prof, ça m’amusait beaucoup. Et puis accompagner des élèves à grandir, à apprendre, à être un référent pour eux à des périodes d’adolescence qui ne sont pas toujours faciles. J’aimais plutôt bien cette relation ces échanges-là. Par contre, corriger des copies, c’est juste pénible. 

Clémentine

T’as quel âge quand tu te lances dans l’aventure de l’entreprenariat ? 

Aliette

J’ai tout juste 40 ans. 

Clémentine

Je trouve ça intéressant parce qu’on valorise vachement aujourd’hui, il faut avoir 25 ans. Si t’as pas 25 ans, t’auras tout raté. Il faut le faire le plus jeune possible. Non, en fait, il y a des chemins de vie qu’ils font quand c’est OK de commencer une deuxième carrière à plus de 40 ans et d’avoir du succès derrière et que ce soit viable. Tu penses que d’avoir commencé à 40 ans, ça t’a aidé ? Parce que tu as plus d’expérience, parce que tu sais ce que tu veux dans la vie, parce que tu as des priorités autres ? 

Aliette

Alors oui, je pense que j’avais une maturité en tout cas qui me permettait de me dire qu’il pouvait à peu près tout arriver. Quand on commence à entreprendre en général, on a une compétence technique sur un domaine. Donc moi je savais que l’accompagnement au bilan de compétences, quand je fermais la porte de mon bureau, je savais ce qu’il allait se passer, je savais que je saurais faire. Par contre tout ce qui pouvait toucher à la finance, à la com, aux ressources humaines, au juridique et à tout le reste, j’avais tout à apprendre, tout à découvrir. Donc ça faisait beaucoup plus peur. J’avais cette maturité de savoir qu’en tout cas techniquement sur mon métier, sur l’accompagnement, n’importe qui pouvait franchir la porte du bureau, je savais que je saurais l’accompagner. Donc c’était très rassurant finalement.

Et je pense que ça a été un bon support pour développer l’activité et l’entreprise. Et puis après je pense qu’il y a aussi une question de personnalité, de nature. Moi je crois que l’énergie que j’avais un peu en trop, elle m’a bien servi dans le développement de l’entreprise et de l’activité. 

Clémentine

Tout le monde n’est pas fait pour l’entrepreneuriat, ça c’est sûr et certain, il faut quand même en avoir conscience. Tu t’entoures vite ou tu restes longtemps seule à mener ta barque, avec tes horaires pour adapter aux enfants, avec tes vacances scolaires ? 

Aliette

Alors j’ai toujours essayé de partager, enfin moi j’aime bien l’idée de partager, je travaille volontiers facilement en partenariat avec les autres. La relation de subordination c’est un exercice qui est pour moi un peu plus compliqué. Mais donc d’autres partenaires, d’autres indépendantes avec qui j’ai partagé ces aventures là de bilan de compétences et d’entreprise. Oui, ça a été assez naturel, assez rapide. Après, ce n’était pas toujours évident durablement, j’ai trouvé. C’était assez compliqué, en fait, de préserver, de développer ces partenariats sur de très longues années. 

Clémentine

Tout à l’heure, tu disais que ton entourage a trouvé ça un peu fou que tu te lances dans l’aventure de l’entreprenariat, mais même une fois que ton mari était décédé et que tu n’avais plus vraiment le choix et que finalement, au vu de ta configuration familiale, c’était ce qui était le plus adapté, ils n’ont toujours pas compris ce choix parce qu’à l’époque, une femme, ça ne peut pas être mère et chef d’entreprise ? 

Aliette

Je pense que ça leur faisait peur en fait. Et ce qu’on m’envoyait c’était qu’effectivement, heureusement que moi j’avais cette part d’inconscience pour pouvoir oser continuer à être qui j’étais et du coup à continuer de le voir comme ça et de le vivre comme ça. Mais je pense que ça aurait effectivement rassuré autour de moi mes parents, mes amis, essayer de trouver un job salarié, mais c’était injouable. C’était pas compatible avec le rythme et le temps que je voulais pouvoir consacrer aux enfants. 

Clémentine

Dans les années 90, il y a aussi un plein emploi. C’est facile de trouver un job en CDI à côté. Ce n’est pas un peu différent d’aujourd’hui où c’est un peu plus tendu le marché du travail. Tu avais quand même cette notion que si ça se casse la gueule, je trouve quelque chose à côté. 

