Épisode 190 – Apprendre à consoler nos enfants – Hélène Romano

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“Arrête de pleurer”, “ça va, c’est rien”, “mais non t’as pas eu mal”, “ça va passer, t’en fais pas”
Qui n’a pas entendu ce type de phrases dans son enfance, ou qui n’a pas prononcé ces mots pour tenter de rassurer notre enfant lors d’un petit ou gros bobo ?

Arriver à consoler notre enfant sans le laisser dans la solitude sa souffrance n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît.

Quand j’ai reçu le dernier livre d’Hélène Romano “Consoler nos enfants” je me suis dit :
“Oh ça va ce n’est pas si difficile” et puis un quart de seconde après je me suis faite la réflexion que pas du tout.
Consoler un enfant, le nôtre de surcroît, est une tâche primordiale et quasi quotidienne dans notre parentalité, qui demande des compétences parentales bien précises.

Hélène Romano, revient pour la 2e fois dans ce podcast, après son épisode sur les mères qui ne protègent pas de l’inceste.
Elle est de retour pour nous parler de l’art de consoler et c’est passionnant.

Accueillir, prendre soin, discerner le malheur de notre enfant, ou encore accepter sa douleur, peuvent parfois nous mettre à mal.
Mais pas de panique, Hélène est là pour vous guider et vous le dire, il n’est jamais trop tard pour retisser le lien de confiance avec votre enfant.

Je vous souhaite une très bonne écoute !

TRANSCRIPTION DE L’ÉPISODE

Clémentine Sarlat : Bonjour Hélène.

Hélène Romano : Bonjour Clémentine.

Clémentine Sarlat : Je suis ravie de vous recevoir en face à face puisqu’on a déjà fait un épisode mais on était par écran interposé, c’est pas pareil donc merci d’avoir fait le déplacement depuis Lyon.

Hélène Romano : Merci pour l’invitation.

Clémentine Sarlat : Je suis ravie. Alors on va parler de votre nouveau livre qui parle de la consolation et qui est un art, en fait, et vous allez nous expliquer un petit peu en quoi ça consiste. Mais déjà ça veut dire quoi consoler un enfant?

Hélène Romano : Consoler un enfant, en quelques mots, ça veut dire le rassurer et lui permettre de restaurer le lien de confiance, d’humanité entre lui et nous, lui et le monde extérieur. A priori, l’enfant si on doit le consoler ou si on est amené à le consoler c’est qu’il a vécu quelque chose de difficile, c’est qu’il est triste, éprouvé, que c’est compliqué. Et consoler, ça va consister à ne pas le laisser seul face à sa détresse, face à sa tristesse. Donc c’est, on pourrait dire, l’art du tissage, du raccommodage (c’est un terme que j’utilise dans le livre) émotionnel, pour permettre à notre enfant, quel que soit son âge, de pas être tout seul.

Clémentine Sarlat : Pourquoi est-ce que c’est beaucoup plus complexe que ça n’y paraît, de consoler un enfant?

Hélène Romano : Parce que ça nous confronte au fait qu’un enfant puisse souffrir, et ça en tant qu’adulte, qu’on soit parent ou qu’on soit professionnel, se dire qu’un enfant est triste, qu’un enfant a été exposé à des choses compliquées, qu’un enfant va mal, quand on est adulte, ça vient inévitablement nous renvoyer le fait qu’on n’a pas pu protéger l’enfant. Même si on n’est pas forcément responsable du fait que l’enfant soit en souffrance. Donc en tant qu’adulte c’est compliqué, c’est une forme d’atteinte narcissique de notre capacité protectrice de l’enfant. Donc la disponibilité psychique pour consoler l’enfant, on ne l’a pas forcément à ce moment-là, donc ça c’est difficile. C’est aussi probablement difficile dans le contexte actuel, qui n’est pas du plus sécure, entre les conflits géopolitiques, l’insécurité, toute l’actualité, y compris la météo, versus apocalyptique, donc on est quand même assez stressé en tant qu’adulte.

Et pour consoler l’enfant, il faut se mettre à son niveau. Donc c’est compliqué aussi pour tout ça, c’est arriver à mettre de côté nos représentations, notre conception du monde adulte, et se dire “ben notre enfant ou l’enfant il pense pas comme nous, il a d’autres repères, donc faut que je me remette à son niveau.” On s’ajuste, on se met au niveau de l’enfant. Pour ça il faut être disponible. Donc c’est toute une gymnastique intellectuelle qui n’est pas simple.

Clémentine Sarlat : Est-ce que c’est aussi parce que la souffrance des enfants est différente de la nôtre et que parfois on n’arrive pas à repérer qu’il y a souffrance chez un enfant parce qu’on considère que c’était rien finalement?

Hélène Romano : C’est très juste. Les adultes oublient souvent les enfants qu’ils ont été, enfin très souvent, et on a souvent tendance à se projeter sur comment nous on réagirait si ça nous arrivait. Par exemple, on perd un proche, nous on a une tristesse, une peine, on pleure, on se dit que notre enfant doit réagir pareil s’il est triste. Sauf qu’un enfant, sa tristesse, il ne va pas la manifester du tout de la même façon. Plus ils sont petits, moins ils ont le langage. Un bébé, ça ne parle pas. Ça babille traumatique. Et donc plus ça passe par les maux, par le comportement. Donc il faut arriver à décoder, décrypter. Par exemple, un enfant qui est très triste, il peut se renfermer dans ses jeux, avoir des jeux qu’on appelle des jeux traumatiques.

Ça ressemble à du jeu, mais c’est pas du jeu, c’est-à-dire que c’est pas du tout apaisé. Il répète ce qu’il a vécu, ce à quoi il a été confronté, mais il est bloqué dans son jeu. Il n’est pas du tout dans un partage, il n’arrive pas à s’apaiser, il n’arrive pas à apprendre de sa reproduction comme l’objectif des jeux doit l’accompagner par rapport à ça. Et donc du coup l’enfant est dans quelque chose d’extrêmement bloqué psychiquement. C’est extrêmement compliqué pour lui. Donc l’adulte, l’importance pour l’adulte, c’est de comprendre que l’enfant n’a pas la même façon d’être triste. Et le jeu peut être un support pour repérer que l’enfant est en décalage émotionnel, est en souffrance psychique. Mais pour ça, il faut que les adultes soient disponibles.

Clémentine Sarlat : Donc par exemple, puisque un enfant qui joue mais qui répète un scénario, c’est un enfant en souffrance, et un enfant qui ne joue plus, c’est aussi un enfant en souffrance.

Hélène Romano : Tout à fait. Le jeu est un support ; est le support remarquable au niveau de la symptomatologie des enfants, qu’elle soit quelque chose de positive ou qu’elle soit inquiétante. En tout cas c’est un bon vecteur relationnel, on va le dire comme ça. Un enfant qui ne joue pas, un enfant qui joue toujours au même jeu, un enfant qui joue à la guerre par exemple. Il peut jouer à la guerre (et c’est quelque chose que l’on voit fréquemment) pour s’approprier une angoisse terrible et faire quelque chose de son jeu. Donc le jeu n’est pas en tant que tel inquiétant, il est inquiétant s’il répète. Si vous voyez votre enfant toujours avec la même thématique, et bloqué sur la même thématique, et répéter, répéter, et être très anxieux, être très mal après son jeu, c’est un jeu traumatique. Ou un enfant qui ne joue plus. Donc un enfant qui est triste, souvent, ça passe par le jeu/je. J-E-U-X et J-E aussi.

Clémentine Sarlat : Vous l’avez mentionné, et vous le dites très bien dans le livre, d’ailleurs ça m’a marqué quand vous l’écrivez, qu’on vit dans une société très anxiogène. Les contextes actuels géopolitiques, vous l’avez dit, climatiques, où il y a aussi une abondance de l’information qui fait qu’on est bombardés en permanence par des catastrophes ou des conflits, qui pèsent sur l’adulte. Ça a quoi comme conséquence sur nos enfants?

