Les bébés sont des êtres merveilleux et pourtant si complexes à décoder.
On aimerait au premier coup d’œil, comprendre tous leurs signaux. Dans ce monde intense où l’accès à l’information est démultiplié, j’ai voulu reprendre les bases. Si ces thèmes ont déjà été évoqués dans divers épisodes, on n’avait jamais pris le temps de s’intéresser à ce sujet sous cet angle.
Erik Gustafsson est éthologue, mais aussi enseignant chercheur.
S’ il a longtemps étudié les grands singes, depuis une dizaine d’années il se dédie aux bébés et à leurs signaux sonores.
Ce qui est fascinant dans cet entretien, c’est que Erik peut nous parler de son expérience avec d’autres mammifères.
En vrai scientifique, il a épluché toutes les études pour parler éducation, sommeil, pleurs, nourriture, fessée et bien d’autres sujets.
Dans cet épisode on vous parle aussi des sociétés de chasseurs cueilleurs et de leur façon de faire famille.
Je vous souhaite une bonne écoute
🗣️ Au programme :
🧠 L’éthologie et le comportement animal (00:00 – 09:51)
🐣 Étude des vocalisations des bébés (09:51 – 18:44)
😴 Sommeil et pleurs des bébés (18:44 – 27:53)
👶 Évolution et parentalité humaine (27:53 – 38:26)
📚 La science et la parentalité (38:27 – 47:31)
TRANSCRIPTION DE L’ÉPISODE
Clémentine
Bonjour Eric, merci d’avoir fait le déplacement depuis Besançon jusqu’ici dans le studio à Paris pour répondre à mes questions, ça va ?
Erik
Ça va, ça va, merci de m’avoir invité.
Clémentine
Avec plaisir. Alors j’ai une première question, c’est que vous êtes éthologue, c’est ça ? Et je ne sais pas ce que ça veut dire réellement votre profession, vous pouvez nous expliquer ?
Erik
Alors ouais, j’ai fait un master d’éthologie, effectivement, donc je suis éthologue, donc l’éthologie c’est l’étude du comportement animal. Donc ça va vraiment de tous les animaux, depuis les fourmis à l’homme, en passant par les crocodiles, les oiseaux, tout ce qu’on veut, et donc ça s’intéresse au comportement de manière vraiment holistique, c’est une discipline qui est interdisciplinaire par nature, en fait, elle est basée sur ce qu’on appelle les quatre grandes questions de Tim Bergen. Donc si vous prenez un comportement, vous pouvez faire ça avec vos enfants si vous voulez, prenez un comportement et une première question c’est la cause du comportement, qu’est-ce qui déclenche le comportement. Ça va être les causes internes, les aspects neurologiques, physiologiques, hormonaux, etc. Les causes externes, qu’est-ce qui a déclenché ce comportement, les stimulus dans l’environnement.
Ensuite une autre question, ça va être le développement du comportement, comment il est apparu ? Est-ce qu’il est inné ? Est-ce qu’il est acquis ? S’il est appris ? Est-ce que c’est par imitation ? Émulation ? Facilitation sociale ? Et ensuite une autre question, c’est à quoi il sert ce comportement ? C’est la fonction du comportement. Et puis la dernière question est plutôt évolutionniste. Est-ce que ce comportement joue un rôle dans la survie ou la capacité reproductive de l’espèce, de l’individu ? Et si oui, quelles sont les pressions de sélection qui ont pu faciliter l’émergence de ce comportement ? Donc pour ça on peut faire des études comparatives, comparer différentes espèces qui ont le même comportement ou faire des modélisations. C’est ça l’éthologie.
Clémentine
Quand vous m’avez dit que vous pouviez faire ça avec vos enfants, je me suis dit, j’ai même bien de me dire quand ma fille prend les crottes de nez et se les mange, à quoi sert pour l’évolution ce comportement. Vous devez rigoler des fois quand même, c’est important.
Erik
Oui, il y a pas mal de sujets, c’est très varié.
Clémentine
Alors par contre, vous êtes éthologue, mais vous êtes intéressé, donc vous le disiez, l’être humain fait partie des animaux, mais vous avez commencé par un autre animal.
Erik
Oui, alors j’ai fait ma thèse sur les grands singes non-humains, parce que nous sommes aussi des grands singes, mais grands singes non-humains, donc j’ai travaillé avec les chimpanzés, gorilles, orang-outans, au Muséum d’Histoire Naturelle, avec notamment Sabrina Krief, Marie-Claude Bomsel et Michel Saint-Germain, qui m’ont encadré sur cette thèse qui s’intéressait au comportement d’automédication chez les grands singes, donc comment ils découvrent des plantes médicinales. Parce que c’est un comportement assez risqué de prendre des plantes medicinales parce qu’on peut s’intoxiquer, donc comment ils découvrent ces plantes, comment ils transmettent la connaissance de génération en génération, donc pareil, mécanismes d’apprentissage individuels, sociaux. Les stratégies d’apprentissage pour découvrir ces plantes-là sans s’intoxiquer. Et pareil, toutes les adaptations physiologiques, environnementales, etc. Qu’il y a autour de cette question. Donc voilà, on a abordé tous ces aspects-là, comme les quatre questions de Tinbergen, les aspects cognitifs, d’apprentissage, évolutionniste, etc. Sur ces questions.
Clémentine
Ça doit être passionnant, en vrai.
Erik
Oui, j’avais pas vu le temps passer. C’est super, c’est excellent. En plus le sujet s’y prête bien parce que le comportement d’automédication c’est risqué. Donc on voit effectivement d’une espèce à l’autre des stratégies différentes. Les gorilles qui sont très costauds, qui sont herbivores, ils ont plein d’adaptations physiologiques pour tolérer beaucoup de toxines. Donc eux ils sont pas très peureux, ils testent plein de choses, ils goûtent plein de choses. À l’inverse, les chimpanzés, eux, vont être beaucoup plus, ce qu’on appelle néophobes, ils vont être beaucoup plus prudents avec des nouvelles plantes, de nouveaux aliments, ils vont vraiment les renifler, regarder, ils vont être beaucoup… Et dès qu’il y en a un qui va tester, on va voir, les autres vont commencer à l’observer. Qu’est-ce que tu fais ? Il va y avoir des biais aussi, des biais de prestige, des individus très dominants, très charismatiques.
Dès qu’ils vont interagir avec une plante, tout le monde va les observer. Dès qu’ils font quelque chose de nouveau, tout le monde va les observer, vont regarder. Alors qu’il y en a d’autres, qui sont beaucoup plus dominés, qui font aussi plein de choses très intéressantes, mais tout le monde s’en fiche. Donc on voit ces stratégies d’apprentissage social qui sont chouettes. Et puis en même temps ils font un peu de tout, ils sont à la fois très curieux et en même temps ils échangent, ils partagent aussi les nouveaux aliments, ils se créent eux-mêmes des opportunités d’apprentissage social. Tiens, regarde, qu’est-ce que tu fais avec ça ? Ils vont se donner des choses.
Là aussi, il y avait des liens avec toute une littérature aussi sur les humains, autour de la néophobie alimentaire, parce que les enfants aussi, ils peuvent être un peu difficiles avec la nourriture, surtout si c’est vert, ou c’est possiblement toxique. Ils ont raison, il y a une base évolutionniste à ça, il faut faire attention à ne pas s’empoisonner. Mais voilà, du coup, c’était très chouette.
Clémentine
Et comment est-ce que vous avez basculé pour aller étudier l’être humain et notamment la petite enfance et les bébés ?
Erik
Après ma thèse, j’ai fait un premier post-doctorat à l’université de Saint-Étienne, un laboratoire de biologie acoustique à Saint-Étienne, sous la direction de Nicolas Madevon, qui est un spécialiste de biologie acoustique. À ce moment-là, il lançait un projet de recherche. C’est un labo où ils s’intéressent aux informations véhiculées par les sons, dans le règne animal, c’était plutôt de l’éthologie, vraiment. Ils avaient des projets sur les crocodiles, sur les oiseaux, sur les phoques, les hyènes, plein de projets comme ça. Et ils démarraient un projet autour des chimpanzés des bonobos, les grands singes. Sur les informations véhiculées par les vocalisations, en particulier des bébés chimpanzés bonobos. Donc ils ont voulu voir, dans la littérature scientifique, qu’est-ce qu’on savait de ces vocalisations. Chez les chimpanzés des bonobos, il n’y avait pas grand-chose.
