Épisode 185 – Le difficile retour au travail

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Remettre un pied dans le monde de l’entreprise lorsque l’on vient de devenir maman, surtout la première fois, peut être un sacré challenge. Parfois le retour est brutal et c’est la déflagration. Parfois il est tranquille et l’on peut s’habituer à cette nouvelle vie de manière douce. Malheureusement la maternité reste trop souvent un impensé des politiques familiales des sociétés. 

Plein d’enjeux découlent de cette problématique et notamment la question des inégalités salariales.

Si la maternité apporte son lot de difficultés dans la vie perso, cela peut vite devenir un énorme frein dans la carrière pro d’une femme.

Thi Nhu An Pham est la fondatrice du podcast La Reprise mais aussi l’autrice du livre du même nom. Elle a enquêté et s’est intéressée en profondeur sur l’ampleur du problème qui caractérise une reprise mal accueillie voire discriminante.

L’entretien est passionnant et mérite d’être écouté par toutes et surtout tous, pour que le problème soit entendu dans toutes les sphères de la société.  



LIENS UTILES

Podcast :
La reprise, le Podcast de Thi Nhu An Pham

Livre : 
La reprise : le tabou de la condition des femmes après le congé maternité, Thi Nhu An Pham


TRANSCRIPTION DE L’ÉPISODE

Clémentine Sarlat : SalutThi Nhu An !

Thi Nhu An : Salut Clémentine!

Clémentine Sarlat : Je suis ravie de te recevoir dans le podcast de La Matrescence parce que tu as un podcast, La Reprise, que j’aime beaucoup vraiment. Parce que tu traites d’un sujet tellement essentiel. Donc merci d’être venu jusqu’à nous.

Thi Nhu An : Merci à toi Clémentine, je suis ravie d’être là. La Matrescence ça m’a bercé, enfin bercé mon petit, quand j’étais enceinte. Donc vraiment merci.

Clémentine Sarlat : Je suis contente d’être avec toi. Alors, quand t’as lancé ton podcast La Reprise, tu venais, toi surtout, de subir ce qu’on peut appeler une belle discrimination. En retour de congé maternité, t’as subi un licenciement économique. Comment est-ce que tu l’as vécu à l’époque?

Thi Nhu An  : Comme une déflagration. Alors je précise juste : (ça va être coupé ou pas?)

Clémentine Sarlat : Non.

Thi Nhu An : D’accord. C’est un licenciement économique dans un cadre collectif, donc ça n’a pas été pris individuellement, donc je ne peux pas dire que c’est une discrimination en tant que telle sur ma pomme. Mais évidemment, moi j’étais en plein congé maternité, je venais d’avoir mon enfant qui était né préma, deux mois, il est né à 33 semaines. Donc cinq semaines de “néonat”, en plein Covid, donc on devait s’alterner avec mon conjoint, on n’avait aucun relais possible, donc avec le contexte du confinement, du premier, le dur, celui de 2020. Et donc forcément dans un état de fragilité psychologique extrême.

Et on venait … Ça faisait à peine quelques semaines qu’on revenait de congé maternité, enfin de néonat. Et je m’étais dit : “bah enfin je vais pouvoir souffler, on est là avec le petit, tout va bien, je vais enfin pouvoir profiter de mon congé maternité.” Et là, bam.

On m’appelle pour me dire que je suis candidate au licenciement économique. Évidemment je n’étais pas candidate. C’était une formulation extrêmement maladroite, mais en tout cas, je faisais partie de ce lot de gens que ma boîte a licenciés à ce moment-là. Et là, tu ne t’y attends pas, parce que déjà j’étais en congés maternité, donc j’avais mis le boulot très loin de moi. Je ne m’y attendais pas parce que je faisais partie du comité de direction, donc ce genre d’informations, si tu n’es pas au courant quand tu es à la direction, c’est quand même bizarre. Et je n’étais pas la seule, à ne pas m’en rendre compte. Donc quand ça arrive, j’étais complètement à terre, le monde qui s’écroule.

Et à ce moment-là, j’ai très vite pris conscience aussi de mes privilèges, je ne sais pas pourquoi, comme un instinct de survie. Parce que 1 : j’étais en couple, donc ça veut dire que financièrement je pouvais me reposer sur quelqu’un. Et puis 2 : je vais être très franche et très honnête, je suis plutôt du côté cadre CSP+, donc j’avais aussi un petit matelas financier. Et je me suis dit “mais attends, si moi je suis déjà en surstress par rapport à mes finances futures, c’est une claque phénoménale alors que je suis dans un contexte privilégié, mais qu’est-ce que c’est pour les femmes célibataires avec des revenus précaires ou bas? Mais comment tu te retournes de ça?”.

Donc très vite j’ai une espèce de colère monstrueuse en tant qu’individu mais aussi en tant que femme parce que tout d’un coup je me dis “mais comment on ose faire ça à des femmes qui sont en retour de couche?”. C’est juste pas possible, surtout dans cet état de fragilité lié à un contexte très particulier lié à la prématurité pour moi, mais aussi tout simplement au postpartum. Et c’est là où a commencé une sorte de quête qui était très inconsciente au départ.

Mais ça faisait dix ans que j’étais dans cette boîte, je savais plus comment me définir. J’étais dans un trou noir, un brouillard, mais comme jamais de ma vie. En fait, est arrivé cette idée de podcast sur le sujet de la reprise après la naissance d’un enfant et c’est le seul truc qui à un moment donné m’a donné un peu d’enthousiasme. Et je me suis accrochée à ça en me disant : je sais pas ce que je vais faire de ma vie, je sais pas ce qu’un podcast va apporter à ma vie et encore moins d’un point de vue professionnel, mais je vais le faire parce que c’est ma “seule bouée”.

Et c’est à partir de là où j’ai lancé le podcast, où je suis allée à la rencontre de parents, d’experts, et j’ai très vite pris conscience, en fait, de toutes les injustices qu’on peut subir, et en particulier quand on est femme, pendant cette période très spéciale.

Clémentine Sarlat : Quand je te dis “discrimination”, c’est parce qu’on n’est pas protégé par la loi quand on revient de congé maternité?

Thi Nhu An : Si.

Clémentine Sarlat : Donc c’est pour ça que j’emploie ce mot. Parce que normalement on est une catégorie dite “fragile”, enfin en tout cas à protéger, et on n’est pas censé pouvoir être licencié dans un certain temps.

Thi Nhu An : Effectivement, on n’est pas censé être licencié. On bénéficie de ce que les juristes appellent la protection absolue en congé maternité, donc on n’est pas du tout censé être licencié. Après il y a quelques zones grises. Dans laquelle s’est engouffré mon entreprise avant, c’est pour ça que je suis en procès.

Clémentine Sarlat : Ok. Tu vois, c’est parce que je sais quand même que le droit français nous protège un peu, mais tu viens de me dire qu’il y a une zone grise, donc malheureusement ça n’arrive pas qu’à toi, ce type de problématique.

Thi Nhu An : Et puis après, au-delà de la zone grise, moi j’ai aussi beaucoup eu de témoignages de personnes qui se sont faites licenciées, ça pouvait être dans le cadre d’un licenciement économique, ou ça pouvait être après la période de protection absolue qui est de dix semaines, pendant le congé maternité et dix semaines après le retour de congé maternité. Mais dix semaines c’est très très court. Et qui en fait dans ces cas-là, moi j’ai eu la chance en fait d’être dans un conjoint qui est issu d’une famille de juristes, d’avocats. Lui-même ne l’est pas du tout. Il a cette culture de la défense qui moi m’était complètement étrangère. Mais dès que j’ai eu cette information affreuse, il m’a dit : “mais t’attaques, t’y vas, tu te laisses pas faire.”

