Épisode 160 – Le mom rage et les différences culturelles entre la France et le Québec

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Depuis la France, on prend souvent l’exemple du Québec en matière d’éducation et de parentalité. Mais est-ce qu’il y a vraiment tant d’écarts ? Est-ce que la façon de considérer les enfants est différente ? Est-ce que la prise en charge maternelle est à la hauteur de ce que méritent les femmes ? Est-ce que réussir sa vie pro et perso est possible ou en tout cas encouragée au Québec ?

Ce sont les thèmes que l’on a abordés avec le duo de podcasteuses nord-américaines Dre Lory Zephyr, et la journaliste Jessika Brazeau. Elles ont toutes les deux créé un podcast qui s’intitule « ça va, maman ? » pour sortir les mères de leur solitude et de leur questionnement face à la parentalité. 

C’est vraiment intéressant d’avoir leur regard depuis le continent nord-américain qui est influencé par l’Europe, mais donc aussi par les États-Unis. 

Dans cet épisode, on parle également du concept de mom rage, le terme anglophone qui signifie la rage maternelle, et Lory Zephyr, qui est docteur en psychologie, vous guide pour comprendre ces accès de colère soudains, qui ne nous ressemblent pas vraiment, mais qui caractérisent un pan de notre maternité. 

Moi, je le ressens de temps en temps, pour être honnête, quand je pète les plombs avec des guillemets, évidemment, je sais que je suis dérégulée, que je ne suis pas alignée avec moi-même, et cet état me fait souvent flipper et culpabiliser, et je sais que c’est un état qui fait peur à mes enfants. 

Mais pas de panique, Lory va vous donner des clés. 

Allez, je vous souhaite une très bonne écoute.

LES LIENS DE L’ÉPISODE : 

Invitées du Podcast :
Dre Lory Zephyr, psychologue
Jessika Brazeau, journaliste

Episodes mentionnés dans le Podcast :
Épisode 146 – Peut-on tout avoir quand on a 3 enfants en bas-âge ?
Le Podcast : “Ca va maman”
Épisode – Parents sécurisants, enfants sécurisés avec Marc Pistorio

Autres liens :
Marc Pistorio, Docteur en psychologie clinique
CVM Formation
Formation Dre Nicole Reeves, Ph.D., psychologue : Devenir parent : entre enchantement et détresse


TRANSCRIPTION DE L’ÉPISODE

Clémentine Sarlat : Salut Lory, salut Jessika. Alors, c’est la première fois que je fais un podcast avec des gens à l’étranger, déjà, je suis en train de me dire, avec des invités… Attends, est-ce que j’ai déjà fait… Non, parce que c’est des Français, mais des étrangères. P. Non, il prend rien parce qu’on parle la même langue, mais on n’est pas de la même nation. Et avec deux invitées, donc je présente, il y a Jessika qui est là, qui est journaliste, et il y a Lory qui est psychologue, qui est docteur en psychologie. Donc toutes les deux, vous êtes québécoises. Vous avez créé la plateforme Maman ça va, ça va maman, pardon. Et donc déjà, j’aimerais que vous m’expliquiez pourquoi vous avez débuté cette plateforme et comment est né votre duo.

Jessika Brazeau : Ben, notre duo, en fait, il est né parce que j’ai rencontré Lory. J’avais un projet de podcast. J’ai eu des jumeaux. Moi, j’ai eu trois enfants en deux ans. Ça donne un portrait, là. Je les ai eus très rapprochés, les jumeaux. Ça a été une grosse surprise dans ma vie. J’ai trouvé ça extrêmement difficile à gérer. Donc, je voulais faire un podcast là-dessus, sur la gémélarité. Ça allait s’appeler Comment survivre aux jumeaux, je pense. Puis je cherchais une psychologue qui avait déjà eu des suivis, peut-être avec des jumeaux, puis j’essayais de comprendre, puis j’ai rencontré Lory. Puis là, finalement, ça a été comme un coup de foudre professionnel. On a fait une entrevue, ça a super bien été, puis la pandémie est arrivée tout de suite après. Puis on s’est dit, il faut faire quelque chose pour aider les mères qui sont à porter tous les chapeaux. Puis on a lancé le podcast « Ça va maman ». Puis ensuite, bien là, on en demandait plus, plus. Puis là, c’est devenu une plateforme, c’est devenu des conférences, c’est devenu plein d’outils. Ça fait que c’est vraiment parti d’un désir de… Je pense que mon désir personnel, c’était vraiment de me comprendre comme mère. On est toutes différentes, on vient toutes de différentes places. On n’entre pas dans la maternité par la même porte. Et pourtant, ce qu’on nous présente sur les réseaux sociaux, c’est un modèle de mère. On s’est dit qu’on allait ouvrir à ça. Lory, ta mission, c’était peut-être plus avec ta profession aussi.

Lory Zephyr : Oui. Moi, en fait, je m’intéressais déjà à la santé mentale maternelle avant. J’ai eu une formation surtout en attachement parent-enfant. Donc, quand j’ai rencontré Jessika, déjà, j’avais rencontré beaucoup de mamans dans ma clinique et je me disais, là, il faut qu’on fasse quelque chose par rapport à la santé mentale maternelle. Il faut qu’on aille à la rencontre des mamans, il faut qu’on leur explique un peu ce qu’elles vivent pour qu’elles soient capables de comprendre. Et que la maternité soit moins comme une lourdeur sur leurs épaules. Donc, quand j’ai rencontré Jessika, je me rappelle qu’à travers ses questions, moi, ça m’allumait parce que je me disais, “OK, là, je vois qu’est-ce qu’elle a lu, je vois qu’est-ce qu’elle a entendu, mais il y a comme une espèce de dérive entre la théorie, la clinique, puis la performance, justement, que certaines mamans peuvent s’imposer”.

Fait que là, je me suis dit, “OK, on va aller vulgariser la santé mentale parentale” pour que les mamans, les parents qui vivent déjà des défis, mais qui peuvent s’aider un peu. Fait que tout ça, c’est ça, en rencontrant Jessica et nos deux idées ensemble, on s’est dit, “allons à la rencontre, allons aider”. Puis pendant la pandémie, nous aussi, on était avec nos familles chez nous, fait qu’on faisait coucher les enfants, puis le soir, justement, on allait dans nos sous-sols, on enregistrait des balados. C’est vraiment le retour des mamans qui nous a fait, OK, là, on réalise à quel point les mamans avaient besoin d’entendre ce genre de discours-là.

Clémentine Sarlat : C’est vrai que la pandémie, ça a exacerbé beaucoup de problématiques autour de la parentalité, puisque je pense que pour certaines, ça a été un cauchemar d’être enfermée avec leurs enfants sans ressources extérieures. Et c’est vrai que même moi, je le vois au niveau de mon podcast, ça a été un pic d’écoute beaucoup plus fort. On a tous cherché des solutions ou même juste de se dire, je ne suis pas seule, il y en a d’autres qui vivent. Alors aujourd’hui, on voulait parler un peu des différences, des petites ou grandes différences d’ailleurs, entre nos deux nations, nos deux cultures, sur le fait devenir parent. Déjà, comment est-ce que c’est vu au Québec, la parentalité?

Lory Zephyr : C’est vraiment intéressant. Je pense qu’au Québec, il y a une grande valeur qui est accordée à la parentalité, même qu’on va avoir un peu plus de jugement envers ceux qui ne veulent pas d’enfants. Donc il y a quand même une grande valeur qui est accordée à la parentalité. Il y a une grande valeur aussi au Québec qui est accordée au développement de l’enfant. On a quand même des belles politiques qui sont là depuis vraiment longtemps. Les parents qui deviennent parents, les adultes qui deviennent parents voient ça comme étant précieux. Voient ça comme étant vraiment quelque chose à bien accueillir dans leur vie, puis ils veulent essayer de faire du mieux qu’ils peuvent. Mais en même temps, c’est là que justement, des fois, ça vient affecter un peu la santé mentale. C’est que c’est tellement précieux. On voit tellement à quel point ça a une grande valeur, le développement de l’enfant. On veut tellement offrir le meilleur aux enfants. Que ça fait en sorte qu’à un moment donné, bien, la pression, elle est là, la performance, elle est là. Moi, j’ai l’impression que c’est comme ça qu’on voit la parentalité.

Jessika Brazeau : Moi, j’avais l’impression aussi que ça allait de soi. Tu sais, tu te poses pas tellement la question, est-ce que je vais être… Je pense que je côtoie, mettons, ma sœur ou la génération de 30 ans qui se disent, est-ce que je veux vraiment des enfants avec les questions environnementales, avec tout ça? Mais en tout cas, moi, ma génération, je suis pas si vieille que ça, mais je me suis pas posé la question. C’était comme, j’allais être mère. C’est ça, c’est ça le parcours. Ça allait de soi. Ça arrive avec… Toutes les générations derrière moi sont devenues mamans. Ça ne doit pas être compliqué, ça ne doit pas être si difficile que ça. Puis là, tu rentres là-dedans et tu es comme… Non, c’est beaucoup plus difficile que je pensais. Les questionnements, je ne les pensais pas. On en a peu parlé.

