Quand je suis tombée sur le nom de son livre, “Laisse pas trainer ton fils” j’ai été très intriguée.
D’abord pour la réf évidente à NTM mais aussi et surtout pour les enjeux décrits par ce livre qui remue.
Selim Derkaoui, journaliste, a mené une enquête pendant deux ans pour comprendre comment les mères célibataires, et notamment les mères issues de l’immigration, étaient stigmatisées dans notre société.

A travers ce livre, il dépeint une réalité difficile pour des mères qui font face à la double peine : celle d’élever seules leurs enfants et celle d’être vues comme des “profiteuses” d’un système qui en réalité les broie.
Selim donne des chiffres percutants, évoque l’absence des pères qui lâchent leur rôle parental et remet en place nos idées reçues véhiculées depuis des années par les médias.
Et si on arrêtait de criminaliser les mères qui élèvent seules leurs enfants ? Et si, au lieu de pointer du doigt leur prétendue responsabilité dans les “défaillances” de leurs fils, on regardait enfin les causes structurelles, les abandons institutionnels, et la violence sociale qu’elles subissent au quotidien ?

Bref cet épisode est d’utilité publique, à nous de prendre la problématique à la hauteur des enjeux que cela demande.
Je vous souhaite une très bonne écoute
🗣️ Au programme :
⚡ Déclencheur : la mort de Naël Merzouk (02:29 – 03:38)
📊 Statistiques et réalités des familles monoparentales (03:38 – 08:03)
💔 Impact économique de la séparation (08:03 – 12:32)
🔍 Découvertes marquantes de l’enquête (10:28 – 19:14)
🤝 Initiatives d’entraide et d’organisation (19:14 – 22:21)
💰 Réalités des prestations sociales (26:51 – 30:27)
📋 Parcours du combattant administratif (30:27 – 33:52)
⚪ Féminisme blanc bourgeois vs mères isolées (33:52 – 39:28)
👶 Impact sur les enfants : coparentalité forcée (44:04 – 49:19)
TRANSCRIPTION
Clémentine
Bonjour Sélim.
Sélim
Bonjour.
Clémentine
Bienvenue dans La Matrescence.
Sélim
Merci.
Clémentine
Merci beaucoup d’avoir fait un petit déplacement, parce qu’il paraît que t’habites dans le quartier.
Sélim
Oui, donc ça va, c’était tranquille.
Clémentine
T’es venu acheter sous le soleil parisien pour nous rejoindre. Aujourd’hui, on vient parler de ton livre que tu as sorti très récemment, qui s’appelle Laisse paterner ton fils, pour ceux qui ont la ref, d’un groupe de rap des années 90. Déjà, comment est-ce qu’elle t’est venue l’idée de ce livre ?
Sélim
Moi, l’idée du livre, elle est venue déjà de mon expérience personnelle, parce que ma mère nous a élevés seuls avec mes deux sœurs, Inès et Mélissa, pendant plusieurs années, à partir du collège, au moment de leur rupture. Elle a eu la garde totale, et en fait, au fur et à mesure de cette expérience-là, et ensuite de mon activité de journaliste, notamment sur les questions sociales aussi, au fur et à mesure pour Mediapart, Le Monde Diplomatique, et un magazine qui s’appelle Frustration, j’observais déjà des problématiques propres au fait d’être une mère seule, même si mon père, comme je le dis dans le livre, payer la portion alimentaire était relativement présent par rapport à d’autres pères, ça on y reviendra après j’imagine.
Par conséquent, je voyais quand même comment elle essayait justement de vivre au jour le jour, de s’occuper de nous, de l’éducation au quotidien avec le collège, le lycée, l’éducation nationale d’une manière générale, et aussi le travail qu’elle avait dans les contrats aidés qu’elle avait à l’époque, de aide maternelle. Ça c’est des choses ensuite que j’ai compris par la suite, en étudiant, en réfléchissant sur le sujet de manière approfondie en tant que journaliste, qu’effectivement des mères seules, elles sont souvent dans les métiers du care, liés aux soins, en fait finalement comme s’il y avait une continuité entre leur travail éducatif et finalement leur travail salarié. Alors ça c’est le premier point de départ.
Les enquêtes que j’ai pu faire ensuite pour Mediapart, notamment sur la CAF, sur France Travail, parfois ça prenait aussi pour point de départ ma propre mère avec des expériences qu’elle pouvait avoir avec les contrats aidés. L’assurance chômage, les questions familiales, donc le RSA qu’elle a ensuite eu quand elle a été victime d’un handicap par la suite à cause de son travail professionnel et physiquement très prenant et qui finalement a fait en sorte qu’elle ait été blessée au bras. Bref, tout ça fait que j’ai pensé à ce sujet-là. Il y avait beaucoup de personnes aussi lors de mes enquêtes journalistiques qui me disaient c’est encore pire pour les maires isolés.
Tout ce que tu traites comme article par rapport à la question sociale, Finalement voilà c’est encore pire pour elle donc renseigne-toi davantage et essaye de comprendre pourquoi pour les mères isolées c’est encore plus dur socialement, politiquement, économiquement. Et le dernier point de départ c’est la mort de Naël Merzouk qui a été tuée par la police en juin 2023 et sa maman Mounia qui a été victimes de racisme, de mépris de classe et de sexisme de la part du personnel politique, mais aussi de médias et aussi de réseaux sociaux, etc.
Et à ce moment-là, on a commencé davantage à parler de la question de la monoparentalité, mais sous un aspect plutôt négatif de la part du pouvoir politique, en parlant des parents défaillants, ce qui est assez méprisant pour dire que finalement, et puis en plus on pense aux mères en fait, plutôt qu’aux parents d’une manière générale, le sous-entendu c’est les mères, et un espèce de mépris comme ça, comme si c’était finalement la mère qui éduquait mal leurs enfants plutôt que l’État qui est défaillant, inverser un peu la charge de la responsabilité. Donc les discours m’ont vachement frappé pendant plusieurs mois. Elisabeth Born aussi qui était première ministre, qui avait lancé un plan banlieue suite aux révoltes urbaines après la mort de Naël Merzouk.
Et ce plan banlieue là qui mettait la focale que sur la sécurité, encore une fois pour accuser les parents et les responsabilisés, donc les mamans encore une fois, En sachant que, et je terminerai là-dessus, les révoltes urbaines qui ont eu lieu un peu partout en France après la mort de Nahel, 60% des mineurs qui ont été interpellés vivent dans une famille monoparentale et surtout avec leur mère seule.
Clémentine
Parce que dans le livre, ce dont tu parles, c’est ces mères qui sont stigmatisées. Ce n’est pas l’image qu’on peut se faire de la mère solo qui est en garde partagée, qui évidemment va perdre en salaire parce que ça touche toutes les classes sociales et pas que les mères issues d’immigration ou qui vivent dans des lieux qui sont difficiles d’accès, c’est-à-dire qu’il n’y a plus de services publics ou il y a plein de problématiques qui sont liées à ça. Et toi t’as voulu t’intéresser à ces femmes-là dont on parle pas en fait, qu’on invisibilise dans la société et surtout à qui on colle une étiquette de « elles viennent prendre l’argent de l’État et en plus elles élèvent mal leurs enfants ».
Sélim
Oui, en fait, sur la question des mères isolées, déjà, il fallait partir de constats et de chiffres, enfin vraiment de statistiques très précises pour savoir de quoi on parle et de qui on parle. Là, il y a un chiffre qui est important, c’est que sur 8 millions de familles en France, il y a 2 millions de familles qui sont monoparentales. C’est même plus parce qu’en fait, c’est des chiffres de l’INSEE et l’INSEE ne compte pas les enfants qui sont majeurs et qui vivent encore avec leurs parents et du coup avec leur mère. Et l’autre chiffre qui est extrêmement important, c’est que parmi ces familles monoparentales-là, c’est-à-dire les deux millions et plus, il y a 82% de mères seules. Donc déjà c’est une problématique qui est fondamentalement genrée. Ça c’est le premier point.
Et le deuxième point aussi, et ça je me suis informé et renseigné aussi via la sociologue Marie-Clémence Le pape, qui travaille sur les familles monoparentales, et je lui ai demandé cette question. Mais au fur et à mesure de mon enquête par ailleurs, où ça me trottait, je me demandais mais est-ce que ça touche plus une classe sociale plus qu’une autre ? Et elle m’a confirmé qu’effectivement, il y a plus de ruptures aussi dans les milieux populaires du fait de problématiques sociales et économiques, le chômage de masse, etc. Ça, c’est un premier point et que finalement, les maires seuls, ça touche quand même plus les catégories populaires, du fait aussi qu’au niveau des chiffres, les maires seuls sont moins diplômés que la moyenne aussi. Des Françaises et d’une manière générale par rapport au CSP plus et aux cadres. Donc ça c’était un autre point de départ.