Si j’avais pas eu ce coach, ces espèces de Jiminy Cricket qui était là “t’inquiète pas c’est facile”, qui m’a désacralisé en fait l’accès aux droits, et l’accès à se défendre, je me suis dit “ok j’y vais”. Mais je ne l’aurais jamais fait si j’avais pas été dans son contexte là. Et je connais plein de personnes, et c’est la plupart des cas des personnes et des femmes à qui on n’apprend pas à se défendre et qui sont déjà dans une période de postpartum qui sont déjà à terre la plupart du temps parce que physiquement Elles se remettent pas à de l’accouchement ou difficilement, elles se remettent pas à des tunnels de nuit sans sommeil et qui sont déjà aussi fragiles psychologiquement parce que c’est une grosse période de bouleversement identitaire.

À quel moment en fait t’as une énergie quelconque pour aller te battre ? Sur un terrain qui en plus est complètement inconnu parce que en France et particulièrement sous le prisme des femmes, le droit, l’appel à un avocat, c’est quelque chose d’hyper “wow”, sacralisé. Et donc je remercie toutes les avocates qui font le travail de démocratisation du droit. C’est hyper important pour dire que c’est accessible et qu’il faut pouvoir s’en saisir.

Clémentine Sarlat : Bon moi j’ai vécu à peu près la même chose que toi. Pas un licenciement mais une discrimination en retour de congé maternité et j’ai refusé d’attaquer. J’étais pas prête. 

Je suis partie en fait. Je l’ai dénoncé dans les médias, ça a eu un petit effet, que j’ai mal géré, mais je ne suis pas allée à me dire “je vais récupérer de l’argent”. Parce que tu vois, on n’a pas cette culture, parce que je me suis dit “non, c’est pas grave, je vais faire ma vie à côté et tout ira mieux”. Mais c’est vrai que c’est pas la bonne solution, parce qu’en fait on continue de laisser les employeurs abuser, en fait.

Thi Nhu An : Après, je veux surtout pas que ça soit entendu comme une injonction à se battre. Parce que c’est vraiment dans l’histoire de chacun, le momentum de chacun, ça demande une énergie folle, il faut le dire. C’est pas simple et c’est pas du courage que j’ai eu. C’est juste qu’à un moment donné, moi c’était ma seule réaction possible. La colère était telle que voilà, c’est comme ça que j’ai canalisé. Mais c’est pas donné à tout le monde au sens où il faut vraiment pas se dire qu’il faut attaquer pour attaquer. C’est pas ce que je veux dire. C’est juste que le système fait que, en tant que femme, On n’est pas amené à avoir ce réflexe de se dire “nous on va se défendre”. Les hommes si.

Quand je discute avec des avocats, les hommes dès lors qu’ils voient que leurs droits sont un petit peu annihilés, là, d’emblée, ils décrochent le téléphone et voilà. Les femmes, elles vont se dire “oh putain, c’est ma faute, c’est moi qui ai mal fait, ou je vais essayer d’arranger le truc”. La bonne élève quoi, la médiatrice. C’est le rôle dans lequel on nous enferme, de la médiatrice.

Mais ce qui veut dire qu’effectivement en fait on n’a pas ce réflexe là. Donc c’est juste se dire qu’à un moment donné on a des droits et il faut les connaître. Et il y a une législation qui encadre le retour de congé maternité avec des droits que personne ne connaît, y compris les RH ou qui n’ont pas envie de connaître ou n’ont pas envie d’extirper de leurs cours.

Mais Il y a des droits. Et ça, ce minimum de conscience là, par contre, il faut l’avoir pour pouvoir se défendre. Ensuite, la décision est propre à chacune parce que ça demande une énergie qu’on n’a pas, quand effectivement on a des petits enfants, on n’a pas envie de rentrer là-dedans, parce que c’est énormément de travail. Je désacralisais l’accès aux droits et l’accès à se faire défendre, à se faire accompagner par un avocat, mais je vais être complètement transparente, c’est pas facile. Parce que ça nécessite du temps, de récupérer des preuves, nécessitant de construire un dossier, de rentrer dans un jargon juridique qui n’est pas accessible pour tout le monde, et c’est pas parce qu’on a fait des études que c’est accessible pour autant.

C’est incompréhensible, ça me donne des nœuds au cerveau et ça engendre un sur-stress qui, moi je peux dire très facilement, je ferais pas les choses autrement, mais par contre, ça a clairement, en plus du stress que j’avais déjà en me disant “j’ai plus de boulot, qu’est-ce que je vais faire de ma vie, j’ai des petits enfants, je suis épuisée déjà, qu’est-ce que je vais faire ?”, de se rajouter ce stress-là en plus de la procédure juridique, mais l’horreur!

J’étais dans un moment où c’était juste… Je me suis rien épargné quoi! Je le regrette pas mais c’est sûr que c’est pas … c’est absolument pas confortable donc et je comprends très bien les femmes qui ont envie de se dire … moi j’ai une amie qui s’est dit à ce moment-là “non moi je le fais pas je vais passer à autre chose”.

Clémentine Sarlat : J’entends ce que tu dis et moi j’avais pas l’énergie. Clairement, c’était ça surtout, le fait de se replonger là-dedans, c’était pas possible. Alors, on va parler concrètement de cette période charnière, de la reprise, qui est un bouleversement dans un bouleversement, comme dit la psychologue que tu as souvent interviewée. Pourquoi est-ce que c’est un enjeu, à ce point-là, la reprise du travail pour les femmes?

Thi Nhu An : C’est un enjeu. Alors pour les femmes au sens très large du terme, je vais parler au niveau collectif déjà, c’est un enjeu parce qu’à un moment donné dans une société qui a tendance à assigner les rôles dans les femmes dans un rôle de prendre soin de la famille, prendre soin des enfants, prendre soin de la maison. Revenir au travail, c’est déjà revenir dans la société. C’est ne pas rester enfermé et ne pas rester cloisonné par la société dans ce rôle très domestique, parental, où entre guillemets, sociétalement parlant, on n’existe pas. On est dans une société qui a une image horrible des femmes au foyer, alors qu’elles font un travail juste colossal et formidable.

Et qui en fait a une image horrible de tous ceux qui ne rentrent pas dans ce schéma de la réussite sociale, d’avoir un travail, un bon salaire, une belle carrière, etc. Donc à un niveau collectif, je dis niveau individuel c’est encore autre chose, mais à un niveau collectif c’est important que les femmes puissent revenir au travail. Mais pour revenir au travail, il faut pouvoir revenir dans les bonnes conditions. Déjà pour revenir au travail, il faut déjà pouvoir revenir au travail. Revenir au travail, ça veut dire avoir un mode de garde.

Et déjà si la société, au niveau collectif, ne s’organise pas de manière à pourvoyer à ces besoins de garde qui soient déjà existants, qui aient de la place et que ça se fasse de manière sereine parce qu’aujourd’hui le problème c’est qu’il n’y a pas suffisamment de place et en plus le personnel est extrêmement mal valorisé, voire mal traité. Et ça veut dire quoi?

Ça veut dire qu’on est dans des situation où, quand on a eu le privilège et la chance incroyable d’avoir trouvé une place au bon moment pour sa reprise, on n’est pas forcément sereine parce qu’on entend dans la presse tous ces cas d’éventuelles maltraitances, qui sont liés aussi à des conditions de travail qui sont ingérables pour les personnes en soi, des personnes qui sont mal payées, mal recrutées, parce qu’il y a une tension de l’emploi au niveau des postes, au niveau de la petite enfance, qui fait que : ben voilà, moi j’ai une amie, la référente de crèche de son enfant a changé six fois en un an. Et du coup dans ces cas là, les parents comment ils peuvent être en confiance?