Hélène Romano : Les conséquences elles sont multiples. Un adulte qui est stressé, ces facteurs de stress… vous ne pouvez pas allumer la télévision, la radio, tout est sous le prisme de la catastrophe. Même la météo, la France est coupée en deux. Le discours du président, “il faut réarmer la fertilité”. Oui d’accord, on aurait peut-être pu le dire d’une façon un petit peu plus sympathique. Devenir parent c’est chouette quoi, qu’on mobilise les moyens pour permettre une meilleure fécondité ou en tout cas “réarmer”, on voit bien le vocabulaire qu’il utilisait à tout niveau. Je cite cet exemple mais à tout niveau est un vocabulaire extrêmement traumatogène. Donc du coup ça crée un état d’insécurité. Et l’enfant, il a besoin de l’adulte pour sentir sécurisé, protégé, valorisé. Et si l’adulte n’est pas disponible parce qu’il est lui-même stressé, angoissé, il est moins réceptif à son enfant.

Et on peut le vivre au quotidien, quand on a passé une chouette journée, que tout va bien, on est heureux, on est patient, on est disponible, notre enfant nous raconte des trucs, on va prendre le temps d’écouter. Mais si on a une journée vraiment pénible, difficile, on est beaucoup moins accessible à notre enfant.

Clémentine Sarlat : Comment est-ce qu’on décèle la souffrance d’un enfant à part le fait de le voir jouer ou arrêter de jouer? Parfois c’est difficile en tant qu’adulte de le voir?

Hélène Romano : C’est difficile surtout si on ne se représente pas le fait que notre enfant puisse souffrir. C’est-à-dire que si j’ai intégré le fait que mon enfant c’est pas un mollusque décérébré et que dès qu’il est bébé, enfin même in utero, il perçoit, il capte des choses et il peut être blessé psychiquement, je vais être attentif. Sinon je serai dans le déni puisque pour moi c’est même pas représentable. Donc déjà ça c’est la première chose. Après ce qui peut être une ligne de repère, on peut appeler ça comme ça, c’est le fait que notre enfant qui souffre va souvent manifester, quels que soient les âges, une sorte de rupture dans son comportement. Il y a sa ligne de vie, il y a une sorte de rupture ou de fracture. Tout d’un coup, il n’est plus le même.

Alors ça peut être brutal : il est tombé, il se met à pleurer, il a cassé son ballon, il hurle…  tout de suite je le vois que ça ne va pas. Mais certaines fois c’est plus ténu, et j’en parle dans le livre, c’est beaucoup plus complexe parce que les enfants peuvent être hyper adaptés. Ou avec des troubles qu’on appelle internalisés, beaucoup moins visibles. Donc pour le parent, il a beau être attentif, il a beau faire tout ce qu’il peut pour prêter justement, se mobiliser par rapport aux réactions de son enfant, mais il y a des situations où l’enfant ne va pas montrer. Mais le parent, si l’événement… on va prendre un exemple : si l’événement, le parent sait que l’enfant a vécu quelque chose de compliqué, il peut l’interpeller, mais s’il ne le sait pas, il ne peut pas le deviner.

Par exemple, si l’enfant est harcelé à l’école, mais qu’à la maison, il est hyper adapté, comme si de rien n’était, en apparence, (ils sont très forts) tout va bien, le parent ne peut pas le deviner. Donc, il ne va pas interpeller l’enfant par rapport à ça. Lui, il voit que son enfant a l’air de bien aller, l’enfant peut être hyper adapté en faux self. Par contre, une autre situation, si mon enfant a perdu un grand-père ou un proche, je sais qu’il est endeuillé et qu’il joue comme si de rien n’était. En tant que parent, je peux aller vers lui en le disant : “tiens, je pense à papy qui est mort, puis je te vois, tu joues, tu regardes la télé, j’ai l’impression que c’est comme si tu n’avais pas de chagrin, mais c’est peut-être ta façon à toi de manifester ta détresse”. C’est-à-dire que, si je ne sais pas, je ne peux pas savoir, par principe. Mais par contre, si je sais que l’enfant a vécu quelque chose de compliqué, là je peux plus facilement aller vers lui.

Clémentine Sarlat : Mais ça veut dire d’être en phase avec le fait qu’un enfant peut souffrir. Et vous dites qu’il y a encore une partie de la population qui se représente un enfant comme un être qui n’est pas connecté à ses émotions ou en tout cas qui n’est pas capable de ressentir ça?

Hélène Romano : Oui, on a fait beaucoup de progrès sur la reconnaissance de la souffrance physique. Jusque dans les années 75-80, il n’y avait pas d’anesthésie pour les enfants. Ce qui paraît absolument hallucinant aujourd’hui, parce qu’il y avait cette idée, et puis c’était juste physiologiquement, que le cerveau n’étant pas mature ne pouvait pas souffrir. Sauf qu’on a bien vu que ce n’était pas vrai du tout, et des enfants qui mouraient de détresse et de souffrance physique. Donc on sait très bien que ce n’était pas vrai, mais n’empêche qu’il a fallu attendre beaucoup de progrès médicaux pour reconnaître la réalité de la souffrance physique chez l’enfant. La souffrance psychique, ça reste un ongle mort véritablement dans la prise en charge des enfants.

Parce qu’on reste beaucoup avec cette idée, pas vraiment professionnelle, que l’enfant est trop petit pour comprendre, que l’enfant n’a pas la maturité cognitive, que l’enfant va oublier. Donc cette idée qui nous rassure que l’enfant ne serait pas touché. Surtout chez les petits. Donc la détresse, la souffrance, le besoin de consolation des enfants, des bébés, on a du mal à se dire que, oui, l’enfant peut en avoir besoin.

Clémentine Sarlat : Pourquoi est-ce qu’en tant que parent, on a parfois ce réflexe de dire “c’est rien, ça va aller, passe à autre chose”?

Hélène Romano : Parce qu’on se rassure soi-même, c’est insupportable quand on est parent de voir son enfant qui souffre. C’est intolérable de se dire “mince, j’ai pas pu empêcher qu’il tombe, j’ai pas pu empêcher qu’il soit agressé”. Quand c’est notre enfant, c’est une vraie souffrance de voir son enfant souffrir, si on est un parent normopathe, attentif à son enfant. Si on est complètement à côté et maltraitant c’est autre chose mais un parent va partir du principe que le parent il est bienveillant. Voir son enfant souffrir c’est terrible quoi. Quand son enfant pleure, il a mal, on a mal pour lui donc il y a cette caisse de résonance de l’enfant vers le parent et on préfère se rassurer en disant “non c’est pas si grave”. Et on va banaliser ou essayer de réassurer, surtout pour se rassurer soi-même.

Et les phrases qui sont vraiment à proscrire, mais qu’on va formuler dans la situation d’urgence : “ça va”, “t’inquiète pas”, “ça va aller”, “je suis là”, “tout va bien”, “c’est fini”. Sauf que pour l’enfant, ce n’est pas forcément fini. Donc dans le livre, j’explique comment aborder ces situations-là pour ne pas banaliser ou daigner la souffrance de l’enfant. Il n’y a rien de pire pour un adulte, mais pour un enfant en particulier, qui pleure, qui va mal, qui souffre, que d’avoir quelqu’un qui lui dit “même pas mal” quoi, “c’est pas grave”.

Clémentine Sarlat : Ou “arrête de pleurer”, ou “ne t’inquiète pas”, “il n’y a pas à s’inquiéter, c’est rien”.

Hélène Romano : Il faut qu’il soit fort, il faut qu’il soit… Alors bon, il y a les repères éducatifs, mais dénier ça, c’est redoutable parce que ça coupe le lien de confiance avec le parent.

Clémentine Sarlat : Vous dites qu’il y a un paradoxe étonnant dans notre société, je vous cite : “notre société ne s’est jamais autant occupée de l’enfance et des enfants tout en n’ayant jamais semblé aussi impuissante et déroutée par cette période de la vie”.

Hélène Romano : Oui, on a d’innombrables études sociologiques, psychologiques, neurologiques, pédiatriques sur le développement de l’enfant. On connaît l’enfant. C’est pas comme il y a un siècle où on commençait tout juste à faire attention à lui. On le connaît, on connaît les conséquences sur son développement par exemple quand il souffre. Tout ça on sait. Et c’est vrai que c’est assez étonnant de se dire “mais il y a beaucoup de choses qui sont connues, mais on a l’impression qu’il y a un accordage qui ne se fait pas entre les connaissances et l’émotionnel”. On sait beaucoup de choses, mais la reconnaissance de l’enfant dans sa souffrance, on voit que ça reste encore compliqué.