Et le troisième aussi important au niveau des chiffres, et pour resituer un petit peu, c’est que finalement quand on parle mal des mères seules, c’est souvent des mères seules des milieux populaires et surtout des mères seules racisées en fait. Souvent les mères célibataires, justement on utilise cette expression là, qui est un peu plus amélioratif que de dire maire seul ou maire isolé, qui est moins politisé aussi. Finalement, quand on parle de l’assistanat des maires seuls qui ont plusieurs allocations, qui dépensent n’importe comment leur entrée d’allocation scolaire, etc. L’écran plat qu’elles achètent et tout. Tout ça, ça vise surtout les femmes pauvres des classes populaires et les femmes notamment racisées. La mère de Naël Mounia, justement, toutes les problématiques qu’il y a eu ensuite, les discours politiques insultants, etc. C’est venu du fait qu’elle soit une mère seule, mais une mère seule aussi racisée.
Donc en fait, ça fait un peu le… Comment dire, une espèce d’accumulation comme ça de discrimination pour commencer à celle du genre, du fait que ce soit surtout des femmes, du coup des mères seules, ensuite vient s’additionner aussi la question de la classe sociale et ensuite quand on creuse encore plus la question raciale. Et ça c’était important comme point de départ d’avoir ça en tête parce qu’effectivement quand on parle des mères célibataires de la bourgeoisie ou plutôt des cadres ou CSP+, dans les magazines People par exemple ou dans les magazines de la presse féminine, L’angle va être plutôt sur des tutos concrets, etc. Comment s’organiser avec sa nounou ? Et c’est ce que je dis un peu dans l’intro, c’est qu’une nounou peut être aussi une mère seule qui habite dans les quartiers populaires à une heure de Paris.
Donc en fait, tout ça, c’est au croisement. Le discours, le terme qu’on utilise universitaire, c’est à l’intersection, intersectionnelle, que je n’utilise pas forcément, mais qui parle de ça aussi, l’intersection. Mais en tout cas, une accumulation qui est assez importante à avoir en tête. Et d’autant plus pour les mères isolées et leurs enfants, parce que là tu en parlais justement sur la garde alternée, effectivement la garde alternée ça concerne plutôt des cadres qui ont le temps, qui ont l’argent, qui ont l’espace aussi, le logement pour accueillir plusieurs enfants dans plusieurs chambres, qui ont aussi le matériel à disposition, les fournitures, etc. Et la garde alternée, ça te concerne, c’est 15% des familles monoparentales.
Et en fait, ça c’est important aussi de le signaler, c’est qu’on est quand même considéré comme parents isolés quand on est en garde alternée, tant qu’on n’a pas refait de famille, c’est-à-dire une famille recomposée, qui concerne d’ailleurs plus les hommes que les femmes. Peut-être qu’on en reviendra tout à l’heure sur l’absence des pères et la question de la paternité. Mais voilà, quand même, on est quand même parents isolés.
Clémentine
Et donc quand, je crois que tu donnes les chiffres quand on est en garde alternée, ça concerne là plus les catégories spécifiques.
Sélim
C’est l’économiste Anne Solas qui a travaillé là-dessus et qui l’a démontré pour toutes ces raisons-là pratiques, même si encore une fois on est quand même considéré comme parents isolés.
Clémentine
Quand on lit l’intro de ton livre, franchement, juste l’intro, on a envie de tout brûler. Ça fait mal au ventre. C’est parce qu’il y a beaucoup de chiffres qui s’accumulent, parce que tu mets dans le contexte, parce que tu personnalises. C’est assez révoltant, en fait, quand on commence à gratter derrière le statut de ces mères isolées.
Sélim
C’est ça en fait, dès l’introduction justement, je dis que quand on sort un peu de l’accumulation des statistiques qui sont énormes, là le chiffre par exemple de 40% d’enfants qui vivent dans une famille monoparentale donc avec leur mère seule vivent en dessous du seuil de pauvreté, c’est énormissime. Après il y a plein de questions liées aussi au logement, à l’éducation, à l’aide sociale à l’enfance, j’y reviens après.
En fait on se heurte à toutes les problématiques possibles et inimaginables quand on est une mère seule, aux violences sexuelles, aux violences conjugales, aux problématiques et aux inégalités sociales, salariales, au temps de travail, à la précarité, aux maladies professionnelles aussi, parce qu’elles sont vachement touchées par rapport aux cancers professionnels, par rapport aux produits d’hygiène qu’elles peuvent côtoyer au quotidien dans leur travail encore une fois lié au care et aux soins, aux métiers qu’on appelle essentiels, notamment suite au Covid.
Voilà donc du coup forcément c’est dès l’introduction du coup ça met un peu les termes entre guillemets et encore une fois ce qui est important et comme tu dis très bien c’est que c’est pas seulement citer les statistiques c’est aussi les politiser, montrer qu’il y a des responsables aussi que ce soit les hommes, que ce soit une classe sociale bourgeoise aussi qui fait en sorte aussi qu’elles aient plus de maladies professionnelles, d’accidents du travail aussi, de difficultés par rapport à ça c’est très conscientisé quand même c’est pas forcément mis sur le devant de la scène au quotidien Et tout ça, voilà, c’est de mettre en perspective ces chiffres-là, et montrer qu’il y a des liens de cause à effet, et qui fait qu’on sort de l’affect des chiffres qui sont accablants, et qu’on les politise, et que là, du coup, pendant tout le bouquin, c’est un peu l’idée de l’enquête, c’est de politiser un petit peu cette question-là, et c’est pas moi qui le fais, c’est plutôt les intervenantes elles-mêmes.
Clémentine
T’as mis deux ans à écrire ce livre. Qu’est-ce qui t’a le plus marqué dans ton enquête ?
Sélim
Ce qui m’a marqué le plus, je dirais que c’est déjà le chiffre, le fait que ça concerne énormément de personnes en France. Déjà les femmes, les mères seules, mais aussi leurs enfants, parce que du coup ça double le chiffre, donc ça concerne beaucoup de monde. Donc ça, je ne m’y attendais pas autant, honnêtement. Et aussi, ce que je ne m’y attendais pas, c’est que la question de la mère isolée, c’est une question qui l’est aussi au sein du couple, comme tu disais dès le départ sur les inégalités de genre dans le couple. De salaire, de patrimoine entre les hommes et les femmes.
En fait, il y a beaucoup de mamans qui m’ont dit qu’elles étaient déjà isolées au sein de leur couple, c’est-à-dire qu’elles s’occupaient déjà de tout, des factures ou des enfants, qu’il y avait déjà des inégalités qu’elles ressentaient, et que finalement ça s’est creusé et ça s’est amplifié au moment de la séparation. Donc ça aussi, pour moi, c’était plus ou moins une découverte, même si tous les chiffres par rapport aux couples, je les avais, il y a des livres qui sont sortis là-dessus ces dernières années, on en parle davantage. Mais l’étape d’après, à quel point c’est extrêmement compliqué.
Il y a Agnès Aoudai du mouvement des mères isolées qui me disait qu’elle a considéré son ex-conjoint comme un patron, qu’il y avait un rapport de force qui s’instaurait une fois que la séparation était faite, qu’il fallait vite cocher la casse par an isolée sur la cave, sur les impôts, des réflexes comme ça qu’il faut avoir pour vite se prémunir et se défendre.
Donc tout ça, ça a été quand même des grandes, je dirais pas surprises, mais en tout cas des comment dire, des choses qui m’ont marqué, d’où ta question, qui m’ont marqué, et le fait que ce soit à ce point-là, à l’intersection justement de la classe, du genre et de la race, ça je pensais pas à ce point-là, en fait, et en fait ce qui m’a donné cette étincelle-là, entre guillemets, réflexive, c’est vraiment encore une fois les révoltes urbaines et la mère de Naël, Mounia Merzouk, parce que c’est là où en fait tout a fait sens d’une certaine manière, parce qu’elle incarne ces trois considérations-là, ces trois problématiques-là en fait à elle toute seule, et ma mère aussi, et c’est pour ça que je parle d’elle aussi au début du livre.
Clémentine
Je crois que le chiffre c’est dans la première année après la séparation, les mères perdent 20% de pouvoir d’achat ou s’appauvrissent en tout cas. C’est ça, c’est 20%. Mais pas les pères.