Ils se sont dit, qu’est-ce qu’on sait chez les plus proches cousins des chimpanzés des bonobos, c’est-à-dire les humains. Ils ont regardé la littérature scientifique chez des vocalisations humaines, et là, il n’y avait vraiment pas grand-chose. On connaissait vraiment mieux le chant des canaris que les vocalisations des bébés à ce moment-là. Parce que la biologie acoustique, il y a un aspect un peu… C’est des biologistes qui travaillent beaucoup en collaboration avec des physiciens aussi pour l’analyse des sons, tout ça. Et donc c’est des domaines où les psychologues de l’enfance ne sont pas tellement aventurés. Donc ils ont vu ça, ils ont démarré aussi un projet de recherche autour des vocalisations humaines. Donc ils ont lancé ce gros programme de recherche, vocalisation chimpanzé, bonobo et humain.
Et donc moi je suis arrivé pile à ce moment-là, j’étais censé bosser sur les chimpanzés bonobos et puis ils m’ont demandé aussi si ça m’intéressait de participer à l’étude aussi sur les bébés humains. Alors il se trouvait que vraiment le hasard avait voulu que deux semaines avant, avec ma compagne, on venait d’apprendre qu’on attendait notre premier enfant. Donc moi j’ai vu ça, c’est marrant comme signe du destin. Et puis j’avais vraiment concentré pendant cinq mois tous mes cours, tous les cours que je devais donner à l’université pour ensuite aller faire du terrain dans les eaux, faire de la collecte de données dans les eaux et puis au Congo aussi en Afrique. Et donc en fait j’avais du temps en parallèle de mes cours pour aller chez les personnes avec un micro, enregistrer leur bébé, enregistrer les vocalisations de leur bébé. Ce qui me permettait à moi aussi de voir à quoi ça ressemblait un bébé avant d’avoir le mien.
Clémentine
Bonne idée.
Erik
Donc voilà, c’était assez amusant de faire ça, puis au bout des 6 mois, ce qui se passait c’est que c’était la fin de grossesse pour ma compagne, moi j’avais plus du tout envie de partir en Afrique, aller enregistrer des grands singes parce que j’étais à fond, j’étais un peu une caricature de nouveau papa, j’étais vraiment passionné par la grossesse de ma conjointe et j’avais très très hâte. Moi j’ai toujours aimé les bébés, j’avais très très hâte d’être ça, donc j’avais plus du tout envie de partir, donc on a réussi à ce qu’un autre étudiant reprenne un petit peu la partie terrain de ce projet. Et moi j’ai continué à bosser du coup sur les bébés pendant les deux années à Saint-Etienne. Donc comme ma première fille est née, du coup je l’ai enregistrée, elle est rentrée dans la base de données aussi.
Et puis pendant deux ans on travaillait là-dessus, sur les vocalisations, en particulier les pleurs des bébés, les informations véhiculées par les pleurs des bébés. Et c’est un programme de recherche qui continue d’ailleurs. D’ailleurs Nicolas Madon, que je mentionnais, il a sorti un livre très très récemment sur les pleurs des bébés. Donc c’est un programme de recherche qui continue et qui est très très riche.
Clémentine
Alors du coup vous êtes intéressé à cette thématique-là, ce 0-6 ans, ces années ou 0-3 ans même peut-être, ces années charnières. Vous avez créé un site web pour les parents qui parle de science qui est très factuel, sur ce qu’on sait, sur la connaissance qu’on a aujourd’hui des études. Et vous êtes donc surtout intéressé notamment à ces pleurs. Qu’est-ce que ça dit, les pleurs des bébés ? Est-ce qu’il y a des pleurs qu’on peut reconnaître, évidemment avec un son particulier, qui veulent dire quelque chose ? Qu’est-ce que vous avez appris de cette étude ?
Erik
Alors ouais, on a fait… Alors moi, pendant les deux ans, on a exploré… Donc on a une première étude sur la signature individuelle du pleur. Est-ce qu’on peut reconnaître un bébé par son pleur ?
Clémentine
Parce que les parents, ils sont capables, c’est ça ?
Erik
Voilà, exactement, de reconnaître un bébé. Alors c’est une question un peu classique en éthologie parce que… C’est classique parce qu’il y a des espèces qui arrivent à très bien reconnaître, qui mémorisent très vite le son de leur bébé par exemple, des espèces qui vivent en colonie, par exemple les phoques, les chauves-souris, elles arrivent, il faut retrouver son bébé dans la foule et donc elles ont une capacité comme ça de mémorisation très rapide de l’identité de leur bébé par le pleur. Et oui, donc on a fait des études comme ça, On regardait les analyses acoustiques, on voyait la signature individuelle du pleur. Oui, il y avait une signature acoustique pour chaque bébé. On pouvait avoir un algorithme qui catégorise bien les pleurs, qui identifie rapidement à qui appartient à quel pleur. Après, on pouvait tester les parents.
Alors, les parents y arrivaient bien à condition de passer au moins 3-4 heures par jour avec leur bébé. Autrement, c’était un peu plus difficile, un peu plus laborieux.
Clémentine
Donc les papas qui retournent vite travailler…
Erik
Ouais, exactement. Alors avant, il y avait un peu dans la littérature cette idée d’un instinct maternel, que les mères elles y arrivent mais pas les pères. En fait non, on a vu que c’était vraiment que de l’apprentissage, donc on avait aussi des femmes qui travaillaient, qui reprenaient le travail, des businesswomen, et que c’était plutôt le papa qui gérait la maison. Et ces femmes-là, elles avaient un peu plus de mal aussi avec la reconnaissance. Donc voilà, il y avait des choses comme ça. On avait des études sur le niveau de douleur du pleur aussi, c’était… Un paramètre acoustique qui signale la douleur du pleur, c’est des pleurs collectées pendant des séances de vaccination. Il y a certains paramètres acoustiques qui sont associés à un peu plus de douleurs.
On avait des choses autour de la signature, des questions de genre aussi, est-ce que les bébés garçons pleurent pareil que les bébés filles ? Alors non, c’est pas le cas, parce que la voix mue beaucoup plus tard. Mais par contre, quand on demandait à des gens de reconnaître, est-ce que vous pensez écouter un bébé garçon ou bébé fille, si c’était des bébés aigus, ils avaient tendance à dire que c’était des bébés filles, alors qu’ils pouvaient dire je sais pas. Ils avaient ça comme option, mais les gens ont tendance à reproduire un petit peu. Une autre étude un peu intéressante, amusante, c’est pas très amusant en fait, intéressante, qui était autour des stéréotypes de genre, on faisait écouter des pleurs à des participants, on leur disait voilà vous écoutez des pleurs de bébé-fille, est-ce que vous pouvez noter le niveau de détresse du pleur ?
Donc plus le pleur était aiguë, plus on mettait un niveau de détresse élevé. Par contre, Si on leur disait vous écoutez des bébés garçons, là on voyait, c’était sur une échelle de 1 à 7, il y avait un point de plus pour les garçons. Faites comme si les bébés garçons… Voilà, un pleur de bébé garçon ça signale une détresse plus élevée. C’est parce que les filles pleurent tout le temps, les filles. C’est bien connu, un garçon qui pleure ça doit être… Enfin voilà, il y avait ces stéréotypes de genre qui étaient reportés un peu sur la perception des pleurs. Voilà, il y avait des choses amusantes comme ça. Sinon sur la question est-ce qu’on peut identifier des pleurs de fatigue, des pleurs de faim, des pleurs de… Là c’est plutôt non. La réponse est plutôt non.
En fait il y a des parents qui disent y arriver mais c’est en général parce qu’on sert beaucoup du contexte. On sait bien s’il vient de manger ça va pas être un pleur de faim. Alors que s’il n’a pas mangé depuis trois heures on se dit… Voilà où il y a des moments où il y a une grosse journée on va se dire ça va être un pleur de fatigue là parce que… En fonction de l’heure du jour, du contexte, de ce qu’on a fait pendant la journée, on peut identifier comme ça la cause du pleur, mais les paramètres acoustiques du son ne sont pas très fiables.
Clémentine
Il n’y a pas un pleur de je suis fatiguée, c’est telle sonorité, j’ai faim, c’est telle sonorité ?