Clémentine Sarlat : Il manque une étape, c’est ça? Il y a encore ce gap?

Hélène Romano : Il y a un cran, il y a un accrochage qui ne se fait pas, ou qui se fait mal, et on peut se demander “pourquoi?”, parce qu’on a toutes les connaissances. Par exemple sur la question du deuil de l’enfant. On sait que les enfants sont impactés par le deuil, on sait qu’ils sont blessés par le deuil. Alors il y a une quantité d’albums jeunesse qui existent, il y a beaucoup de choses qui existent, pour les parents heureusement, pour servir de support. Mais on a toujours, par exemple au milieu scolaire, un enfant qui a perdu… moi j’ai des petits patients qui ont perdu leurs parents, qui sont orphelins, qui sont petits, la maîtresse au bout de quinze jours, trois semaines, elle ne comprend pas pourquoi l’enfant se met à pleurer. Bah oui, son père est mort. Mais quand même, trois semaines, c’était tout récent, quoi.

Donc il y a ce décalage-là, en fait. Il y a la connaissance théorique, mais pour faire le lien avec la pratique, il faut encore ramer.

Clémentine Sarlat : Et ça renvoit toujours à cette impuissance qu’on a face à l’enfant, où on voudrait accélérer pour le soulager et faire en sorte qu’il n’y ait plus cette souffrance et lui enlever. Faire comme si ça n’existait pas avec des œillères, c’est plus facile?

Hélène Romano : C’est plus facile à court terme, mais à long terme l’enfant va nous en vouloir. C’est plus facile à court terme parce que ça nous protège aussi nous. C’est-à-dire quand notre enfant souffre, il y a quelque chose qui nous réactive nous-mêmes dans notre propre souffrance, dans l’enfant qu’on a été, dans les parents qu’on a eus ou qu’on n’a pas eus, parce que des fois les parents ce n’est pas forcément simple, et du coup on n’est pas forcément disponible pour l’enfant.

Clémentine Sarlat : Alors concrètement, vous dites que c’est un art de consoler. Ça se manifeste comment? Qu’est-ce qu’une consolation réussie? Vous dites qu’il n’y a pas de mode d’emploi, donc qu’est-ce qu’on peut retenir en tout cas?

Hélène Romano : Alors en quelques mots, c’est d’être là avec son enfant, d’être avec lui. Que ce soit notre enfant, que ce soit un enfant dont on s’occupe en tant que professionnel, d’être avec lui. Alors oui, je dis que c’est l’art de l’infini délicatesse, Pourquoi un art? Parce qu’à chaque fois il faut s’ajuster. Vous avez votre enfant qui a une peine d’amour parce que son petit copain, sa petite chérie sont amoureux et puis sont amoureux. Le lundi, vous le prenez dans vos bras, ça réconforte. Le même enfant, le même sujet, le mardi, vous le prenez dans vos bras, il vous jette. C’est violent quand même pour les parents. Donc ça nécessite en permanence de… C’est pour ça que je dis que c’est de l’art : ce qui fonctionne bien avec l’un, ne fonctionnera pas avec l’autre. Ce qui fonctionne avec l’un le lundi, le mardi, ça ne fonctionnera plus.

Donc à chaque fois, il faut essayer d’aller avec l’enfant en disant voilà, je vois que tu es triste ou j’ai l’impression que tu es triste. Est-ce que tu accepterais d’en parler? Est-ce que tu voudrais en parler? Ou je suis là? Est-ce que je peux te faire un câlin? Ne pas forcer l’enfant à faire un câlin. Parce que consolé, souvent les adultes pensent qu’il suffit de prendre dans les bras, de faire des bisous, des câlins… Il y a plein d’enfants qui n’aiment pas les bisous, les câlins. Et il y a plein d’enfants qui vont être rassurés, d’autres pas. Donc quand on ne sait pas, l’art du consolateur, entre guillemets, c’est de se remettre en cause. Et de se dire qu’à chaque fois, c’est une nouvelle aventure. Mais c’est être avec. S’il y a un mot, c’est être avec l’enfant.

Clémentine Sarlat : Et c’est se mettre à sa hauteur, vous le dites beaucoup.

Hélène Romano : S’ajuster, oui. C’est-à-dire que dans notre système occidental, et surtout français, on est dans une position très verticale de l’autorité. Alors je ne remets pas en cause l’autorité sur l’aspect juridique, éducatif, etc. C’est important d’avoir une autorité, de poser un cadre. Mais face à un enfant qui souffre, si je n’essaie pas de me mettre à son niveau, je vais le laisser avec sa souffrance, et moi je serai avec mes certitudes, et ça ne va pas se rencontrer. Pour s’accorder émotionnellement, l’accordage émotionnel est un terme qui avait été utilisé par un psychanalyste qui s’appelle Stern, s’accorder émotionnellement, se mettre en phase, il faut que je mette à son niveau en disant… en utilisant ce que je ressens, ce que j’explique dans le livre : “comment toi tu vas?” ou voilà, “je te vois en train de faire ci, en train de faire ça, je me dis que […]”

Clémentine Sarlat : C’est dur de consoler?

Hélène Romano : C’est dur parce que si c’est votre enfant, ça vous renvoie au fait qu’il souffre, qu’il a mal, qu’il est blessé, des fois qu’il a… Peut-être qu’il va mourir. Certaines fois, quand on a des enfants très malades et on est dans un état d’impuissance incroyable certaines fois. Entre autres par rapport à la mort, par rapport à la maladie, par rapport à des situations comme ça où un enfant qui a été endeuillé, qui a perdu son parent… consoler un enfant endeuillé, vous n’allez pas faire revenir son parent, donc c’est extrêmement douloureux en tant que parent, en tant que professionnel, de consoler. Mais je pense qu’il faut le faire. Éthiquement, c’est vraiment un devoir qu’on a vis-à-vis des enfants pour ne pas les abandonner à leur détresse. Ce n’est pas miraculeux, on n’est pas dans la toute-puissance. Un enfant orphelin, le consoler, ce n’est pas faire revenir son parent, malheureusement ce n’est pas possible. Mais c’est l’aider à mettre en mots ce qu’il peut ressentir, à avoir un espace pour libérer ses émotions, et à s’autoriser à dire si ça va ou si ça ne va pas.

Clémentine Sarlat : Comment on fait dans les situations où le parent aussi, par exemple, a vécu la même catastrophe? (vous en donnez beaucoup des exemples comme ça) Et donc est incapable de pouvoir prendre ce rôle de protecteur et d’accueillir les émotions? Il faut une tierce personne? Comment est-ce que l’enfant est capable d’accepter que ce soit pas son parent qui le console?

Hélène Romano : Alors ça dépendra de l’âge de l’enfant et ça dépend du contexte. Mais c’est très important ce que vous venez de dire parce que dans les situations où il y a… si on prend un deuil par exemple, un parent qui perd son conjoint, s’occuper de son enfant c’est pas que c’est pas possible, humainement il va le faire, mais psychiquement il n’est pas disponible, c’est-à-dire qu’il a pour sa propre peine, son chagrin, toutes les démarches administratives, tout ça c’est juste insupportable, et s’occuper de son enfant c’est pas si simple. Donc faire un relais avec d’autres c’est important. C’est important que les parents comprennent qu’on ne peut pas être disponible psychiquement h24, 365 jours par an. Ça c’est impossible. Et puis les parents ce sont des machines.

Donc on est aussi avec nos histoires, avec nos traumas, avec nos fractures de vie, avec les choses qui peuvent être difficiles, avec toutes ces choses-là. Et l’importance pour notre enfant c’est de savoir que son parent est là. Et si en tant qu’adulte on accepte et on accède à l’idée que je peux pas être performant à 100%, je peux pas être au top de ma parentalité h24. J’ai aussi le droit d’avoir des failles, j’ai aussi le droit d’être épuisé, d’être fatigué et j’ai des relais. Ça c’est important, sans se sentir défaillant. Et l’énorme problème actuellement, c’est aussi peut-être pour ça que c’est compliqué de consoler, c’est qu’il y a une très forte pression sociale sur les parents. Beaucoup d’attentes, beaucoup d’exigences.