Sélim
Pas les pères non. Pas les pères et d’autant plus que la plupart des pères en fait ils ne demandent pas la garde au moment de la séparation. Les trois quarts même c’est plus que ça le chiffre, c’est 80-90% des pères qui demandent pas la garde au moment de la séparation. Donc quand les pères ils disent que finalement ils ont voulu avoir la garde, que finalement c’est parce que la mère le voulait absolument etc, tout ça c’est faux aussi. C’est que finalement la monoparentalité se fait déjà au sein du couple. Et finalement elles perdurent ensuite à la séparation. Donc ça pareil, ça c’est quelque chose qui m’a marqué aussi. Ça je l’ai découvert aussi dans le livre « Les idées reçues sur les familles monoparentales » qui a dirigé justement la sociologue Marie Clémence Le Pape.
Je savais que le chiffre était important mais je ne pensais pas qu’il était aussi important que ça. Et après pareil c’est une enquête c’est que du coup on a quand même des, pas des a priori mais des idées ou des choses comme ça on a envie de contredire, d’aller vers ce biais-là. Là par exemple je m’étais dit mais comment ça se fait qu’il y a 82% de mères seules parmi les familles monoparentales c’est qu’il y a bien une raison. Est-ce que c’est parce qu’elles ont Elles ont obtenu la garde, c’est justement ce que vont dire les pères, c’est qu’elles l’ont obtenue et que les juges sont des femmes.
En plus, ce n’est même pas vrai dans le chiffre, mais en tout cas qu’il y a une majorité de magistrates dans leur tête et qui, par conséquent, vont être plus favorables aux femmes, ça c’est faux aussi au niveau de la garde, etc. Donc tout ça, c’est des questions que j’avais un doute. Au niveau justement des statistiques et des chiffres, et que finalement il fallait enquêter, voilà, regarder des travaux de sociologues qui existaient déjà, qui ne sont pas forcément mis en avant, encore une fois médiatiquement, etc. Nous, notre travail de journaliste, c’est aussi mettre en avant leurs travaux, je trouve, notamment, et de mettre en avant aussi la parole des premières concernées.
Et moi, ce qui m’a marqué, c’est aussi leur, comment dire, le fait qu’elles aient déjà, enfin, moi ça ne m’étonnait pas forcément, mais que quand on dit qu’elles n’ont pas le temps par rapport à leur travail, par rapport à l’éducation des enfants, etc. En fait, elle conscientise énormément leurs problématiques. En fait, elle les politise de fou. Ça, je le savais déjà, mais je l’ai su encore plus enquêtant, en discutant avec elle, que finalement, le récit et la politisation de ce qu’elle vive, c’est comme ma mère, quand je discutais avec elle, en fait, quand elle parlait de ses problématiques sociales, etc. Elle politisait parce que finalement, c’était des problématiques liées à des réformes de l’assurance chômage, liée à la réforme des retraites, à l’allongement de l’égal départ à la retraite à 64 ans.
Forcément, quand elle en parle, ça n’a pas directement, parce que finalement, à 60 ans, elle était déjà dans une incapacité de travailler physiquement. Donc tout ça fait que ça politise par les premières concernées. Et c’est pour ça que tout le récit, j’ai voulu absolument le faire tenir par elle, les citations, et que ce soit des citations, qu’elle raconte un peu leur quotidien. Mais que aussi ce soit une des analyses qu’elle porte à hauteur pour moi de sociologues qui interviennent aussi. Enfin je mets un peu tout sur le même tableau parce que tant ça se complète en fait et qu’il n’y a pas de sociologue qui vient valider ce que dit une maman seule et vient confirmer alors que ce qu’elle dit en fait ça a valeur tout autant que des chercheurs et des chercheuses.
Ce qui peut paraître je sais pas, évident, en fait, dit comme ça. Mais finalement, ça prend tout son sens quand on enquête pendant plusieurs mois.
Clémentine
Tu sais, je te le disais juste avant qu’on commence l’enregistrement, j’avais interviewé Fatima Ouassak il y a cinq ans maintenant. Et c’est vrai qu’elle parlait de cette politisation des mères, à quel point il fallait s’engager. Et on en discutait pendant l’épisode de dire mais en fait, c’est vrai que c’est tellement facile pour les politiques de ne pas nous écouter juste parce qu’on est occupé à s’occuper des enfants. Donc en fait on est déjà occupé sur une tâche, on n’a ni le temps ni l’espace pour s’organiser correctement et pour faire valoir nos droits et pour peser dans la balance alors qu’on est les premières concernées parce que tout est fait dans cette société pour qu’on reste au foyer et qu’on n’ait pas le temps d’intellectualiser ou en tout cas de porter ce message à voix haute.
Clémentine
Et c’est encore plus vrai pour une mère qui est isolée.
Sélim
C’est ça la grosse contradiction entre guillemets, c’est que finalement vu que ça concentre toutes les problématiques possibles et imaginables de genre, de classe et raciale aussi, on pourrait se dire que finalement ça devrait être elle qui devrait être en tête de cortège de toutes les manifestations en fait. Et comme tu dis très bien en fait, c’est que tout est fait effectivement, le capitalisme, le temps de travail, la réduction du temps de travail, toutes ces questions-là, la semaine de quatre jours, etc. Elles sont directement concernées par rapport à ça, par rapport à l’école aussi, le fait de pouvoir déposer les enfants à l’école le matin, de négocier avec son patron pour pouvoir le faire. Enfin, toutes ces choses-là, du coup, c’est des questions qui sont structurelles, qui sont globales, politiquement.
Et finalement, elles n’ont pas le temps, non pas de penser leur propre émancipation, leurs problématiques, parce que ça, elles le pensent au quotidien, Elles sont militantes jour après jour en fait, comme je disais, enfin ma mère on se disait ça entre nous, c’est que la politique elle est dans la chair en fait au quotidien. J’aime bien avoir cette expression là parce que du coup ça traduit bien ce sentiment. Et finalement le problème ça va être plutôt de l’organisation, l’auto-organisation. Effectivement c’est des mamans qui travaillent aussi dans des secteurs parfois qui sont, comment dire, un peu atomisés, qui sont dans des, comment dire, dans des… J’ai plus le mot mais pas des… Enfin les entreprises mais des… Des intérimaires, ça aussi, mais j’ai plus le nom en tête.
Mais en tout cas, le travail à atomiser, parce que finalement, on va travailler dans plusieurs entreprises, c’est ça que je voulais dire en fait. Et que finalement, pour se syndiquer, c’est aussi plus compliqué.
Clémentine
Par exemple, tout est éclaté.
Sélim
Tout est éclaté, exactement.
Clémentine
Donc elles ont moins de poids, en fait.
Sélim
C’est ça, exactement. Il y aura des succursales, de boîtes, d’intérimaires, etc. Et ça, c’est plus compliqué aussi de s’organiser.
C’est plus compliqué par rapport au temps qu’elles ont de disponible pour jeunes ne serait-ce que se retrouver le week-end par exemple parce que déjà les espaces publics, les bars, les cafés, les choses comme ça pour se retrouver collectivement c’est compliqué quand on a des enfants qui sont tout petits aussi parce que les espaces sont pas adaptés donc rien n’est fait pour qu’il y ait une auto-organisation Et finalement, la fois où on a pu en parler de manière politique et de manière plus globale, c’est pendant le mouvement des gilets jaunes, où il y avait beaucoup de femmes sur les ronds-points qui géraient justement les factures, les questions socio-fiscales d’une manière générale, et notamment beaucoup de mères seules et de familles monoparentales, parce que dans les cahiers des doléance, il y avait beaucoup l’expression de famille monoparentale et de mères seules qui revenaient dans les cahiers des doléances, en fait, pour que ça change pour elles.
Il y avait beaucoup de mères seules, il y avait Ingrid Levavasseur, par exemple, qui était assez connue au début des gilets jaunes, notamment, qui est mère seule. Donc c’est venu à ce moment-là, mais vu que c’était un peu dilué dans la question des gilets jaunes d’une manière générale, on en a parlé, mais pas suffisamment à leur goût notamment. Et en fait c’est venu au fur et à mesure, une politisation, il y a eu la collectif des mères isolées qui s’est créée à Montreuil, il y a eu le mouvement des mères isolées par la suite aussi. Où justement, elles se sont dit, comment on s’organise ? On essaie de trouver aussi des temps disponibles, donc parfois le week-end où c’est un peu plus facile qu’en semaine.
Parce que souvent en fait, il y a ça qui est important, c’est que les organisations syndicales ou militantes, elles s’organisent parfois à 17h, 18h en semaine. Tous les horaires ne sont même pas adaptés au sein même des organisations de gauche d’une manière générale. Donc déjà ça, il y a un travail à faire aussi là-dessus, sur l’organisation, les manifs, etc. Et de pouvoir, en fait, se réunir collectivement. Et moi, j’ai été assez frappé aussi à la publication du livre et des passages médias que j’ai pu faire. Il y a beaucoup de mamans qui m’écrivent, beaucoup d’enfants de mère seule aussi qui m’écrivent et qui me disent « on sent moins seul ». Bah oui, parce qu’en fait, tout est fait pour qu’on sente seul. Déjà dans sa vie au quotidien, dans l’intime, etc. Mais aussi politiquement.