Aliette

Oui, je savais que je ferais n’importe quel job pour pouvoir gagner ma vie. Je savais que je trouverais, a priori, J’aurais pas eu beaucoup d’exigences pour pouvoir assumer l’éducation de mes enfants et puis leur vie quotidienne. Après je croise les doigts, j’ai eu la chance ça a bien fonctionné. 

Clémentine

Ils ont quel regard, tes enfants, à ce moment-là, sur ce que tu fais, comment tu te démêles, le fait que tu sois seule à la tête de cette famille, qu’il n’y a plus leur papa ? 

Aliette

Alors je pense qu’encore aujourd’hui, ils ont eu beaucoup à la fois d’admiration et puis en même temps, je pense aussi, j’étais quelquefois surprise quand, au moment des vacances scolaires, quand ils ont un petit peu grandi, je prenais que la moitié des vacances scolaires. Et là, ils se rendaient compte tout d’un coup que je travaillais, parce qu’en fait, je les déposais à 8h30 à l’école. Je l’ai récupéré à 4h30. Moi, j’arrivais à travailler entre 9h et 16h, presque non-stop. Et puis, il m’arrivait de retourner au bureau quelquefois après 21h le soir, une fois qu’ils dormaient. Et du coup, quelquefois, c’était surprenant pour eux de savoir que j’avais un rythme de travail. Pendant les vacances, ils découvraient que leur mère travaillait parce que j’étais finalement presque tout le temps là. 

Clémentine

En fait, ils pensaient que tu étais mère au foyer. 

Aliette

Quasi. 

Clémentine

Ils avaient compris, oui, mais je vois bien que dans leur représentation de ce qu’est ta vie, ils ne pouvaient pas se rendre compte que… 

Aliette

Ils ne mesuraient pas, je pense, à l’époque, alors ils ont beaucoup plus conscience aujourd’hui qu’ils sont grands. Qu’à l’époque, en fait. Parce qu’eux, ils me voyaient finalement… Après, oui, ils ont pris conscience quand, plutôt dans les années de collège, quand il fallait aller les chercher à la sortie du collège, un peu à des moments pas organisés, pas prévus. Quand c’est mon assistante qui allait les chercher, là, ils ont commencé à comprendre que, voilà, bon, il fallait que je m’organise et que je pouvais pas être tout le temps dispo.

Clémentine

Est-ce que tu t’es retrouvée des fois à avoir un bébé sous le bras, bon un enfant, pas un bébé mais ce qui est un peu plus grand, malade au bureau, à gérer un autre et avoir toute cette casquette multitâche qu’ont souvent les femmes dans les premières années de vie des enfants ? 

Aliette

Oui, clairement. Alors après, encore une fois, je crois que j’ai fait un choix. Je ne sais pas s’il est toujours possible aujourd’hui aussi facilement. Mais moi, je me suis beaucoup appuyée, comme je te le disais, sur la présence de jeunes filles au père pendant la toute petite enfance des enfants. Et puis après, quand ils ont été plus grands, il y avait vraiment quelqu’un qui m’épaulait. Qui avait ma carte bleue, qui s’occupait d’eux pour les faire déjeuner, qui pouvaient faire des courses, qui pouvaient faire des conduites. Elle était présente presque quatre jours par semaine. Moi j’étais là le mercredi et elle assurait une présence pendant que je travaillais tous les autres jours. Donc il y avait tout le temps quelqu’un qui pouvait…

Enfin, ça me paraissait important parce que toute seule, ça aurait été compliqué d’assumer tout ce qu’il était nécessaire de gérer avec les cinq. 

Clémentine

Parce que du coup, c’était plus une jeune fille au père, c’est juste quelqu’un que tu avais en extra qui venait. Des ados et des jeunes enfants avec toi qui t’a épaulé. Parce qu’on a un peu glorifié cette image de la superwoman qui peut tout faire, qui doit tout faire au final. Avoir ses enfants, avoir une carrière. Et qui surtout ne doit pas demander d’aide parce que c’est un peu honteux et c’est mal vu parce qu’on devrait savoir faire. Toi t’as tout de suite compris qu’il fallait que t’aies de l’aide, t’avais besoin. J’ai l’impression que c’est pas commun quand même tu vois. Peut-être parce que t’en avais cinq, t’avais plus trop le choix.