Je pense que c’est quand même nouveau qu’on parle de santé mentale maternelle. La matrescence, moi, je n’avais jamais entendu ça avant d’être mère, avant de rencontrer Lory. Donc, tous les questionnements que j’avais, moi, c’était quand même… Difficile d’entrer dans la parentalité. Je me questionnais beaucoup. Mon niveau de compétence parentale n’était pas très élevé. Je pensais que j’allais être mère. entre la mère idéalisée que j’avais, je pensais que j’allais avoir les compétences, puis, je viens d’une bonne famille, je vais reproduire. Mais finalement, il y a tellement de choses qui se passent que ça n’a pas été comme ça du tout, que je suis rentrée dans la parentalité. Fait que moi, c’était plus, je pensais que ça allait être facile. Puis finalement, tu sais, où les difficultés allaient être au niveau du sommeil. Tu dors pas assez, ok, au niveau de la gestion des virus. Mais il y a tellement de choses qui se passent dans ton corps, dans ta tête, dans ton identité, que ça, j’avais jamais regardé ça, puis j’en avais jamais entendu parler non plus.

LE CONGÉ MATERNITÉ ET PATERNITÉ

Clémentine Sarlat : On le sait, moi je le sais en tout cas que la politique autour de la parentalité, de la petite enfance est vraiment différente. Nous on vous cite souvent en exemple parce que vous êtes un pays francophone donc forcément il y a une similarité et parce qu’il y a beaucoup de français qui sont exilés. Et notamment, j’en connais qui sont aussi allés parce qu’il y a une meilleure politique au niveau du congé maternité et paternité. Est-ce que, Lory, tu peux nous expliquer ce que c’est la répartition chez vous?

Lory Zephyr : En fait, ici, notre congé parental est de un an. Normalement, c’est la maman. On peut parler de charge mentale et tout ça, mais normalement, la maman va prendre un an. Ceci dit, c’est un congé parental qui est flexible. C’est-à-dire qu’on peut partager des semaines. Là, je ne me rappelle plus tout à fait, mais exemple, il y a un nombre de semaines que c’est vraiment, c’est pour la maman. On se souvenait que c’est aux alentours d’une vingtaine de semaines, c’est exclusif à la maman. Et le reste des semaines, on peut le partager justement avec le conjoint ou la conjointe. Et ça, ça permet d’avoir de belles flexibilités, c’est-à-dire peut-être que moi je vais prendre un peu moins du congé parental, puis avoir moins de salaire, mais ça va faire en sorte que je vais avoir mon conjoint ou ma conjointe avec moi à la maison pendant plus longtemps, on peut être deux. On parlait tantôt de gémélarité, ici justement il y a un peu plus de congé parental pour le papa ou la conjointe. Quand il y a deux enfants, quand on est dans un contexte de jumeaux-jumelles. Tout ça, c’est des éléments qui viennent vraiment aider à soutenir les parents dans la transition à la parentalité. Ceci dit, ça vient aussi avec un niveau d’isolement. Nous, c’est quelque chose qu’on entend beaucoup des nouvelles mamans, c’est-à-dire “Moi, ça fait un an que je suis un peu toute seule à la maison à m’occuper des charges du quotidien”.

Des fois, il va y avoir des enfants aussi qui sont plus grands et ça donne le fameux mot congé. Ce n’est pas un vrai congé. Oui, c’est une pause du travail, mais dans la réalité, ces mamans qui s’occupent justement de toutes les tâches au quotidien, d’avoir à se réveiller la nuit, papa va travailler, etc. Ça peut créer des déséquilibres dans la parentalité par rapport à ça. C’est ce type de discussion-là ou de réflexion-là que nous, on est exposés. C’est-à-dire, oui, c’est beau, c’est une belle politique, c’est aidant, puis il faut savoir que le revenu qui revient, le salaire, c’est quand même quelque chose qui affecte les finances du couple. Vers la fin du congé parental, dépendamment du programme qui est choisi, la maman va se retrouver avec 50% du salaire qu’elle gagnait avant de partir en congé de maternité.

Ça veut dire que c’est quand même un poids sur les finances. Puis nous, on va le voir, les mamans qui vont dire « Comment est-ce que vous faites pour y arriver? » Là, les dépenses… Le loyer, l’épicerie, etc., c’est là, mais j’ai 50 % de mon salaire. Ça, ça demande une petite adaptation.

Jessika Brazeau : Puis il y a des semaines partageables entre le père et la mère, mais reste que les salaires, de façon générale, malheureusement, entre hommes et femmes, ne sont pas encore égalitaires. Quand tu es dans ton congé parental, tu te dis, “OK, qu’est-ce qu’on fait? Qui prend le congé?”. Mais on va y aller avec la personne qui va être moins impactée au niveau du salaire. C’est-à-dire que celle qui fait le plus d’argent va continuer à travailler. Donc malheureusement, c’est encore les hommes, souvent. Bien que la femme aimerait retourner au travail, mais ce n’est peut-être pas une possibilité financière. Oui, c’est super. Sérieusement, on ne va pas dire que ce n’est pas une belle politique. Oui, s’en est pas une, mais ça vient encore avec des inégalités qui sont présentes.

L’ISOLEMENT PENDANT LE CONGÉ PARENTAL

Clémentine Sarlat : Alors, en fait, ce que je vous pose comme question, c’est que le modèle scandinave, c’est à peu près le même que le vôtre dans la répartition des congés. Et eux, en revanche, pour la solitude, pas tous les pays, je crois, mais ils ont mis en place ou avec le pédiatre ou le médecin de famille, ils vont être assignés à un groupe de mamans qui ont les mêmes âges d’enfants. Et donc, toutes les semaines, il y a des rendez-vous, il y a des activités, il y a des lieux pendant tous les un an de congés pour que, justement, il n’y ait pas cette solitude. Il n’y a rien d’organisé pour vous ?

Lory Zephyr : C’est pas de façon systématique, dans le sens où c’est à la maman qui est déjà fatiguée, qui est déjà isolée, qui doit faire les démarches pour trouver est-ce qu’il y a un centre communautaire proche de chez moi qui fait des activités. Et bon, nous on vient exemple de Montréal, la région de Montréal, c’est-à-dire que des ressources périnatales, il y en a quand même quelques-unes, il y a du choix. Mais si je me retrouve un peu plus loin en région, ben cet accès-là à des ressources périnatales des fois est beaucoup plus limité, des fois justement c’est ça. C’est difficile, il faut prendre la voiture, il faut prendre la coquille pour aller avec bébé, etc. Fait que c’est tout ce genre d’éléments-là que nous on amène à travers notre plateforme. La population à prendre conscience, c’est quoi les enjeux que les mamans vivent.

Du moment qu’on les sait, on est capable d’offrir un peu plus des ressources, de l’aide. Ça va maman, j’ai l’impression, oui, il y avait la pandémie mais c’était aussi le fait qu’on pouvait aller vers la maman. C’est-à-dire que je suis chez moi, peut-être que mon enfant peut faire une bonne nuit, peut-être qu’il est un petit peu malade, mais je peux quand même avoir une communauté de maman qui est connectée à moi, dans mes oreilles, à travers les plateformes qu’on a en ligne. Ça permettait justement d’avoir un peu plus de flexibilité.

LA SANTÉ MENTALE AU QUÉBEC

Clémentine Sarlat : Oui, donc en fait c’est au lieu que ce soit la mère qui fasse l’effort de se déplacer, vous vouliez créer quelque chose où on leur apporte chez elles le réconfort. Est-ce que la santé mentale parentale et maternelle, elle est taboue au Québec ou c’est vraiment un sujet qui est mis en avant dans les politiques publiques ?

Jessika Brazeau : J’ai le goût de dire tabou, là. Juste parce que, comme je disais tantôt, que la parentalité allait de soi. C’est comme si t’as voulu des enfants. Je chiale pas, t’sais. Donc, subis un peu ce qui se passe. On est passé par là, nous aussi, à ton tour. Moi, c’est comme ça que je le vois. Lory, toi, tu penses pas?

Lory Zephyr : Ouais, moi aussi, je suis un peu d’accord. On en parle quand même, t’sais. Je vais quand même dire qu’on a certaines plateformes, on a certaines politiques qui sont là, qui mettent de l’avant la santé mentale parentale, mais où moi je trouve que ça manque, c’est qu’on va parler ou on valoriser, j’ai envie de dire, la santé mentale parentale quand on tombe dans de la psychopathologie. On va parler de dépression postpartum, on va parler justement de burn-out, etc., mais toute la notion de matrescence, qui est dans la normalité de la transition à la parentalité, ça on n’en parlera pas.

Ce qui fait en sorte qu’une maman, pis moi c’était un des éléments qui m’a motivée à vulgariser la santé mentale parentale, c’est que lorsque je faisais mon internat dans un hôpital, dans un centre de naissance, les mamans qui allaient “suffisamment bien”, pis je le mets entre guillemets, ben on leur donnait pas de suivi parce qu’on avait pas les ressources pour ça et je me disais, mais pourquoi attendre qu’une maman aille si mal. Pourquoi elle doit être dans un état de détresse pour qu’on lui offre de l’aide, pour qu’on lui donne des ressources, sinon débrouille-toi. Au contraire, ayons une approche de prévention. Puis en disant, ok, d’accord, tu vis des émotions qui sont valides, qui sont normales. On va prendre le temps d’en discuter, on va prendre le temps de les réfléchir pour que ça puisse t’aider à traverser ta parentalité.