Et que finalement, j’espère en tout cas que c’est grâce à des moments comme ça, qu’en mettant aussi la foca sur les collectifs qui existent déjà, qu’elle puisse se dire, au moins je peux avoir un relais, discuter avec ces associations-là. Fatima Ouassak, elle parle aussi pas mal de collectifs de quartier populaire, de maman, qu’elle soit pas forcément mère seule ou mère en couple d’ailleurs. Qui s’auto-organisent suite à la mort de violences policières, aux RICS, etc. Donc tout ça, ça existe déjà. C’est plus compliqué de s’organiser, notamment quand on est une mère seule. Mais il y a de plus en plus d’assauts conscientisés, de collectifs qui mènent ces combats-là et qui permettent de les inclure au quotidien.
Clémentine
D’ailleurs, tu cites, je crois que c’est au Lila, où je me trouve peut-être, dans 93, où il y a un espace où les enfants vont être gardés.
Sélim
À Belleville notamment. À Belleville, il va y avoir deux.
Clémentine
Baby-Sitters pendant que les mères peuvent aller se manifester et ne pas emmener exposer leurs enfants potentiellement à des violences policières. Ou en tout cas avoir l’espace mental pour collectivement aller se structurer et manifester. Je trouve que c’est génial de se dire qu’on repense ça aussi dans les milieux féministes parce que pendant très longtemps, la maternité, la parentalité, ça a été un angle mort du féminisme et on le… On ne l’intégrait pas en tout cas dans le mouvement et donc il fallait se débrouiller. Là, il y a des petites choses à droite à gauche, si je peux en parler et que ça donne envie aux auditeurs, aux éditrices de créer ça pour permettre aux femmes d’être déchargées de l’autorité parentale. Qu’elles soient en couple ou non par exemple. Oui, mais qu’elles puissent avoir juste une vie d’existence elles-mêmes comme elles ont envie pendant quelques heures.
Sélim
Oui, c’est l’association La Bulle qui fait ça, mais depuis pas si longtemps que ça, je crois que c’est depuis quelques années à peine, c’est à Rennes, je crois qu’il y a une antenne qui est à Rennes aussi. C’était important de mettre en avant justement toutes ces, comment dire, j’allais dire ces mesures, mais non, c’est pas des mesures politiques, mais plutôt ces initiatives, c’est le mot que je cherchais, comme La Bulle justement qui fait ça, et c’est à la fois en fait pour pouvoir manifester justement, s’auto-organiser entre mamans, ou pas entre mamans, entre femmes en général, ou entre enfants aussi justement. Mais c’est aussi une manière de pouvoir avoir du temps pour soi et du temps libre, ce qui manque énormément. Et en fait même ça c’est aussi de la politique parce que justement c’est quand on se regroupe qu’on parle de choses politiques.
C’est dans les cafés, dans les bars qu’on trouve ses copines, ses amis, etc. Surtout que quand même l’actualité politique depuis ces dernières années est quand même extrêmement riche. Et par conséquent c’est des choses, je pense que c’est le cas pour toi aussi, mais quand je vois des amis on parle beaucoup de ça, on sort aussi du cadre individuel aussi, de ce qu’on vit au quotidien, donc vraiment c’est vital, c’est extrêmement important. Donc oui pour moi c’était important de mettre ça en avant, des dispositifs comme ça, qui sont pas du tout comment dire, suffisamment nombreux encore, parce qu’on ne les connaît pas forcément. Moi je l’ai découvert pendant l’enquête, la bulle, c’est une copine à moi qui m’en a parlé, je ne connaissais pas du tout.
Quand je suis allé, il y avait trois mamans, quatre mamans, c’était une manif au sujet de la Palestine et de la loi sur l’immigration. C’était un an et demi, un truc comme ça, il y a un an, et il n’y avait encore pas beaucoup de monde quoi. Mais ça commence à prendre son essor au fur et à mesure.
Clémentine
D’ailleurs, je dis baby-star, c’est pas vrai, parce que ce sont des jeunes filles qui sont diplômées du BAFA, donc en plus c’est assez structuré quand même. Pourquoi est-ce qu’elles sont tant stigmatisées, que ce soit dans les médias ou dans l’inconscient populaire, les mères célibataires, et comme tu disais, plutôt issues d’immigration postcoloniale, qu’est-ce qui fait qu’on est à ce point-là à les maltraiter ?
Sélim
Je pense parce qu’elles incarnent tout ce que, par leur essence même, en tant qu’en plus, quand on rajoute femmes des milieux populaires et racisés, elles cumulent, c’est le miroir contraire de ceux qui font les lois, de manière générale, des hommes blancs et bourgeois. Pour le dire assez simplement. Parce qu’il y a une détestation, mais c’est un mélange de détestation et d’invisibilisation.
Clémentine
Et de mépris.
Sélim
Et de mépris, parce qu’en fait quand on regarde par exemple, rien que la, on va prendre la question de la CAF, justement des caisses d’allocations familiales, qui sont pensées par les hommes pour les hommes, au niveau, ne serait-ce que la pension alimentaire, le fait qu’elle soit défiscalisée pour les hommes et pas pour les mamans, le fait que quand elles se remettent en couple, ou pas d’ailleurs, mais plus ou moins qu’elles fréquentent quelqu’un en fait dans leur vie, on va les soupçonner tout de suite de concubinage et par conséquent leur quotient familial à la cave va augmenter donc elles vont moins toucher de prestations sociales.
Des prestations sociales encore une fois qui sont extrêmement basses, ça je cite les chiffres dans le livre, mais le RSA on le sait c’est 600 euros par mois pour une personne seule à peu près encore c’est un peu moins. L’ARS, l’allocation de rentrée scolaire, c’est environ 500 euros par enfant, ce qui est le coût moyen d’une rentrée scolaire pour un enfant. Et ça a été démontré que cet argent-là, il est dépensé à 99% que pour des fournitures scolaires, quand bien même il serait utilisé pour d’autres choses, des fringues pour l’enfant, etc. Ça fait partie de la vie pour l’enfant en fait.
Ou même de quelque chose, ça peut même être un PC pour qu’ils aient ça dans la famille, un moyen de communication, un PC justement pour pouvoir utiliser ensuite des documents administratifs numérisés, à outrance dans France Travail, pour la CAF, pour la retraite aussi. Donc tout ça c’est important en fait, c’est de l’argent qui va compter et quand on sait que le seuil de pauvreté est énorme pour les mères seules, tout ça est lié. Donc voilà, tout ça va être fait en sorte que finalement, vu que ça a été fait et pensé par des hommes et des classes dominantes aussi, qui n’ont pas forcément ce réflexe-là, qui ont encore une idée aussi que finalement les pères demandent la garde, etc. Ils ont encore ces a priori comme je disais au départ.
Tout ça fait que toutes ces problématiques-là vont être concentrées aux mains de certaines personnes qui vont faire les lois. Le fait que, par exemple, sur la défiscalisation de la pension alimentaire, que ça a été voté à l’Assemblée nationale, mais que ça a été retoqué, justement, au Sénat.
Clémentine
Le Sénat n’a pas voulu…
Sélim
Voilà, le Sénat qui est vraiment la caricature de ce que je viens de dire. De l’homme blanc âgé, en plus. En plus, il y a ça aussi, c’est important. C’est vraiment le… Le cliché quoi pour le coup. Donc par conséquent c’est compliqué, là on parlait aussi tout à l’heure avant que l’émission commence sur le congé paternité aussi en France qui est très peu, enfin voilà, les mois sont très très faibles, je crois que c’est deux mois. C’est 28 jours, un an paternité c’est 28 jours. Ça serait déjà bien oui. C’est un an, je crois que c’est un an, c’est dans les pays nordiques.
Clémentine
Oui, à se partager avec la maman.
Sélim
Exactement. Donc tout ça forcément, ils n’ont pas ça en tête, ils ne le veulent pas forcément.
Clémentine
Ça c’est les organisations patronales qui bloquent sur ça.
Sélim
Et patronales, donc du coup que ce soit les politiques ou patronales, donc forcément c’est des choses qui font que, par conséquent, il y aura, comme tu disais, un mépris aussi qui va se faire. Et en fait ce mépris-là, d’assistanat, on va dire qu’elle sont gavées d’aides sociales, des choses comme ça, alors que la plupart des aides ne sont pas sollicitées parce que c’est trop compliqué pour les avoir. Ce ne sont pas des aides, ce sont des prestations familiales, ce n’est pas la même chose.