On entend des relents de sanctions éducatives si les parents ne font pas un enfant parfait, qui obéit bien, qui va bien à l’école, qui fait bien ci, bien ça. Il y a des critères éducatifs importants, il y a des repères éducatifs. Mais il y a des parents qui sont en difficulté, et si ces parents-là se sentent jugés, parce qu’à ce moment-là ils ont trop de chagrin, parce qu’à ce moment-là ils sont malades. Moi j’accompagne des mamans qui sont solo, qui ont un cancer, autant vous dire qu’entre deux jumeaux elles ne sont pas dispo h24 pour leur enfant. Mais elles n’osent pas forcément aller demander de l’aide parce qu’elles ont peur que ça soit signalé judiciairement, elles ont peur de paraître pour un parent qui n’est pas à la hauteur.

Donc la blessure parentale que la société peut mettre sur des parents qui ne sont pas disponibles, elle peut être violente. Donc accompagner les parents c’est aussi ça, c’est leur permettre d’avoir la possibilité de reconnaître que c’est pas tous les jours facile et d’avoir, d’être encadré, alors encadré de façon positive j’entends, protectrice, ça peut être par des proches. Sauf qu’on est dans un contexte sociétal où les familles elles se morcellent et les proches ne sont pas toujours là, mais ou par des associations, par des professionnels, s’autoriser à ne pas être tout seul, ça c’est fondamental.

Clémentine Sarlat : Et vous le dites, ça dépend de l’âge. Ça veut dire quoi?

Hélène Romano : Oui, ça dépend de l’âge parce qu’un bébé, il souffre bien évidemment qu’un parent aille mal et que son parent ne soit pas disponible. Il ne va pas avoir les mêmes maux qu’un plus grand. Si par exemple, on le prend en charge à l’hôpital ou en pouponnière par rapport à un parent qui irait mal, il ne sera pas en capacité de nous dire de la même façon qu’un plus grand : “je veux pas toi ou laisse moi ou je t’aime pas”. Des fois l’enfant dit “je t’aime plus”, “je t’aime pas”. Alors que quand il est plus grand, un ado il sera plus en capacité de le dire. Donc c’est plus dans la façon d’intervenir : le tout petit n’aura pas forcément les mêmes modes d’expression pour dire qu’il n’est pas d’accord.

Clémentine Sarlat : Vous donnez beaucoup d’exemples, dans ce livre, d’enfants que vous avez accompagnés, vous avez géré des cellules d’accueil d’enfants qui revenaient de catastrophes. Et vous parlez notamment, ça m’a marqué, des enfants adoptés en Haïti après le séisme que vous avez accueillis avec des équipes à Orly. Vous racontez que la prise en charge était très particulière pour ces enfants qui ne parlent pas notre langue, qui sont dans un contexte où il fait froid, enfin tout est différent. Qu’est-ce qui a fait la différence dans votre prise en charge? Qu’est-ce qu’on met en place avec des enfants dans ces cas-là qui sont traumatiques?

Hélène Romano : Alors c’est un dispositif, moi, qui m’a beaucoup marqué sur mes 30 ans de pratique. Parce qu’il y avait des chocs culturels, il y avait beaucoup de pression politique par rapport à ce qui était mis en place. Il y avait des chocs de compréhension, c’est-à-dire que les réunions au ministère avec les responsables institutionnels sur le dispositif d’urgence, il y avait des adultes qui arrivaient, il y avait des enfants, moi j’étais responsable du dispositif des enfants sur le Val-de-Marne, Thierry Baubet sur le 93. On avait des besoins particuliers. La plupart avaient moins de 3 ans. Donc on savait qu’ils avaient moins de 3 ans, certains venaient de crèches (là-bas on appelle ça des crèches) où il y avait eu des morts, d’autres des crèches où il n’y avait pas eu du tout destruction, des niveaux d’exposition très différents.

Et nous, avec Thierry Baubet, on a bien notion de ce qu’est le trauma chez l’enfant, chez le petit, donc on avait demandé aux responsables institutionnels des moyens matériels. Puisque l’accueil se faisait à l’aéroport, que pour des raisons administratives, tant que l’avion n’était pas posé, les papiers ne pouvaient pas se faire, et que la plupart des parents adoptifs ne connaissaient pas leur enfant. Puisque du fait du tremblement de tête, ils n’avaient pas le temps d’aller en Haïti, faire connaissance, prendre le temps. Et au ministère, il y avait eu ces discussions, mais qui étaient lunaires, où pour les responsables, les enfants allaient arriver, on allait attendre et puis les donner comme un paquet, comme une valise, un dépôt, comme ça, à la sortie de l’aéroport.

Et on a essayé d’expliquer que ce n’était pas possible, qu’il fallait un temps, déjà pour faire le point avec les parents adoptifs, eux, sur leur représentation, leur donner des éléments très simples : comment rassurer, comment réconforter, comment consoler cet enfant qui allait devenir leur. Mais les liens n’existaient pas, donc ils ne connaissaient pas cet enfant. Certains avaient juste une photo, des fois la photo ne correspondait pas à l’enfant. Il y a des parents qui avaient adopté un enfant de 4 ans et puis au final on avait un bébé de 3 ans. Des situations extrêmement violentes. Donc il y avait ce décalage au niveau des politiques. Avec cette idée, c’est des bébés, c’est des enfants, ça sert à rien, on va perdre du temps, perdre de l’argent, perdre des moyens, et hop, vite vite, dès qu’ils sont arrivés, on les donne aux parents et basta.

Et on a dû, mais vraiment, batailler très fortement pour expliquer que les premiers liens d’attachement, les embryons de liens d’attachement, ne pouvaient se faire à l’aéroport, devaient se faire à l’aéroport, et que c’était pas en donnant un enfant comme ça à des parents, qu’on allait arriver à éviter des souffrances mutuelles, parce que les parents arrivaient débordants d’amour, mais l’amour avec un enfant traumatisé ça suffit pas. Les enfants ils parlaient pas la langue, on était blanc, ils étaient noirs, on parlait pas créole, il neigeait en plus en effet. Et c’était extrêmement compliqué. Donc il y a eu ce choc entre la compréhension, la représentation de ce qu’un enfant exposé à un traumatisme peut avoir comme symptôme de la part des politiques et nous, qui posait déjà un problème. Les parents adoptifs avec les enfants aussi, ça posait un autre décalage.

Et on avait les sauveteurs qui intervenaient en Haïti, d’autres qui intervenaient à l’aéroport. On avait mis en place un système, on avait un secouriste Croix-Rouge qui a fait un travail considérable durant tout le temps où l’enfant était en espace d’attente. Les avions arrivaient vers 5h du matin et les derniers à repartir c’était 22h. Une journée complète. Et là c’était très particulier parce que la plupart des secouristes et bénévoles, les premiers temps, étaient volontaires. Pour ce dispositif, plus celui des enfants que des adultes. Avec cette idée : c’est des bébés. C’est gratifiant un bébé. Un bébé, on va le prendre dans les bras, on va le consoler et tout. Et en fait, pas du tout. C’étaient des bébés très défensifs.

Clémentine Sarlat : Pas formés ?

Hélène Romano : Bah pas formés… être formé aux bébés traumatisés, c’est quand même compliqué. Donc, ils arrivaient avec l’idée : “je vais le prendre dans les bras, le consoler”, et ils avaient des enfants qui étaient soit complètement chamallow, soit hypertoniques, qui se défendaient, qui refusaient d’être pris dans les bras, qui griffaient ou qui étaient complètement amorphes, qui refusaient de manger. Enfin, c’était pas du tout gratifiant. Et c’est aussi ça qui était à travailler, donc c’était une expérience très particulière.

Clémentine Sarlat : Et vous expliquez dans le livre que vous avez fait quelque chose d’important, que vous êtes mis avec, vous êtes mis à leur hauteur et vous leur avez parlé et que beaucoup de gens ne comprennent pas ça, mais parler à un enfant de ce qui se passe, même s’il comprend pas, même si c’est pas sa langue, ça l’apaise.