C’est là que j’ai l’impression qu’il y a de l’aspect un peu plus tabou de, c’est pas tout beau tout rose, mais c’est pas pathologique non plus. Faut les deux, t’sais.

Jessika Brazeau : Mais dis-moi si je me trompe, mais on passe beaucoup par les enfants aussi. Tu sais, parce que nous, le développement des enfants, c’est super important. C’est très, très… Tu sais, il y a plein de politiques aussi autour de ça pour aider, tout ça. Fait que si les enfants, on voit quelque chose, bien là, on va aller intervenir auprès de l’enfant. Puis là, on va voir la dynamique familiale. Puis là, on va peut-être rentrer pour aider les parents. Mais je pense que la porte d’entrée, ça doit souvent, en ce moment encore, les enfants… Puis tu sais, je veux dire, avant qu’on fasse Ça va, maman, jamais j’avais entendu parler de santé mentale parentale nulle part, là. Je veux dire, nulle part.

Clémentine Sarlat : Alors, vous avez toutes les deux des enfants, évidemment, vous êtes maman. Mais moi, ça m’intéresse, Lory, parce que tu es la professionnelle de la santé mentale dans ce podcast avec nous. Est-ce que toi, en tant que psychologue, t’as quand même galéré en devenant mère?

Lory Zephyr : Moi, j’avais tout bien compris, tout était beau, bien maîtrisé. Non, au contraire, j’ai l’impression que c’est la chance que j’ai eue avec ce bagage-là, c’est que je ne me suis pas posé la question est-ce que c’est normal ce que je vis. C’est comme si je le savais d’emblée qu’il va y avoir des difficultés, que je vais ressentir de la culpabilité. À certains moments, je vais me sentir inadéquate. À certains moments, je vais me questionner sur mes compétences parentales, mais pas dans une optique de me replier sur moi-même parce que je me sens anormal. Au contraire, parce que je ressens ça, ça me motivait à aller voir mes amis psy, mais non psy, ça me motivait à parler de maternité à d’autres personnes. Et je pense que c’est là que quand on dit aux mamans « c’est normal ce que tu vis », il y a beaucoup moins d’isolement, donc beaucoup moins de détresse, beaucoup moins de repli sur soi, beaucoup moins de solitude. Versus si on lui dit pas que c’est normal ce qu’elle vit, même que c’est sain. Tu sais, nous, sur ça va Maman, on parle d’ambivalence. C’est-à-dire qu’il y a des moments où est-ce que je suis attirée par la maternité, puis il y a des moments où est-ce que je suis totalement repoussée par la maternité.

Mais si je ne dis pas à une maman que c’est normal et sain qu’est-ce qu’elle vit là, elle peut avoir peur à certains moments de se dire, et là, on va avoir l’impression que je suis une mauvaise mère, on va m’enlever mon enfant parce que je suis supposée tout aimer. Fait que je pense que c’est là que la psychologie m’a aidée, c’est d’accepter tous ces écueils-là, toutes ces émotions-là à l’intérieur de moi qui n’étaient pas toujours jolies et fun et épanouissantes.

Clémentine Sarlat : Non, mais qu’on se rassure que même toi, même vous, les professionnels, vous galérez comme nous, et c’est normal!

Lory Zephyr : Ben oui! Puis il faut le dire, tu sais, je sais pas comment ça se passe de votre côté à vous, mais je pense qu’ici, des professionnels qui disent évidemment qu’on veut garder une certaine neutralité, mais je pense qu’on se permet un peu plus de dire… Je pense qu’il y a la place, en tout cas, pour être capable de dire que ce n’est pas parce qu’on est des professionnels. Moi, je suis, je vais souvent dire, je suis une experte des moyennes, c’est-à-dire que je m’en vais regarder la science, qu’est-ce que la science, elle dit, mais ça, c’est une moyenne. Après ça, dans ma clinique, il faut que j’aille à la rencontre de la personne, il faut que j’aille comprendre de façon individuelle. Puis dans cette individualité-là, on va aller justement accueillir comment toi, tu vas vivre ta maternité.

Je pense que oui, je me permets totalement de dire que moi aussi, j’ai des défis dans ma parentalité.

Jessika Brazeau : Mais il y a beaucoup de professionnels qui nous écrivent, pas avec leur chapeau de professionnel, mais avec leur chapeau de parent, et qui m’écrivent « cordonnier mal chaussé ». Je lis souvent ça parce qu’ils se disent « j’ai tous les outils et je rush, je trouve ça super difficile, j’y arrive pas à pas crier ». Il peut y avoir pour certains, peut-être que Lory, toi tu portes moins ça, la culpabilité, mais je le sens quand même qu’il y en a des professionnels qui sentent très coupables de ne pas être capables eux-mêmes dans leur parentalité. Alors qu’ils donnent des outils aux autres parents. Après ça, on reste humain. C’est un peu là où il faut s’accepter dans cette humanité-là, que ce n’est pas facile. Surtout, il y a des phases dans la parenté qui sont encore plus difficiles que d’autres. Oui, c’est ça.

Clémentine Sarlat : On est bien d’accord. Heureusement, quand on se dit que c’est une phase, tout passe. C’est bien pratique de le voir comme ça. Jessika, tu l’as dit, tu as eu trois enfants en deux ans, dont des jumeaux. Est-ce que tu t’es sentie isolée ou est-ce qu’il y a des choses qui sont mises en place quand justement on enchaîne les… Parce que là j’imagine t’as dû prendre un congé assez long.

Jessika Brazeau : J’ai pris tout le congé, ouais effectivement. Mais je suis retournée travailler entre les deux, entre ma fille et mes jumeaux. Non, il n’y avait pas tellement. Puis en plus, ça entrait beaucoup dans mon anxiété à moi de parent, c’est-à-dire qu’avec ma fille, je l’amenais partout, je sortais beaucoup, j’allais au restaurant, j’allais voir des amis, j’avais des amis en congés de maternité en même temps que moi. Avec les jumeaux, je trouvais que tout était trop. J’avais peur de ne pas être capable de gérer une crise. J’avais peur d’aller à l’épicerie avec eux. J’avais peur. Là, je me suis beaucoup isolée moi-même. Ce n’est pas dans mon tempérament de m’isoler. J’ai trouvé ça vraiment difficile. Oui, il y avait plus de semaines, mais comme je disais tantôt aussi, le père de mes enfants, il n’a pas pris les semaines parce qu’on n’avait pas les moyens de le faire. Même si on avait ce congé parental-là et ce congé de paternité-là, il ne l’a pas pris. J’étais vraiment seule à la maison avec les deux. Heureusement, ma fille était à la garderie, donc je n’avais pas les trois en même temps. Mais non, il n’y avait pas nécessairement plus. Puis oui, il y a quelques rabais pour les parents de jumeaux pour aider financièrement avec les vêtements. Ça dépend d’où on va. Puis je pense que le gouvernement en donne un petit peu plus maintenant. Mais pas autant que ça. Pas tant que ça, je ne l’ai pas vu la différence dans mon budget. Ça coûte quand même beaucoup plus cher, deux bébés en même temps. J’ai essayé d’allaiter, ça ne fonctionnait pas. Le lait en poudre, tout était cher. Les couches, tout était cher.

LE MOM RAGE

Clémentine Sarlat : Oui, j’imagine que c’est costaud d’être parent de jumeaux ou de jumelles dans ce contexte-là. Sur votre plateforme, vous parlez donc exclusivement aux mères, parce que vous le dites, ça reste quand même encore un peu tabou, le sujet, et notamment les anxiétés maternelles ou les difficultés maternelles. Nous on va plus le dire comme ça en français. Il y a un concept américain que je lis beaucoup sur les comptes aux USA, mais en France on n’en parle pas trop, c’est le “mom rage”. Est-ce que Lory tu peux nous expliquer ce que c’est, ce que ça englobe, et pourquoi on a toute ce mom rage en nous ?

Lory Zephyr : C’est intéressant parce que le “mom rage”, l’espèce de rage paternel, c’est pas un diagnostic, mais ça a vraiment eu un écho sur les réseaux sociaux, entre autres, parce que beaucoup de mamans se sont reconnues en disant « c’est exactement ce que je vis ». Qu’est-ce que c’est? C’est vraiment une colère intense, soudaine, on peut même dire qu’elle est incontrôlable, Et souvent, elle va même être accompagnée de la culpabilité après. Le parent se rend compte que je ne voulais pas me rendre là. Et pourquoi on dit souvent, la question qu’on va avoir, c’est pourquoi on parle de mom rage pour la maman, mais on ne parle pas de dad rage ?

Et c’est toute la notion de l’écart entre les attentes envers les mamans, la pression qu’ils misent sur les attentes et à quel point les mamans sont amenées, élevées, valorisées dans cette notion-là du sacrifice de leurs besoins. Il n’y a pas de respect, justement, de leurs limites, au détriment de… On va dire que c’est pour le bien-être des enfants, etc., que tu sacrifies tes besoins et que tu ne respectes pas tes limites. Mais en demandant à un humain de ne pas répondre à ses besoins ou de ne pas respecter ses limites, ça l’amène quoi? Ça l’amène à un humain qui est en désorganisation.