Erik
Non, alors il y a des applis qui existent, qui disent qu’à priori elles n’ont pas vraiment montré leur efficacité d’un point de vue scientifique. Ça veut pas dire que c’est pas possible, peut-être qu’avec maintenant les logiciels assez sophistiqués de machine learning, d’intelligence artificielle, si on entraîne la machine sur les pleurs de notre propre bébé, parce qu’en général c’est fait sur des grandes bases de données, mais si on l’entraîne vraiment que sur notre bébé, donc faudrait vraiment l’enregistrer le bébé dans chaque contexte, être sûr que là c’est un pleur de faim, là c’est un pleur de douleur, et on entraîne la machine sur notre bébé, peut-être ensuite elle sera capable de te trouver des parterres, de déterminer. Mais ça demanderait d’avoir une appli et de l’entraîner sur notre bébé et de le faire régulièrement parce que le pleur change au fil du temps. Donc c’est quand même compliqué.
Clémentine
Ma question, c’est surtout si nous, parents, on aurait pu être capables, en fonction de ce qu’on entend, de tout de suite savoir ça, c’est le pleur de ça, ça, c’est le pleur de ça.
Erik
En général c’est grâce au contexte.
Clémentine
C’est le contexte plus qui va nous éclairer que la sonorité du pleur.
Erik
Un aspect vraiment important avec les pleurs c’est que c’est les pleurs inhabituels qui doivent vraiment être inquiétant, on va dire. Si vous avez l’habitude de la manière dont votre bébé pleure, mais s’il pleure vraiment bizarrement, un pleur, je ne sais pas, vraiment rugueux, bizarre, ou un pleur très aigu ou un pleur vraiment inhabituel, là, en général, ça peut signaler un souci. Et pour savoir ça, encore faut-il connaître les pleurs habituels de son bébé. Donc pour ça, il faut passer du temps avec.
Clémentine
Donc on ne peut pas faire ça dans les premiers jours.
Erik
Ça demande normalement un petit peu de connaissance. Oui, ça demande un petit peu de pratique.
Clémentine
Parce que le pleurs, c’est quand même quelque chose qui inquiète beaucoup les parents. On nous dit de manière générale, votre bébé peut pleurer entre 3 et 4 heures, c’est normal, il ne faut pas s’inquiéter. Qu’est-ce qu’on sait de ça ? Est-ce que l’intensité, l’amplitude, il y a des recherches qui ont montré que c’était trop, pas assez ?
Erik
En fait c’est assez compliqué parce qu’il y a énormément de variabilité entre les bébés. C’est comme pour les questions du sommeil, il y a des bébés qui dorment 8h par journée de 24h et des bébés qui dorment 20h. Les pleurs c’est pareil, il y a des bébés qui pleurent très peu et des bébés qui pleurent énormément. Alors ces coliques, ce qu’on appelle les coliques des bébés déjà elles sont pas très bien définies dans la littérature des fois on dit il y a des bébés qui pleurent plus de trois heures d’affilée pendant plus de trois jours d’affilée il y a des espèces de règles comme ça ouais mais on a du mal à savoir exactement à quoi c’est dû donc bon ça a l’air d’être lié aussi à des situations de maturation cérébrale, parce que le bébé du…
Enfin le nouveau-né, les bébés, ils ont un cerveau extrêmement immature, le cerveau du bébé double de volume, c’est des millions de connexions à la seconde, les deux premières années de vie. Donc ça, ça donne lieu à des personnalités différentes d’un bébé à l’autre, il y a des capacités d’inhibition, des sensibilités dites très différentes d’un bébé à l’autre. Maintenant sur les questions des coliques, on sait que c’est assez rare chez les chasseurs-cueilleurs par exemple, les bébés qui pleurent vraiment beaucoup.
Clémentine
Dans les sociétés qui ont le même rythme de vie que nous, il y a plusieurs, c’est ça ?
Erik
Oui, c’est ça, exactement.
Clémentine
Qui ont gardé une façon de vivre ?
Erik
Oui, exactement, un plus, qui reflète un peu plus ce qu’on a eu pendant des dizaines de millions d’années.
Clémentine
Et donc eux, quand on les étudie, on se rend compte que les bébés pleurent peu ?
Erik
Oui, exactement. Et on sait expliquer ? Il y a plusieurs hypothèses. Il y en a… Déjà, ils sont allaités. Pour les bébés qui ont du mal à digérer de lait artificiel, il y a ça. Il y a le fait qu’ils sont tout le temps dehors. On sait que les cycles jour-nuit… La lumière naturelle facilite la mise en place des cycles jour-nuit. Pour le bébé. Il y a le fait qu’ils sont portés aussi tout le temps, ils sont tout le temps en portage, donc ils sont nourris à la demande. Donc ils n’ont même pas le temps vraiment de pleurer parce que dès qu’ils commencent à gigoter un peu parce qu’ils ne sont pas bien, ils sont pris en charge. Donc en fait, entre guillemets, ils n’apprennent pas à pleurer.
Clémentine
À décharger, comme nous on a là. Oui, c’est ça. Les bébés à 18 heures qui sont super intense.
Erik
Oui, les pleurs de décharge. De devoir pleurer à plus de 100 décibels pour avoir un peu d’attention. Là, ces bébés sont tout le temps dans les bras, donc ils sont pris en charge très rapidement. Mais on sait aussi que ces sociétés de chasseurs-cueilleurs sont caractérisées par beaucoup de ce qu’on appelle le soin coopératif des jeunes. En fait, pour toute une histoire évolutive, la mère qui s’occupe seule de ses enfants, c’est un truc bizarre. Tout le monde prend en charge les enfants. D’ailleurs il y a des anthropologues qui ont montré ça dans plein de sociétés, l’anthropologue Karen Kramer qui montrait ça, où elle s’amusait à mesurer le temps que chaque bébé passait avec les différents membres du groupe dans plusieurs sociétés de chasseurs-cueilleurs. Et on avait pratiquement toutes 50% avec la mère.
Et puis après, c’était dispersé entre les frères, les sœurs, les cousins, le papa, les grands parents, les amis, tout ça. Elle s’est demandé pourquoi ce 50% tout le temps ? Et en fait, c’est parce que c’est un peu le temps minimum parce que la mère doit allaiter.
Mais ensuite, dès qu’elle peut s’en débarrasser, dans toutes les cultures, dès qu’elle peut déléguer un petit peu, LDL, donc là c’est société de chasseurs-cueilleurs, ils font du portage tout le temps, mais c’est pas toujours la mère qui porte le bébé, des fois c’est les frères, les sœurs, les bébés font partie vraiment de la communauté, donc aussi les gens ont l’habitude des bébés, c’est pas comme nous, en tout cas moi quand j’ai eu ma fille, j’avais jamais eu un bébé dans les mains avant, enfin c’était un nouveau-né, j’étais extrêmement maladroit, je savais pas bien comment gérer ça. Et on voit, voilà, il y a des gens qui sont mal à l’aise avec les enfants autour de nous, qui ne sont pas très à l’aise avec ça. Bon, dans ces sociétés-là, voilà, les bébés font partie intégrante, tout le monde grandit avec des bébés.
On voit les frères, les sœurs, les cousins, ils ont tout le temps un bébé dans les bras. Donc ça, ça aide beaucoup.
Clémentine
Ça peut expliquer… Ça serait une explication dans leur capacité à se réguler aussi, parce qu’il y a tout le temps…
Erik
Exactement, ils ont tout le temps de l’attention.
Clémentine
Parce qu’être à 100% avec un bébé c’est très fatiguant. Donc aussi on devient un peu défaillant en tant que figure d’attachement principale quand on ne fait que ça, ça peut rendre fou ou folle. Alors là en fait le bébé il a un care qui est de qualité supérieure en permanence.
Erik
Exactement, il est toujours avec des gens qui en plus ont l’habitude des bébés.
Clémentine
Et qui sont contents de le faire sur le moment parce que ça ne repose pas que sur eux.
Erik
Après les sociétés de chasseurs-cœurs c’est aussi, des sociétés capitalistes où il y a le réveil qui sonne à 6h du mat, enfin ils peuvent faire des siestes, ils peuvent faire… Voilà, il y a un mode de vie un peu plus flexible qui s’adapte plus facilement au rythme du bébé. C’est pareil, il n’y a pas d’attente sur, il faut que le bébé fasse ses nuits, parce que c’est pas grave, s’il fait ses nuits plus tard, on fera une sieste, on peut déléguer le bébé, on peut déléguer les choses, c’est plus doux comme vie aussi.
Clémentine
Oui, la notion du temps et la relation au temps est différente, plus tranquille. Donc ça, ça ferait partie des paramètres. Est-ce qu’il y a d’autres choses qui font qu’on sait pourquoi il y a des cultures où il y a moins de pleurs ? Ils sont moins stressés, en fait, aussi.