Hélène Romano : Oui, sur les premières arrivées d’avion, on avait installé par terre (parce qu’on n’avait pas de tapis qui nous avaient été donnés) avec la croix rouge des doudounes, des vestes pour faire un espèce de truc un petit peu cocooning, et des enfants qui hurlaient, qui riaient, c’était s’asseoir et se mettre au niveau visuel de ces enfants, ou se mettre allongé s’ils s’allongeaient, et parler, expliquer ce qu’on faisait. Alors bien évidemment ils comprenaient pas comme nous, déjà ils comprenaient pas langue, mais le fait d’être dans l’interaction langagière, de regarder l’enfant, il y a quelque chose qui se mettait en place dans le non-verbal, d’un lien, qui se restauraient quelque part. Et ça c’était vraiment fondamental et du coup ça les apaisait. Or ça surprenait beaucoup les collègues. C’est-à-dire quand on parle à des bébés, les gens vous regardent un peu bizarre en disant “un peu space”, mais c’est très important.

Clémentine Sarlat : Vous n’avez jamais eu de connaissances de ce qui s’est passé pour ces enfants après?

Hélène Romano : On a essayé de mettre en place une recherche sur le suivi. On n’a pas eu les fonds pour le faire, donc c’était compliqué. On a eu quelques retours avec les personnes qu’on suivait. Qui ont sollicité des consultations. Vous avez des lieux qui s’appellent des COCA, qui sont des lieux de consultation dédiés pour l’adoption en général. Les parents qui sollicitent sont les parents qui vont le moins mal. Moi j’ai eu des retours par des collègues de l’aide sociale à l’enfance, d’enfants qui avaient été confiés à nouveau à l’aide sociale à l’enfance, c’est-à-dire abandonnés, parce que l’adoption avait été trop compliquée. Donc on n’a pas de chiffres, on n’a pas pu faire d’études – on a voulu, mais on n’a pas eu les moyens qui nous ont été attribués pour ça.

Clémentine Sarlat : Si on pense à l’art de consoler, qu’est-ce qu’il ne faut pas faire?

Hélène Romano : Se précipiter et abandonner. Abandonner l’enfant, ça veut dire le laisser à sa détresse, ne rien lui dire. Et ça c’est terrible parce que l’enfant, il va survivre la plupart du temps, mais en développant des réactions qui peuvent être extrêmement difficiles pour son développement et créer des troubles après dans le développement, dans les interactions, voire des troubles de la personnalité. Ça peut vraiment hypothéquer son développement. Donc ne pas intervenir, ça c’est vraiment à éviter. Et à l’inverse, c’est vraiment le curseur, il faut trouver vraiment le juste équilibre. C’est pour ça que je dis que c’est l’art de consoler, se précipiter et asphyxier son enfant, par exemple, le prendre dans les bras, alors bien évidemment, j’insiste, si l’enfant se blesse, il faut des fois le prendre et éviter qu’il se blesse à nouveau, mais la précipitation, en forçant l’enfant à parler, en forçant à le prendre dans les bras, à le consoler alors qu’il n’a pas du tout envie, ce n’est pas non plus ce qu’il y a de plus opérant.

Clémentine Sarlat : Vous parlez beaucoup d’ailleurs dans le livre de cette notion du temps, dans notre société qui va toujours plus vite, qui a beaucoup changé ces dernières décennies. En quoi ça impacte la consolation?

Hélène Romano : Le temps c’est important, parce qu’un enfant déjà il grandit, et que le temps ça passe vite. Et en même temps le temps c’est un allié dans la prise en charge. Certaines fois, on a été complètement à côté de la plaque en tant que parent, au moment où notre enfant allait mal, soit parce qu’on n’a pas vu, parce qu’on n’a pas pu s’en occuper, c’est important de le dire encore une fois, sans que ça culpabilise les gens : ça peut arriver. On peut le reprendre plus tard. Je pense à une patiente qui a 40 ans, qui a perdu son père, elle avait 8 ans, et donc le temps il a passé. Et aujourd’hui, elle est maman. Il y a plein de choses qui se réactivent du deuil de son papa qui était décédé de maladie.

Et elle a eu besoin de reparler avec sa mère, des souvenirs qu’elle avait elle, de comment avait été fait l’annonce, comment elle avait été, pour elle, exclue des rituels de deuil, etc. Et sa mère a été complètement, au moment où elle l’a sollicité, débordée d’émotions, ne comprenant pas pourquoi plus de 30 ans après elle venait lui rappeler ça, c’était douloureux. Et on a fait une consultation à trois où chacune a pu faire part de sa propre souffrance et l’idée c’est : voilà, on défait la pelote là du gros nœud et on essaye de retisser ensemble. Et le fait que l’une et l’autre puissent se parler, s’entendre, respecter leur douleur et bah plus de 32 ans après, il y a eu quelque chose qui avait été vraiment mise en souffrance au moment du décès du papa, qui a pu être consolé, restauré. Une sorte de lien de confiance qui s’est retricoté, qui s’est raccommodé.

Donc le temps est important. Si à t0, du moment de la consolation, le parent ne peut pas, ou ne veut pas consoler, ça peut être aussi le cas, il y a toujours un temps qui est encore possible, même longtemps après. Et on le voit certaines fois sur des situations familiales compliquées, difficiles, ou les parents très très âgés, qui savent qu’ils vont mourir, parlent à leurs enfants (qui, des fois, pas non plus très jeunes) et demandent pardon, par exemple, sur des situations d’inceste, de maltraitance. Et ça, ça console. Donc il est toujours temps.

Clémentine Sarlat : Il n’est jamais trop tard, c’est hyper important.

Hélène Romano : Jamais trop tard, jamais trop tard.

Clémentine Sarlat : C’est hyper important pour les parents de savoir ça.

Hélène Romano : Oui, parce qu’il y a eu – il y a encore certaines fois – des ouvrages, des articles qui disent “tout est joué avant six ans, tout est machin”. Genre après c’est trop tard. Mais l’expérience des prises en charge thérapeutiques des personnes blessées psychiquement permet de savoir qu’il y a toujours un temps où on peut reprendre. On peut reprendre le raccommodage, mais il faut s’autoriser à le faire. Il faut s’autoriser à écouter son enfant même si c’est un adulte, écouter aussi l’enfant qui est en nous (parce que c’est souvent lui qui est réactivé par tout ça) pour pouvoir se consoler et consoler. C’est vraiment un processus la consolation.

Clémentine Sarlat : Les enfants parfois se sentent coupables d’avoir déclenché un malheur ou c’est très souvent que, par exemple, un enfant qui a un petit frère, une petite sœur, et il y a une mort subite, vous en parlez dans le livre, va se dire “c’est de ma faute parce que je voulais plus de frères et sœurs parce qu’il m’embêtait et ce bébé est mort”. Comment on détecte cette culpabilité qui les ronge et dont ils ne parlent pas et comment on les aide à sortir de ça?

Hélène Romano : Alors déjà en reconnaissant qu’elle existe. Ce qui n’est pas simple, mais ce qui est une réalité. Très rapidement, pour l’expliquer, le petit enfant préverbal (avant 3 ans), il vit dans un monde où lui et maman, ou la personne, la figure d’attachement principale (souvent maman ou l’équivalent, ça peut être papa bien évidemment) ne font qu’un. Et il est dans une toti puissance, une toute puissance de la pensée. Si les choses arrivent, c’est parce que je les ai imaginées, etc. Donc “je voudrais que le bébé aille à la poubelle, soit rendu, soit…” toutes les choses qu’on peut entendre, c’est dans ma représentation. Mais si ça arrive, comme je l’ai pensé, c’est à cause de moi. Je voudrais prendre la place de papa pour être l’amoureux de maman.

Si papa et maman se séparent à ce moment-là, patatras, c’est parce que je peux me dire que c’est parce que je voulais prendre la place de papa ou de maman et je suis responsable. Donc c’est très important de savoir que les enfants théorisent beaucoup avec cette théorie de la culpabilité par rapport aux choses qui arrivent. Ils se sentent responsables. Donc dire à l’enfant, et on a raison souvent, “c’est pas de ta faute”, c’est très fort. “C’est pas de ta faute”, oui, mais l’enfant, il pense que c’est de sa faute. Donc si je dis “c’est pas de ta faute”, il n’y a pas de communication possible. Donc pour consoler, se mettre à niveau, par exemple, c’est pouvoir demander à l’enfant qu’est-ce qu’il pense.