Et c’est là justement la fameuse notion du mom rage, c’est pour mettre en lumière la pression du rôle, le mythe de la bonne mère qui est justement constamment présente, qui ne prend pas soin d’elle-même, et à un moment donné, elle explose. Elle explose et elle sent mal d’exploser. Et moi, dans ma clinique, j’avais des mamans qui venaient en disant « je ne veux plus exploser ». « Je ne veux pas exploser, je ne veux pas faire vivre ça à mes enfants. » Et moi, je leur donnais une espèce de regard, puis à travers notre conférence, un peu ça, c’est « Mais on va réfléchir à pourquoi tu as explosé. » Et ça, ça donne un levier d’intervention qui est très différent. C’est « Ok, bien, à tel ou tel moment, voici les situations est-ce que tu ne t’es pas respectée dans tes limites ou est-ce que tu n’as pas répondu à tes besoins? » Puis si on interagit là-dessus, bien, tu vas beaucoup moins exploser. Tu vas être capable de mieux comprendre ta colère et au lieu que ce soit une colère désorganisée, incontrôlée, ça va être une colère des fois qui va être un peu plus juste. On a le droit d’être fâché comme parent, c’est normal, c’est une émotion, mais c’est quand ça prend des proportions démesurées que là on a besoin de réfléchir à “qu’est-ce que je peux faire de différent pour que ce soit moins fréquent”.

Jessika Brazeau : Mais je pense qu’au Québec aussi la colère est mal perçue dans la parentalité. C’est pas juste qu’on veut pas exploser, on veut pas être en colère. Dans la maternité, exactement. Plus que dans la parentalité, effectivement. Une mère en colère, tu vois pas ça ou c’est pas bien. Je le mets en gros guillemets parce que tous les humains vivent de la colère, mais c’est pas bien vu qu’une mère vive de la colère. Il y a comme tout ce sentiment-là à se réapproprier aussi, parce qu’il y en a une colère qui est saine. Après ça, il ne faut pas que tu la désorganises et que tu tombes dans le mom rage. Mais la colère veut dire quelque chose. C’est ce qu’on dit dans la conférence. C’est le respect de tes limites. C’est le respect de quelque chose qui est précieux pour toi. Donc, essaie de regarder c’est quoi que tu essaies de protéger comme ça, pour ne pas l’accumuler et que ça tombe dans le mom rage.

Lory Zephyr : Oui, pis il fait vraiment cocasse. Nous, on a fait la conférence parce que bon, ça faisait partie de la série de sujets qu’on voulait faire, mais ça l’a explosé. Jamais on pensait qu’on allait avoir des centaines et des centaines, et encore aujourd’hui. C’est la conférence qui parle le plus aux mamans. Puis, on parlait de tabou, c’est justement ça. C’est qu’il y a beaucoup de mamans dans leur quotidien qui vivent ces explosions-là de colère, mais elles sentent tellement mauvaises qu’elles n’en parlent pas à leurs amis. Elles n’en parlent pas pour essayer de mieux se comprendre. Fait que nous, en faisant cette conférence, on leur disait, “OK, justement, on va aller vers toi. Et là, ça le fait quoi?” Bien, je me sens moins anormale, donc je me permets d’en parler, donc je fais en sorte que je m’en vais peut-être chercher de l’aide à certains niveaux, je me permets de réorganiser au lieu de juste rester avec ma colère, rester avec ma culpabilité, rester dans mon isolement. Puis qu’au final, on n’aide jamais à mieux comprendre cette maman-là.

Jessika Brazeau : Mais je suis curieuse, en France, tu dis que vous ne parlez pas de mom rage. Est-ce que c’est parce que la colère est mieux vécue? Est-ce que parce que, je veux dire, on s’entend que la colère, c’est général, c’est international, on s’entend. Mais pour qu’est-ce qui ne fait pas écho? Ou peut-être que vous avez un autre mot pour ça aussi?

Clémentine Sarlat : Non, on n’a pas d’autres mots, mais c’est ce que tu dis, Lory, c’est que c’est très mal perçu qu’une mère se mette en colère. C’est très… En France, on est quand même encore malheureusement sur un modèle assez patriarcal où l’homme est le détenteur de l’autorité, donc si lui, il a des colères ou il est dans son bon droit, on va dire. Je caricature vraiment très fort mais la mère elle est considérée hystérique, dans des colère incontrôlées, et moi pour l’avoir ressenti, plein de fois, j’ai fait un épisode récemment sur le fait que “est ce que l’on peut tout avoir quand on a trois enfants en bas âge” et moi je dis que non.

Et la pression de la société elle est très forte sur le fait qu’il faut qu’on soit partout mais c’est pas possible en fait. Comme tu dis, si on ne respecte pas ses limites, à un moment on explose, donc il faut faire des choix. Quels sont les choix ? C’est au vu de chacune.

Mais j’explique qu’avec un enfant j’étais très calme et tranquille, avec deux enfants j’ai commencé à crier, avec trois enfants j’ai commencé à hurler.

Et ce n’était pas du tout qui je suis, c’est ce que tu dis dans le Mom Rage. C’est la problématique, c’est qu’on ne se reconnaît pas.On ne ferait jamais ça avec d’autres êtres humains, mais avec nos enfants, il y a quelque chose qui vient déclencher. On ne ferait jamais ça avec d’autres êtres humains, mais avec nos enfants, il y a quelque chose qui vient de déclencher. On ne parle pas encore assez de l’importance de l’enfance, l’impact que ça peut avoir sur nos vies d’adultes. C’est la problématique, c’est qu’on ne se reconnaît pas. On ne ferait jamais ça avec d’autres êtres humains, mais avec nos enfants, il y a quelque chose qui vient de déclencher.

Et c’est vrai qu’on n’en parle pas en France aussi, parce qu’on ne parle pas encore assez de la théorie de l’attachement. On ne parle pas encore assez de l’importance de l’enfance, l’impact que ça peut avoir sur nos vies d’adultes. Donc on ne va pas chercher les triggers. On ne sait pas pourquoi. Pourquoi est-ce qu’on a cette colère où on va dire oui, c’est juste que je suis fatiguée, c’est dur d’avoir trois enfants. C’est vrai, mais ça vient chercher quoi derrière? Et ce n’est pas encore ça, un sujet qu’on développe en France, en tout cas.

Lory Zephyr : Et pourtant, c’est tellement important. Tu sais, souvent, ça va maman, on va le dire, on n’arrive pas toutes de la même façon dans la maternité. Il faut comprendre, puis je dis dans la maternité, mais dans la parentalité, il faut comprendre le bagage que je porte. Pour être capable de mieux comprendre mes réactions, mes émotions, même mes pensées par rapport à comment j’interprète le comportement de mon enfant, par exemple, ou ma façon d’être dans le couple. Puis c’est là qu’à travers la santé mentale maternelle, en tout cas personnellement pour moi, je voyais comment est-ce que ça fait des liens avec la dynamique de couple. Ça fait des liens avec mon bagage familial, ça fait des liens même avec mon environnement professionnel. Tous ces éléments-là expliquent une partie de la réponse. Et plus je prends conscience de ce qui m’entoure, de ce que je porte, et mieux je suis capable de réagir face à mon environnement.

Tantôt, tu parlais de faire des choix. Oui, des fois, ça m’amène, au lieu devoir juste continuer un automatisme, parce que je sais qui je suis, parce que je sais qu’est-ce qui m’entoure, je suis capable de dire ce choix-là, cette décision-là. Ça me convient plus. Puis je l’assume que ça me convient plus, mais il faut faire ça, t’sais.

Clémentine Sarlat : C’est pas toujours facile. Et Jessika, toi tu dis que t’étais dans cette spirale où tu te reconnaissais pas, de mom rage, et que bon, grâce au soutien de Lory et à toutes vos conférences, t’as réussi à te recanaliser, et c’est quoi qui a déclenché chez toi le fait que t’as réussi à te recentrer ?

Jessika Brazeau : C’est une grosse question, parce que ça fait trois ans qu’on fait ça va Maman, donc ça fait trois ans qu’on parle de psycho à tous les jours. J’ai énormément travaillé sur moi, mais moi je suis entrée dans ça va Maman en me sentant une mère inadéquate, pas assez bonne. J’essayais d’appliquer des techniques. Il y a beaucoup sur le développement de l’enfant. Donc j’étais, je lisais là-dessus, je voyais des trucs, puis j’essayais de l’appliquer dans ma parentalité sans me regarder, sans regarder mon bagage, sans regarder ce que je porte, sans regarder qui est-ce que je suis. Et j’étais juste pas capable. Fait que mon sentiment de compétence parentale était vraiment, vraiment moindri. Puis à un moment donné, puis je le dis au début de la conférence, j’étais une femme en colère. Tout était… Après ça, il y a des pics de colère, mais le sentiment général, c’était surtout drivé par la colère. Mais c’est vraiment à force de travailler sur soi, de regarder, de vraiment… Au Québec non plus, on ne tourne pas vraiment le regard vers le parent. Une mère va toujours chercher des outils beaucoup plus en lien avec comment je peux aider mon enfant que qu’est-ce que moi je vis pendant la crise de mon enfant, qui au final, c’est quand même moi qui va intervenir. Tout ce que je porte va avoir une incidence sur ma façon d’être un parent. Je ne dis pas que j’en suis sortie, ça peut m’arriver encore malheureusement. J’en parlais avec Lory récemment et je me sentais quasiment imposteur dans le rôle de ça va maman parce que je suis supposée avoir travaillé sur moi, compris.