C’est très difficile et donc quand tu reprends le travail, quand c’est déjà difficile de laisser ton enfant, et tu te dis “mais je laisse mes enfants dans des conditions qui sont pas forcément idéales”, comment tu veux reprendre sereinement? Si tant est que tu as une place en crèche. Parce que si t’as pas de place en crèche ou si t’as pas de place dans l’assistance maternelle, ça veut dire quoi? C’est dire que t’es obligé de soit reporter ta reprise, avec tous les risques que ça peut avoir en matière ensuite d’image de toi, au sein d’entreprise j’y reviendrai, mais ça veut dire aussi tout bêtement aussi parfois prendre des congés sans solde pour pouvoir décaler. C’est-à-dire prendre un congé parental mais qui est payé un lance-pierre.

C’est-à-dire aussi ça a des conséquences très concrètes sur les finances en fait de la femme et ça crée une dépendance financière dans le couple. Et tout ça fait que ça creuse des inégalités entre les femmes et les hommes, ça creuse des inégalités d’un point de vue sociétal, mais ça creuse des inégalités aussi dans le couple, si tant est qu’il y a couple, et ça creuse aussi une dépendance vis-à-vis de l’employeur, c’est-à-dire que moins t’as d’argent, enfin, moins tu gagnes d’argent, plus t’es dépendant de celui qui te, soit fourni l’ensemble de l’argent pour payer les factures à la maison, donc éventuellement ton conjoint, soit s’il n’y a pas de conjoint, c’est ton employeur. Et à partir du moment où il y a une dépendance, il y a plus facilement un climat de violence. C’est pas moi qui l’ai dit, c’est les chercheurs.

En tout cas, il y a une prévalence. Et donc c’est un cercle vicieux ensuite. Et je ne pousse pas les femmes à aller travailler pour aller travailler. C’est pas ça. Mais c’est qu’on prenne conscience de ce que ça veut dire que de reprendre le travail à un niveau sociétal. Ensuite, les conditions de retour au travail, c’est aussi faire en sorte qu’on soit bien accepté, bien valorisé et c’est pas souvent le cas. Malheureusement, on sait tous les deux que c’est pas le cas.

C’est pas une légende urbaine, on sait tous, on a tous un exemple de quelqu’un qui s’est fait maltraiter à son retour de travail, soit parce qu’elle était mise au placard, soit parce qu’elle n’a pas eu les augmentations, les primes qu’on lui avait promises, soit parce que carrément on l’a gentiment envoyé dehors ou alors au contraire, a contrario, on n’a fait absolument pas cas de ses contraintes familiales et on l’a envoyé vers le burn-out ou voir le harcèlement pour plus de productivité, plus de productivité.

Et aujourd’hui c’est ça le problème aussi dans le monde du travail, c’est que soit on s’attend à ce que les femmes reviennent comme si de rien n’était, comme avant, comme si en fait elles n’avaient pas de vie, avec un cloisement très fort des dents pro et perso, soit on considère que c’est des demi-salariés parce que voilà comme elles sont mères, elles sont censément … on leur projette une moindre motivation, une moindre application et donc on décide à leur place qu’elles auront moins de mission, elles auront moins de place dans l’organigramme, elles auront peut-être même moins de place, certaines rentrent, elles n’ont même pas de bureau, elles ne retrouvent pas leur ordinateur. C’est extrêmement violent.

Et en fait quand c’est violent, et là j’en veux en venir au niveau individuel, quand c’est violent pendant cette période-là, c’est pour ça que c’est crucial pour moi, au-delà de la place des femmes dans la société, c’est qu’à un niveau individuel, quand t’es en plein postpartum et que tu subis des violences au travail, et ben en fait tout est, en termes de ressenti, tout est sur-démultiplié. Les violences au travail, c’est violent pour tout le monde. Mais quand t’es fragile psychologiquement, ou fragile ne serait-ce que physiquement, parce que ça fait des nuits que t’as pas dormi, et je parle pas juste de l’après-accouchement, ça peut être aussi toutes les insomnies que t’as eues pendant ta grossesse, ou ça peut être aussi une grossesse difficile, quand t’es en fait en reconstruction physique et mentale, mais à ce moment-là, en fait, toute violence, elle est mais.. C’est force dix mille, quoi.

Et t’es complètement à terre. Et comme t’as l’impression de ne pas voir le tunnel du post-partum parce que les nuits sans sommeil s’enchaînent, tu te dis mais ça va être quoi ma vie? Ça va être ça? J’ai plus rien à quoi me raccrocher. Et c’est hyper dur aussi d’un point de vue identitaire parce que le chamboulement, dans le chamboulement qu’est la maternité et la reprise du travail, c’est qu’à un moment donné, d’autant plus quand c’est le premier enfant, t’as été femme, tu t’es construite pendant des années sur ton identité de femme, sur ton identité professionnelle de salariée, puis tout d’un coup tu deviens mère. Tu sais pas ce que c’est être mère en fait, tu as les imaginaires collectifs mais toi individuellement ça veut dire quoi être mère?

Tu te construis en tant que ça et au retour du travail tu dis que tu vas au moins te raccrocher à ton identité professionnelle. Si tu as été maltraité à ce moment là, cette blessure identitaire au niveau professionnel elle est hyper délétère, parce que tout d’un coup, en fait, t’as tous les pans de ta vie qui sont en déséquilibre total. Comme ton identité personnelle est en déséquilibre déjà parce que t’es devenu mère, tu sais plus qui tu es, et tu sais même plus quel professionnel tu es, ben en fait tu t’accroches à quoi? Tu sais plus trop, on va pas se leurrer dans le postpartum, cette crise identitaire, elle bouscule aussi le couple, si tant est que t’es en couple, tu sais plus qui en fait tu es. Donc si tous les pans de ta vie c’est le bordel, c’est la grosse cata à ce moment-là.

Et donc c’est pour ça que pour moi cette période est ultra cruciale d’un point de vue sociétal comme d’un point de vue individuel.

Clémentine Sarlat : Tu le dis beaucoup, que ce soit dans ton livre ou dans le podcast et dans toutes les interventions que tu as faites dans la presse, que cette période de la reprise est un impensé de la société. Comment ça se fait, encore en 2024?

Thi Nhu An : Comment ça se fait encore en 2024? Il y a plein de raisons. Il y a une première raison qui est liée au collectif, au systémique, que le monde du travail dans lequel on est aujourd’hui, c’est un monde du travail qui est hérité de la révolution industrielle, où à un moment donné, pour des raisons à la fois politiques et économiques, il fallait que les ouvriers se concentrent sur le travail et soient ultra productifs. Les ouvriers masculins. Et qu’est-ce qu’ils ont pensé? La même idée qu’ils ont eu à ce moment-là, c’est de se dire : “ok, ces ouvriers-là, on va prendre les plus performants c’est les hommes, il y a des ouvrières, ok, mais…” Et on va faire en sorte qu’ils soient hyper bien dans leur foyer, C’est-à-dire qu’ils n’aient pas envie le soir après le boulot d’aller boire bière après bière, etc.

Qu’ils n’aillent pas s’encanailler toute la nuit et que le matin, je caricature mais c’est à peu près ça, le matin ils soient frais et dispo pour être sur-exploitables en usine. Et ça voulait dire quoi? Ca veut dire qu’ils aient envie de rester au foyer. C’est-à-dire qu’il y ait “Bobone” au foyer, qui n’aille pas travailler et qui passe ses journées à cirer et à faire un foyer accueillant, à faire la bonne soupe à la maison qu’il accueille et l’ouvrier… Evidemment, vraiment, je caricature, mais… Voilà, c’est l’idée. Qu’il soit tout content, qu’il n’ait pas envie de sortir et qu’en plus, il y a des enfants dans un couple et que ces enfants-là soient complètement pris en charge et qu’ils ne se disent pas que j’ai ça aussi à gérer.