Est-ce qu’il pense des choses par rapport à la mort du petit frère, de la petite soeur ou de la séparation ou des déménagements – parce qu’il y a des situations qui sont beaucoup moins dramatiques. De voir si l’enfant peut en dire quelque chose. Et s’il n’en dit rien, le parent, sachant que les enfants très jeunes théorisent sur la culpabilité, peut, en restaurant un sentiment d’appartenance, en parler avec une technique assez simple, de lui dire “mais tu sais, moi ce que je sais des enfants de ton âge, de 3 ans, de 4 ans, (ou de 7, 8 ans s’ils sont plus grands), c’est que certaines fois ils pensent que c’est à cause d’eux”.

Et là vous regardez bien votre enfant, parce que souvent il va opiner du chef, et il ne s’agit pas forcément d’attendre que l’enfant dise “oui c’est à cause de moi”, mais de lui faire cette proposition là, moi ce que je sais c’est que souvent les enfants pensent que c’est à cause d’eux. Et dans la situation, si on prend le décès d’un petit frère, une petite sœur, il est décédé parce qu’il avait une maladie, il est décédé parce qu’il y a eu un accident, il est décédé… Ça n’est en rien de ta faute. Mais je ne dénie pas ce que tu peux penser. C’est très important, c’est ça le tissage. Si je dis à l’enfant c’est pas de ta faute, je vais pas l’aider.

Si l’enfant me dit “c’est de ma faute” et je lui dis “attend, ce que tu dis c’est important”, ça vous laisse deux secondes pour réfléchir. Et si c’est important ce que je dis, tu es important. Donc je crée le lien de confiance avec l’enfant. Je sais qu’il y a d’autres enfants qui pensent ça, donc je restaure un sentiment d’appartenance, et ça c’est le deuxième étage du millefeuille. On réassure l’enfant sur sa pensée, on le réassure sur le fait qu’on peut être là pour autant. “Pour moi c’est pas de ta faute”, mais le “moi” est très important et j’en parle dans le livre. Le “moi”, le “je”, crée une intersubjectivité, ça recrée l’espace. “Pour moi c’est pas de ta faute, mais quand tu me dis ça c’est très important.”

“Est-ce que tu pourrais m’expliquer, que je comprenne qu’est-ce qui t’amène à penser que c’est de ta faute?” C’est ça, s’ajuster à l’enfant, c’est ça. C’est pas le laisser seul, c’est pas l’asphyxier de questions “parle-moi, parle-moi, parle-moi”. C’est de co-construire avec lui une mise en sens de ce qu’il a vécu.

Clémentine Sarlat : C’est-à-dire que ça part d’une bonne intention de dire “c’est pas de ta faute”…

Hélène Romano : Bien sûr !

Clémentine Sarlat : … mais ça oublie une partie de reconnaître la souffrance ou l’inquiétude qui peut les traverser.

Hélène Romano : Oui bien sûr, ça se comprend, c’est très défensif. “C’est pas de ta faute”, “ça va aller”, “tout va bien”. C’est toutes les phrases que l’on dit quand on est en urgence, ça court-circuit les choses. “C’est pas de ta faute”, bah il n’y a plus à discuter. “Je pense que c’est pas de ta faute”, c’est pas pareil. Parce que l’enfant peut se dire “tiens, c’est toi qui penses ça. Mais moi c’est pas ce que je pense”. Autrement dit, je ne dénie pas ce que peut penser l’enfant. C’est des petits mots, ça paraît rien. Mais ces petits riens permettent de restaurer un lien de confiance ou au contraire de le mettre à mal.

Clémentine Sarlat : Et par exemple pour des enfants moins de 3 ans, entre 0 et 3 ans, qui n’ont pas la capacité d’exprimer ce qu’ils ressentent, on peut juste raconter ce qui s’est passé et dire que peut-être ils peuvent sentir couplables ou… Vu qu’il n’y aura pas ce questionnement, “qu’est-ce que toi tu penses?”

Hélène Romano : Oui, alors pour les petits – pour avoir fait une étude sur les bébés endeuillés, ce qui est la seule étude qui a été faite sur le sujet – dans l’accompagnement des bébés qui avaient perdu leur papa, soit pendant la grossesse, soit au décours de la grossesse, jusqu’à un an, l’accompagnement des mamans avec le bébé, permettait de constater qu’à partir du moment où la maman arrivait à parler à son bébé, à expliquer qu’elle était triste parce que papa était mort et qu’il avait eu un accident, etc. : elle l’expliquait. Elle redevenait disponible dans le portage de son bébé, dans le regard qu’elle lui portait, parce qu’il n’y avait pas le secret, pas le mensonge.

Et au fur et à mesure de sa vie, l’enfant grandit, et souvent l’école est un temps particulier parce que c’est le temps de la vie sociale, c’est le temps où à l’école il y a des papas, il y a des mamans, et l’enfant perçoit qu’il manque quelqu’un. Et sa différence. Et à ce moment-là, il peut théoriser, il peut se demander. Mais si ça a été parlé depuis le départ, si c’est pas un tabou, si c’est pas un secret, c’est plus facile pour l’enfant, à ce moment-là, d’exprimer ou de poser des questions. Mais on voit encore que le parent doit être disponible. La maman qui a été endeuillée il y a trois ans, quand son enfant rentre à l’école maternelle, elle n’a pas forcément envie parce qu’elle a pu refaire sa vie, parce qu’elle a avancé autrement sur son travail de deuil. C’est compliqué d’avoir son enfant qui vous remet dedans et qui vous replonge dans cette situation de la mort de son papa, mais c’est important.

Clémentine Sarlat : Et est-ce que c’est à nous de le faire de manière régulière ou est-ce que c’est quand l’enfant le demande?

Hélène Romano : Alors l’enfant, il ne va pas facilement demander. Donc si on attend que l’enfant demande, on risque d’attendre longtemps. Mais il y a des enfants qui vont dire que ça ne va pas. Mais globalement, ils ne le disent pas trop. Ou ça se manifeste autrement, par des comportements, des choses comme ça, où il peut être très pénible, ou au contraire, complètement absent et nous inquiéter. Dans l’idéal de l’idéal (mais ça c’est l’idéal) ça serait important – alors, si on a un petit tous les jours, ou toutes les semaines s’ils sont un peu plus grands, il y a des parents qui le font – de prendre un temps, souvent au moment de se coucher ou le week-end, de faire un petit peu la météo des émotions, un petit peu un feedback sur la journée, sur la semaine.

Alors je dis la journée pour les tout-petits, quand ils sont plus grands ça peut être la semaine. C’est-à-dire que l’enfant comprenne qu’il y a un temps, avec papa, avec maman, ou avec la maîtresse – il y a des maîtresses qui le font, ou des instituteurs – où on peut parler de ce qu’on ressent. On a le droit de parler de ses émotions. Ce n’est pas tabou. Donc si je suis triste, je peux en parler. Donc ces temps-là, quand on les instaure au quotidien dans les familles (et il y a des parents qui le font, alors sous différentes formes, des fois c’est les débats à table) il y a un espace pour parler, ou des temps individuels. Ça rentre dans les habitudes, donc l’enfant, plus facilement, pourra s’exprimer. Quand il n’y a pas ces espaces là, c’est plus compliqué.

Clémentine Sarlat : Mais c’est un travail au quotidien qui n’est pas simple, parce que comme vous le dites depuis le début, il faut que le parent soit au clair avec sa souffrance à lui s’il en a, pour pouvoir être ce porte-avions et cette figure d’attachement sécure qui est très importante. Ce n’est pas simple.

Hélène Romano : Ce n’est pas simple, mais être parent, c’est une merveilleuse aventure. Si c’était simple, on ne va décourager personne, il y a des moments magnifiques, merveilleux. Il y a des moments plus compliqués. Non, c’est pas simple. Et c’est aussi ça l’art d’être parent, c’est qu’on doit à chaque fois se réinventer et qu’on co-construit avec son enfant. Je pense que c’est vraiment important d’être dans cette dynamique presque éthique de la parentalité, de co-construire ensemble. Ce qui fonctionne avec un enfant, le deuxième c’est pas pareil, faut réinventer. Le troisième, faut réinventer. On voit des parents qui ont 7-8 enfants. Pour les 7-8, c’est différent. Chaque fois, on se réinvente. On n’est pas les mêmes parents avec eux. Quand on leur dit « je t’aime pareil », c’est pas tout à fait juste, on les aime différemment. L’amour est différent.