Mais la maternité est encore difficile par moments. Par contre, je pense que là où je rejoins plus Lory, c’est que je reste beaucoup moins longtemps dans la culpabilité, dans l’apitoiement sur moi-même, dans me taper sur la tête, beaucoup moins. Je vais faire comme « ok, il y a ça, c’était à cause de ça, c’était à cause de ça ».

Puis après, je peux aller réparer aussi la relation avec mes enfants. Avant, je restais plus dans… « mon Dieu, je me sens tellement mal, j’ai tellement pas bien fait, je suis tellement pas une bonne mère! » Là, je vais faire comme « Bon, c’est arrivé, je m’excuse par rapport à telle affaire, pis après ça, je peux plus me pardonner. Fait, je ne dirais pas que j’en vis plus jamais, mais je suis beaucoup plus nuancée, pis je ne suis plus, je pense, une femme en colère. J’ai identifié, pis j’ai travaillé là-dessus. Mais ça reste le travail d’une vie, de se regarder.

Clémentine Sarlat : Lory, est-ce que tu penses que le mom rage est généré par la société dans laquelle on vit ?Dans le sens où aujourd’hui on doit travailler, on travaille en tant que mère, on doit avoir des relations sociales, on doit être en couple, en tout cas essayer de maintenir quelque chose, on doit être un peu partout et on doit être la source première de sécurité pour nos enfants. Et on doit ramener de l’argent. Est-ce que ça, ça génère le mom rage? Est-ce que le mom rage, tu dis que c’est pas un terme clinique, donc est ce que ca a été étudié? Est-Ce que ça a été étudié? Est-ce qu’avant, les générations auparavant avaient ça? On peut se souvenir de nos parents péter les plombs, mais tu vois, est-ce que cette notion est associée au monde moderne?

Lory Zephyr : D’un point de vue scientifique, il n’y a pas d’études assez sur le mom rage pour être capable d’en arriver à ça. Je peux dire mon avis au niveau clinique, par contre, le rythme effréné dans lequel on vit dans nos sociétés occidentales, c’est insoutenable. Puis je pense que c’est là tout le cycle, tout le rythme qu’on s’impose et qu’on ne voit pas quel effet ça a sur nous, sur l’humain, que c’est pas compatible à certains niveaux. Mais justement, on va voir la réaction au fait que c’est pas soutenable. Justement, comme tu dis, OK, la maman qui se réveille le matin, on va faire la routine avec les enfants, amener les enfants à la garderie, la crèche, on est dans le trafic, on roule, on veut performer.

Puis il faut le dire quand même, les femmes, on s’est battues beaucoup pour pouvoir aller sur le marché du travail, aller aux études, donc on a des postes qui sont plus importants, donc plus de responsabilités, mais ça veut pas nécessairement dire que parce que j’ai plus de responsabilités au travail que j’en ai moins à la maison. Donc ça fait en sorte qu’on essaie, il y avait une publication sur Facebook à un moment donné qui disait “On essaie d’être des mamans comme si on n’était pas des femmes au travail, puis on essaie d’être des femmes au travail comme si on n’était pas des mamans”. Donc, ça fait en sorte que moi, les mamans que je rencontre, elles sont au travail, elles pensent quand même constamment, “ok, est-ce que là, j’ai les vêtements d’hiver? Est-ce que là, est-ce que j’ai réservé pour le cours de natation?”

Le cerveau roule constamment. Et notre cerveau n’est pas fait. Souvent, on valoriser la maman qui multitasque, qui fait plusieurs tâches en même temps. Notre cerveau n’est pas construit pour qu’on soit autant dans le multitâche. Donc, évidemment qu’à un moment donné, notre corps réagit. Fait que si ce n’est pas de la colère, des fois ça va être de la grosse une espèce d’impuissance qui va, ça peut être la dépression par exemple, ça va être un haut niveau d’anxiété, ça va être justement des relations sociales. Je fais de la thérapie de couple, des dynamiques de couple qui à un moment donné, mais c’est deux personnes sous pression constamment qui essaient de persévérer dans un cycle qui ne convient pas ni aux couples, ni aux individus, ni à la famille.

Des fois, il faut être capable de prendre un pas de recul, puis être capable de se dire là, il faut revenir à quelque chose qui est beaucoup plus simple, beaucoup plus essentiel, beaucoup plus axé sur la relation. Évidemment que ma clinique, c’est la relation d’attachement, autant dans la dynamique parent enfant que dans la dynamique de couple. Et quand on revient à des choses un peu plus simples, essentielles, et j’ai même envie de dire humainement possibles, c’est là qu’on arrive à s’enlever une couche de pression pour être capable de revenir à des émotions qui sont un peu plus saines, des stratégies d’adaptation qui sont plus saines et aidantes pour nous aussi.

Jessika Brazeau : Mais je pense qu’il y a tout ça, la charge mentale et tout, dans une ère où on se demande le bonheur, l’atteinte au bonheur. On est vraiment dans une ère de bien-être, de ci, de ça. Donc je suis supposée aimer ça. Je ne sais pas, je ne suis pas ma grand-mère. Mais à son époque, on ne lui demandait pas s’il tentait d’être mère ou pas. C’était « tu vas être mère » et c’est tout. Peut-être qu’elle aimait ça, peut-être qu’elle n’aimait pas ça, puis c’était juste ça. Aujourd’hui, on a le choix. Je suis très, très, très, très contente qu’on ait le choix, évidemment. Mais je pense que ce choix-là vient aussi avec une pression d’être heureux dans les rôles qu’on porte. Et c’est là aussi que quand la maternité ne t’apporte pas la dose de bonheur que tu espérais, comme aujourd’hui, tu peux aller en voyage, tu veux faire vivre telle affaire à tes enfants. « Vas-y en voyage! » Ça veut pas dire que ça va se passer comme dans ta tête, pis dans ce que t’avais imaginé. Ça va être peut-être beaucoup plus de gestion, pis de… Et c’est là qu’on fait « Hey, sais-tu quoi? C’est donc ben de la merde! » T’sais, c’est cette pression de tout aimer de la parentalité, je trouve, dans cette ère où on peut tout avoir. Entre gros guillemets.

Lory Zephyr : Puis j’ai même envie de dire, non seulement il y a la pression d’être heureux, mais il y a aussi la pression que nos enfants soient heureux. C’est vraiment quelque chose à déconstruire à travers la maternité, je pense que je l’entends un peu plus, cette vision-là que nos enfants doivent être heureux tout le temps, puis qu’ils doivent être émerveillés tout le temps. Ça fait en sorte que le parent s’active. Mais en même temps, la vie, ce n’est pas d’être heureux tout le temps. Au contraire, on veut apprendre à nos enfants à cheminer à travers toutes les émotions qu’ils vivent. Et ça, justement, je pense que comme on ne le dit pas aux mamans, on est passé dans le temps des fêtes. Écoute, on va faire le lutin de Noël, on va faire ça, on va faire ça, mais oui, mais en même temps, si mon enfant vit de l’ennui, si mon enfant vit de la déception, s’il vit du découragement, c’est tous des états, des sentiments, des émotions humaines normales, mais je vais l’accompagner pour être capable de mieux comprendre ces émotions-là, au lieu de se mettre la pression qu’il faut qu’il soit heureux et qu’il ait des beaux souvenirs.

Jessika Brazeau : C’est vrai. Mais on est capable de le faire un peu plus avec les enfants, mais très peu avec nous-mêmes. De vivre de la déception, de vivre de la tristesse, de vivre… On veut pas les vivre ces émotions-là. C’est ce que les mamans nous disent. Elles veulent être juste dans les émotions dites positives. Encore là, y a-t-il des émotions positives et négatives? On pourrait avoir un débat là-dessus, mais elles veulent être dans des belles émotions. Pis la parentalité, ça vient pas juste avec des belles émotions.

Clémentine Sarlat : Non, déjà quand on dort pas de la nuit, c’est cool d’avoir des belles émotions lendemain.

Jessika Brazeau : En tout cas, nos enfants sont malades. Tu sais, je veux dire, il y a eu un épisode hier soir de Gastro, je l’ai pas trouvé drôle, j’avais pas des belles émotions cette nuit.

Clémentine Sarlat : Alors, avec le Mom Rage, il y a aussi l’anxiété qui vient, et tu le disais, de la performance, Lory, sur cette société dans laquelle on vit, qui existe de la performance dans tous les domaines, et notamment aujourd’hui dans la parentalité, avec les méthodes miracles, y a-t-elle éducation qui est mieux que l’autre ? Et je prends pas ma part de responsabilité, mais moi je parle d’éducation dans mon podcast, donc effectivement, je nourris ce, c’est pas un cercle vicieux, mais ces thèmes-là en tout cas. Comment on se sort de cette performance en ayant quand même les bonnes clés pour proposer une éducation adaptée au développement de l’enfant?

Lory Zephyr : C’est vraiment intéressant parce que tous les contenus de podcasts, de livres, de conférences, ça peut être très utile. Mais je pense que où ça amène des fois des dérapages, c’est quand ça devient des dogmes. On peut s’inspirer. On veut stimuler la réflexion des parents pour que je revienne à la notion de la théorie de l’attachement par enfant. Il n’en existe pas de livres, de modes d’emploi pour être capable devenir le parent de mon enfant. Il faut que je le construise moi-même.