Erik
Oui, oui, bien sûr. Oui, oui, absolument. Ça joue. C’est le stress, le soin. Maintenant, voilà, pour vraiment les bébés qui pleurent beaucoup, c’est vraiment les coliques des nourrissons, des parents qui vivent avec des boules quies. Et ça, ça reste assez mal expliqué. Il y a vraiment des cas de bébés de pleurs extrêmes où on voit que ça n’impacte pas tellement le métabolisme du bébé dans le sens où il grandit, ça va, même si c’est coûteux de pleurer, mais bon, physiologiquement ça va, mais c’est juste des bébés qui pleurent énormément. Après, comme on voit chez les adultes aussi, il y a une grande variabilité, il y a des gens qui parlent beaucoup, d’autres plus émotifs, beaucoup plus sensibles, et d’autres plus résilients, plus calmes. Donc oui, ça joue aussi.
Clémentine
Il y a une question de tempérament aussi.
Erik
Oui, c’est ça, ça fait vraiment une loi normale, parce qu’on est en cloche. Donc il y a des extrêmes, des bébés très très calmes et des bébés très très émotifs.
Clémentine
Parce que aussi quand on dit les pleurs liées aux coliques, c’est un peu fourre-tout parfois, c’est qu’on pense qu’ils ont mal aux ventes mais on n’est même pas sûr.
Erik
Oui, tout à fait.
Clémentine
On étiquette ça sous les bébés… Oui.
Erik
Quand on dit les bébés coliques, c’est vrai que c’est associé au mal de vente, mais en fait c’est un non-fourre-tout et ça peut refléter plein d’autres soucis.
Clémentine
Alors, notre principal souci quand on a des bébés, c’est qu’on ne comprend pas forcément leurs moyens de communication, parce qu’ils pleurent pour communiquer. Est-ce que les bébés peuvent pleurer pour nous manipuler ?
Erik
Ouais, ça c’est la grande question. Alors il faut savoir… En science, pour savoir s’il y a un comportement manipulateur, il faut vraiment… Déjà s’il y a un coût associé à ce comportement, ça diminue les chances qu’il soit vraiment manipulateur parce que ça va nous demander beaucoup d’efforts de le faire donc on va pas le faire pour rien quoi. Là dans le cas des pleurs des bébés, pleurer c’est très coûteux pour un enfant parce qu’ils peuvent pleurer à plus de 100 décibels donc c’est… D’un point de vue métabolique c’est très très coûteux donc ils vont pas faire ça pour rien en tout cas les premiers mois c’est sûr à partir de un an c’est possible que peut-être l’enfant a pris de mauvaises habitudes ou a vu bah si je pleure comme ça j’ai particulièrement beaucoup d’attention à partir de un an la question est un peu débattue dans la littérature on voit des gens qui disent oui c’est possible d’autres non mais avant un an en tout cas c’est probablement pas le cas parce que c’est trop coûteux pour l’enfant de pleurer c’est vraiment S’ils peuvent éviter de pleurer, ils le feraient.
Clémentine
Et ça veut dire quoi prendre une mauvaise habitude pour un enfant ? Parce qu’à un an, j’ai du mal à voir qu’ils auraient la capacité de se dire, si je fais ça, je vais avoir ça en retour. C’est quand même un sacré raisonnement, non ?
Erik
Oui, c’est plus des conditionnements qui auraient pu avoir lieu. Dès que je pleure, on me donne une sucette. Je vais pleurer. Je ne sais pas si on me donne un truc sucré à l’enfant. Ou dès que je pleure, j’ai un écran. C’est pas forcément réfléchi comme tel, mais c’est des conditionnements précoces qui peuvent avoir lieu. Qui se sont débattus à partir de 12 mois on va dire, mais avant c’est pas le cas, avant un an.
Clémentine
Et comment on fait nous en tant que parents pour se rendre compte qu’on a généré un cercle, pas vicieux, mais où on a généré ces pleurs-là au final ? Parce qu’il a appris à communiquer comme ça. Est-ce que c’est possible de détecter au son du pleurs aussi, de se rendre compte de ça ?
Erik
Bon déjà oui voilà c’est vraiment un pleur inhabituel ça doit alarmer donc si c’est pas des pleurs inhabituelles bon bah si votre enfant il a deux ans trois ans et qu’il chouine ben… Après, c’est toujours délicat cette question parce qu’il peut y avoir un vrai souci. La première chose, il vaut mieux consulter un pédiatre et en discuter avec son pédiatre. Il va pouvoir vous dire s’il y a un vrai problème de santé ou pas. Et s’il n’y a pas de problème de santé et que vous êtes vraiment épuisé, il y a des méthodes pour… La méthode de laisser pleurer le bébé, par exemple. Ça, c’est une méthode assez controversée. Est-ce qu’on est capable de laisser pleurer le bébé le soir ? Moi, il s’est trouvé, ma première fille, pendant vraiment les deux premières années, c’était l’enfer pour se coucher. Elle était adorable la journée, mais ça ne l’intéressait pas de dormir, elle ne faisait pas de sieste, elle ne dormait pas, je ne sais pas, ça ne l’intéressait pas, elle se réveillait tout le temps la nuit. Et c’était vraiment très très dur. On a essayé de faire cette méthode de laisser pleur, on laisse et puis elle va apprendre que ça ne sert à rien de pleurer le soir et puis arrêter de prendre cette habitude. Personnellement, on n’a pas du tout réussi à le faire. On réussissait à tenir un quart d’heure et encore…
Clémentine
C’est beaucoup déjà.
Erik
C’était horrible. Maintenant, il se trouve que dans la littérature, pour des cas vraiment extrêmes où des parents sont épuisés et tout ça, donc il y a des pédiatres qui ont conseillé ça, parce qu’il se trouve que c’est efficace en fait. Ils ont montré, bah ouais, au bout de quatre jours, voire une semaine pour les pires. Donc des fois, ça s’empire un petit peu, l’enfant il pleure encore plus, mais très vite, il va apprendre, bah oui, voilà, le soir, ça sert à rien de pleurer. En plus, c’est coûteux en énergie, donc au bout d’une semaine, il va plus pleurer. Donc ça fonctionne. Mais effectivement, il faut tenir, bon, c’est pas simple.
Et bon, ces bébés, pour lesquels on a fait ce genre de traitement, il y a quelques études qui ont suivi ces bébés, il n’y a pas de problème d’attachement, il n’y a pas de problème de développement cognitif, social, par la suite, non. A priori, ça n’a pas une conséquence très forte sur le développement des bébés, même si…
Clémentine
Ça paraît à l’inverse de ce qu’on voudrait pour notre enfant, de le laisser seul avec sa détresse.
Erik
Absolument, oui. Alors voilà, ça c’est les études qui disent ça, qui ont mesuré ça sur des dizaines de bébés. Pour lesquels c’était dans des cadres très spécifiques, mais vraiment les parents étaient au bout du rouleau et le pédiatre avait… On sait que ça fonctionne. Maintenant, il y a d’autres méthodes plus douces pour faciliter le sommeil des bébés, la gestion des pleurs, en particulier le soir et la nuit. Donc il y a le fait de faire des routines le soir, de masser le bébé aussi le soir, c’est pas mal, de le nourrir le plus tard possible, quitte même à le réveiller à 23h pour lui donner un gros biberon de lait et puis de le recoucher, comme ça au moins il va pas se réveiller parce qu’il a faim et on est tranquille pendant quelques heures. Il y a le fait de laisser pleurer, mais 2-3 minutes, parce qu’en fait, 2-3 minutes avant d’intervenir.
Clémentine
C’est plus le fait qu’on est trop réactif. On ne laisse pas l’enfant se rendormir.
Erik
Exactement. Ça peut arriver que les bébés aient le sommeil agité. Ils peuvent des fois juste chouiner un petit peu. Entre deux cycles de sommeil, ils vont chouiner un petit peu. Mais si on attend 2-3 minutes, ils vont se rendormir tout seuls. Aussi, il y a une étude assez intrigante où ils ont filmé des bébés qui dormaient avec des caméras infrarouges. Ils ont comparé des bébés qui font leur nuit avec des bébés qui ne font pas leur nuit.
Clémentine
Vous mettez des guillemets dans le font.