Aliette

Il y avait un moment où ça devenait vraiment… À un moment donné je travaillais, j’avais essayé de trouver plusieurs jeunes filles successives pour essayer de leur confier les enfants. Et clairement le retour que j’ai eu quand une, deux, trois m’ont dit non mais cinq ça ne va pas pouvoir être possible. J’ai pris conscience qu’il fallait que je m’organise autrement, que je sois plus présente moi-même. Et puis que je trouve quelqu’un sur qui m’appuyer, en l’occurrence c’était quelqu’un de plutôt plus âgé pour le coup, qui était elle-même veuve et qui a été vraiment une ressource et une présence affective hyper importante, surtout pour moi et pour les enfants aussi. 

Clémentine

Quand est-ce que tu décides de créer ensuite une entreprise avec tes enfants ? 

Aliette

Alors ça, écoute, comment te dire ? C’était pas tout à fait prévu. Moi je naviguais avec mon cabinet depuis 20 ans, assez heureuse et très indépendante, avec plutôt une activité qui me réussissait bien. Jusqu’au jour où mon fils Yves est venu me voir après un bilan de compétences lui-même et m’a dit écoute j’aimerais bien entreprendre alors bon jusque là pas de surprise pour moi. Par contre quand il m’a dit que c’était pour faire du bilan de compétences en digital je suis tombée de ma chaise quoi. Et puis la phrase d’après, ça a été de me dire, bon, en plus de ça, je ne pourrais pas le faire si tu ne t’embarques pas avec moi. Parce que, clairement, l’expertise sur le sujet, je ne l’ai pas. Donc, est-ce que tu serais d’accord de m’accompagner dans cette aventure entrepreneuriale ? Alors ça a été… Je crois que j’ai pas mis longtemps à lui répondre que oui ça m’amuserait beaucoup, même si ça m’a beaucoup surprise. Et puis je dois avouer que partager avec ses enfants une activité qui a toujours été mon activité de cœur, c’est vraiment du bonheur. Je suis tellement fière de la vitesse à laquelle ils ont appris, ils ont intégré, ils ont… Ils maîtrisent même aussi bien voire mieux que moi sur certains sujets l’activité aujourd’hui d’accompagnement au bilan. Et puis tous les sujets du digital, bien sûr, t’imagines, il les maîtrise beaucoup mieux que moi. 

Clémentine

Parce que là tu as mentionné Yves que je connais, mais il n’y a pas que lui qui a rejoint l’aventure. Sur tes cinq enfants, tu travailles avec deux de tes enfants, Sixtine la deuxième, vous êtes un trio à ma tête de même pas cap. Est-ce que c’est pour toi quelque part une concrétisation de tout ce que tu leur as inculqué et de se dire que c’est une belle reconnaissance envers ton parcours ? 

Aliette

Je ne le vis pas comme une reconnaissance, si tu veux. Je te disais que cet équilibre un peu bancal qu’on a reconstruit, il a sans doute mélangé certains rôles. Et certains équilibres aussi. Mais ça m’a paru, je le vis pas comme une reconnaissance, mais vraiment comme un partage. Enfin, tu vois, avec chacun qui a sa place dans son… Moi, je suis hyper heureuse d’apporter cette expertise que je peux avoir sur le bilan depuis toutes ces années. Yves, il avait vraiment ce parcours dans le e-commerce qui a permis aussi que même pas cap soit le succès qu’il est aujourd’hui. Sixtine, elle est arrivée aussi au même moment avec l’envie de se reconvertir, de changer d’axe professionnel et elle a facilement, naturellement trouvé sa place dans cette aventure de même pas cap qu’on a partagé tous les trois. Je te dis, c’est le reste de la famille qui a été un petit peu inquiet de nous voir nous embarquer à trois dans cette histoire au départ. 

Clémentine

Donc on est en 2018, 2017, 2018 ? 

Aliette

On est exactement, on est courant 2018. 

Clémentine

Quand vous décidez de vous associer à trois, toi tu lâches tout, tu dis allez go, on y va ? 

Aliette

Non pas du tout. En fait j’ai mené de front de 2018 à là maintenant où on se parle quasiment, donc les deux activités. Et là, je vais vraiment fermer mon cabinet à la fin de cette année-ci pour me consacrer qu’a même pas cap. Mais voilà, j’ai continué aussi ce que j’avais commencé. Et puis, je pense que pour Yves, c’était aussi important de ne pas sentir que j’allais tout lâcher pour rejoindre son projet qui est son projet à lui, enfin, à l’origine. 

Clémentine

Comment on travaille avec ces enfants adultes ? 