À travers mes observations, à travers ce que je vois de mon enfant, de qui il est, et je vais le faire avec chacun de mes enfants de façon différente. Tous nos enfants n’ont pas les mêmes besoins. Il faut que je m’adapte à mon enfant.

Mais après ça, des fois, oui, on est un peu pris. On ne sait pas trop quoi faire, comment, comprendre. Je vais aller m’inspirer. Puis des fois, peut-être que qu’est-ce qui s’est passé dans la famille de l’un, qu’est-ce qui s’est passé, que j’ai lu dans tel livre, ça va m’aider à me dire, peut-être que je pourrais essayer ça. Il faut se permettre d’être dans l’incertitude par rapport à la parentalité versus être dans la certitude qui essaie d’amener de la performance. Je vais essayer de faire telle chose de telle façon parce que je suis sûre, parce que tel expert a dit qu’il fallait le faire comme ça. Tel expert n’a pas vu ton enfant, tel expert n’est pas toi. Il va falloir que tu l’ajustes, que tu le mettes à ta couleur, que tu prennes une certaine distance pour te permettre de pouvoir jongler avec les concepts.

Et je pense que un des défauts des réseaux sociaux, c’est qu’il y a beaucoup de contenu qui crée beaucoup de confusion. Et surtout, ben, des fois, le contenu qui est présenté ne s’adresse pas à moi. Il y a d’excellentes mamans, hein, pis vraiment d’excellents papas qui vont lire un contenu pis qui vont avoir l’impression que ça s’adresse à eux, en fait eux, ils vont s’en rajouter davantage de pression, au lieu de se questionner, mais peut-être que moi, justement, je lui donne de la valeur à mon enfant.

Puis peut-être que moi, j’ai vraiment à cœur son bien-être. Puis je fais vraiment du mieux que je peux au quotidien. Donc, cette façon-là d’intervenir qui m’est présentée sur les réseaux sociaux, c’est peut-être pas pour moi. Est-ce que je me permets de le mettre de côté? Au contraire, je me dis parce que c’est telle personne, tel professionnel, tel compte qu’il l’a mis de l’avant, il faut que je fasse la même chose.

Jessika Brazeau : Et même chose avec les générations, c’est-à-dire de toujours re-questionner, tu sais, que ça vienne de ton… Tu sais, on se le fait tous dire par nos parents, là, ben moi je faisais ça, pis moi je faisais ça. Pis c’est de faire, qu’est-ce qui… Moi, ce qui m’a beaucoup, beaucoup aidé, là, dans le concept de… Dans l’attachement, c’est la sensibilité parentale. Une fois que je porte cette sensibilité parentale, je suis sensible aux besoins de mon enfant, je veux le meilleur pour lui, je l’aime. Après ça, je peux me coller à moi. Au lieu d’essayer de coller des techniques qui viennent de mes parents, qui viennent des réseaux sociaux, qui viennent de quoi que ce soit d’autre. C’est juste, est-ce que ça fait du sens à l’intérieur de moi ? Puis de se permettre l’erreur, puis de se permettre de re-questionner les trucs sans nécessairement avoir des certitudes, comme tu disais, Lory.

Mais je pense que ce qui m’a vraiment… Parce que moi, j’essayais beaucoup d’appliquer des trucs que je lisais, que j’entendais, que je… C’est juste le concept de la sensibilité parentale. Une fois que je la porte, je peux être la mère que je veux être et qui je suis. Je ne fais pas non plus des œillères, je n’écoute rien. Je n’écoute rien de ce qui se passe. Non, je suis mieux que toi, je fais mieux que… Non, c’est juste de se permettre d’explorer, mais de rester connecté à soi comme parent.

Lory Zephyr : Mais tu sais, on parlait tantôt de l’effet de la société. Dans la société en ce moment, on recherche beaucoup le contrôle, le contrôle de notre corps, le contrôle de tout ce qui nous entoure. Puis à travers les techniques qu’on va voir, je pense que c’est là que ça peut donner un faux sentiment de sécurité ou de réassurance aux parents. C’est si tu me donnes une marche à suivre, moi, je me sens en contrôle, donc je me sens bien. Mais mon Dieu, que je me sens en échec quand ça ne fonctionne pas parce que normalement, ce que je mets en place fonctionne dans ma vie de façon générale. Puis je pense qu’on a besoin de rappeler aussi aux parents, Jessika parlait de sensibilité parentale, la théorie de l’attachement a été reproduite dans différentes cultures, dans différentes communautés, à différentes époques.

Et qu’est-ce qui revient, c’est que la majorité des enfants développent quand même un attachement sécurisé envers leurs parents. Fait qu’il y a quelque chose, ils sont biologiquement programmés, un, à s’attacher envers leurs parents, mais ce parent-là, dans la grande majorité des cas, a une sensibilité parentale qui est suffisamment adéquate pour être capable de bien lire les besoins de son enfant et d’y répondre. Après ça, la façon que c’est fait, c’est sûr qu’on peut toujours y réfléchir, s’adapter, s’ajuster, mais il y a quelque chose de naturellement fait pour que dans la relation parent-enfant, il y ait quand même un peu plus de sécurité que d’insécurité, et ceux qui vont avoir de l’insensibilité parentale, les enfants qui vont développer un attachement insécurisant, mais il faut qu’on s’intéresse aux parents, à son bagage familial, à ses perceptions, à sa façon d’entrer en relation, pas juste avec son enfant, souvent ça va être aussi dans son couple, avec ses collègues de travail, fait que ça amène une perspective différente, c’est pas des techniques que je dois essayer de juste collée à moi, faut que j’aille me comprendre, faut que j’aille utiliser cette introspection-là vers moi.

Jessika Brazeau : Mais c’est ça qui est intéressant dans les techniques, parce que t’sais, il y a des techniques qui peuvent appliquer à la France, mettons, pis je vais les lire, pis je vais faire comme « faut que je fasse ça, pis que ça… » Et inversement, pis c’est là que je trouve ça intéressant dans la sensibilité parentale, et c’est vraiment ce que je porte qui peut être exporter. J’explique, on a fait une entrevue avec Marc Pistorio qui est un psychologue français, il a sorti un livre sur l’attachement parent-enfant justement, puis il est sorti en France et au Québec. Et là, on avait cette conversation-là avec lui parce que de la façon que c’était écrit, moi je peux percevoir des trucs qui vont être perçus complètement différemment en France aussi, parce que nos façons d’élever nos enfants sont différentes. Et puis son livre revenait à ça aussi, à la sensibilité parentale, de juste développer ça, puis après d’arrêter avec les techniques parce qu’elles peuvent différer selon les cultures, alors que la sensibilité c’est international.

LA CHARGE MENTALE AU QUÉBEC

Clémentine Sarlat : Vous avez toutes les deux beaucoup parlé de l’impact aussi du couple et de la relation dans le couple peut avoir sur comment on se sent, que ce soit le mom rage ou l’anxiété et la volonté de la performance. Est-ce qu’au Québec, la charge mentale est répartie avec la vie privée ou c’est comment chez vous ?

Lory Zephyr : Moi je suis partie à rire. C’est pas équitable.

Jessika Brazeau : Je pense que le congé parental, majoritairement pris par les femmes encore, installe parfois un déséquilibre qui perdure dans le temps. C’est-à-dire que pendant un an, tu as le temps de trouver tes façons de faire, tu trouves une routine, ça fonctionne, tu fais pas mal tout. Parce que t’es à la maison pendant cette année-là, même si t’es là pour ton bébé, on s’entend dessus que c’est toi qui fais le reste aussi dans la maison, t’sais. Et ça, ça peut perdurer au-delà du congé parental, fait qu’il faut vraiment avoir ces conversations-là. Dans le couple, mais c’est encore difficile. La charge mentale n’est pas perçue de la même façon, hommes-femmes non plus. Puis oui, non, ce n’est pas égalitaire.

Lory Zephyr : Non, puis tu sais, vraiment, si on s’attarde au concept de charge mentale, l’organisation mentale, ça je pense que c’est encore beaucoup porté par les femmes, mais je ne sais pas comment c’est pour vous en France. Mais les papas sont quand même très engagés ici. De plus en plus, on pourrait dire. C’est-à-dire que si je m’en vais au parc, ce n’est pas étonnant qu’il y ait beaucoup de papas avec leurs enfants et que les mamans ne soient pas là. Les papas sont invités beaucoup aussi à être impliqués, à être sollicités. Pis ça, je pense que comparativement à nos parents, c’était beaucoup moins présent tandis qu’aujourd’hui, pis même ça peut arriver des fois, des papas qui vont prendre le congé parental, quasiment de façon exclusive, c’est eux qui vont être là.

Donc ça, c’est un peu plus valorisé, mais c’est sûr qu’il y a encore des éléments qui font en sorte que la maman, elle est la maman, le parent par défaut. Fait que, bon, d’aller chez le médecin, les vaccins, etc., bon, tous ces éléments-là, ça va être encore beaucoup porté par la maman à l’organisation.