Clémentine
Tu le dis, c’est des milliards économisés par l’État français. Parce que les gens n’ont pas les codes, ils ne savent pas solliciter.
Sélim
C’est ça, c’est des milliards pas sollicités. Par rapport aux 100 milliards estimés de fraude fiscale, ce n’est rien du tout. Des riches exactement, ce n’est vraiment rien du tout. Et parmi ces prestations sociales-là, déjà il y en a beaucoup, comme on disait, qui ne sont pas sollicitées. Mais aussi, le problème c’est que finalement ces prestations, elles sont très faibles aussi. Là, il y a un fantasme aussi sur leurs chiffres. Ce n’est pas à 2 000 euros. On voit ça parfois dans les réseaux sociaux, etc. Mais même les médias véhiculent ça, les débats qu’il peut y avoir dans certaines chaînes de télévision, CNews, mais pas que. Sur France 2, BFM, parfois, il y a des clichés qui sont véhiculés de la sorte, par une méconnaissance aussi des questions socio-fiscales de la CAF, etc., du fonctionnement aussi.
Clémentine
Tu veux dire qu’on a des confrères, des consœurs qui font pas bien leur travail ?
Sélim
Oui, exactement. Qui le font mal, qui sont pas renseignés, puis qui ont des a priori par rapport à leur classe sociale aussi, etc. Voilà, tout ça est corrélé en fait, et très important. Et pour revenir sur les prestations familiales, déjà qui ne sont pas sollicitées, en fait, quand on parle de fraude sociale, c’est le terme qui est utilisé, finalement les trois quarts de la fraude sociale estimé en tout cas à quelques millions d’euros à peine, c’est plutôt des réseaux mafieux organisés et c’est pas du tout la mère seule qui va tricher etc. Tout ça pareil c’est assez documenté mais malgré le fait que ce soit documenté, il y a un imaginaire qui est puissant en fait.
Et l’imaginaire, ça je le raconte dans le livre, il a déjà été véhiculé aux Etats-Unis, c’est la Welfare Queen par Ronald Reagan, la femme noire assistée, mère seule qui a plusieurs enfants et plusieurs prestations sociales, etc. Lui, il a véhiculé cet imaginaire-là pour justement se créer des prestations sociales liées aux veuves de guerre, notamment. Et ensuite du coup forcément la population, celle qui se dit qu’elle a le travail pendant que d’autres sont assistés, elles vont se dire finalement c’est tout à fait légitime en fait que ces personnes-là, ces femmes-là n’aient pas de prestations sociales. Sauf qu’en fait eux-mêmes ils vont être touchés par ça. Eux-mêmes ça va les toucher ensuite par ailleurs quand ils sont au chômage. C’est quand même des… Enfin on arrive à…
Grosso modo, 6 à 8 millions de personnes qui sont au RSA, au chômage quand on compte les catégories A, B et C, et D aussi par ailleurs, donc ça fait énormément de personnes en fait, pour 600 000 emplois non plus revus en France, ça c’est les chiffres aussi de l’Adares par exemple, du ministère de Travail, donc c’est pas des chiffres qui sont de sites obscurs ou je ne sais quoi, c’est des chiffres qui sont sous nos yeux. Mais le mythe il est quand même très puissant, parce qu’en fait il arrange beaucoup de personnes, il arrange les classes dominantes, il arrange les hommes aussi par rapport à la pension alimentaire, ils vont encore fantasmer le fait que soit ils la donnent, alors que deux paires sur trois la donnent pas.
Enfin, la donnent, mais sur les deux paires sur trois, il y en a beaucoup qui donnent un chiffre, un montant qui est très faible, ou alors ils la donnent une fois sur deux, qui cachent leur revenu aussi, qui se rendent non-solvables, etc. Donc tout ça, ça les arrange en fait. Donc c’est pour ça que la mère isolée, elle cristallise tout, elle cristallise la domination masculine, le patriarcat, ça arrange la bourgeoisie aussi, par rapport à tout ce qu’on vient de dire sur la fraude, etc. Comme ça, on ne parle pas de la fraude fiscale, on va parler de la fraude de la maman toute seule. Et puis aussi, par rapport au racisme d’État, etc., ça va arranger tout ce qui est violences policières, etc. Contraintes sociales et le fait qu’on va réprimer les enfants de mères seules plus que réprimer la délinquance en col blanc.
Voilà, c’est ça qui est très documenté parce que quand on parle de 100 milliards de fraudes sociales, enfin de fraudes fiscales, certes le dispositif politique et législatif est fait pour que ce ne soit pas considéré forcément comme illégal mais en fait ça l’est forcément parce que du coup ça fait moins d’argent dans les caisses de l’État pour ensuite l’école, etc. Enfin bref, c’est plutôt de manière globalisante, mais c’est pour montrer que les maires isolés, ça cristallise toutes ces problématiques-là.
Clémentine
Et qu’on a tout intérêt à les stigmatiser pour ne pas s’intéresser aux vrais problèmes. Tu sais, en lisant ton livre, juste à la lecture de tous les acronymes, de toutes les prestations qu’on peut solliciter ou non, de toute la paperasse qu’il faut faire, rien qu’à la lecture, je me suis sentie submergée, et pourtant j’ai les codes, et pourtant je suis éduquée. Et je me dis, mais c’est un parcours du combattant, mais quotidien pour ces femmes-là devoir justifier en permanence leur situation amoureuse d’ailleurs, devoir demander à droite à gauche de l’aide auxquelles elles ont le droit, devoir justifier qu’elles y ont le droit. Mais en fait, c’est une charge, on parle même plus de charge mentale, c’est une charge administrative qui est… C’est pour ça que je dis que quand je lis l’intro, ça fait mal au ventre. On ne les épargne jamais.
Sélim
Oui, alors que les maires que j’ai interrogés souvent me parlent de surcharge mentale pour montrer que c’est une grosse accumulation et par opposition on va avoir une image totalement biaisée et contraire à ça en fait. Là sur la CAF par exemple, moi j’avais enquêté sur le fait que pour un document administratif oublié, ou des choses comme ça. Souvent d’ailleurs, c’est la CAF, où France Travail aussi, on appelait ça les indus, quand ils payent une somme un peu plus que prévu, finalement ils demandent un remboursement. Ou alors des fois, c’est plutôt eux qui se sont trompés, donc ils demandent un remboursement, mais qui est injustifié. Et du coup, le remboursement injustifié, il faut aller le démontrer, ça prend des mois et des mois, et c’est très compliqué. Tout a été dématérialisé aussi, dans ces instances-là, il n’y a plus de guichet, même en Ile-de-France, etc.
Donc c’est encore plus compliqué. De se battre aussi pour ses droits, en sachant qu’encore une fois on revient sur l’absence paternelle parce que la pension alimentaire, l’absence etc. Qui n’est pas un revenu pour la mère, c’est ce que disaient les pères justement pour ne pas la payer. Et c’est ce que pensent aussi certains hommes politiques pour ne pas justement faire en sorte qu’elle soit défiscalisée pour les mamans, c’est qu’en fait c’est de l’argent en moins du coup pour les enfants et pour l’éducation des enfants. Par conséquent, en fait on veut que ces mères en fait elles ne soient pas autonomes et indépendantes. En fait on veut qu’elles soient dépendantes soit des hommes, soit de l’État, soit de leur travail. Mais en fait, l’émancipation devrait être totale. C’est à la fois des hommes, donc pas le concubinage, etc.
Elles font ce qu’elles veulent et les nouveaux hommes ou femmes qu’elles rencontrent, ce n’est pas forcément des personnes qui auront des droits sur leurs enfants. C’est ce que me dit Sarah Le Bailey quand elle me dit qu’on est mère isolée jusqu’à la mort. Ça répond à cette question-là. Et finalement, l’émancipation devrait être totale. Même l’État a un problème, qu’elle devienne dépendante d’une certaine manière de l’État, et de la pression qui est exercée sur elle aussi du document oublié pour avoir 100 ou 200 euros de plus d’APL pour leurs enfants. Ça aussi, en fait, ce n’est pas normal. Normalement, elles devraient être comme tout le monde, et surtout elles, de leur travail, de pouvoir négocier leur temps de travail davantage, d’être mieux payées. C’est pour ça que du coup, c’est des questions sociaux, fiscales, etc. Qui sont plus larges que ça.