Erik
Oui, déjà dans la littérature, on considère qu’un bébé fait ses nuits quand il dort plus de cinq heures d’affilée. Et cinq heures d’affilée, moi je suis un gros dormeur, c’est pas assez. Mais en tout cas, si votre bébé fait cinq heures d’affilée, vous pouvez dire qu’il fait ses nuits. En tout cas, ces bébés-là, ils ont constaté qu’ils se réveillaient aussi souvent que les autres, que les bébés qui ne faisaient pas leur nuit. Sauf qu’ils ont appris à se calmer tout seuls, ils ont des petits rituels de réconfort, ils vont soit, je sais pas, gigoter un petit peu, prendre leur pouce, secouer leur tête, enfin je sais pas, ils vont trouver des choses pour s’auto-réconforter.
Et donc le fait d’attendre 2-3 minutes avant d’intervenir, ça leur donne l’occasion d’expérimenter un peu avec des petits rituels de réconfort, aussi de se rendre compte que ce n’est pas dramatique si la maman n’arrive pas tout de suite ou papa n’arrive pas tout de suite. On peut attendre 2-3 minutes dans le noir, il ne se passera rien. Voilà, donc ça, il y a des études qui montrent que ça fonctionne bien et c’est moins radical que de tenir bon pendant une heure, deux heures, trois heures à laisser pleurer un bébé. Moi personnellement, je n’y arrivais pas du tout. Mais voilà, ça, ça peut être bien.
Clémentine
Et puis, on le disait en off avant que ça commence l’interview, il y a aussi une question de tempérament. On a des enfants pour qui ça va être juste facile de s’endormir tout seul parce qu’ils sont sécurisés, parce qu’ils sont plus résilients, vous le disiez, ou faciles, et d’autres pour qui c’est très difficile d’être loin du parent.
Erik
Absolument, c’est montré chez les humains, il y a une base génétique au trait de personnalité, c’est assez héritable. Evidemment, il y a l’environnement qui joue, mais il y a aussi une base génétique, donc des gens vont être plus sensibles, plus émotifs, et d’autres personnes beaucoup plus calmes, beaucoup plus résilientes. Donc ça, ça se reflète chez les bébés absolument, on le voit, il y a des bébés qui dorment 8 heures qui n’ont besoin que de 8 heures réparties sur les 24 heures, comme ma fille où il y avait quelques heures la journée, quelques heures le soir et la nuit. Et d’autres bébés qui vont dormir 20 heures. Et oui, ça, ça joue.
Clémentine
Dans le courant de mettre en avant le maternage proximal, d’être très proche de son bébé, de ses besoins, d’être à l’écoute. C’est souvent cité le fait que nous sommes des mammifères, que les mammifères ne mettent pas leur bébé loin d’eux pour dormir, que tout le monde dort ensemble. Est-ce que c’est la réalité chez les grands singes ? Est-ce que ça se passe comment, eux, le sommeil ?
Erik
Ouais, c’est compliqué. Notre espèce est très particulière avec les bébés et la parentalité. Chez les grands singes, tout a l’air un peu plus facile. Déjà l’accouchement est beaucoup plus simple. Ils ont un bassin très très large et les nouveaux-nés ont une tête beaucoup plus petite. Donc il n’y a pas de mortalité à l’accouchement dans les os. Les accouchements se font tout seuls, il n’y a pas de mortalité ni de l’enfant ni de la mère. Alors que chez les humains, la période pré-industrielle, c’était une femme sur dix qui mourait à l’accouchement. Donc c’est beaucoup plus compliqué. Et ensuite, effectivement, ils les gardent avec eux, ils sont en proximité avec leurs parents, mais parce qu’il y a aussi de la prédation, on ne peut pas faire n’importe quoi dans la jungle, on ne peut pas les mettre ailleurs, il faut qu’ils restent en sécurité, les bébés.
Cela étant dit, chez les autres grands singes, les bébés sont autonomes assez vite, au bout d’un an, ils ne crapent pas vite à droite à gauche, au bout de 2-3 ans, ils sont pratiquement autonomes. Enfin, ils sont petits encore, mais ils peuvent bouger, grimper dans les arbres, etc. Chez les humains c’est pas du tout comme ça. Chez notre espèce on a… Pour la petite histoire, ce qu’il se passe au cours de l’évolution, ce qu’on observe dans les fossiles, c’est qu’avec l’émergence de la bipédie, on a notre bassin qui s’est rétréci de plus en plus, parce qu’il faut tenir debout, et par contre avec le développement de l’intelligence sociale, notre cerveau a de plus en plus grossi, notre tête a de plus en plus grossi.
Donc ça, c’est ce qu’on appelle le dilemme obstétrique, c’est qu’il faut réussir à faire passer cette grosse tête par ce petit bassin, et ça, ça pose des soucis.
Clémentine
Après la tête elle est malléable quand même.
Erik
Voilà, exactement. Il y a plein d’adaptations qui permettent de faire ça. Donc déjà on fait… On accouche, nos bébés sont beaucoup plus immatures que chez les autres grands singes. Donc le bébé, quand il naît, il est aveugle, il est complètement dépendant. C’est pas comme un bébé gnou qui se met debout et puis au bout de cinq minutes, il part faire la migration. Ça marche pas comme ça. 18, 21, 22 ans avant d’être autonome. C’est difficile de comparer. Oui exactement, ce genre de choses. Nous on est des mammifères, bon c’est des appels à la nature aussi, c’est des choses qui sont pas très très… C’est pas un argument très recevable.
Clémentine
C’est pas scientifique, c’est ça ?
Erik
Ouais, c’est ça, c’est pas rassurant. En plus, dans le cas de la parentalité, quel que soit le problème qu’on a nous, il est très contextuel. Chaque situation familiale est différente, chaque enfant est différent. Donc aller dire, oui, chez les grands singes, ils accouchent et puis ils sont autonomes au bout de trois jours, oui, c’est très bien, grand bien à leur face, mais chez nous, c’est pas ça.
Clémentine
Puisqu’on oppose souvent cette chose de vouloir rendre l’enfant indépendant très vite, de le faire dormir loin des parents, de lui apprendre à dépendre de lui-même et pas du parent, en disant mais attendez, nous on est des mammifères, ça se passait pas comme ça ni avant, ni chez les autres mammifères, donc c’est compliqué de faire cette corrélation-là, on peut pas…
Erik
Oui, absolument. Dès les premiers jours, l’enfant il est né, il a ses adaptations avec les fontanelles pour permettre au crâne de se déformer pour réussir à passer. Déjà là, il y a une chance, société pré-industrielle, avant la médecine moderne, il y avait une femme sur dix qui mourait à l’accouchement, il y avait un enfant sur deux qui arrivait à l’âge adulte. C’est très très compliqué, on a besoin d’entraide, dès les premiers jours on a besoin de soins coopératifs, c’est pour ça que notre espèce est caractérisée par le soin coopératif des jeunes, ça s’appelle le cooperative breeding, des fois c’est traduit par élevage coopératif, c’est pas très joli, je préfère dire soin coopératif.
Et donc très vite, il faut, et même dans nos sociétés modernes en fait, avec les familles nucléaires, il n’empêche qu’il y a des systèmes de crèches, de garderies, d’assistance, de maisons, d’associations, etc. Pour aider les parents, parce que c’est très très compliqué, on n’est pas fait pour élever un enfant tout seul, ça très clairement, et d’ailleurs toutes les études montrent que d’avoir un réseau d’attachement sécure pour le bébé mais aussi pour la maman, c’est déterminant pour toutes les questions de dépression postpartum, de problèmes d’allaitement, de développement de l’enfant, etc. C’est absolument déterminant. Cette volonté d’autonome, de dire il faut que l’enfant soit autonome, il faut qu’il ait sa chambre très très tôt, ça c’est très culturel, c’est une culture moderne qui il faut qu’on soit des self-made people.
Clémentine
Sauf que ce que vous dites, on n’est pas fait pour ça.
Erik
À la base, on n’est pas fait pour ça. Même le plus grand self-made man du monde, les trois premiers jours, il avait besoin de ses parents, il avait besoin de médecins pour l’accoucher et il avait besoin de nounous. On n’a pas toujours besoin de médecins pour accoucher.
Clémentine
J’ai accouché à la maison. On peut aussi savoir faire ça de manière moins médicalisée. Ce n’est pas obligatoire.
Erik
Pour la petite anecdote, ma deuxième, je l’ai fait à la maison, ce n’était pas voulu. Il a fallu que je gère tout seul, oui c’est possible. Elle c’est elle qui a fait tout le travail, moi j’étais à la réception.
Clémentine
Mais on est capable, c’est possible. Pour avoir choisi moi d’accoucher à la maison c’est possible. Vous avez écrit un livre qui s’appelle La science au-dessus du berceau, qui est là si vous êtes à regarder sur YouTube. Pourquoi est-ce que vous avez voulu transposer tout ce que vous avez appris ou même fait comme expérience dans un livre où je précise, parce que dans tout ce que vous écrivez, il n’y a pas de conseils, vous n’êtes pas du tout en disant ça c’est le mieux, ça c’est le moins bien, vous êtes vraiment assez factuel.