Clémentine Sarlat : Quand j’ai reçu votre livre, je me suis dit « c’est marrant d’écrire un livre sur consoler, c’est facile de consoler ». Puis après, je me suis dit « pas du tout ». J’ai commencé à lire, je me suis dit « mais pourquoi j’ai automatiquement eu cette question, cette pensée? » et c’est ce que vous dites parce qu’on a souvent cette sensation qu’il suffit de prendre dans les bras et que ça va marcher. Il y a des enfants avec qui c’est vrai, le contact physique est hyper apaisant et qui sont en demande de ça et pour qui c’est beaucoup plus intuitif et naturel. Mais le challenge c’est pour ceux qui sont, comme vous dites, qui ne montrent pas de signes extérieurs ou où il faut aller détricoter, aller chercher, s’interroger. Pour ces enfants là ça peut prendre des fois plusieurs mois, années avant d’arriver à comprendre ?

Hélène Romano : Tout va dépendre de la situation et du contexte dans lequel la consolation s’inscrit, et c’est pour ça que c’est à chaque fois différent. Mais si on prend par exemple des parents : un enfant, il connaît ses parents, il nous connaît. S’il souffre, il sait que papa, maman – ou papa, papa ; maman, maman – va consoler différemment. Il sait que ce n’est pas la même chose. Assez rapidement, un 18 mois, deux ans, il arrive très bien à percevoir que papa ça sera plutôt ça, maman plutôt ça. Et il ne s’agit pas que papa se cale sur maman, si papa d’habitude c’est en parlant, c’est en… Pas forcément en prenant dans les bras, mais en parlant avec son enfant, sans forcément être dans le câlin, il ne s’agit pas de se mettre à câliner l’enfant si on ne le sent pas.

Donc chacun doit connaître son propre code, sa manière d’être à l’aise avec son enfant, c’est pour ça que quand on est dans les représentations de la consolation, on prend dans les bras, oui très souvent ça peut être aidant, mais pas pour tous les adultes, il y a même des mamans qui n’y arrivent pas, parce que pour elles c’est trop compliqué de prendre les bras à son enfant, ça réactive trop de choses, mais on peut consoler en étant à côté de son enfant. On peut consoler en mettant par exemple la main comme ça, sur la main de son enfant, la prenant, avec un toucher très calme, très posé, vraiment par petite touche. Des fois c’est juste ça. Ça paraît rien. Des fois c’est s’asseoir à côté de lui, des fois… Donc il faut réinventer à chaque fois.

Clémentine Sarlat : C’est ce qu’on disait. Les parents, je crois qu’on est les maîtres et maîtresses de l’ajustement. On est des caméléons.

Hélène Romano : Tout à fait, c’est ça. C’est des caméléons, c’est des architectes de la vie quotidienne de nos enfants et à chaque fois, il faut réinventer.

Clémentine Sarlat : Alors c’est vrai que c’est un thème que vous avez abordé et vous l’avez dit plusieurs fois, le deuil d’un enfant, ça a été longtemps en impensée quand même, on s’est souvent focalisé sur le parent. Quand il y a des deuils par exemple aussi entre frères et sœurs ou avec des figures d’attachement très importantes de la vie d’un enfant, qu’est-ce qui est le plus important à faire pour ces enfants-là?

Hélène Romano : Ne pas les laisser seuls face à leur chagrin, ce qui est très compliqué. Plus il est petit, plus on aura tendance à ne pas faire attention à lui parce qu’on est pris, s’il y a un deuil dans une famille, on est pris dans un tas de priorités, les démarches administratives c’est extrêmement pesant, il y a son propre chagrin, sa propre peine. Donc le bébé ou le petit qui joue, il nous rassure et on ne va pas forcément faire attention mais il va rester seul par rapport à son chagrin. Pas l’exclure. Pensant bien faire, on ne va pas forcément le faire participer aux obsèques. Alors je ne dis pas qu’il faut, si à chaque fois c’est ajusté, qu’il participe, qu’il y aille.

Mais un bébé, un enfant de 2-3 ans, s’il perd une fratrie ou un parent, Quand il aura 14-15 ans, à tous les coups, il fera un reproche, parce qu’il aura besoin de restaurer ses liens, se rassurer sur les liens, sur le fait qu’il n’ait pas pu assister aux obsèques. Et c’est violent pour le parent qui pensait avoir bien fait. Donc il peut être représenté. Et ne pas le laisser seul, c’est ça. C’est l’inscrire dans la continuité de son groupe d’appartenance, et pas l’isoler. Parce qu’il est petit, parce que c’est qu’un enfant, parce que ci, parce que ça. D’être représenté, c’est important. Au moment de la pandémie, il y a beaucoup de familles qui ne pouvaient pas accompagner leurs défunts et des enfants n’ont pas pu participer aux obsèques des parents décédés. C’était extrêmement violent.

Moi, j’ai accompagné plusieurs enfants endeuillés au moment du Covid et dans ces contextes très légiférés d’accompagnement aux obsèques, mais ils étaient représentés du coup. C’est-à-dire qu’il y avait un parent qui était là pour le représenter. Donc pas l’isoler…

Clémentine Sarlat : Il y avait une symbolique.

Hélène Romano : … Il y avait une symbolique. Pas l’isoler, pas l’exclure, ça c’est vraiment fondamental. Et puis comprendre aussi que ça change toute la dynamique d’une famille. Et éviter, je dis éviter parce que c’est facile à dire, quand on est pris dedans c’est autre chose. Quand on a par exemple dans une fratrie un enfant qui décède, ça change le rang dans la fratrie. Et d’éviter de faire porter à l’enfant une charge qu’il n’a pas à avoir et qu’on entend beaucoup : “voilà, tu vas faire ça comme ton grand frère, si le grand frère est décédé”, ou “maintenant c’est toi l’aîné”.

Donc l’enfant vit par substitution, vit par procuration, vit à la place de, ou on lui met une chape d’exigence “maintenant c’est toi le chef de famille”, “maintenant si ton père était là” ou… Non, l’enfant il a besoin de construire sa vie et pas sans arrêt avoir au-dessus de la tête l’impression qu’il est surveillé.

Clémentine Sarlat : Il y a un concept dont on parle beaucoup aujourd’hui, je crois que vous utilisez un autre mot, mais moi je parle de “parentification”. C’est un autre mot que vous utilisez dans le livre, non?

Hélène Romano : J’utilise celui-là, le fait d’être “adultomorphe” aussi, c’est-à-dire de ne plus être à sa place d’enfant, mais avec des exigences d’adulte alors qu’on n’a pas du tout l’âge de ça.

Clémentine Sarlat : Et donc dans ces contextes-là, parfois on demande à l’enfant de consoler le parent.

Hélène Romano : Oui, tout à fait.

Clémentine Sarlat : Le parent va venir et dire “mais tu peux pas faire ça, tu te rends bien compte comment ça me fait de la peine, comment c’est dur pour moi, tu vois pas que je souffre”. Qu’est-ce qu’on peut faire dans ces moments-là? À quoi il faut penser? Parce que ça a quoi comme conséquence d’inverser la relation?

Hélène Romano : Alors juste avant les conséquences, pour les parents qui nous écoutent, c’est inévitable à certains moments d’avoir un épuisement psychique qui fait qu’on va dire ça à notre enfant. C’est vraiment à éviter. Mais si vous l’avez dit, on le reprend. Temporalité, on reprend. Pourquoi c’est à éviter? Parce que ça inverse les rôles. Notre enfant n’est pas là pour nous consoler, nous, adultes. Mais on le voit dans les situations de violences conjugales, dans les situations deuil, on a des enfants qui vont apporter le mouchoir à leur maman, faire un câlin à leur maman. Le parent n’a pas à être consolé par son enfant. Donc certaines fois l’enfant le fait, il s’agit pas de jeter l’enfant s’il vient vous faire un câlin bien évidemment, mais d’éviter ces injonctions “t’es pas gentil avec moi, tu me fais de la peine”.