Alors qu’avant, quand ils travaillaient tous dans les champs, de manière extrêmement caricaturale, tout le monde travaillait dans les champs, les femmes et les hommes. Et du coup, les enfants se géraient comme ils pouvaient, mais chacun faisait sa part, entre guillemets. Là, Bobonne à la maison, l’homme au travail et du coup l’organisation du travail s’est organisée autour de cet homme complètement disponible pour le travail. C’est-à-dire avec des horaires qui pouvaient être des horaires à rallonge, qui ne devaient pas forcément se caler au retour de crèche, au retour d’école, pourtant pas besoin de crèche puisque la femme était là, ni même à la fin de l’école, etc. Et puis avec un homme qui avait besoin de rien faire à la maison puisqu’il y avait Bobonne. Et du coup avec une étanchéité très forte entre la vie pro et la vie perso.

Et c’est pas comme s’il y avait deux vies. On n’a pas deux vies en fait. On est une personne donc on a une seule vie. Et ça les gens n’ont pas pris en compte, la société n’a pas pris en compte au moment où les femmes sont revenues massivement dans le monde du travail notamment dans les années 70-80. C’était un peu en mode “ok, vous voulez le droit de travailler. Allez-y, venez, on vous ouvre les portes, mais démerdez-vous.” C’est un peu ça. Et donc en fait, on s’est pas calqué là-dessus. Et la culture, par exemple, un exemple très concret, la culture des présentéismes très fort en France, notamment dans la population des cadres, C’est bien de travailler très tard, c’est bien d’accumuler les heures sup’, c’est bien de montrer qu’on travaille beaucoup, beaucoup, et c’est bien les after-work, les machins, tout ça.

Tout ça, en fait, n’est pas compatible avec une vie de famille. Et donc quand les tâches domestiques et parentales dans l’esprit des gens reposent essentiellement sur la femme, qui, du coup, ne participe pas aux réunions du soir, quand les entreprises continuent de mettre des réunions tard le soir, qui ne fait pas les after works, qui ne va pas boire une bière ou ne prend pas des déjeuners à rallonge et du coup ne profite pas de tout le temps informel, de partage d’informations très stratégiques parfois, ce sont les femmes. Et tout ça fait que du coup, cette étanchéité des temps, travail-famille fait que déjà l’entreprise, enfin le monde du travail, s’attend à ce qu’on se taise sur nos contraintes familiales. C’est, quand tu viens au boulot, tu mets tes problèmes de côté. Genre, on veut surtout pas “avoir à”. C’est ton problème.

Alors que c’est un problème sociétal si ça repose que sur les femmes et que rien n’est organisé pour. Et après, indépendamment de ça, il y a aussi une culture très forte aujourd’hui à la réussite personnelle, à la performance personnelle. Et les injonctions qui pèsent sur les femmes en particulier sont extrêmement… Empêchent en fait de parler des difficultés.

Clémentine Sarlat : C’est paradoxal, c’est ça?

Thi Nhu An : Oui, c’est paradoxal, parce qu’il faut qu’on soit un titre individuel, il faut qu’on soit très performante, il faut qu’on soit des très bonnes mères, la mère parfaite. Il faut qu’on soit des très bonnes professionnelles, vraiment très carriériste, parce qu’on a cette image de Wonder Woman. Il faut aussi qu’on soit des super amis, qu’on ait une vraie vie sociale. Il faut qu’on soit très épanoui, socialement, culturellement, en parlant. Il faut qu’on soit tout parfait. Sauf que c’est impossible.

C’est cette notion de “Je veux tout tout le temps et je suis tout parfait” et en plus on a ce syndrome de la bonne élève parce qu’on a toujours été amené à l’école à être la bonne élève versus les garçons qui foutaient le bordel. Tout ça fait que d’un point de vue individuel on porte toutes les injonctions et on intègre toutes les injonctions qui reposent sur nos épaules et on n’ose pas exprimer nos difficultés parce qu’on va se dire “ok si je commence à parler des difficultés de la réalité de ma vie en fait on va penser que je fais mal les choses”. Parce qu’on se questionne jamais en tant que société. Nous, les femmes, on nous apprend à nous questionner, à nous flageller, à nous culpabiliser.

Donc en fait, quand on se dit qu’on vit des difficultés, on ne se dit jamais en tant que femme que c’est parce qu’il y a un truc qui est mal organisé. Non, c’est qu’on s’organise mal, c’est que c’est de notre faute. Et donc on n’ose pas le dire. Personne n’a envie de faire “mea culpa, je suis nulle”. Bah non, personne, surtout quand tout le monde s’attend à ce que tu sois la parfaite mère, la parfaite professionnelle. Et donc, en ça aussi, du coup, on s’auto-censure.

D’autant plus dans un imaginaire général de la maternité qui est forcément heureuse, qui est forcément parfaite, qui est forcément (bon pardon avec mes références des années 80), mais sa famille ricorée de la pub où tout le monde est gentil, tout le monde est content de se lever les matins avec les enfants, tout le monde est parfaitement coiffé, les enfants sont parfaitement coiffés, la maison est parfaitement bien rangée et tout ça, on est tous contents, tous à l’heure, c’est pas la vraie vie en fait. Et donc en fait l’imaginaire qu’on a autour de la parentalité, de la maternité est très rose bonbon et n’est pas du tout à l’image de la réalité des vraies vies.

Donc quand on est dans ce tunnel de difficultés en postpartum et au moment de la reprise, en fait on se dit qu’on check aucune des cases de l’imaginaire collectif. Donc on ne va pas en parler de nos difficultés, plus une société qui nous demande de surtout pas en parler de la difficulté. Donc voilà, ça s’entrechoque et ça fait du coup ce tabou là.

Clémentine Sarlat : Est-ce que cette difficulté à la reprise, elle est commune à toutes les femmes, dans tous les secteurs, dans toutes les strates sociales? Ou est-ce que toi et moi on est cadre, on est CSP+, c’est plus dirigé vers nous ou dans n’importe quel domaine?

Thi Nhu An : Non, c’est dans n’importe quel domaine, n’importe quel secteur, n’importe quelle fonction et je dirais que les difficultés de la reprise sont même particulièrement plus difficiles quand tu n’as pas l’aisance financière pour par exemple te faire aider quand tu n’as pas de place en crèche. Parce que faire appel à une assistante maternelle ou faire appel à une nounou qui coûte beaucoup plus cher qu’une crèche municipale, tout le monde n’a pas les moyens. Donc ça veut dire aussi que beaucoup, et près d’une femme sur deux en fait, les études le montrent, à l’arrivée du premier enfant, près d’une femme sur deux, modifie son activité professionnelle. Modifier ça veut dire quoi? Ça veut dire se mettre en temps partiel avec toutes les conséquences que ça a financièrement. Ça peut être voulu mais ça peut être complètement subi.

60% des femmes qui sont en temps partiel, le subissent en fait. Parce que tout simplement pas de mots de garde ou trop de contraintes de conciliation travail-famille qui reposent sur leurs seins et épaules où du coup elles se disent bah moi je vais pas pouvoir tout gérer puisque soit je suis toute seule, soit je suis avec un co-parent qui prend pas sa part et auquel cas c’est juste ingérable dans une vie parce que la réalité c’est ça. Et du coup je mets à temps partiel, soit carrément j’ai pas de mode de garde ou je suis dans un métier ou dans un poste qui est insuffisamment payé et valorisant et épanouissant pour juger que ça vaut le coup par rapport à ce que me coûte le mode de garde. Et les contraintes d’organisation que la reprise du travail engendre.

Donc ça a des conséquences et ça a des conséquences majeures partout et en particulier pour les femmes qui ne font pas partie des plus privilégiées.

Clémentine Sarlat : Oui donc il y en a en fait qui choisissent de se dire “comme mon salaire c’est l’équivalent de ce que je vais devoir donner pour une nounou, une assistante maternelle, autant que je ne travaille pas, que je sorte du marché du travail et que je reste avec mon enfant”.