C’est de pouvoir bénéficier d’un logement décent, que ce ne soit pas quelques propriétaires bourgeois qui possèdent les trois quarts des logements à Paris, et plusieurs logements, et qui se font de l’argent rentier sur les loyers. C’est qu’il y ait plus de logement social en France aussi. Et qu’elles deviennent plus facilement propriétaires. Donc en fait, c’est pour ça que du coup, les questions très précises de pension alimentaire, d’ASF aussi, d’ARS sur l’allocation de rentrée scolaire, donc tous les acronymes comme tu disais justement, voilà cette question-là qui les emblons en plus dedans, qui leur met une charge supplémentaire, un stress supplémentaire aussi. En fait, notamment, l’idéal, en fait, c’est de s’émanciper de tout ça. Mais du coup, s’émanciper de tout ça, ça voudrait dire remettre à plat toutes les questions de société de manière générale en France, en fait.
Clémentine
Tu vas nous en parler à la fin, tu donnes quelques pistes pour essayer d’améliorer leurs conditions, même si quand j’ai lu tes pistes à la fin, on a dû travailler pour y arriver. Il y a quelque chose aussi dans ton livre que j’avais déjà conscientisé, mais qui est assez frappant, c’est que tu parles de ce féminisme blanc, bourgeois et libéral qui omet les mères célibataires issues de l’immigration notamment. Et tu expliques qu’en fait, ce féminisme-là, il est problématique. Et je pense qu’on est beaucoup à ne pas se rendre compte, je pense, et c’est un privilège de ne pas se rendre compte. Est-ce que tu peux nous expliquer en quoi cette mécanique-là, elle empêche les mères célibataires de casser ce vrai plafond de verre qu’elles ont ?
Sélim
C’est plutôt dans le dernier chapitre que j’aborde cette question-là, la question de l’implication entre mouvements féministes et mouvement des mères isolées, ou mères isolées d’une manière générale, comment justement les deux collectifs, et notamment le mouvement des mères isolées qui est très présente, justement, enfin en tout cas sont très présentes pendant les manifestations, notamment la journée du 8 mars, mais pas que, pour justement imposer cette idée-là. En fait, le truc c’est que, vu que le féminisme a été aussi, comme tu dis, blanc-bourgeois, d’émancipation par rapport à la famille, par rapport aux valeurs traditionnelles, par rapport à l’émancipation dans le couple, par rapport à la figure paternelle, etc. On a oublié un peu la question des mères seules pendant ces 30 dernières années en fait. Alors que depuis les années 70, la génération du divorce, de la séparation, etc.
En fait, le nombre a grossi, a grossi. Pour en arriver jusqu’à plus de 2 millions de femmes justement. Et vu que c’était invisibilisé parce que, comme on disait tout à l’heure, le fait de ne pas pouvoir s’organiser, de ne pas avoir le temps de le faire. Aussi de par honte sociale. Il y a beaucoup de mamans qui m’ont dit j’ai pas envie d’être vue comme une mère isolée. Et on revient sur les stigmates et les clichés médiatiques ou politiques sur la mère seule, assistée, etc. Donc il y a beaucoup de mamans qui refusent de rejoindre, par exemple, le mouvement des mères isolées, etc. En se disant que non, elle ne veut pas se voir comme ça. Mais pas forcément par mépris pour d’autres mamans, c’est plus pour relever la tête, en fait.
Parfois on regarde plus pauvre que soi aussi pour se dire que nous ça va. C’est un peu une défense psychologique aussi. Donc plusieurs mamans qui sont parfois cadres, par exemple, et qui ont des problématiques liées à leur genre, le fait que leur ex-conjoint soit été violent, soit il ne paye pas l’impression, etc. Elles vont moins avoir des problématiques liées à leur classe sociale ou à leur couleur de peau. Elles vont vivre ça, mais elles vont se dire, je comprends le combat, mais par contre je n’ai pas envie d’y participer. Par conséquent, pendant ces 30 dernières années, les mouvements ont mis du temps à prendre, à s’auto-organiser, etc.
Là c’est de plus en plus le cas parce qu’on le médiatise de plus en plus, les collectifs existent de plus en plus comme on disait aussi tout à l’heure mais ça a mis du temps et aussi parce qu’il y a une espèce de méfiance de la maternité de manière générale qui se comprend tout à fait en fait parce que là il y a de plus en plus d’accès à la PMA aussi, d’être mère toute seule pour éviter et d’anticiper justement toutes ces problématiques liées aux conjoints à la chute sociale ensuite donc c’est comme si en fait on les anticipait directement. Donc tout ça, ça commence à émerger en fait. Il y a cette question-là de la mer seule, par choix, mais c’est pas vraiment par choix finalement, c’est aussi par conséquence en fait. Ça peut être par choix, mais comme exactement.
Et ça aussi, moi, en réfléchissant, en travaillant, en discutant, etc. J’ai mieux compris que ça pouvait être aussi justement lié à une conséquence, etc. Donc moi aussi, j’ai des biais en tant qu’homme, évidemment. Donc ça, j’en parle un peu dans le livre aussi, et on le ressent j’imagine aussi. Et par conséquent, moi j’ai appris des choses comme ça par rapport à la PMA, par rapport au choix qui n’est pas vraiment un choix, et que tout ça, la médiatisation de cet aspect-là de Mercelle par PMA, mais aussi tous les collectifs que je cite dans le livre, que je mets en avant dans le livre, tout ça fait que ça commence à venir aussi dans les mouvements féministes.
Et puis le dernier point, c’est que c’est un féminisme aussi qui peut avoir comme angle seulement le genre, seulement par exemple les violences sexistes et sexuelles, et pas les questions socio-fiscales, pas le logement et des choses comme ça, mais qui sont corrélées en fait. Parce que le fait de ne pas pouvoir trouver un logement ensuite, ça concerne beaucoup de femmes même quand on est cadre. Et en fait, son mari était quand même plus aisé et encore une fois, il avait plus de patrimoine, etc. Parfois, c’est lui qui restait dans le logement parce que c’était lui qui était propriétaire. Donc, c’est à la maman qui est certes cadre, mais qui doit trouver ensuite un logement. Donc, il se heurte aussi à la problématique des logements sociaux ensuite.
Donc en fait c’est pour ça que l’intersection c’est important d’avoir toujours ça sous les yeux en tête parce que du coup ça permet de mieux comprendre, de mieux considérer que nous-mêmes aussi en tant que femmes cadres on peut tomber ensuite dans la pauvreté et parmi les classes ensuite populaires largement. Donc tout ça en fait tout ça est lié et effectivement moi enquêtant et en voyant le mouvement des maires isolés qui rechignaient, qui disaient mince Pendant les manifestations, notamment le 8 mars, on ne parle pas de la CAF, on ne parle pas de la réforme du RSA, les 15 heures hebdomadaires pour les mamans, on ne parle pas de la pression socio-fiscale pour ces mamans-là, ou alors à la marge, et il faut qu’on en parle plus en fait. Mais là, ça commence à venir.
Là, elles me disent qu’il commence à y avoir des dialogues qui se font avec des collectifs comme nous toutes, etc. Et moi, je le vois, je vois à travers elle aussi que finalement, c’est des questions qui commencent à venir sur le devant de la scène. Mais voilà, pendant ces dizaines d’années, c’est que oui, vu que la maman était déjà atomisée par rapport à son travail et l’éducation, etc. Et que l’émancipation féminine était vue sous le prisme libéral aussi de travail, etc. Donc, de féminisme plutôt bourgeois, CAC 40 entre guillemets, c’est-à-dire on veut l’égalité salariale entre les hommes et les femmes mais avoir 6000 euros mais exploiter derrière des femmes racisées qui font le ménage, enfin je caricature mais c’est un peu ça en fait. C’est plutôt une égalité salariale mais dans une classe sociale en fait, du coup.
Et forcément, ça va reproduire ensuite des méfaits sur les classes populaires dans le pays, les femmes gilets jaunes et les mères seules des quartiers populaires, comme la maman de Naël ou maman aussi. C’est pour toutes ces raisons que finalement, ça commence à venir s’imposer sur le débat public.
Clémentine
Et puis tu le dis, dans le livre, tu as interviewé Rachel Keke, qui a été députée pour la France Insoumise et qui, si vous ne connaissez pas son histoire, elle a été femme de ménage dans un Ibis au Batignolles. Elle a été en grève pendant des années. Elle a réussi un petit peu à mettre la lumière sur cette cause-là. Et elle aussi, à l’Assemblée nationale, elle a apporté ces questions-là, avec un regard de terrain, pour montrer que ce débat, il doit se déplacer et ne pas déjà être légué à rien du tout, parce que c’est aussi un débat dont on ne parle pas à l’Assemblée. Et le fait qu’on ait des députés, pas que elle, mais qui portent ces sujets-là aussi, c’est important.