Non, l’enfant n’est pas un objet de gratification du parent, et ça c’est pas simple dans notre société où on a de moins en moins d’enfants, où il y a de plus en plus d’exigences sur les parents et sur les enfants. Et comme on en a moins, il faut qu’il soit à peu près parfait, à peu près gratifiant, et surtout que ça file droit. Donc l’enfant, il est aussi marqué par cette injonction sociale sur les parents, et l’accompagnement dans ces situations-là, c’est de permettre aux parents, s’ils le savent l’avance, que de dire ça, ça va mettre à mal son lien sécure avec son enfant. Si on pouvait donner ces petits éléments de guidance parental, ce qui fait que quand on a envie de le dire, on se dit “popopop, pas bon, on va éviter de dire ça”.

Et essayer de reformuler en disant “merci, c’est gentil, mais c’est pas à toi de me consoler”. L’enfant il vient et vous fait un câlin : “maman t’as du chagrin”, ou “papa, je te donne des kleenex et tout, t’es trop triste”. Le parent peut prendre son enfant si l’enfant se met dans les bras, il s’agit pas de le jeter encore une fois (et lui dire qu’on est touché, que c’est très gentil) mais à ce moment là se repositionner en disant, imaginons, “Benjamin, c’était trop mignon, mais c’est pas toi de consoler maman. Maman elle est triste parce que papy est mort, papa est mort, parce que je suis fatigué, mais c’est pas de ta faute. Et c’est à moi d’être là pour toi”. Mais on peut pleurer c’est pas dramatique, ça permet de libérer l’émotion, mais de pouvoir se repositionner à sa place de parent.

C’est-à-dire que si l’enfant prend notre place quelque part à un moment donné, lui dire “hop hop hop, Je comprends, c’est super gentil, mais c’est à moi de le faire, c’est pas à toi”. Mais c’est compliqué dans les cas, par exemple deuil où on a un parent qui décède, on a des fratries certaines fois qui vont se retrouver à 12 ans responsables des plus petits, parce que le père ou la mère endeuillé.e n’est pas là, n’est plus disponible, parce qu’il a plein de démarches, parce qu’il doit travailler, enfin toutes ces choses-là. Le parent, il fait comme il peut, Et il peut le dire à son enfant “écoute, là je te demande quelque chose, j’ai bien notion que c’est pas de ton âge, mais j’ai notion que c’est pas de ton âge, mais la situation fait que”. Le reconnaître, c’est important. Et dès qu’on peut, pouvoir reprendre sa place.

Clémentine Sarlat : Oui, on peut être dans la parentification temporaire, en ayant conscience, et derrière d’autoriser l’enfant de revenir à sa place d’enfant, et de ne surtout pas le laisser dans ce rôle qui est très pratique parfois.

Hélène Romano : Qui est très pratique, et que je pense tout parent qui est en difficulté a dû l’utiliser ou l’utilisera, donc on va pas jeter la pierre sur les parents, c’est vraiment pas ça l’objectif. C’est de dire : c’est des choses qui peuvent arriver, comprendre pourquoi, et après pouvoir en rediscuter avec son enfant. En disant “écoute je t’ai demandé ça, j’ai bien notion que je te demande beaucoup en ce moment, c’est très compliqué pour tout le monde et je suis vraiment très touchée, très marquée par ce que tu fais, j’ai bien notion que je te demande plus que ce que je devrais te demander”, mais d’expliquer le contexte et que l’enfant sache, que le parent reconnaisse que c’est pas tout à fait la place qu’il devrait avoir.

Clémentine Sarlat : Si on devait retenir une chose du fait de consoler, ce serait quoi pour vous?

Hélène Romano : Être avec. Deux mots. Être avec et puis réfléchir quand même un petit peu. Parce que consoler, si je me précipite avec plein de bonne volonté pour bien faire, certaines fois je vais faire tout le contraire. Donc c’est important de s’autoriser à pas être seul, être avec l’enfant et pas être seul en tant qu’adulte parce que c’est hyper compliqué de consoler son enfant. Vous avez fait un gros câlin à votre enfant qui avait un gros chagrin, après vous êtes un peu vidé. De s’autoriser à faire des relais avec d’autres. Donc être avec et pas être seul.

Clémentine Sarlat : Et puis je tiens à dire, on a beaucoup parlé de traumas très importants, on a parlé de choses graves, que ce soit les deuils, les maltraitances, événements traumatiques, mais il y a aussi tous les petits bobos du quotidien qui ont besoin d’être consolés et qu’il ne faut pas prendre à la légère, vous le dites.

Hélène Romano : Tout à fait, c’est vraiment important de comprendre que la consolation à hauteur d’enfant, comprendre que notre enfant peut être blessé, on a parlé de choses dramatiques, mais notre enfant il peut être blessé pour des choses qui dans son monde sont des catastrophes. Son ballon d’anniversaire est crevé.

Clémentine Sarlat : Oui, on a tous eu ça.

Hélène Romano : Voilà, je pense que tous les parents qui ont eu des enfants, ça leur parlera. Catastrophe ! On se dit mais c’est pas grave, je t’en rachèterai un, on le dit souvent ça “je t’en rachèterai un et tout”. Mais non, c’est celui-là, c’est la fin du monde pour l’enfant. Donc banaliser en disant c’est pas grave je peux en racheter un parce qu’on essaye vite vite. “Je comprends que tu sois triste, comment est-ce qu’on pourrait faire?” Et avec l’enfant, on essaye de construire quelque chose. Donc c’est vraiment se mettre à niveau de l’enfant, c’est accepter que pour l’enfant, ça, ça soit quelque chose de tragique.

Alors ça peut paraît excessif de dire “vous parlez du deuil, des morts, et vous allez mettre en comparatif la perte d’un ballon”, bien évidemment il s’agit pas de hiérarchiser, mais il s’agit de comprendre que pour un enfant, la compréhension, le vécu par rapport à quelque chose de douloureux, c’est pas forcément le nôtre. Et je donne l’exemple du ballon parce que je pense qu’il parle à beaucoup de parents, mais c’est une réalité.

Clémentine Sarlat : Il n’y a pas de petits bobos?

Hélène Romano : Il n’y a pas de petits bobos, il n’y a pas de petite consolation. A chaque fois, on essaie de faire du mieux possible. Mais s’autoriser à le reconnaître, c’est important parce que c’est ça qui nous permettra de le repérer.

Clémentine Sarlat : Est-ce que vous pensez qu’il y a quelque chose dont on n’a pas parlé ou qui serait important que les parents entendent?

Hélène Romano : Accepter peut-être l’idée que quand on console son enfant, quand c’est le nôtre, c’est très fort, quand on est professionnel aussi, on se console aussi un peu nous-mêmes, inévitablement, de façon plus ou moins consciente. Donc peut-être s’autoriser… alors quand on est au top de sa forme c’est plus facile que quand on est au fond du gouffre, que c’est compliqué dans la vie, à consoler l’enfant qu’on a été. On a des fois des parcours de vie très douloureux, très difficiles, ça malheureusement ça arrive. On devient parent, c’est super, mais pour éviter ce qu’on appelle la transmission intergénérationnelle de nos propres blessures – c’est pas forcément des traumatismes dramatiques au niveau médico-légal, mais on peut avoir été blessé dans la vie – pour éviter de transmettre ça à notre enfant, c’est vraiment important de faire un travail un peu d’introspection. Je vais pas dire à tout le monde de se mettre en thérapie bien évidemment, mais d’apaiser ses propres blessures d’enfance pour pouvoir être un parent le plus ajusté possible, c’est important.

Clémentine Sarlat : Et disponible au final, pour le chagrin de son enfant.

Hélène Romano : Voilà, c’est ça.

Clémentine Sarlat : Merci beaucoup Hélène.

Hélène Romano : Merci beaucoup.

Clémentine Sarlat : C’était passionnant. J’espère que ça aura aidé quelques parents à prendre une route plus apaisée. Parce que malheureusement c’est quasi-quotidien qu’on doit consoler nos enfants au final.

Hélène Romano : Oui, c’est vraiment, pour terminé, s’autoriser à pouvoir en parler et merci pour l’invitation parce que ça paraît évident, c’est compliqué et des fois on sent très impuissant, complètement inutile et on se dit “mais qu’est-ce que je pourrais faire, c’est pas possible”. Ça arrive à chacun et on peut toujours reprendre, ça c’est vraiment fondamental.

Clémentine Sarlat : Il n’est jamais trop tard.

Hélène Romano : Jamais trop tard.

Clémentine Sarlat : C’est important. Merci Hélène.

Hélène Romano : Merci beaucoup.

 

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