Aliette

Alors nous on a beaucoup de chance parce qu’en fait on travaille déjà pas physiquement au même endroit tous les trois et ça je pense qu’avec le recul je me rends compte que ça a été plutôt malin et c’est plutôt précieux parce qu’on se marche pas sur les pieds puis on a chacun… Après Yves, il a l’intelligence d’avoir confié à chacun de nous son espace et son domaine d’expertise. Donc moi, il m’a confié vraiment ce que j’aime le plus faire, de choisir des coachs, de les accompagner dans leurs activités en bilan. Sixtine, elle a vraiment tout le périmètre communication et Yves, il a le talent de manager et d’organiser. Donc voilà, chacun a clairement sa place. Donc ça, ça facilite aussi beaucoup, je pense, les relations. Il y a aussi quelque chose de très très clair, c’est que c’est vraiment Yves le boss et que ça ne se discute pas, même si je peux être plus âgée, plus experte sur certains sujets, c’est Yves qui dirige, c’est lui le patron quand même. Et ça je pense que c’était aussi important de vraiment clarifier, d’organiser. Et ça nous aide. Et puis après, j’en parlais, il y a eu très spontanément, très naturellement quelque chose qui s’est mis en place. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, quand on est dans des réunions de famille, qu’on se retrouve dans le cercle familial, on ne parle jamais de même pas cap. Ça reste entre nous un code.

C’est pas l’espace familial qui doit accueillir des sujets professionnels, d’autant moins que tous ceux qui sont autour de nous ne sont pas concernés par cette aventure entrepreneuriale, donc ça pourrait être pas sympa à vivre pour eux. 

Clémentine

Il n’y en a aucun qui s’est dit, moi aussi je vais être dans l’aventure ? Des trois autres qui ne travaillent pas avec vous ?

Aliette

Il y a eu au départ, Baudoin et Yves ont pas mal travaillé ensemble. Baudoin a eu l’envie aussi d’entreprendre également sur des sujets et sur des activités extrêmement proches de l’accompagnement au bilan de compétences. Finalement, aujourd’hui, il a fait un autre choix. Ce qu’ils craignaient le plus, c’était que ça se passe mal et qu’on s’engueule. Aujourd’hui, je croise les doigts, ça se passe hyper bien, on est hyper heureux de travailler ensemble. Et puis sincèrement, le fait de partager des valeurs communes, de bien se connaître depuis très longtemps. Et puis peut-être que eux aient grandi avec moi dans une éducation semblable. Ça nous fait gagner énormément d’énergie, énormément de temps. 

Clémentine

Parce que c’est vrai que c’est un gros enjeu de travailler en famille, parce que les répercussions sont beaucoup plus fortes, positives ou négatives, mais s’il y a problématique, votre cocon familial il est touché. Sachant que vous avez vécu quand même des choses difficiles en famille, que vous avez eu des épreuves. Prendre le risque de potentiellement abîmer des relations, c’est un sacré pari. 

Aliette

Oui, mais en même temps, je pense que ça nous a donné une force. Moi, je l’explique comme ça. Je pense que ce qu’on a traversé déjà ensemble est tellement fort. Aujourd’hui, je pense qu’on sait aussi se dire les choses quand on n’est pas d’accord, de façon toujours assez bienveillante. Mais le désaccord est toujours autorisé, permis, accueilli et exprimé. Et on a un mode, je pense, de communication, de fonctionnement qui fait que, je croise les doigts pourvu que ça dure encore très très longtemps, mais là ça fait cinq ans et voilà, on a toujours réussi à trouver une réponse qui pouvait respecter en tout cas chacun de nous. 

Clémentine

Alors tes enfants, certains d’entre eux ont déjà des enfants. Est-ce qu’eux aussi arrivent bien à allier vie pro-vie perso, comme tu leur as montré, ou est-ce que dans la société dans laquelle on vit aujourd’hui c’est plus complexe ? Quel regard tu as sur ça ?  

Aliette

Moi je suis épatée déjà. Je suis épatée parce que ma fille ainée à trois enfants. Déjà je trouve que c’est une famille nombreuse, que je comparerais à une famille de cinq. Parce que je trouve que la société aujourd’hui, elle n’est pas… C’est pas facile. Enfin, il y a eu beaucoup de choses qui ont évolué pour les femmes. Il y a beaucoup plus de partage effectivement dans la cellule familiale, tu vois, dans l’équilibre des… Des tâches et de la charge mentale et de tout ça. Pour autant, il y a, je trouve, des injonctions de la société qui sont aussi plus fortes. C’est-à-dire que moi, je partageais tout à l’heure avec une amie le fait que Moi, à l’époque, si mes enfants ne faisaient pas tous une activité sportive ou deux, une activité culturelle, etc., il n’y avait pas de jugement là-dessus.