Sélim
Complètement. Mais en plus Rachel Keke ça incarne bien ce qu’on disait précédemment c’est que finalement par rapport à son patron et plusieurs patrons parce qu’il y avait le télébis mais il y avait des succursales etc c’est que elle aspire pas à devenir patronne et reproduire les mêmes choses contre d’autres salariés ensuite en ayant cette position de pouvoir là donc c’est vrai qu’elle est vraiment par conséquent dans l’intersection par rapport à son travail par rapport à sa couleur de peau aussi et par rapport à son statut, à son genre aussi. Parce que justement, elle me parlait de son ex-conjoint qui, au départ, il n’avait pas beaucoup d’argent, milieu populaire, immigrait aussi comme elle assez tardivement en France. Et du coup, quand ils n’étaient plus ensemble, c’est elle qui avait la garde, qui l’a demandé. Lui, il ne l’a pas demandé.
Comme je disais tout à l’heure, les papas ne demandent pas la garde beaucoup. Mais elle avait un tout petit peu d’empathie pour lui, sans forcément culpabiliser, puisque ça, d’ailleurs, le mot culpabilité, évidemment. Voilà, déjà le ménage à elle, les mamans encore plus, voilà, exactement. Ça c’est quelque chose qui revenait vraiment tout le temps, le mot culpabilité de la part de toutes les mères isolées. Et au départ, voilà, lui dormait, je crois, dans sa voiture, enfin c’était assez compliqué pour lui et compagnie, mais dès qu’il a su qu’elle était députée, Tout de suite là, il était quand même en mode maintenant tu peux te débrouiller en fait avec les cinq enfants, t’as de l’argent etc. Voilà, il a cinq enfants et du coup maintenant c’est bon quoi.
Donc voilà, il y a toujours la classe, comment dire, la classe sociale et la question raciale les rapprochait au départ en fait, et peuvent les rapprocher, mais tout de suite la question du genre en tant qu’homme, hop là, revient au galop et finalement… Prédomine tout le reste. Exactement, ça prédomine et là notamment dans ce cadre là, et finalement ça fait un tout quoi.
Clémentine
Et je te disais que le fait qu’une députée mette en lumière ça aide aussi.
Sélim
C’est essentiel parce que du coup on parlait de ça et en fait dès qu’il y a eu les révoltes urbaines, Rachel Keke ce qu’elle a voulu faire c’est faire une tournée des quartiers populaires dans toute la France pour parler de la question des révoltes urbaines d’une manière générale, des inégalités aussi, des chiffres que c’est bien important de rappeler aussi par rapport aux jeunesses des quartiers populaires. C’est qu’il y a 20-30% de chances en moins de trouver un travail et un logement aussi. Donc les enfants, quand ils se révoltent comme ça, c’est pas que sur les personnes mortes de la police, notamment des jeunes comme eux, c’est aussi les questions économiques et sociales, etc. Enfin c’est un tout, comme d’habitude.
Donc Rachel Keke, ce qu’elle a voulu faire, c’est ça, faire une tournée des quartiers populaires, des maires aussi dans la ruralité, ça on en reviendra juste après j’imagine. Et dans les quartiers populaires d’une manière générale, et en fait c’était pas que les maires seuls, c’était aussi les maires d’une manière générale, aller justement documenter ces questions-là, parce qu’elle est la première concernée là-dessus, aller les porter ensuite à l’Assemblée Nationale, donc son idée c’était vraiment ça, de faire du terrain pendant toute l’année, d’aller prendre en fait le pouls des discussions, et puis les mettre en avant ensuite, faire des propositions de loi en partant de l’expérience vécue en fait, et de ne pas taper à côté.
Et c’est quand même très essentiel de faire ce pont-là entre le terrain, les manifestations, le travail à l’Assemblée nationale, donc malheureusement elle n’a pas été réélue l’année dernière, j’espère qu’elle le sera une autre fois, mais voilà c’est un travail essentiel.
Clémentine
En fait, ça devrait juste être le travail des députés, non ?
Sélim
Oui, c’est ça, c’est ça. Mais le problème, c’est que les députés… Les trois quarts des députés, c’est les classes dominantes. Ce n’est pas du tout les milieux populaires. Donc, par conséquent, ils vont voter des lois qui vont leur ressembler et qui vont être… Qui vont leur être favorables.
Clémentine
Dans le livre, tu parles beaucoup des mamans isolées, mais tu braques aussi la lumière sur les conséquences sur les enfants. Et tu l’as bien dit tout à l’heure, c’est qu’on parle de 2 millions de familles monoparentales, mais ça fait bien plus de millions d’enfants qui sont concernés par ça. Et j’ai trouvé que c’était passionnant, ton enquête sur ces enfants-là. Tu décris donc ces enfants qui sont souvent adolescents, qui ont eu une maman célibataire et qui donc ont beaucoup de responsabilités, voire qui sont quasiment coparents avec leur mère. Il y en a, ils gèrent les enfants quasi toute la journée, les frères et sœurs, et qui sont par contre infantilisés à l’école, au collège. Et ça, c’est quelque chose dont on n’entend jamais parler, de cette double casquette pour eux, qui est très difficile à gérer.
Sélim
Parce qu’au quotidien, comme tu dis, ils ont beaucoup de responsabilités dans le foyer. On va leur faire confiance parce que la maman ne va pas avoir le choix que de leur laisser les clés le matin ou des choses comme ça, très concrètes pour le coup. Et à l’école, ils vont revenir dans un cadre où il y aura une hiérarchie très forte. On ne va pas leur donner beaucoup de responsabilités, on ne va pas beaucoup leur faire confiance. On va même les mépriser, mépriser leur maman pendant les réunions parents-profs.
Comme quoi peut-être qu’elle n’éduque pas suffisamment bien ses enfants, comme quoi ils peuvent être un peu dissipés aussi, alors qu’en fait ils font preuve d’une grande maturité en fait très précoce qui peut se retourner contre eux, qui peut être problématique aussi parce que leur donner trop de maturité, c’est compliqué aussi en fait parce que forcément ils ont envie d’être enfants. Et justement il y a une personne que j’ai interviewée aussi, une fille de mère isolée, et qui me disait très bien que c’était beaucoup de responsabilité à un moment où elle voulait vivre aussi son adolescence et pas être, comme tu dis, coparente justement.
C’est souvent des filles notamment et les aînés qui vont prendre la charge mentale du foyer en fait parce que naturellement, c’est pas naturellement évidemment mais c’est voilà, socialement construit, la maman en fait elle va laisser les clés plus à sa fille par transmission en fait maternelle et fille, plus confiance et puis l’enfant, garçon va plus l’éduquer différemment. Ça paraît je veux dire des généralités qu’on connaît un peu plus maintenant mais on va l’éduquer de manière un peu plus autonome, libre, il pourra faire un peu plus ce qu’il veut etc. Moi c’était mon cas d’ailleurs. Je pouvais faire un peu plus par rapport à mes soeurs, je pouvais un peu plus faire ce que je voulais aussi. On va les discuter d’une manière un peu plus aventureuse, etc. Mobiliser un peu plus leur imaginaire et compagnie.
Et ça, je l’ai remarqué chez moi, mais chez aussi cette personne-là que j’ai interviewée dans le livre, qui a préféré être anonyme et qui l’a vécu comme quelque chose qui était… Très important pour être dans son développement du coup plus tard en mode maturité importante, etc. Mais sur le moment, un peu plus compliqué. Pourquoi c’est moi ? Pourquoi ce n’est pas mon petit frère ? Si c’était mon petit frère qui était le grand frère et moi l’inverse, je sais très bien que c’est quand même moi qui aurait beaucoup de charge une fois que je serais un peu plus grande. Vite, on l’aurait fait en sorte que ce ne soit pas lui. Les garçons ont beaucoup aussi de charge mentale, évidemment, mais c’est les filles qui l’en ont beaucoup plus.
Clémentine
Qui ont le coeur, en fait.
Sélim
Oui c’est ça exactement, mais les garçons peuvent en avoir aussi mais moins en fait, beaucoup moins parfois et en fonction de l’âge aussi. Et à l’école effectivement ça va être conflictuel parfois aussi. C’est des médiateurs et des médiatrices en fait dans les écoles qui a un nouveau métier qui existe depuis quelques années maintenant et qui fait en sorte de créer justement des médiations quand il y a des conflits à l’école en fait, entre les parents, les profs, les élèves. Et m’expliquer justement qu’il y a beaucoup d’enfants, de mères seules, qui réagissent différemment à l’autorité, qui vont être un peu plus dissipés, qui vont être un peu plus contestataires parfois.
Ils ne vont pas comprendre, parce que comme je disais, je vais peut-être le répéter au cas où, mais c’est vrai que le grand paradoxe du foyer familial et ensuite à l’école est quand même extrêmement violent et on en parle très très peu. Et il y a l’autre truc aussi qui est important, c’est que souvent les mamans elles me disaient mais en fait nous nos enfants Certes, on se dit qu’on leur fait confiance, etc. Mais il y a une vie qu’ils vivent en dehors, on ne sait pas du tout ce qu’ils vivent, et d’autant plus quand on est tout seul et qu’on galère avec le temps de travail, etc. On sait encore moins ce qu’ils font à l’extérieur de l’enceinte de l’école, et notamment quand forcément, parfois, l’autorité, ça peut être un peu plus compliqué parce qu’ils ont beaucoup de maturité aussi à la maison.
