Épisode 191 – La thérapie de couple et ses effets

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Vous vous demandez à quoi peut servir une thérapie de couple ?
Mais vous avez encore un peu peur de franchir le pas ?

Alors venez avec nous pour comprendre ce qu’il se joue en thérapie.

Claire Berjot, psychologue spécialiste du couple a étudié aux États Unis et a ramené plusieurs courants différents que l’on connaît peu en France.

Dans cet épisode elle vous explique les fondements de l.IFS et du PACT de la théorie de l’attachement et pourquoi ils sont essentiels pour comprendre vos interactions.

Ensemble on se demande pourquoi il est si difficile d’être en couple, pourquoi nos systèmes nerveux sont déclenchés, ce que nos enfants retiennent de l’exemple qu’on leur donne…

Prendre soin de son couple est primordial mais par où commencer ?
Déjà par ce podcast


LIENS UTILES

Site de Claire Berjot
Programme “En finir avec les conflits récurrents” de Claire Berjot


TRANSCRIPTION DE L’ÉPISODE

Clémentine Sarlat : Salut Claire.

Claire Berjot : Salut Clémentine.

Clémentine Sarlat : Je suis ravie de te recevoir ici, dans un studio à Bordeaux.

Claire Berjot : Oui, merci beaucoup. Ça me fait très plaisir d’être là.

Clémentine Sarlat : Parce que tu es bordelaise.

Claire Berjot : Je suis bordelaise.

Clémentine Sarlat : Et je suis ravie de recevoir des bordelaises ici sur ce podcast. Alors aujourd’hui, on va parler de couples, de thérapie de couple. Je pense que ça peut encore faire peur à beaucoup de gens de franchir le pas, d’aller en thérapie en couple. Déjà, moi, ma question, c’est pourquoi tu as voulu devenir thérapeute de couple?

Claire Berjot : Oui, écoute, je pense que j’ai toujours été assez fascinée, en fait, par les relations amoureuses. Déjà, en voyant l’impact que ça peut avoir, moi, dans ma vie, comment ma qualité de vie à moi, très… très égoïstement, est impactée par ce qui se passe dans les relations amoureuses. Donc il y a toujours eu cet intérêt-là, un peu ce questionnement. J’ai eu envie aussi d’explorer un petit peu différents modes de vie. J’ai testé le polyamour, des choses comme ça, avec vraiment cette idée de “mais qu’est-ce qui marche? qu’est-ce qui ne marche pas?”. Et puis devenir thérapeute, pour moi, c’était une reconversion. Et il se trouve que quand j’étais dans mes études de psychologie, donc j’étais aux Etats-Unis à l’époque, j’étais dans une relation qui était à la fois très très belle, mais aussi très difficile. Et je suis tombée enceinte.

Et au moment où je suis tombée enceinte, ça a été un peu comme une évidence. On s’est dit “mais oui en fait on a envie de ce bébé. Et il faut que les choses changent, il faut que ça marche entre nous”. Parce qu’avoir un bébé avec autant de hauts et de bas, de crises, c’est juste pas possible. Et donc à ce moment-là, avec mon mari actuel, on est ensemble depuis une dizaine d’années maintenant, on est allé en thérapie de couple. Et ça a tellement bouleversé notre relation, dans le positif, évidemment, ça a tellement impacté notre relation qu’à ce moment-là, comme j’étais en train de finir mes études de psycho, ça a juste fait sens de me diriger vers la thérapie de couple.

Clémentine Sarlat : Tu as eu une révélation.

Claire Berjot : J’ai eu une révélation. Et je me suis dit “mais en fait, c’est fou qu’une relation – parce que franchement, on revient de loin – qu’une relation qui était aussi difficile puisse à ce point-là se transformer”. Alors, je ne dis pas que c’est forcément tout rose tout le temps, mais maintenant, on a deux enfants, on est ensemble, on est bien. Et voilà, ça m’a vraiment impactée au niveau personnel et j’ai eu envie de me lancer dedans.

Clémentine Sarlat : Ça donne de l’espoir quand même, ça veut dire que c’est possible.

Claire Berjot : C’est possible, c’est complètement possible.

Clémentine Sarlat : Et donc toi, dans tes études, tu as vu plein de différentes théories, différentes approches de la relation de couple. Est-ce que tu peux nous expliquer déjà ce que c’est l’IFS, l’Internal Family System de Richard Schwartz et en quoi ça aide les couples.

Claire Berjot : Tout à fait. Alors, l’Internal Family System, c’est basé déjà sur un postulat important qui est le postulat de la multiplicité de la personnalité. C’est-à-dire qu’en fait, c’est cette idée qu’à l’intérieur de nous, on n’est pas juste une seule personnalité. On a plusieurs parties de nous, plusieurs sous-personnalités. Et que ces différentes parties de nous-là, en fait, ont besoin qu’on vienne être en lien avec et aussi y apporter du soin. Il y a différents types de parties, donc il y a des parties qui sont plus des parties protectrices, et puis il y a des parties qui sont les parties vulnérables, qu’on appelle en IFS les “exilées”. Là où l’IFS est intéressant pour la thérapie de couple, c’est que ça va nous permettre notamment… Imagine, t’as un conflit avec ton conjoint, et ton conjoint se met à dire des choses horribles.