Aujourd’hui, si tes enfants ne font pas X activités, il y a une pression qui peut s’exercer. Et je trouve que ce n’est pas évident. Donc moi, je suis très admirative de la façon dont ils gèrent tous à la fois leur vie professionnelle, leur équilibre de vie familiale, l’équilibre aussi qu’ils ont réussi à construire. Pour mieux partager à deux à la fois les responsabilités et la présence auprès des enfants. Mais je trouve que c’est toujours un défi, c’est toujours des choix à assumer, à faire et d’être surtout au clair avec là où sont nos priorités. 

Clémentine

Tu le vois aussi en direct avec Yves, qui a des enfants petits et qui est le boss de votre entreprise, qui mine de rien. Vous avez quand même quelques salariés, quelques coachs à gérer. Il te demande des conseils ? 

Aliette

Eh ben pas du tout. Pas du tout. Alors ça, ça m’amuse plutôt. Après, c’est une distance que je vis très bien. Mais je m’attendais peut-être. Alors moi, je n’ai jamais demandé trop de conseils à mes parents non plus et à ma mère. Je pense qu’il y avait ce décalage de génération peut-être qui fait que. Et c’est la même chose aujourd’hui. Donc je pense que la manière dont on fonctionnait à la génération d’avant n’intéresse pas forcément, ne concerne pas forcément la génération d’après qui veut faire aussi son chemin et à juste titre. Donc j’essaye de ne pas porter de regard, en tout cas pas trop de jugement. Même si eux, je pense qu’ils l’ont perçu de temps en temps, en tout cas au début peut-être, quand les enfants étaient tout petits, où ils étaient peut-être moins assurés eux-mêmes de ce qu’ils avaient. 

Clémentine

T’es quand même la grand-mère. 

Aliette

Ouais, exactement. Mais non, je pense qu’il y a vraiment eu des évolutions et voilà, c’est ok. 

Clémentine

Mais je te demandais surtout les conseils, comment allier vie pro, vie perso, comment toi t’as réussi ? Est-ce que parfois ils te posent la question, mais maman tu faisais comment avec nos cinq ? Est-ce que parfois Yves, avec qui tu travailles évidemment, ou Sixtine, ont ces questionnements-là vis-à-vis de ton parcours ? 

Aliette

En fait, je pense qu’ils portent un regard, ils savent très bien. Par exemple, si je me souviens, il y a un sujet qui m’a amusée, c’est qu’en fait, ils ont tous du mal, quand ils ont été salariés, à se dire qu’on n’avait que cinq semaines de congé. Parce qu’en fait, ils ont toujours vu leur maman aussi concilier en étant indépendante. Je pouvais me permettre de concilier et d’avoir des temps de vacances avec eux qui étaient plus importants. Donc ça, ça a été, je crois que pour eux cinq, c’est un vrai sujet de pouvoir réussir à s’accorder plus de temps pour être disponible pour les vacances avec leurs propres enfants. Donc ça, ils s’inspirent, j’ai l’impression, de ce qu’ils ont effectivement connu. Exactement, parce qu’ils ont l’air d’en avoir profité et ça a l’air de leur tenir à cœur à eux aussi. 

Clémentine

Avec le recul de plusieurs décennies sur tout ton parcours, de quoi t’es le plus fière ? 

Aliette

Je te dis de mes enfants. En tout cas de cette cellule familiale qui s’est retrouvée un peu bousculée par la vie. Je suis vraiment très très fière du chemin, de la joie, de l’envie, de l’énergie qu’ils ont. On aurait pu imaginer que ça les que ce soit vraiment très très compliqué et finalement, alors il y a des fragilités certainement, mais il y a aussi une maturité, une force qui leur a permis d’affronter cette situation très difficile et puis une fraternité qui moi en tout cas force mon admiration quand je les vois tous les cinq ensemble, c’est beaucoup beaucoup d’émotion. 

Clémentine

Si t’avais un conseil à donner à une maman qui veut se lancer dans l’entreprenariat mais qui a beaucoup d’injonctions, comme tu dis, beaucoup de barrières, de croyances, tu lui dirais quoi ? 