Thi Nhu An : Exactement, parfois ça peut même coûter plus cher parce que, typiquement si on prend les plus bas salaires ou même, typiquement, si on prend les assistantes maternelles, par exemple, celles à qui on confie nos enfants. Imaginez en fait celles qui ont elles-mêmes des enfants ou qui viennent elles-mêmes d’accoucher. Être assistante maternelle ça veut dire quoi? Ça veut dire arriver avant tout le monde. Ça veut dire être prête quand nous déjà, parents qui avons la chance de pouvoir confier nos enfants, on galère déjà à arriver à l’heure, à 8h30 ou à 9h pour déposer son enfant à la crèche. Elle, elle doit arriver beaucoup plus tôt. Déjà pour se préparer, mais elle doit arriver … et ça veut dire qu’elle se lève beaucoup plus tôt aussi parce que qui dit salaire, en tout cas, secteur de la petite enfance très peu valorisé, c’est-à-dire des salaires très bas, et qui dit salaire très bas, dit souvent j’habite pas à côté de mon lieu de travail.

Donc potentiellement, et si on prend la région parisienne, ça veut dire éventuellement une heure, deux heures au RER ou en succession de RER, bus, machin, etc. T’habites en camp de banlieue, tu travailles dans Paris, c’est une galère monstrueuse. Donc potentiellement tu pars à 5h du matin. Mais à 5h du matin tu fais quoi de tes enfants? Et donc, pour prendre le sujet qui peut nous parler le plus en tant que mère, c’est prendre celles qui s’occupent de nos enfants. Ou prendre celles qui peuvent s’occuper de notre tâche domestique.

Donc comme tu disais, effectivement, dans le cadre de celles qui sont privilégiées et qui ont la chance de pouvoir déléguer des tâches domestiques et parentales, ou en tout cas la garde, ou par exemple aussi le ménage, c’est aussi prendre conscience de ces privilèges-là par rapport à d’autres qui peuvent pas, qui ont elles des horaires atypiques. Qui ont des bas salaires, qui peuvent confier à personne et qui du coup sont obligés de donner leurs enfants à quatre heures du mat, les emmener chez les voisins, les voisines. Si elles ont la chance d’avoir de la famille autour, tant mieux, sinon elles n’en ont pas, mais c’est une galère monstrueuse.

Donc dans ces cas-là, quand tu sais que tu vas avoir des horaires hyper atypiques, hyper compliqués à concilier avec ton temps de famille, avec tes contraintes familiales, et qu’en plus t’es mal payé, le choix est vite … Enfin, c’est pas un choix en fait. Parce que tu galères deux heures pour péniblement gagner le SMIC qui va partir en mode garde. C’est impossible en fait.

Clémentine Sarlat  : Tu l’as expliqué que c’est le creuset des inégalités, ce moment-là, la reprise, toutes les études le montrent. Est-ce que tu peux concrètement nous dire comment ça se matérialise?

Thi Nhu An : Oui, quand je vous expliquais tout à l’heure que près d’une femme sur deux modifie son activité professionnelle, ça veut dire que financièrement parlant, sur ses revenus, les chercheurs l’ont montré, c’est une pénalité. Ils appellent ça la pénalité maternelle, donc c’est une pénalité durable sur revenus jusqu’à même 5 ans après, et vous allez voir que ça a des conséquences bien plus durables, c’est entre 20 et 30% de revenus en moins. Et ça c’est une moyenne nationale. Qui dit moyenne dit que pour les salaires les plus élevés, l’impact est moins fort. Pour les salaires les plus faibles, l’impact est plus fort. Ça peut aller de 40 à 50%.

Si on prend l’assistante maternelle qui galère, qui est dans des contraintes terribles, qui gagne à peine le SMIC et qui du coup se dit : “ok, je vais me mettre, j’arrive à me mettre en temps partiel”, ça veut dire qu’elle gagne quoi? Elle gagne 40% du SMIC. Pour galérer deux heures en RER pour aller à son lieu de travail. Et ça veut dire quoi? Et ça pendant cinq ans, dix ans. Pour le premier enfant. C’est encore pire quand c’est deuxième et troisième enfant. Donc quand ça atteint des 60% voire 70% de revenus en moins, imaginez ce que ça a comme impact financier quand on est dans une société qui n’est pas du tout construite pour accompagner les femmes. Et ça n’a pas juste une incidence sur vingt ans, enfin sur dix ans, vingt ans, c’est une incidence jusqu’à la retraite.

Parce que tout ce que on ne gagne pas comme argent à ce moment là, c’est des cotisations en moins. Et donc ça veut dire qu’à la retraite, ce manque de rémunération, c’est un manque de pension en fait. C’est un manque de retraite tout simplement. Et ça explique pourquoi on est à des niveaux de retraite bien inférieurs à ceux des hommes. Et donc tout ça, déjà d’un point de vue financier, ça creuse une inégalité entre les femmes et les hommes. Et ça creuse aussi des inégalités, ne serait-ce qu’en termes de carrière. Parce que c’est ce qu’on appelle le risque maternité, même quand on n’a pas d’enfant, en fait, c’est horrible, le monde du travail, voit les femmes comme un risque. Un risque au niveau de l’organisation.

Clémentine Sarlat:  Soit on est une pénalité, soit on est un risque. C’est terrible le vocabulaire.

Thi Nhu An : Non mais c’est horrible, et le vocabulaire est extrêmement… Et c’est pas nous qui sommes des problèmes, c’est la manière dont la société nous voit, la manière dont la société nous traite. C’est pas le congé maternité qui est un problème, c’est la manière dont aujourd’hui le monde du travail considère ça comme un problème, alors que quand quelqu’un a un accident, ben tu prends le fait, tu t’organises et puis c’est comme ça, pas autrement. Ou quelqu’un qui veut prendre un congé sabbatique, ou quelqu’un… Ben voilà, ça s’anticipe. Et puis bon, le congé maternité, ça s’anticipe. Tu tombes pas enceinte et tu pars au congé maternité un mois après, t’as des mois pour t’organiser.

Mais voilà, cette faible considération des femmes et de la valeur des femmes dans le monde du travail, fait que, effectivement, en fait, plus tu vas modifier ton activité professionnelle, plus tu ne rentres plus dans les codes de la performance actuelle, je ne dis pas que c’est des bons codes, je dis juste que c’est des codes, c’est des normes, ta carrière va en prendre un coup. Ton évolution, en fait, professionnelle et salariale en prennent un coup. Et pareil, là aussi, il y a des études qui montrent qu’il y a une pénalité maternelle, mais il y a un bonus paternel. C’est-à-dire que quand les femmes gagnent moins d’argent à l’arrivée d’un enfant, les hommes, eux, peuvent voir leur salaire augmenter.

Et puis surtout, quand les femmes, à un moment donné, parce que la constellation travail-famille ne respose que sur les femmes, qu’elles sont l’éternelle variable d’ajustement du couple, parce que c’est elles qui vont s’occuper principalement des enfants et du foyer. Pendant ce temps, en fait, il y a des études qui montrent, c’est hyper paradoxal, quand les femmes baissent leur activité professionnelle, à l’arrivée d’un enfant, les hommes vont faire plus d’heures supp’. Vont faire plus d’heures supp’, vont peut-être gagner plus d’argent, vont mieux se faire voir, donc vont être plus facilement promus, et on voit dans la tranche des 30-40 ans, 35-45 ans, je sais plus. La carrière des hommes elle… Elle s’accélère quand celle des femmes elle stagne. On le voit.

Clémentine Sarlat : Je veux dire, on peut vite en rendre compte dans nos entourages.