Erik
Oui, oui, c’est ça, donc quand j’ai eu ma petite, très vite on a été submergé de conseils. Il faut faire ci, faire ça, et en plus c’est ça, elle avait des problèmes à s’endormir donc on a eu le droit, et puis elle pleurait le soir, etc. On a eu le droit à tout, tous les messages. Parfois contradictoire et très souvent quand même dit de manière très péremptoire je dirais.
Oui non mais elle te manipule ou non mais c’est le lait probablement le lait, mais peut-être le lait matin il faudrait que tu fasses au biberon ou non il faut faire du cododo, non ça doit être les dents, peut-être c’est trop de sucre, peut-être si la mère elle boit du café, bah peut-être c’est dans le lait ou enfin bref on a eu plein de messages à droite à gauche on était un peu paumée au milieu de tout ça. Et moi, c’est vrai que ma formation scientifique me rend un petit peu… allergique dans ma vie de tous les jours aux affirmations dites de manière péremptoire, comme ça je préfère, voilà, on dit à mon avis, même dans les publications scientifiques, c’est toujours, les formulations sont toujours, cette étude suggère que, ces données suggèrent que, dans la plupart des cas peut-être, enfin on est toujours là-dessus parce que la science est probabiliste donc compte tenu de ce qu’on sait voilà ce qui est plus probable mais peut-être qu’on se trompe. Donc je cherchais d’autres sources d’informations, et aussi on a lu plein de bouquins de pédiatres, etc. Et là aussi c’était assez prescriptif, assez péremptoire, et aussi parfois même très rigide, à tel âge il faut qu’elle sache faire ci, à tel âge il y a des étapes, et pas de sources scientifiques. Et ça c’est ma déformation professionnelle, moi je me demande mais ok c’est quoi la source ?
Est-ce qu’il y a des études qui ont montré ça ou pas ? Ou est-ce que c’est juste votre impression ? Parce que nous les humains on est très très fort à l’auto-persuasion. On peut se persuader et être très sûr de nous pour plein de choses. C’est comme ça qu’on a pratiqué la saignée pendant 3000 ans. Tous les médecins disaient que c’était génial de pratiquer la saignée. Avec le recul on se dit mais c’était un peu débile de vider une personne malade de son sang mais pendant des milliers d’années on a dit que c’était génial et on s’est auto-persuadé que c’était super. C’est pour ça qu’on a besoin d’études scientifiques parce que notre intuition c’est pas ultra fiable comme méthode. Avec cette méthode là on arrive tous à des conclusions différentes donc… Voilà, il faut être humble, peut-être on peut se tromper.
Et donc c’est ça, alors il se trouve qu’avec mes recherches sur les pleurs des bébés, et puis ensuite après ça j’étais au Québec pendant deux ans dans un labo de neurosciences sur les bébés, donc on s’intéressait au développement de la connexion sociale chez bébés, donc j’avais le nez dans la littérature scientifique des bébés, on écrivait des articles scientifiques, et à un moment, il y a deux neurones qui se sont connectés, je me suis dit mais en fait… Il devait y avoir de la littérature scientifique, tous ces problèmes de sommeil de bébés sur lesquels je travaillais. En plus, je bossais là-dessus, mais je n’ai pas pensé à regarder.
Clémentine
C’est le daddy brain.
Erik
Oui, c’est ça. Et donc, j’ai commencé à regarder les méthodes pour faciliter le sommeil des bébés, méta-analyse, revue de littérature sur des bases de données comme PubMed ou Google Scholar, c’est un peu les Google des scientifiques. Et en fait, je me suis rendu compte qu’il y avait plein de choses. En fait, il y avait plein de choses qui sortaient…
Clémentine
Mais elles sont en anglais aussi.
Erik
Elles sont en anglais, souvent elles sont en anglais, oui. Et donc voilà, je commence à dévorer ça, je suis merveilleux, il y a des informations fiables. Qui n’étaient pas présentes dans les autres bouquins que j’avais lus, carrés, nuancés, donc j’ai commencé à, comme moi j’aime bien, bon c’est vrai que j’aime bien lire des publications scientifiques et écrire ça, ça c’est moi qui suis un peu bizarre, donc j’ai commencé à dévorer un petit peu tout ça, et puis automatiquement on ressent le besoin de partager, qu’on se dit mais, il faut, ça manque là, il y a vraiment un gap, puis j’avais de l’empathie pour les autres parents qui, pour avoir vraiment souffert du manque de sommeil. Parce qu’il y a ça aussi, c’est que… Quand on… Nous, vraiment, il y avait des semaines où on dormait pratiquement pas, c’était de la torture.
Et du coup, on se chicanait un peu avec ma compagne, je faisais des boulettes au travail, on sent que la vie me filait entre les doigts, je devenais extrêmement irritable et puis… Enfin, je perdais le contrôle complètement. Et face à ça, on avait assez peu d’empathie finalement de la part de l’entourage. Bah les nouveaux parents, bah oui vous dormez pas, on en rigole quoi. Alors qu’en fait, c’était horrible quoi. C’était vraiment une situation très très grave. Et on voit dans la littérature, c’est des problèmes de sommeil avec l’arrivée des nouveaux bébés, ça favorise les accidents de voiture, les disputes du couple, les violences domestiques. Enfin, ça a des vraies conséquences dans la vraie vie des vrais gens. Sur des vrais bébés aussi, avec les bébés secoués et tout ça. Donc il ne faut pas prendre ça à la légère.
Et donc il y a toute cette littérature scientifique qui est disponible et elle n’était pas vulgarisée il y a 15 000 vidéos sur YouTube qui vont vulgariser la théorie de la relativité d’Einstein par exemple. C’est fantastique, c’est fabuleux, c’est très bien, moi j’adore ces vidéos. Mais pour faciliter le sommeil de l’enfant par exemple, ce serait bien que ces recherches-là soient vulgarisées aussi. Donc j’ai commencé à regarder, alors il y avait quelques blogs qui commençaient à apparaître dans les milieux anglo-saxons, qui disaient, voilà, vraiment c’est un blog Parenting Science de Gwen Dewar, il y avait Voilà des livres aussi, des livres qui sortaient Science of Mom de Alice Callahan ou des livres d’Emily Oster aussi. Bref, des chercheuses américaines, anglo-saxonnes qui commençaient à vulgariser sur ces choses-là.
Et du coup, comme passe-temps, j’ai commencé, quand j’ai trouvé une revue littérature, à en faire des petits résumés en français sur un site. Puis petit à petit, j’en ai fait de plus en plus, et puis j’ai reçu un peu des commandes aussi. « tu devrais étudier ça. Est-ce qu’il y a ça aussi ? » Puis il y a des questions qui émergeaient. En discutant avec d’autres parents qui venaient au labo, parce que du coup j’étais dans ce labo de neurosciences, les parents venaient avec leur bébé et puis ils avaient des questions. Bah tiens, est-ce que c’est vrai qu’il y a de l’arsenic dans le riz ? Est-ce que c’est vrai ? Ou il y a du mercure dans le poisson du coup ? Mais on nous dit de manger du poisson parce qu’il y a des oméga-3. Comment on fait ?
Est-ce que vraiment les ondes électromagnétiques, c’est dangereux pour le bébé ? Est-ce que les vaccins, trop de vaccins trop tôt ? Est-ce qu’il y a des recherches là-dessus ? Et puis, bon, à chaque fois, je regardais. En fait, c’est pas très très dur, il suffit de taper quelques mots-clés, revue littérature, méta-analyse, bon, on a vite des articles assez fiables, assez récents qui sont publiés, qui font un peu l’état des lieux de ces questions, très très sourcés, très référencés, faits par des scientifiques sans conflit d’intérêt sur ces questions. Le blog c’est à gagner en contenu petit à petit.
Clémentine
Et donc vous avez dit on va tout condenser dans le livre.
Erik
Oui c’est ça, au bout de quelques années on m’a conseillé de me dire tiens t’as tellement de contenu, faudrait que tu puisses le valoriser avec un livre. Donc j’avais contacté les éditions Max Milot, ils m’ont dit c’est super bonne idée, on peut faire ça. Donc voilà il est là sous forme de bouquin. Mais sinon la plupart des articles sont en ligne aussi sur le blog sciencepourparents.fr.