Jessika Brazeau : Mais on leur parle moins aussi au père, je pense. C’est vrai. Ici, il y a moins de… Il n’y a pas de « ça va papa ». Ça n’existe pas. On a parlé, on a fait des podcasts avec des papas aussi qui ont sorti un livre justement pour parler aux papas, mais c’est très peu fait. Puis ils ne le faisaient même pas avec leurs propres amis. C’est ça que je trouvais intéressant. Ils sortent un livre pour les papas. Puis là, je leur disais « mais est-ce que vous faites ça entre vous? » Puis c’est comme peu de place à la paternité dans nos conversations. Il y a quelque chose qu’il faut qui se transforme.

Clémentine Sarlat : C’est intéressant parce que nous on milite pour avoir un congé paternité plus long, en tout cas du deuxième parent plus long, parce que nous les mamans, elles se retrouvent seules très très vite. Mais au final, quand t’es longtemps toute seule, ça génère finalement la même… Réponse et le même schéma où la mère est en charge et le parent par défaut, que le conjoint ou la conjointe le veuille ou non le deuxième parent, parce que nous vraiment en France c’est un problème sociétal, ça fait que un an et demi que le père peut prendre un mois, le deuxième parent peut prendre un mois. Donc on est vraiment au balbutiement de commencer à vouloir impliquer le père dans les politiques, et nous les pères se retrouvent face aussi à de la pression de l’employeur, parce qu’il n’est pas obligatoire ce congé.

Parfois ils veulent le prendre les pères, mais l’employeur lui fait bien comprendre que s’il le prend, la promotion ou la place qu’il avait dans l’entreprise va être remise en question. Nous, il y a quand même encore… On commence culturellement à changer. Ça sent que la génération aujourd’hui de pères a envie de s’impliquer. Mais ça veut dire aussi qu’elle doit renoncer à des privilèges. Et c’est très difficile pour plein de gens. Parce que la société n’est pas encore prête à les accueillir dans leur rôle de père comme il faut. Donc, ils doivent renoncer à certains privilèges et c’est dur quand tu n’as passé ta vie entière à te dire que tu vas devenir père et donc tu vas prendre un congé.

D’un coup, on te dit qu’il va falloir que tu prennes ton congé. Ah bon ?! Alors que nous, c’est vrai qu’on est un peu avec cette vision qu’on va s’arrêter parce qu’on va avoir des enfants et que ça fait partie de la carrière hachée qu’une femme peut avoir, en tout cas, de manière ponctuelle, et que ce n’est pas trop le cas encore en France. Et nous, on se bat en France pour que les pères prennent de la place, mais je ne sais même pas comment c’est au Québec, mais nous, par exemple, pas partout, il y a des pièces pour qu’ils changent le bébé unisex. C’est tout le temps, enfin, c’est très souvent relié à la maman. Donc, rien que ces petites choses dans l’espace ludique leurs montrent qu’ils n’ont pas leur place, et donc, ils ne prennent pas la place. Mais ce n’est pas facile. Ça vient dans plein de sphères et de strates.

Lory Zephyr : Mais c’est là que je pense qu’on a besoin aussi de dire aux gens, tu sais, quand on parle de santé mentale, souvent la personne va se regarder, puis se questionner, puis essayer de toujours regarder sur le moi, moi. Mais juste à travers cet échange-là, ce que tu dis, c’est qu’il faut regarder le macrosystème aussi. Si les politiques, si les gouvernements ne sont pas sensibilisés, si justement les restaurants, les institutions ne font pas de la place à ça, mais inévitablement, ça affecte aussi la santé mentale des humains de cet écosystème-là. Nous, en tout cas, ça va maman, je pense que Jess me rejoint là-dessus, mais même personnellement, c’est que j’ai envie d’amener les mamans à ne pas juste se culpabiliser, mais à mieux comprendre tous ces éléments-là qui les affectent, et surtout d’amener… Ben, si ma grand-maman, c’est une politicienne, j’ai envie qu’elle soit capable, elle aussi, de faire des démarches pour m’aider, moi, et aider les générations futures, parce que c’est pas vrai que c’est juste de la faute de la maman si elle y arrive pas, pis que c’est une hystérique, pis qu’elle a des problèmes. Non, au contraire, regardons autour d’elle pour être capable de mieux soutenir tous les parents.

Clémentine Sarlat : Oui, ce n’est pas un problème individuel, c’est un problème à plein de strates.

LA PATERNITÉ DANS LA SOCIÉTÉ

Jessika Brazeau : Il faudrait qu’il y ait plus de femmes dans des positions au pouvoir aussi. C’est sociétal, comme on le disait. Puis oui, nous, les pères ont plus de place, mais c’est encore un travail. Oui, les pères ont des semaines de congés, ils ne les prennent pas tous. Le congé divisé en deux, c’est des semaines partagées. C’est-à-dire qu’il y a comme cinq semaines que les deux parents peuvent être en congé en même temps. Mais par la suite, après le congé de maternité, les semaines sont partageables. Et c’est très peu le cas. Même si le père peut, ce n’est pas la norme encore. Il y a beaucoup de choses à faire. Puis oui, les papas auxquels on a parlé, nous disaient, “on ne nous parle pas à nous”. Le médecin parle à ma conjointe. Il y a vraiment beaucoup de choses à faire encore.

Lory Zephyr : Même dernièrement, je pense que ça date du mois dernier, au gros maximum deux mois, à l’Assemblée nationale, justement, on veut de plus en plus de politiciennes. Mais beaucoup de femmes disaient, je ne peux pas m’en aller en politique parce que ce n’est pas fait pour la vie de maman. Et ça date de quelques mois, un mois ou deux, que maintenant il y a une garderie, une crèche à l’Assemblée nationale. Et c’est ce genre d’initiatives-là qui font en sorte qu’on vient faciliter quoi? Si les femmes veulent aller en politique, elles peuvent le faire parce qu’il va y avoir des organisations, des mécanismes qui vont être là pour les aider. D’avoir aussi le conjoint, le partenaire qui va pouvoir sentir inclus. Tous ces éléments-là font en sorte qu’on est une société qui soutient les parents. Et au final, ça sert à quoi?

Lory Zephyr : Ça sert à soutenir les enfants. C’est toujours ça. C’est de se dire, en soutenant mieux le parent, on peut mieux soutenir l’enfant demain qui est le citoyen demain. Donc, c’est au service de la société.

Jessika Brazeau : Oui, mais c’est encore… La femme qui veut aller en politique, il faut que son conjoint ou sa conjointe soit très présente pour s’occuper des enfants parce qu’on lui en demande. On en a rencontré plein des femmes très politisées, très féministes, qui veulent changer les choses, qui disent « J’irai pas en politique maintenant. Plus tard, quand mes enfants vont être plus vieux, je vais y aller. » Mais en ce moment, c’est impossible, ce que tu me demandes. Comment on veut changer les choses? C’est un cercle vicieux. On le fait avec des podcasts.

L’INFLUENCE DES ETATS-UNIS

Clémentine Sarlat : J’ai une dernière question pour vous. À quel point les États-Unis influencent la vision de la parentalité et de l’éducation au Québec ?

Jessika Brazeau : Dans les études, j’imagine?

Lory Zephyr : Certainement. C’est sûr qu’on est très collés, mais j’ai envie de dire que quand je compare notre parentalité avec les États-Unis, j’ai pas l’impression qu’il y a un clash, j’ai pas l’impression qu’il y a un décalage.Puis c’est vraiment intéressant parce que nous, c’est dans les dernières semaines, derniers mois qu’on a su qu’il y avait autant de décalage avec la culture française. J’ai vraiment l’impression que géographiquement, le fait qu’on soit moins exposé à votre façon de faire, ne serait-ce que de regarder à la télévision des programmes anglophones qui viennent des États-Unis, la famille américaine, elle est sur nos écrans. Mais on a quelques films français, mais des programmes français de télévision, à quoi ressemble la famille française. C’est pas quelque chose auquel on est exposé. Fait que j’ai l’impression que tous ces éléments-là font ça qu’on est plus collés sur nos cousins américains.

Jessika Brazeau : Très influencés par la culture américaine de façon culturelle. Oui, les spectacles, les films, tous nos classiques du temps des fêtes viennent des États-Unis, la plupart. Donc probablement que ça passe par là aussi.

Clémentine Sarlat : Et donc dans l’éducation, ça se traduit comment ? Parce qu’avant qu’on commence cette conversation, je vous expliquais que nous, ça faisait très peu de temps en France que les châtiments corporels étaient punissables par la loi, qu’on voyait encore l’éducation comme quelque chose de très autoritaire en France, on est encore vraiment dans la pyramide, je suis le sachant et tu m’obéis. Vous, c’est pas comme ça au Québec ?

Jessika Brazeau : Aucunement, non. Et c’est plus la génération de mes grands-parents.

Clémentine Sarlat : Oui, tu vois, on a deux générations d’écart.

Lory Zephyr : Parce que nous ici, si un parent, t’sais, exemple, frappe son enfant, là, une tape, quoi que ce soit, ça pourrait même être un signalement à la DPJ, mais c’est l’équivalent un peu de l’État, de la protection de l’enfant. C’est vraiment le type de comportement qui ne sont pas acceptés, tolérés. Puis il y a des institutions qui sont là pour essayer d’aller comme aider les enfants ou les parents. Puis aux États-Unis, je pense que ce type de comportement-là est peut-être un peu, à la limite, plus accepté, je pense. Mais nous, ici, c’est toute la notion de respect de l’enfant. C’est beaucoup plus présent. L’enfant est un individu à part entière, l’enfant a sa place dans la société, c’est très présent.On a comme un peu cette couleur-là aussi, je pense, qui nous distingue d’eux un peu plus.