Thi Nhu An : Ah bah il suffit d’interroger tout le monde, il suffit de voir l’ascension professionnelle de deux personnes dans un couple. Et ça, dans un couple hétérosexuel. Quand il n’y a pas couple, et c’est hyper important aussi de questionner le sujet de la reprise, au prisme des familles monoparentales et des mères isolées, quand c’est déjà ultra difficile pour nous et ultra inégalitaire et ultra pénalisant : qu’est-ce que c’est pour les femmes, les mères isolées, qui trouvent difficilement des places en crèche ? Parce que moi, quand j’ai commencé à explorer le sujet, j’étais ahurie de voir qu’en fait elles n’étaient pas forcément prioritaires sur les listes. Là je me dis : “mais attends, s’il y en a une qui doit trouver une place en crèche immédiatement, c’est bien la femme célibataire sur laquelle…”

Clémentine Sarlat : Elle peut se reposer sur personne.

Thi Nhu An : Bah ouais, elle peut se reposer sur personne pour payer ses factures, donc bah non, c’est pas le cas en fait, donc c’est un problème. Et puis, le fait que c’est déjà difficile pour une femme accompagnée de concilier travail-famille, mais alors quand t’es toute seule. Moi j’ai une mère qui m’avait confiée, en plus elle avait des jumeaux, la première année de reprise elle a essayé tant bien que mal de tout concilier mais son corps a lâché. Elle me dit : “mais à un moment donné en fait j’ai dû m’arrêter parce que tout simplement je suis tombée d’épuisement dans le métro”. Elle est tombée. Son corps a lâché et il y a plein d’autres exemples comme ça de gens qui tout d’un coup font un burn out parce que c’est fini, le corps ne peut plus. C’est trop d’efforts en fait.

Clémentine Sarlat : Moi j’avais appelé ça le “burn-out patriarcal”. Tu vois, parce que j’ai eu ces sensations-là aussi, parce qu’on nous en demande trop, c’est pas possible. Et quand nos conjoints ils se rendent pas compte, ils prennent pas leur part, ils participent à ce climat patriarcal où on dit : “mais allez-y les femmes, vous êtes capables de tout”, mais non non, notre corps il nous dit non, c’est juste plus possible en fait.

Thi Nhu An : C’est impossible en fait, c’est irréaliste, et effectivement le gros problème du tabou autour de ce sujet-là, c’est qu’on vit tous toute seule, en silence et que personne n’en a conscience, du coup personne ne peut venir nous aider non plus. Et en plus on n’ose pas aider, on n’ose pas demander de l’aide, donc une espèce de cercle vicieux qui s’alimente.

Clémentine Sarlat : Et juste pour préciser sur les mères célibataires (en tout cas les familles monoparentales, mais c’est plus souvent les femmes) il y a des projets de loi qui sont en cours pour essayer de mieux les encadrer, mieux les protéger. Il y a quand même des députés qui ont pris cette considération là, et c’est en train d’être discuté en ce moment. Donc à voir dans quelle mesure ça va être voté, accepté, comment ça les aidera, mais ça devient de moins en moins un impensé. On est quand même de plus en plus conscient que ce sont les femmes les plus précaires en fait, celles qui sont célibataires avec des enfants à charge.

Thi Nhu An : Tout à fait. J’ai plus les chiffres en tête mais le taux de familles monoparentales … bon la famille monoparentale c’est 80% des familles monoparentales qui sont en fait des mères célibataires, enfin des mères isolées. Il y a un taux mais phénoménal de familles qui vivent sous le seuil de pauvreté.

Clémentine Sarlat : C’est 20%. C’est terrible. Et il n’y a que 12% de garde partagée en France, alors qu’on sait que ça pourrait… C’est pas toujours souhaitable, on est tous d’accord qu’il y a toujours des physionomies, mais ça aussi, ça pèse, le fait qu’elles aient la charge en permanence.

Thi Nhu An :  Et a minima que les pensions soient payées.

Clémentine Sarlat : Oui. Avant que ce soit automatique par la CAF, je crois que le chiffre c’était 50% des pensions qui n’étaient pas payées par le père, la plupart du temps. Rien que ça, c’est problématique. Il y avait des femmes qui m’ont écrit : “mais nous en Suisse c’est prélevé automatiquement. Comment ça se fait que vous …?”  Non non, nous c’était pas encore le cas. Ça l’est maintenant via la CAF mais c’est encore un peu complexe et problématique.

Il y a eu aussi en 2023 un rapport qui est sorti de l’APEC concernant les femmes cadres et c’est pas beaucoup plus glorieux ni valorisant. Et surtout ce qui ressort et ce qui m’a interpellé, c’est ce mal-être au travail. Parce que comme tu dis,financièrement, on est quand même un peu plus à l’aise donc on a moins ce stress là mais juste que : même si on a un haut poste, on n’est pas protégé.

Thi Nhu An : Non on n’est pas protégé. Et puis je dirais qu’il y a des difficultés spécifiques aux femmes cadres. Alors évidemment on n’est plus privilégié, on peut déléguer plus facilement sauf que – je sais pas comment expliquer, mais – les femmes cadres sont arrivées à des postes après avoir travaillé (tout le monde travaille beaucoup) mais après avoir, on va dire, coché toutes les cases de cette réussite qui était censée nous amener à l’égalité. Où on a fait des études qu’il fallait, on a fait beaucoup d’études. On a pris sur nous de doser, doser. On a pris sur nous de ruer dans les brancards pour prendre notre place, être carriériste, etc. Tout ce que tu veux.

Et puis tout d’un coup, et moi j’ai eu plein de témoignages comme ça de femmes complètement révoltées, qui à l’arrivée d’un premier enfant, tout d’un coup réalisent que l’égalité n’est pas du tout là. Que cette égalité qu’on croit avoir acquise parce qu’on a fait les mêmes études, parce qu’on a obtenu les mêmes postes, les mêmes responsabilités, parfois peut-être même les mêmes salaires, et bien tout d’un coup l’arrivée d’un enfant : paf, c’est la dégringolade. On se rend compte qu’effectivement, bah en fait, on s’est déjà questionné, mais les tâches domestiques et parentales, ouais, en fait, c’est que pour nous. Les appels chez le docteur, le rendez-vous d’urgence à obtenir, la crèche qui appelle parce qu’il y a la fièvre, machin, machin, … C’est que pour notre pomme tout le temps. Et là, tout d’un coup, on dégringole complètement. C’est la claque phénoménale, on se dit : “Mais merde! En fait on m’a menti! Ou je me suis leurré! Comment j’ai pu me leurrer à ce point-là?”

Et puis d’un coup effectivement on commence à voir finalement des choses qu’on n’arrivait pas à voir. Moi j’ai vu des choses de sexisme ou même de maternophobie entreprise que je… Qu’en fait pour moi c’était tellement intégré que ça passait… Ça passait! Je trouvais ça un peu bizarre mais j’en avais pas conscience ou inconsciemment je me disais pas “Ah dis donc …”. Parce que j’étais dans ce leurre de : “j’ai fait les études qu’il faut, j’ai les postes qu’il faut, c’est bon, j’ai accédé à un certain statut, l’égalité elle est là.” Et en fait pas du tout. Et c’est ça où c’est très compliqué.

Et c’est d’autant plus compliqué que quand t’arrives à des postes à responsabilité, t’es d’autant plus visible et on attend d’autant plus de toi d’être super pro, super disponible, super… Enfin t’as plus le droit à l’erreur, mais aussi en tant que femme devenue mère, super mère aussi. Parce que là, il y a l’étanchéité qu’on te demande en matière de contraintes, bah c’est pas grave. Là, moi j’avais des… J’ai notamment une ARH qui m’expliquait qu’un truc qui la rendait folle, c’est que quand il y avait des intervenants dirigeants dans des conférences, etc., il y a toujours une question sur : “Mais comment vous faites pour concilier? Comment vous faites avec vos familles? Vous avez des familles?” Pour les hommes … qu’on pose la question c’est très bien, mais elle n’est jamais posée aux dirigeants hommes.

Clémentine Sarlat : Bah non parce qu’il faudrait qu’ils admettent qu’ils font rien.