Clémentine
Qu’est-ce qui vous a le plus surpris dans toutes les recherches que vous avez égrainées, que vous avez résumées ?
Erik
Alors… Ce qui m’a surpris déjà, c’est la quantité d’informations qui est disponible et qui n’est pas vulgarisée pour les parents. Toutes les méthodes pour faciliter le sommeil des bébés, il y en a, on sait qu’elles sont plutôt efficaces. D’autres, elles sont controversées et d’autres, on sait qu’elles ne marchent pas. Il faudrait être clair sur ça. Mais c’est pareil pour les recherches sur les styles parentaux, la fessée, la discipline, faciliter la propreté de l’enfant. Ou sur les vaccins, par exemple, il y a plein d’inquiétudes sur les vaccins. Est-ce qu’un tel vaccin, il paraît que ça donne l’autisme, il paraît que ça donne la maladie d’Alzheimer, ou tel vaccin, peut-être que c’est mieux d’attraper la maladie naturellement plutôt que de se vacciner, ou peut-être que… En fait, il y a des études là-dessus, on peut regarder, ça a été fait, il suffit de regarder les littératures. Et donc il y a plein d’inquiétudes qui n’ont pas lieu d’être, entre guillemets.
Clémentine
Parce qu’elles ont déjà été traitées et qu’on a la réponse. On vit dans un monde qui est beaucoup plus axé sur la désinformation, ça fait partie aussi, notamment autour du vaccin.
Erik
Vraiment, dans mon activité de vulgarisateur qui m’a frappé, c’est que souvent les gens, enfin les gens, j’en fais partie aussi, nous avons tendance à nous intéresser aux résultats scientifiques que pour vérifier si ça confirme nos intuitions ou pas. Et si ça confirme ce qu’on pensait déjà, on va dire bah y’a telle étude qui a montré que… Et si ça confirme pas, on se dit ouais mais ça c’est des études, de toute façon ils sont déconnectés, ou ça s’applique pas, les scientifiques ils ont des conflits d’intérêts, et on va balayer d’un revers de la main. Et ça c’est pas une bonne attitude, la bonne attitude c’est d’être assez humble par rapport à nos croyances, à nos intuitions. Et voilà, il y a cette étude, peut-être je peux nuancer ma croyance sans forcément changer d’avis complètement, mais dire bon bah…
Je ne suis peut-être pas si sûr que ça. Effectivement, il y a des études qui montrent que ce n’est peut-être pas le cas.
Clémentine
Typiquement, sur le sommeil, on peut être contre laisser pleurer son bébé et avoir la notion de ce que vous avez dit, que les études sur le long terme, pour l’instant, n’ont pas montré que ça posait de problèmes majeurs sur les enfants qui ont pleuré. Et être contre…
Erik
Alors laisser pleurer le bébé le soir pour faciliter la dormition. La journée, il faut s’en occuper.
Clémentine
Et sur des bébés qui ont vraiment de mal et qu’on est à bout nous-mêmes. Non mais ça en fait partie.
Erik
Absolument.
Clémentine
Ne pas être obligé de dire, comme ça n’a pas été prouvé, je change complètement d’approche et je suis d’accord avec ça. Mais c’est pas facile d’avoir de la nuance dans la parentalité aussi.
Erik
Non, non, c’est vrai. C’est la raison aussi pour laquelle j’ai écrit ce bouquin. Vraiment, je voulais essayer de ne pas être péremptoire du tout et normatif. Voilà les données. Chaque situation familiale est unique. Vous faites ce que vous voulez, vous évaluez les coûts bénéfices pour vous, pour votre communauté, pour votre bébé. Chacun en fait tous de notre mieux donc et je sais bien que c’est compliqué mais voilà ce qu’on sait, maintenant au moins vous pouvez prendre vos décisions en connaissance de cause.
Alors des fois la réception était critique, des fois j’ai des parents qui m’ont dit mais moi j’ai envie qu’on me dise quoi faire, pour me déresponsabiliser, je sais pas moi je consulte un livre, j’ai envie qu’on me dise quoi faire, qu’on me donne des ressources et bon bah moi je fonctionne pas comme ça, je cherchais pas, je crois il y a plein de bouquins qui vont vous expliquer quoi faire. Là, j’ai cherché à produire un petit peu autre chose.
Clémentine
D’ailleurs, ça m’a beaucoup surprise, je vais être très honnête, quand j’ai parcouru votre site et que je regardais, sur les trois quarts des sujets, je trouve ça hyper normal, mais sur la fessée, ça m’a perturbée de ne pas avoir clairement le… Il ne faut pas le faire. Parce que vous montrez les études qui montrent que c’est pas bon. Vous n’êtes pas du tout à dire.
Que c’est une méthode d’éducation, on le sait. Mais dans plein de ressources dans lesquelles moi je peux avoir accès sur ce type de sujet, c’est clair net avec du jugement. Pour le bien de l’enfant, je ne juge pas non plus. Et c’était une des premières fois où j’ai été face à quelqu’un qui donne des faits scientifiques, mais sans avoir vraiment cette approche de dire, en fait, ne le faites vraiment pas juste parce que… Vous voyez ce que je veux dire ?
Erik
Oui, tout à fait. Il y a deux chapitres pour lesquels ça a été difficile de ne pas être dans ce truc-là. Et j’ai essayé de ne pas le faire. Mais effectivement, la question de la fessée et la question des vaccins. Pour les vaccins, pareil, je montre pour chacun inquiétude, il y a des études. Clairement, on aurait tendance à être très péremptoire et dire il faut vacciner. Il faut vacciner. Alors, j’essaie de ne pas le faire, mais vraiment en lisant, bon.
Clémentine
Mais sur la fessée, c’est pareil.
Erik
Pour la fessée, c’est pareil. Après, la fessée, c’est aussi particulier parce que des fois, dans le débat, en tout cas, que j’entends, la question, elle est pas politisé, mais on dirait que ça reflète un jugement de valeur. Il y aurait des bobos un peu modernes qui ne veulent plus donner la fessée. Alors que non, on a toujours donné les fessées aux enfants. Et on n’en est pas morts. C’est toujours ces arguments moralisateurs un peu qui sont mis en avant. En fait, il y a des données scientifiques. On regarde les enfants qui ont été tapés, qui ont eu des châtiments corporels, même occasionnellement. On voit bien sur le long terme, ils ont plus de chances d’avoir des problèmes d’anxiété, de dépression, de régulation émotionnelle en tant qu’adultes.
Et donc il y a des études qui sont très claires là-dessus, il y a d’autres méthodes pour obtenir la discipline aussi efficace que la fessée qui n’ont pas ces conséquences, comme mettre au coin, confisquer un jouet, confisquer un privilège, avec des ados évidemment on peut pas les mettre au coin mais on peut confisquer un téléphone, couper internet, enfin il y a d’autres moyens que des châtiments corporels. Et aussi, les études montrent que la plupart des gens qui donnent la fessée à leur enfant, c’est pas parce qu’ils auraient tout testé qu’il n’y a que la fessée qui marche, parce qu’il y a ça aussi des fois, il n’y a que ça qui marche. C’est souvent qu’ils ont reçu des fessées eux-mêmes, ou ils ont reçu des châtiments corporels eux-mêmes et ils reproduisent.
Clémentine
C’est vrai que je me rends compte dans mon entourage, j’ai jamais reçu de fessé, et il y a des personnes dans mon entourage qu’on n’a jamais reçu, du coup c’est absolument pas un geste qu’on a envie de reproduire, ça fait pas partie de notre… Je dis pas quand on est à bout, pour moi il y a vraiment une différence sur les gens qui ont craqué une fois parce que peut-être ils n’ont pas dormi depuis des semaines et qui… Ils peuvent plus et ça leur a échappé quelque part et d’autres qui pensent que c’est un mode d’éducation. Et quand on sait que fonctionner avec ce mode d’éducation, c’est là où on connaît les études qui montrent que c’est délétère pour le bien-être de l’enfant. Et au-delà de ça, ça ne respecte pas les droits de l’enfant.
Erik
Accessoirement.
Clémentine
Il y a plein d’autres choses qui rentrent en compte, mais c’est vrai que ça m’a surprise parce que je suis tellement, je pense, habituée à lire des gens qui défendent les enfants et qui défendent leur bien-être et qui sont très clairs sur il ne faut pas, que quand on lit, c’est juste les études, je vous montre.