Donc ça, le fait qu’il y ait une vie en dehors, une vie dedans, et qu’ils n’aient pas forcément de regard dessus, ce qui est normal aussi, parce que les enfants, on ne sait pas forcément ce qu’ils font dans la vie de tous les jours. Mais là d’autant plus en fait parce que forcément s’il arrête hyper tard le soir, il y a quand même quelques heures où on sait pas du tout quoi ce que fait, s’il est vraiment à l’école ou pas, s’il est vraiment à la maison, s’il s’occupe du petit frère ou pas, du coup tout ça est une charge mentale et pas que charge mentale mais aussi une… Une pression en fait, oui c’est ça en fait, mentale, de toujours avoir déjà une culpabilité encore une fois, mais aussi d’être au travail et de se dire mince, qu’est-ce qui se passe ?
Je vais prendre juste une petite anecdote par rapport à justement une personne que je cite qui est infirmière au quotidien dans ce passage-là. Sur la charge mentale des filles, des enfants et notamment des filles. Elle me disait mais moi quand j’allais à l’hôpital finalement que mon fils de 5 ans était encore à la maison et qu’il devait un peu s’occuper tout seul quand justement sa soeur était déjà partie à l’école et devait avoir un examen ou quelque chose comme ça. Il était malheureusement tout seul à ce moment là.
Elle me disait que quand j’arrivais à l’hôpital, en fait, ce que faisaient les mamans en général dès qu’elles avaient une pause, c’était pas s’allumer une clope ou prendre le café, c’était de prendre le téléphone portable et tout de suite d’appeler à 10h du matin ou à 11h, quelque chose comme ça, à la maison si tout se passait bien et s’il avait bien éteint le gaz ou des choses comme ça avant de partir.
Clémentine
Et ce que tu vois, on disait que c’est des coparents, mais c’est parfois même ces adolescents, c’est des parents à temps plein, enfin même les principaux parents, parce que tu décris des situations de mères qui sont tellement sous pression financière qu’elles enchaînent trois jobs dans la journée, qu’elles partent à 5h du mat, qu’elles reviennent à 21h. Et dans toute cette journée-là, c’est le grand frère ou la grande sœur qui s’est occupé des plus petits et qui a tout géré de A à Z en plus de son travail au collège ou au lycée et qui subissent des pressions aussi Intense, je me dis, de stress. Parce qu’un petit de 5 ans, moi quand on est à la maison, c’est pas simple de s’occuper de tout petit. Quand toi t’as juste envie d’aller rigoler avec tes potes et pas faire tes devoirs.
Sélim
C’est extrêmement frustrant. Et puis rien que pour son suivi scolaire aussi, pour les examens, pour l’école, pour la fatigue que ça accumule. Sur l’éducation nationale, on connaît les chiffres sur le fait que ça reproduit beaucoup les inégalités sociales, etc. On les a vachement en tête avec l’observatoire des inégalités, etc. Mais pour le coup, oui, c’est un truc qu’on dit pas assez. C’est comme si on empêchait de vie privée, en fait, alors que c’est à ce moment-là qu’on se construit aussi, en fait. C’est justement la fille que j’avais interviewée par rapport à ça. Au concept de coparentalité qu’elle a voulu mettre en avant très justement par ailleurs, bah finalement effectivement c’est comme si on te voilà, on t’enlevait cette…
Elle me disait ça, on t’enlevait une jeunesse en fait, enfin imposée et parce que en fait le suivi n’est pas fait derrière, parce qu’en fait sa mère se retrouve en galère mais parce qu’en fait à cause du père initialement, parce qu’à cause du marché du travail initialement, à cause de l’état initialement, Et du coup, finalement, c’est la cellule familiale qui va se retrouver en difficulté. Parce que l’école ne va pas forcément les aider non plus, parce qu’il y aura des profs qui ne sont pas remplacés, parce qu’il manque des surveillants scolaires aussi, pour par exemple… Enfin, c’est pas qu’il manque des surveillants scolaires, il en manque, mais surtout le statut est catastrophique, ils sont très mal payés, on appelle ça les AED. Les AED, c’est très important aussi pour pouvoir surveiller les gamins.
C’est les pions, exactement, pour les enfants, justement, après 16h ou après 17h, pour les mères isolées, etc. Et qu’ils aient un salaire qui soit à la hauteur de leur investissement aussi. Souvent, les AED, ils créent une complicité aussi avec les enfants de mère seule. Justement, c’est pas pour rien que c’est des médiateurs et des médiatrices, qui sont assez relativement jeunes aussi, qui font ce métier-là, qui m’ont confié tout ça sur la responsabilité des enfants. Et quand ils sont de mère seule et qu’ils arrivent à l’école, finalement, ils ont une autorité, ils ont du mal à… Voilà. C’est pas pour rien que ce soit des AED ou des médiateurs et des médiatrices qui m’en parlent.
Parce qu’ils ont un contact permanent avec les enfants, et en dehors du cadre d’enseignement en fait, qui est beaucoup plus vertical du coup, beaucoup plus excluant, où là il faut avoir du capital, parfois bourgeois etc, de connaissances véhiculées par les enfants, par les parents pardon, où ça va être plus compliqué pour eux, c’est vrai que ça fait une alternative où ils peuvent plus se libérer en fait et parler, voilà. Ma petite soeur par exemple a été à EUD pendant plusieurs années, et ça elle l’a ressenti avec des enfants qui se confiaient plus à elle, et notamment aussi des enfants de mère seule.
Parce qu’en plus, ils avaient un penchant, pas forcément une voix naturelle, c’est le mot que je dis à chaque fois, qui n’existe pas, mais bon voilà, un penchant plutôt instinctif, socialement construit, qui est plus long à dire, mais qui est beaucoup plus juste, mais instinctif, d’aller voir justement, exactement, et plus âgés en fait aussi. Plus âgés en fait, qui sont à EUD etc, et avoir une complicité qui va se faire, et de compréhension mutuelle davantage qu’avec des enfants de leur âge aussi.
Clémentine
Tu vois, quand tu t’expliques tout ça, je trouve ça fou, la mécanique hyper discriminante où on va stigmatiser les enfants de mères célibataires qui vont traîner dehors, comme est le titre de son livre, ou qui vont avoir une liberté extérieure. Alors que pour quelqu’un comme moi, ça va être valorisé. Moi, j’ai eu beaucoup de liberté petite et on n’a jamais stigmatisé mes parents. On a plutôt dit, tu lui fais confiance. Mais dans une situation où elle va pouvoir se débrouiller. Tu vois, j’ai jamais ressenti le poids de la société comme quelque chose où j’étais une gêne pour l’espace public. Au contraire, j’étais valorisée. Et mes parents n’ont jamais été inquiétés parce qu’on m’a donné de la liberté. Alors que quand tu es issu des quartiers populaires ou que ta mère accumule trois jobs, là, on va dire que tu es un parent défaillant.
Clémentine
Tu vois, c’est le double tranchant, c’est fou.
Sélim
En fait, on va inverser la charge de la responsabilité. C’est pour ça que je dis que c’est l’État qui criminalise les mères seules et leurs enfants et pas le contraire. C’est la situation sociale dans laquelle ils se retrouvent indépendamment de leur volonté qui fait que ça peut être plus compliqué aussi, qui fait que les mères seules peuvent se retrouver confrontées à l’aide sociale à l’enfance, malgré elle aussi, parce que le père n’est plus là, etc. Donc toutes ces choses-là font qu’effectivement, on va inverser la donne. Sur l’ASE par exemple, on va avoir, comment dire, ça va être plus facile en tout cas, d’éduquer ses enfants d’un milieu privilégié. Parfois non d’ailleurs. On l’a vu avec le fils d’Eric Zemmour aussi, qui a eu pas mal de problématiques avec la police et la justice, je cite dans le livre précisément.
Et le fils de Nadine Morano. Il y a le neveu de Bruno Retailleau aussi en 2018 qui volait des avions. Qui volait des avions et qui avait un problème mental par rapport à ça et qui s’est suicidé ensuite. J’ai découvert ça assez récemment. Mais ça, ça n’a pas fait le haine de la presse qui, initialement, volait plein d’avions. Enfin, c’est pas des trottinettes quoi qu’ils volaient, c’est bizarre. Bref, effectivement, eux, on ne va pas dire qu’ils sont.