Thi Nhu An : Voilà mais c’est pas … En fait et surtout c’est pas un entendu.

Clémentine Sarlat : Non bien sûr.

Thi Nhu An : En fait on n’attend pas ça de leur part, on attend juste d’être des bons dirigeants.

Clémentine Sarlat : D’être performants.

Thi Nhu An : La question de la conciliation travail-famille, elle est intéressante et c’est bien qu’elle sorte du tabou, mais il faut qu’elle soit posée à tout le monde. Pas juste comme une expectative pour “bah oui c’est difficile pour les femmes parce qu’on attend des femmes qu’elles fassent bien partout, qu’elles cochent toutes les cases”. Et c’est ça aussi qui est compliqué, parce que après on est pris entre plein de feux, entre : “il faut que je sois ultra disponible et ultra performante au boulot” et en même temps, si t’es trop, tu vas sentir les petits couloirs, les petits sons de couloirs en disant : “c’est pas une bonne mère, elle néglige les enfants, elle est pas très…”

Clémentine Sarlat : On n’est jamais gagnante.

Thi Nhu An : Voilà, on n’est jamais gagnante. Et donc c’est compliqué aussi à un niveau cadre.

Clémentine Sarlat : Alors là on a parlé quand même du tableau un peu noir et c’est dur. Heureusement t’as interpellé sur le sujet et il y a des choses qui bougent. Et donc t’as quand même réussi à voir, il y a des process à mettre en place. Qu’est-ce que des RH ou des dirigeantes ou dirigeants d’entreprises, qui nous écoutent, pourraient mettre en place pour faire en sorte que cette période soit bien gérée? Le retour des femmes au travail.

Thi Nhu An : Alors pour moi c’est pas juste le retour. Il faut prendre en charge la parentalité au sens large, et même la place des femmes parce que tu peux pas avoir une politique d’accompagnement à la parentalité si t’as pas de politique anti-sexisme au travail. Parce que tout simplement, une femme, elle doit sentir bien accueillie dans le monde de l’entreprise. Donc avant même d’avoir des enfants, elle doit déjà se dire qu’elle a toute sa place. Et quand elle a un projet d’enfant, et ça démarre dès le projet d’enfant, elle doit aussi se dire qu’elle n’a pas à s’éjecter, ou à s’auto-éjecter, ou qu’elle ne va pas se faire éjecter si elle a un projet d’enfant.

Parce que, en fait, les red flags … en tout cas, toutes les reprises qui se sont mal passées, souvent, il y avait des alertes dès l’annonce de grossesse. On m’a raconté des annonces de grossesse où les femmes elles sur-stressaient d’annoncer parce qu’elles savaient que le climat n’était pas très parent-friendly. J’en ai une en tête où son manager s’est carrément tapé la tête contre le bureau en disant « non, tu peux pas me faire ça ». Et dans ces cas-là, à quel moment tu peux envisager ta grossesse et ton retour au travail sereinement, déjà ? Déjà tu sur-stresses.

Et il y en a une qui l’était dès l’annonce de sa grossesse, et une autre qui a été tellement harcelée pendant sa grossesse. Déjà, un, “pourquoi tu me fais ça?” Et deux, aucune pitié pendant la grossesse, mais c’était à demander plus que de raison à mettre l’employé en péril au niveau de santé. Elle était tellement stressée pendant son congé maternité qu’elle a postulé à des emplois en étant en congé maternité. Parce qu’elle se disait : “mais je peux pas revenir, c’est trop horrible, je vais me faire harceler encore pire, je peux pas re-subir ça”. Et pour toutes celles qui ont cherché un emploi, imaginez chercher un emploi en même temps que s’occuper d’un nourrisson. Mais c’est juste infernal. Elle a quand même préféré cette contrainte là à devoir revenir dans le même environnement.

Donc c’est déjà travailler sur une politique de parentalité qui déjà envoie les signaux aux employés que c’est un sujet de la vie, c’est un parcours de vie qui est complètement intégrable et complètement intégré dans un parcours professionnel et que c’est normal. Et pour les femmes, comme pour les hommes, enfin je veux dire pour n’importe quel parent ou coparent. Et ça c’est très important. L’idée est de ne pas considérer la parentalité au sens juste de la maternité, parce qu’une bonne reprise ne peut se faire que si le coparent prend sa part. Et pour qu’il prenne sa part, il faut qu’il ait le temps de prendre sa part.

Et il faut qu’il ait le temps de prendre son congé co-parent, qui est aujourd’hui de 28 jours, mais qui est en réalité juste de 7 jours obligatoires, donc c’est déjà faire en sorte que ces 28 jours soient potentiellement bien prenables et qu’il n’y ait pas soit des pressions venant d’en haut, soit de l’autocensure parce que le co-parent se dit : “non mais je vais être blacklisté etc”. Donc il y a déjà ça. C’est-à-dire aussi offrir de la souplesse aussi au co-parent pour qu’il puisse s’impliquer et que ce soit pas la mère, qui devienne toujours celles qui doivent pallier toutes les urgences. Donc il y a ça.

Et ensuite, très concrètement, au moment de la reprise, c’est s’attacher à donner un : la parole aux concernés, c’est-à-dire faire en sorte qu’il y ait … Il y a un entretien obligatoire, un entretien professionnel, qui est obligatoire dans la loi, donc déjà à minima le faire. Répéter la loi c’est déjà un minimum, mais c’est tout simplement aussi vraiment considérer qu’il faut prendre en compte les envies, les besoins et les contraintes de la personne qui rentre au travail. Et de lui donner la parole. Parce que trop souvent le problème c’est que les employeurs présupposent à la place d’eux. 

Présupposent qu’elles veulent soit faire comme si de rien n’était, et donc annihiler toutes ces contraintes. Soit qu’au contraire elles veulent complètement se désengager ou se… Ou…”Bah tiens tu viens d’avoir un petit enfant, tu feras pas ce déplacement” genre je te fais une fleure alors que peut-être que la femme a très envie de faire ce déplacement parce que c’est un déplacement qui peut être très stratégique pour sa carrière ou très important ou qu’au contraire elle a envie de cette bulle aussi.

Elle veut respirer. Elle veut respirer et se dit qu’elle a envie mais ne jamais décider à la place de ces femmes là et puis les réintégrer réellement c’est ce qu’on appelle en jargon RH le re-onboarding, c’est avoir un vrai parcours de retour en fait au travail. C’est comme pour n’importe qui débarque dans une organisation qui a bougé, forcément bougé, sur plusieurs mois.

C’est lui expliquer : “ok, on en est où de la stratégie de l’entreprise, de l’organisation, on en est où des équipes, de l’organigramme, de tes fonctions”, de prendre le point, de faire sur “c’est quoi tes dossiers aujourd’hui, c’est quoi ton évolution éventuelle”, ou même tout simplement faire en sorte qu’en fait qu’elle est bien accueillie. Et c’est pas juste faire un petit déjeuner vite fait, c’est toujours gentil et c’est chaleureux. Et puis ensuite, tout le monde part et on oublie. Non, c’est vraiment à la fois considérer que la femme qui revient de congé maternité a des envies, des besoins spécifiques, il faut lui demander et à la fois considérer qu’elle a besoin d’une mise à niveau en matière d’information.

Clémentine Sarlat : Est-ce qu’il y a déjà des grosses entreprises qui font ça bien? Est-ce qu’on a déjà vu où ça se passe très bien? Parce que j’imagine, là on a pris le biais de la négativité. Mais j’imagine qu’il y a des entreprises qui ont compris que c’était un enjeu bénéfique au long terme pour elles.