Erik
Peut-être c’est une erreur, peut-être pour ces sujets tellement importants comme les vaccins, les enfants, il faut être extrêmement péremptoire, extrêmement catégorique et peut-être que j’ai tort d’avoir formulé ça de cette manière. Je peux entendre des critiques mais c’était ce que j’avais, voilà, j’étais parti là-dessus à ce moment-là.
Clémentine
Mais en tout cas, dans le livre et dans votre site, c’est bien écrit que les études prouvent que ce n’est pas la meilleure façon de faire. Je trouve que c’était intéressant parce que vous disiez que ce qui vous a le plus marqué, c’est à quel point on va s’accommoder de ce qui nous arrange. Dans la parentalité et que c’est… Vous-même vous avez dû faire ça aussi ? Des fois faire le tri, me dire « j’aurais plus cru ça » mais au final je me rends bien compte que cette étude-là monte l’inverse et donc…
Erik
Bah oui bien sûr ouais.
Clémentine
Sur quoi comme thème ?
Erik
Alors bah… Bon y’a des choses, je me suis rendu compte après coup qu’il fallait pas le faire, par exemple quand ma fille dormait pas du tout, les quelques fois où elle dormait, même pendant la journée qu’elle faisait une sieste, je fermais les rideaux, je la mettais dans le noir, pas de bruit du tout, même si c’était une sieste la journée. Et en fait, on conseille plutôt de laisser vraiment l’enfant exposer à la lumière, même pendant les siestes, pour qu’il se régule mieux. Et puis comme ça, même si sa sieste n’était pas très reposante l’après-midi, tant mieux, il dormira mieux la nuit du coup. Et il y a des choses comme ça. Les questions de co-dodo aussi, au début, on voulait faire beaucoup, on était un peu idéaliste, on va faire du co-dodo avec le bébé, ça va être génial.
Et en fait, elle gigotais trop, c’était pas possible, c’était compliqué. Et puis voilà, il y a des études qui montrent aussi que le cododo, ça retarde en fait la mise en place des nuits, parce que l’enfant prend l’habitude d’être avec les parents, d’avoir de la stimulation. Donc en général, les enfants vraiment qui font du cododo, vraiment je parle pas d’un lit d’appoint. Ils commencent à faire leur nuit beaucoup plus tard, vers 4, 3, 4 ans. Donc ça aussi, voilà, c’était pas une très bonne idée.
Clémentine
Par contre, on recommande le cododo jusqu’à 6 mois pour éviter la mort subie du bébé.
Erik
Oui, oui, oui, tout à fait. Oui, oui, tout à fait. Vous parlez pour plus tard. Oui, je parle pour plus tard. Après, le cododo, il faut quand même faire attention parce qu’on peut toujours écraser le bébé. Il y a de la sécurisation. Il y a des dispositifs qui existent, même juste un lit d’appoint qui est collé au lit. Il faut faire attention avec ça.
Clémentine
Mais du coup ça les aide pas en fait ?
Erik
Pour faire leur nuit après…
Clémentine
Parce qu’en fait on reste sur le mode chasseurs-cueilleurs, c’est ça ?
Erik
Alors voilà, chez les chasseurs-cueilleurs ça marche très bien, ils s’en fichent qu’ils font leur nuit à 4 ans, ils ont pas le réveil qui sonne à 6h du mat’ et puis ils peuvent faire une sieste l’après-midi, c’est correct. Puis ils dorment pas toujours avec leurs parents, ils font le coup de dodo avec les grands-parents, ils font le cododo avec d’autres personnes. Mais bon, notre espèce, elle a ça aussi, qu’on est très culturel, donc on a une faculté d’adaptation très grande, donc il faut essayer de s’adapter à tous nos contextes. Donc vous voyez chez vous, si vous avez des grands-parents disponibles juste à côté… Si on a… Mais voilà, bon c’est… Notre situation, elle est assez particulière.
Clémentine
J’ai une dernière question sur les bébés. Ça concerne les écrans. Je sais que vous travaillez beaucoup sur cette thématique, mais avec les plus grands, avec les plus de 6 ans, sur l’éducatif. Mais sur les bébés, est-ce que là, il y a beaucoup de controverses autour des écrans sur les 0-3 ans ? Est-ce que toutes les études disent bien qu’entre 0-3 ans, puisque c’est la recommandation aujourd’hui, c’est néfaste pour les bébés ? Ou est-ce qu’on est encore dans une zone grise ?
Erik
Non, effectivement, la question des écrans souvent c’est est-ce que l’écran se substitue à une autre activité qui serait plus bénéfique pour l’enfant ? Alors, avant 3 ans, c’est toujours le cas, les écrans vont se substituer à quelque chose de beaucoup plus intéressant pour l’enfant. Donc ça va être néfaste. Alors c’est surtout avant 2 ans dans la littérature scientifique, je pense qu’ils prennent une petite marge pour être sûrs. Et puis aussi, c’est comme pour l’alcool pendant la grossesse, c’est vraiment 0, 0, 0 écrans. La notion de modérément c’est très subjectif donc il vaut mieux dire zéro comme ça on prend pas de risque. Après, par contre, on peut avoir des écrans, donc là j’ai rejoint une chaire de recherche sur le numérique éducatif et donc on voit des dispositifs qui peuvent être bénéfiques pour les enfants, même dès la maternelle.
Donc là je travaille avec des enseignantes de maternelle qui utilisent les écrans pour… Une enseignante qui a une chaîne YouTube qui s’appelle la maîtresse part en live qui fait plein d’activités avec les maternelles qui vulgarise beaucoup et elle me disait qu’elle avait testé une plateforme pour échanger avec une école au Rwanda, une école avec un prof français au Rwanda et donc les élèves à la campagne vraiment au fin fond de la Bretagne et les élèves rwandais prennent des photos, prennent des vidéos, mettent ça sur la plateforme, échangent. C’est une ouverture sur le monde complètement folle. On n’avait pas ça il y a encore quelques années donc c’est fou. Là on a des projets de recherche avec le programme de recherche Next qu’on a à l’université de Marie-Louis Pasteur à Besançon. Qu’on mène actuellement avec mes collègues Denis Pascot et Marie Mazerolle.
On a plein de dispositifs, même pour des jeunes, autour du geste d’écriture, par exemple, il y a une application qui s’appelle Dynamilis, qui permet, les enfants commencent à écrire quelques lettres, quelques mots, et puis la tablette va analyser s’il y a des problèmes de dysgraphie, s’il y a des problèmes d’écriture, est-ce que c’est un problème de pression du stylo, est-ce que c’est un problème d’inclinaison du stylo, est-ce que c’est un problème de vitesse d’écriture, et en fonction de ça, elle va proposer des exercices adaptés pour travailler, vraiment personnalisés pour chaque élève. Voilà, donc le numérique, les écrans, Ça regroupe plein plein de choses très très larges, c’est pas que la télé, c’est aussi tous ces nouveaux outils numériques qui sont développés et dont certains peuvent être intéressants, peuvent être bénéfiques. Mais avant 2-3 ans, a priori, pas besoin.
Clémentine
Donc on reste sur ces bonnes recommandations du 0-3 ans. On peut le voir dans la rue, c’est pas toujours respecté, on voit des enfants sur des petits smartphones, dans la poussette, au restaurant, on en voit.
Erik
Après, pour nuancer peut-être, quand on a plusieurs enfants, qu’on est crevé le soir, qu’on n’en peut plus, le bien-être des enfants est assez bien corrélé au bien-être des parents aussi. Donc si on peut les mettre une heure devant un dessin animé pour souffler un coup, et vous faire à manger, prendre une douche, bon bah voilà, ça va pas détruire leur cerveau pour toute la vie, si c’est comme ça ponctuel.
Clémentine
Si à côté il y a une implication et les parents stimulent et sont dans l’interaction.
Erik
Exactement, tout à fait. Et même les écrans passifs pour des enfants plus grands, alors avant 2-3 ans, Mais même après, si vous regardez un film avec vos enfants, c’est très bien. Surtout si vous discutez autour du film, si ça nourrit d’autres interactions, on peut passer un bon moment et c’est très très bien. Les écrans ne sont pas non plus le diable absolu.
Clémentine
Ils font partie de nos vies. Mais il faut trouver le bon équilibre, c’est pas facile. Merci beaucoup Erik !
Erik
Merci à vous.
Clémentine
Merci de nous avoir éclairé sur toute cette science. C’est bien, c’est pas facile, ça remet des fois en question, on se dit bon ok la science a dit mais moi j’avais d’autres croyances, c’est ça que je trouve intéressant. Mais merci de nous avoir éclairé.
Erik
Merci à vous.