Jessika Brazeau : Par rapport au châtiment corporel, définitivement. Par rapport à l’autorité, par contre, c’est encore en travail. C’est-à-dire que le père qui va hausser le ton, puis mettre son autorité, bien mieux perçu que la mère qui le fait. Puis je pense que ça peut générer aussi beaucoup de conflits dans le couple parce qu’ici, on est justement vraiment axé sur le développement de l’enfant, vraiment sur l’écoute, vraiment ça. Et donc les papas qui ne s’informent peut-être pas autant que les mamans ici vont avoir des façons de faire des générations précédentes, leur père ou leur grand-père, sans aller dans l’autoritarisme. Non, c’est ça. Mais ils portent quand même une posture plus… En tout cas, dans le couple que j’avais avec le père de mes enfants, c’était beaucoup plus militaire lui que moi. Puis je sais qu’on avait aussi beaucoup de conversations par rapport à ça. Les stéréotypes demeurent encore, mais pas par rapport au châtiment corporel. Ça, c’est… C’est même plus…

Lory Zephyr : Non, c’est ça,

Jessika Brazeau : C’est Même plus… Dans l’actualité.

J’ai des amis qui travaillent à la protection de la jeunesse et ils doivent faire beaucoup de prévention pour mettre les gens qui arrivent ici, qui s’établissent ici, pour faire « Hey, ici, ça ne se fait pas, depuis longtemps ». Et c’est très, très, très établi.

Clémentine Sarlat : Oui, c’est acquis chez vous que taper n’est pas éduquer.

Jessika Brazeau : Exact.

Lory Zephyr : Taper, c’est plus… Si on parlait de mom rage, c’est plus… Ben, soit je sais pas, taper, c’est un débordement, en fait. C’est un parent qui a besoin d’aide pour être capable de mieux avoir des comportements dans sa parentalité, ça, c’est acquis chez nous.

Clémentine Sarlat : Donc vous êtes quand même entre deux influences culturelles, mais vous avez votre propre, évidemment, vision et de la santé mentale et de la parentalité. C’est intéressant parce que même moi, dans mon podcast, j’ai beaucoup d’écoutes du Québec et du Canada, mais vraiment le Québec, parce qu’il y a des passerelles entre chez vous, chez nous. Mais nous, je crois, de notre point de vue, on considère que vous êtes plus en avance que nous sur l’éducation et la santé mentale. Et ce que je vous disais tout à l’heure, vous avez des politiques un petit peu plus développées par rapport à ça. Mais je constate donc qu’il y a quand même les mêmes dynamiques.

Jessika Brazeau : Mais c’est long à changer, je pense, les dynamiques. C’est très long, ça prend du temps, ça prend de l’ouverture, ça prend de la discussion, ça prend… Tout ce qu’on fait en ce moment, ça prend ça pour quelque chose change à travers les générations, mais le changement est lent, mais présent, j’espère.

Lory Zephyr : On parlait de politique, il y a eu, là je ne suis pas bonne moi dans les années, mais à un moment donné, il y a eu au Québec une politique qui s’appelait le Québec fou de ses enfants, où est-ce qu’il y a vraiment eu, tu sais, Jessika parlait de toute la notion de réflexion, de changement, il y a vraiment eu une table de concertation. Ça a vraiment été un gros mouvement au Québec, parce qu’on s’est dit, il faut réfléchir au développement de l’enfant. Peut-être que vous êtes exactement dans cette période-là de réfléchir aux mœurs, à la culture, à la façon de voir la société. Nous, le Québec fou de ses enfants, ce n’est pas parfait aujourd’hui, mais je pense qu’elle a donné une ligne directrice un peu à la société sur voici ce qu’on permet, puis voici où est-ce qu’on ne va pas.

Clémentine Sarlat : Nous, c’est depuis 2019, qu’il y a l’interdiction des châtiments corporels et des violences éducatives ordinaires. On appelle ça les VO. Mais il y a eu une commission des 1000 jours pour vraiment montrer que les 1000 premiers jours, depuis la conception jusqu’aux 3 ans de l’enfant, sont cruciaux et primordiales dans le développement de l’enfant. Sauf que derrière, il n’y a pas vraiment de politique publique, c’est-à-dire de messages du gouvernement qui explique que quand on ne tape pas, qu’est-ce qu’on fait ? Nous aussi, on m’a appris à taper, on m’a appris à éduquer comme ça, je fais comment si je tape pas ?

Et c’est là où, nous, il y a un gap, il y a du travail à faire parce qu’il n’y a pas vraiment de mode d’emploi si on tape pas. On a juste dit à tout le monde, c’est pas bien de taper. Mais du coup, forcément, les gens, ils continuent puisqu’ils n’ont pas d’alternative.

Jessika Brazeau : Mais c’est intéressant parce que nous aussi, c’est la même chose. Dans le fond, on s’est fait dire, les générations précédentes, on ne tape pas pour éduquer, mais on cherche peut-être encore notre façon de présenter notre autorité sans être autoritaire. Sans tomber dans le laxisme! C’est ça, c’est quand même un équilibre difficile à trouver, là.

Lory Zephyr : Mais je pense que c’est peut-être là aussi que l’accès… Je sais pas comment ça se passe en France, mais moi pendant mon doctorat, c’est sûr que toutes les recherches que j’ai consommées étaient en anglais, venaient des États-Unis. Fait que peut-être que justement, tantôt tu parlais de comment ça nous influence, ben c’est sûr que… Écoute, eux autres, ils doivent en avoir à la seconde 100, leurs études, qui sortent scientifiques. On est appelé à s’informer, à aller regarder qu’est-ce qui a été validé, à regarder justement les données probantes pour être capable de mieux comprendre. Puis après ça, on fait juste le tourner un peu en français, puis on essaie justement de réfléchir l’ajuster à notre culture. Peut-être que ça aussi, ça a été à notre avantage pour être capable de mieux guider les pratiques parentales de la société.

Clémentine Sarlat : C’est un vrai souci en France, le fait qu’on ne soit pas très bon en anglais de manière générale. Et moi, je ne vais pas mentir, j’ai lancé ce podcast parce que je lisais énormément d’études en anglais, parce que je suis bilingue et que du coup, je suis très imprégnée de la culture américaine et où scientifiquement, ils sont quand même beaucoup plus en avance que nous. Et je me disais mais c’est pas possible, en France il n’y a rien là-dessus, rien. Sur la matrescence, sur la santé mentale des mères, il y avait énormément de contenus en anglais, avec des recherches faites en anglais, il n’y a pas d’effort de fait pour les traduire en langue française, et nous c’est fini, ça passe à la trappe, et il faut longtemps avant que quelqu’un ne traduise, le remette en français. Nous on prend du retard.

Jessika Brazeau : Mais c’est exactement pour ça qu’on a lancé, nous autres, on a, oui, ça va maman, c’est pour les parents, mais on a une plateforme pour les professionnels en français, parce que c’est justement ce que Lory voyait en tant que professionnelle, ils ont à se former, ils ont à suivre du perfectionnement, des cours, et tout était en anglais, puis là on s’est dit, bien là, il faut faire quelque chose en français, avec des professionnels en français, donc on a parti à un centre de formation qui s’appelle CVM Formation, en français, avec des psychiatres, des psychologues, des médecins, qui donnent des formations sur le devenir mère, sur le devenir père, sur…l

Lory Zephyr : …le deuil périnatal.

Jessika Brazeau : Exact. Pour être dans le… Pas le savoir, c’est vraiment dans le savoir-être, t’sais, c’est là-dessus que…

Le centre de formation, c’est vraiment là-dessus, l’arc. En tout cas, je cherche mon mot, mais il va revenir. Mais en français. C’est parce que, justement, ça venait beaucoup de l’anglais. Et les recherches, d’ailleurs, sont… Tu sais, je pense à Mme Reeves qui fait le devenir parent entre détresse et enchantement. C’est une formation qu’il y a sur CVM Formation. Et quand tu regardes la bibliographie, elle est majoritairement en anglais, mais sa formation, au moins, elle est en français. Fait qu’on essaie de pallier à cette difficulté-là que tout est en anglais tout le temps.

Clémentine Sarlat : Exactement. Merci beaucoup à toutes les deux.

Jessika Brazeau : Merci à toi! C’était tellement intéressant! Moi je veux venir au chaud à Bordeaux !

Clémentine Sarlat : Moi je veux venir à Québec, je veux y aller!

Jessika Brazeau : En ce moment, il neige. Il y a une belle petite couche. On va avoir un bel hiver !

Clémentine Sarlat : Merci à toutes les deux, vraiment. C’était passionnant d’avoir votre point de vue. Je comprends les Françaises et les Français qui viennent chez vous. Avec leurs moonboots et leurs manteaux chauds. Il faut aimer l’hiver. Mais c’est vrai que vous avez une qualité de vie qui est chouette. Merci beaucoup à toutes les deux.

Lory Zephyr : Merci à toi.

Jessika Brazeau : Merci d’être passionnée.

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