Thi Nhu An : Bien sûr, il y a des entreprises qui le font même depuis plusieurs années, et tant mieux. Je ne vais pas en citer pour ne pas faire la pub, mais il y en a notamment aussi qui ont signé le Parental Challenge. C’est un guide qui appuie point par point, étape par étape aussi, les conditions d’un bon soutien à la parentalité. Donc ça, il y a toutes ces entreprises-là aussi qui prennent ce point-là et c’est très important. Et ce guide-là, pour toutes celles qui ne le connaissent pas, c’est un guide, à la fois une démarche, une charte, qui accompagne vraiment les RH et les employeurs pas à pas sur chaque chose. Donc allez voir le Parental Challenge, c’est vraiment…

Pour tous ceux et toutes celles qui ne savent pas par quel bout prendre, c’est très pratico-pratique et ça permet à minima d’avoir les informations minimum en termes de droit et ça c’est déjà important de ne pas, enfin c’est horrible à dire en 2024, de se dire qu’il faut déjà à minima être au niveau zéro de la loi, mais malheureusement c’est tellement pas encore le cas que c’est déjà ça. Mais si heureusement il y a des cas et j’ai aussi des témoignages de femmes qui me disent : “bah moi je suis contente, on m’a bien accueillie, j’ai même été promue”. Donc non, heureusement ce n’est pas le cas de tout le monde.

Clémentine Sarlat : Il y a des très grosses entreprises françaises que je nommerai pas, et même étrangères qui sont en France, qui offrent aussi trois mois de congé paternité ou en tout cas de co-parent. Et donc qui ont déjà compris qu’avoir cette égalité là au sein de l’entreprise était important et c’est ce que tu disais c’est global en fait. Tant qu’on considère la politique du juste du congé maternité, on n’a pas gagné parce que c’est une politique globale de l’entreprise.

Thi Nhu An : Exactement. C’est très important effectivement cette considération du co-parent dans la mesure où c’est pas juste entre guillemets pour aider la femme qui vient d’accoucher, c’est aussi pour tout simplement que le co-parent puisse être parents en fait. Et il y en a plein et ils ont envie de ça parce que en fait toute cette politique qui assigne des rôles à chacun, c’est aussi pour des co-parents et des pères notamment qui ont envie de prendre leur place qui n’arrivent pas à le faire ou qui se sentent complètement frustrés de ne pas pouvoir le faire, parce que c’est mal considéré au niveau de leur entreprise. C’est hyper délétère pour eux aussi. Et de manière générale, indépendamment des genres et même indépendamment des âges ou même du fait d’être parent ou pas : le fait de permettre de concilier travail et perso, en fait le perso, qu’on ait des enfants ou pas, c’est bien pour tout le monde en fait.

C’est juste dire que : “oui, tu ne vas plus avoir de réunion après 17h, c’est bien pour tout le monde”, que tout le monde ait une vie personnelle, riche, épanouie, ou même qu’elle ne soit pas épanouie, on s’en fout, mais qu’on ait le temps, qu’ils aient une vie en tout cas. C’est sain pour tout le monde. Aujourd’hui, c’est malsain pour tout le monde de se dire qu’il faut enchaîner les heures, ou avoir des horaires atypiques, ou faire quelque chose dans une organisation de travail qui t’empêche d’avoir cette vie là. C’est malsain pour tout le monde, et c’est d’autant plus malsain depuis la crise Covid où les gens ont bien redéfini leurs priorités aussi. Et puis recherchent du sens sur le travail aussi, donc c’est sain pour tout le monde.

Et je dirais aussi que la vraie révolution sera quand on organisera le travail au prisme des personnes les plus vulnérables. Et les personnes les plus vulnérables pour moi, c’est les mères isolées. Si on arrive à s’organiser au travers de celles qui ont le plus de contraintes, ça va être bénéfique, là vraiment pour tout le monde.

Clémentine Sarlat : Ma dernière question, justement, elle porte sur ça. Encore une fois, s’il y a des dirigeants et des dirigeantes qui nous écoutent, pourquoi est-ce que c’est très important de mieux intégrer les femmes à leur retour de congé maternité? Quels bénéfices ça peut avoir sur le très long terme?

Thi Nhu An : Sur le très long terme, il y a une question de justice sociale, donc déjà d’éthique, on va dire, personnelle et collective. Mais c’est aussi, si je vais m’adresser de manière extrêmement concrète et pragmatique pour des employeurs …

Clémentine Sarlat : Ouais, parce qu’ils ont besoin de chiffres, souvent.

Thi Nhu An : Oui, de chiffres, ou en tout cas de trucs concrets. Alors, le fait devenir mère, c’est beaucoup de bouleversements, beaucoup de difficultés, mais c’est aussi une puissance qui est inégalée. Se dire qu’aujourd’hui une personne peut donner vie à un petit être et assurer sa survie et l’élever. Alors évidemment ça vaut pour les coparents aussi, mais pour celles qui font cet acte de donner vie, d’un point de vue très pratico-pratique, prosaïque, c’est une surmultiplication des compétences et des soft skills comme adore le monde de l’entreprise en termes de gestion de crise, en termes de polyvalence, en termes d’agilité, en termes de gestion du stress, en termes d’endurance, de tout.

Prenez une mère et vous aurez toutes les soft-skills du monde, d’un point de vue extrêmement prosaïque, et comme je ne veux pas qu’on retienne que ça de la maternité, mais c’est surtout en fait : les mères ont cette capacité de trouver des ressources en elles, et c’est pas juste des ressources d’endurance, mais des ressources de créativité. Toutes celles que j’ai vues lâcher par le monde du salariat, se lancer dans des projets (et t’es la première, tu l’incarnes parfaitement), dans des projets dingues, d’une ambition folle et d’une utilité folle, mais en fait ces compétences-là, si on ne les utilise pas dans le monde du travail, mais qu’elle gâchit, Quel gâchis!

En fait, la puissance des mères, elle est formidable d’un point de vue, et de, on va dire, de performance (j’ai horreur de ce terme), mais de compétences concrètes, mais aussi de créativité, et d’intelligence, et de pertinence, et de justesse, et de sens collectif. Parce qu’en fait la maternité, c’est ça, enfin la parentalité, c’est ça aussi, c’est se décentrer. C’est avoir plus d’empathie, c’est avoir un sens collectif et c’est encore plus dans un esprit collectif. Pour un employeur c’est génial quoi.

Clémentine Sarlat : Et puis il faut aussi rappeler que quand on se prive de la moitié de la population en termes de main d’œuvre, on perd des génies en fait. On perd des gens qui vont apporter quelque chose à notre entreprise.

Thi Nhu An : Ouais exactement. Et d’un point de vue, là encore très concréto-concret, si on veut pouvoir demain respecter les quotas de la loi Rixain, c’est-à-dire en 2026, en 2029, avoir 30 puis 40 % de ces instances dirigeantes féminisées : faut former maintenant. Faut les garder maintenant les femmes qui deviennent mère ou qui vont et qui peuvent devenir mère. Parce que si elles sortent du monde du travail parce qu’elles ont été maltraitées, soit elles sortent d’elles-mêmes, soit on les fait sortir mais il y aura qui ensuite pour accéder aux CODIR des entreprises? Il n’y aura plus personne en fait. Donc les entreprises seront pénalisées par les lois. Voilà. Tout bêtement et concrètement.

Clémentine Sarlat : Merci beaucoup Thi Nhu An, c’était trop intéressant. Je sais que c’est dur ce dont on parle et il y a beaucoup de choses pas très reluisantes et ça peut faire peur aussi aux femmes enceintes. Mais j’aime beaucoup ce que tu rappelles. Déjà on a des droits, on a le droit de se battre aussi, on a le droit de ne pas vouloir se battre et on a tout intérêt à faire en sorte que ça se passe bien. Et j’espère qu’on rentre dans une ère où on va changer les choses là-dessus et qu’on va nous considérer enfin dans le monde du travail.

Thi Nhu An : La prise de conscience est hyper importante pour ça, déjà.

Clémentine Sarlat : Merci, merci.

Thi Nhu An : Merci à toi Clémentine.

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