Aliette

Alors je dirais déjà que si elle est faite pour ça, entre guillemets, elle n’y échappera pas. C’est-à-dire qu’elle a tout intérêt à mettre son énergie au service de la réussite d’un projet entrepreneurial. D’abord parce que ça va l’équilibrer, ça va lui faire du bien. Plutôt que de se battre contre tellement d’autres choses et contre elle-même. Donc si elle le sent, surtout qu’elle y aille. Après, je pense que le conseil que je donnerais, c’est que je crois que si on connaît bien, si on maîtrise bien techniquement son métier, c’est plus simple. C’est rassurant, ça permet d’avancer avec plus de confiance. Donc peut-être de prendre le temps de se sentir en maîtrise de son activité professionnelle et pourquoi pas de se lancer dans le secteur qu’elle maîtrise le mieux. 

Clémentine

J’aime bien ce que tu dis, que ça nous rattrapera quoi qu’il arrive. Et autant mettre notre énergie quand on va dans quelque chose qui va nous nourrir. Parce que quand on a envie d’entreprendre et qu’on reste salarié, parfois on s’éteint, on perd la flamme et en fait on va vers le burn-out ou le bored-out, et on n’apporte pas ce qu’on pourrait apporter au monde. 

Aliette

Complètement. Et si c’est vraiment notre mission de vie, notre Ikigaï, je pense que c’est précieux de se réaliser parce que sinon, effectivement, c’est une énergie qui se retourne contre nous et c’est tellement dommage. 

Clémentine

Et puis si vous ne savez pas, faites un bilan de compétences. 

Aliette

Exactement, voilà. 

Clémentine

Donc ça, ça paraît effectivement… Non mais c’est vrai que parfois, surtout malheureusement chez les femmes, il y a ce manque de confiance en nous, de cette pensée qu’on est capable. Il y a aussi une réalité qu’il y a beaucoup de bâtons dans les roues. C’est pas facile. C’est pas faire croire que tout sera facile, mais parfois on n’ose pas alors qu’on l’a en nous. Et on parle de même pas cap, qui est vraiment une entreprise que j’adore, mais c’est vrai que c’est votre coeur de métier de faire réaliser aux gens de quoi ils sont capables, quelle est leur mission de vie, comme tu dis. Et parfois, passer par le bilan de compétences, ça fait révéler que finalement, je suis salariée, c’était ce qu’il me fallait. Ou non, allez, je me lance. Et j’ai la confirmation que c’est ça qui va m’animer. 

Aliette

Oui, ça sont vraiment des souvenirs toujours très émouvants d’avoir à plusieurs occasions dans les accompagnements au bilan. Pu dire à des femmes et puis quelquefois des hommes qu’ils avaient vraiment le tempérament pour entreprendre et qu’ils en faisaient ce qu’ils voulaient mais qu’un jour ou l’autre ça serait intéressant de se questionner sur le fait de se réaliser comme ça parce que souvent sinon ça joue des tours dans des univers d’entreprises ou autres mais dans d’autres organisations. Parce qu’il y a vraiment des particularités, une énergie spécifique et qu’il n’est pas facile de gérer autrement. 

Clémentine

Et il faut le rappeler, c’est ok de ne pas le faire quand on a des enfants tout petit, en bas âge, parce que l’énergie que ça demande, ça peut aussi être un frein à bien se développer. Donc on peut attendre 40 ans, 45, et se lancer un peu plus tard avec l’idée en tête que ce sera réalisé plus tard. 

Aliette

Absolument. 

Clémentine

Il ne faut pas sous-estimer les demandes et la fatigue que ça génère des tout-petits. 

Aliette

Oui, je crois qu’effectivement il y a le bon moment aussi pour bien le vivre. L’idée ce n’est pas de se faire violence, c’est de se réaliser tout en trouvant le bon moment pour s’épanouir, s’accomplir et en général ça profite au projet qu’on a dessiné. 

Clémentine

Merci beaucoup Aliette, c’était très agréable d’avoir ton témoignage et j’espère que ça peut redonner confiance aussi et se dire que malgré les adversités de la vie on peut parfois trouver des solutions et on avance quoi qu’il arrive. 

Aliette

Oui et puis la vie est belle quand même. 

Clémentine

Vous ne voyez pas mais on est en rose, on est éclatante de couleurs, on a un truc de la vie là. Merci Aliette. 

Aliette

Merci à toi. 

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