Bon, j’espère que ça t’arrive pas trop souvent, mais si ça arrive, déjà tu peux prendre du recul et te dire : “là c’est une partie de lui qui parle en fait, c’est pas la totalité de qui il est”. Déjà, je trouve qu’il y a quelque chose de plutôt rassurant en reconnaissant le fait que, en fait, quand on s’énerve, quand on dit des choses qu’on n’aurait pas envie de dire, ce n’est pas la totalité de qui on est, ça ne définit pas la personne. Ça définit juste une partie protectrice qui, à ce moment-là, s’est présentée de cette façon-là. Donc ça, c’est le premier point. Le deuxième point, c’est quelque chose que l’IFS nous aide à faire, c’est à nous “désamalgamer”. Alors qu’est-ce que c’est que se “désamalgamer”? C’est justement de mettre un petit peu de distance entre soi et la partie qui souvent prend le dessus.

Quand je me mets en colère, imagine que la colère c’est une partie de moi, dans les moments où vraiment la colère monte, c’est comme si la colère, ça devenait l’ensemble de moi. J’agis depuis la colère, je suis la colère. Et l’IFS, ce que ça va faire, c’est que ça nous aide justement à dire : “attends, c’est pas que je suis la colère, c’est qu’en fait, la colère, c’est une partie de moi”. Et on a des outils qui nous aident justement à faire ce travail de redescendre, du coup, et réguler notre système nerveux. En disant “non, en fait, c’est une partie de moi et je peux parler pour cette partie-là sans être cette partie-là”. Donc ça, c’est super intéressant.

Et puis, l’autre contribution de l’IFS à la thérapie de couple, pour moi, c’est de vraiment venir débloquer des ressentis négatifs du passé. C’est-à-dire que quand les couples viennent en thérapie, souvent, ils ont besoin d’apprendre des principes de fonctionnement sécure. Ça, c’est plus une autre modalité que j’utilise beaucoup, qui s’appelle PACT. Mais derrière, une fois qu’on a un petit peu ce “comment est-ce qu’on fait dans le quotidien pour être bien ensemble”, quand ça continue à coincer, c’est parce qu’il y a des vieilles choses du passé qui n’ont pas été réglées. Il y a des ressentiments qui sont là, des blessures en fait qu’il y a eu entre nous qui n’ont pas été réglées et qui continuent en fait à faire… À pourrir la vie au quotidien, simplement. Et avec l’IFS, en fait, on va pouvoir aller voir ces choses-là et on va pouvoir y apporter du soin. Et ça va pouvoir justement changer… comment dire? Changer la donne.

Clémentine Sarlat : Ça veut dire que grâce à l’IFS, on est capable de désamorcer la colère qu’on peut ressentir. Toujours avoir cette… C’est un droit d’être en colère, évidemment, mais de ne pas l’exprimer de manière qui va blesser et qui va dépasser finalement le fond de notre pensée? En “désamalgamant”, c’est ça, si je comprends bien.

Claire Berjot : Oui. En fait, c’est surtout et avant tout un outil pour soi, pour se connaître soi et être dans la connaissance et la maîtrise de ses émotions et de ses comportements à soi. Parce que dans l’IFS, il y a vraiment cette idée très importante que (et à laquelle je souscris) on est vraiment à 100% responsable de ce qui se passe pour nous et de comment on se comporte. Et que si je suis en colère, en fait, c’est que j’ai une partie qui est là, qui est en colère, qui vient probablement protéger quelque chose qui est plus douloureux en dessous. Et c’est ça qui est intéressant : c’est de faire ce travail de “OK, là, j’ai une partie qui est en colère et si je creuse un petit peu, en fait, ça vient protéger quoi? C’est quoi la vulnérabilité qui est en dessous. C’est quoi cet endroit à l’intérieur de moi qui a mal et qui a besoin que je vienne y apporter du soin?”

Clémentine Sarlat : Donc ça, c’est pour l’IFS de Richard Schwartz. Et tu me racontais, juste avant qu’on démarre l’enregistrement, que toi, tu as été dans une université bouddhiste. Et donc, tu y as appris la pleine conscience.

Claire Berjot : Oui, tout à fait.

Clémentine Sarlat : C’était voulu aussi par rapport à la thérapie de couple? Tu voulais aller dans ce sens-là parce que ça aurait pu t’apporter quelque chose ou c’était par hasard?

Claire Berjot : Alors, c’était pas lié à la thérapie de couple à l’époque. En fait, moi, j’ai fait un master en psychologie transpersonnelle. Je vivais aux États-Unis à l’époque. Je suis venue à la psychologie de manière un petit peu détournée à travers les psychédéliques et notamment un intérêt, un très grand intérêt pour la thérapie assistée de psychédéliques.

Clémentine Sarlat : Qu’on fait pas trop en France, non?

Claire Berjot : En France, non, malheureusement.

Clémentine Sarlat : On est interdit ou?

Claire Berjot : Alors, c’est complètement illégal en France. Il y a des débuts d’essais cliniques qui se remettent en cours en ce moment, donc ça, c’est quand même une bonne nouvelle. Mais les essais cliniques sont en cours depuis longtemps aux États-Unis. La légalisation, et dans certains États, il y a déjà des avancées, notamment par rapport à la psilocybine, la kétamine aussi. La MDMA n’est pas très loin. La MDMA est très intéressante pour la thérapie de couple en particulier. Et donc moi, j’avais choisi de faire un master en psychologie transpersonnelle, avec cet intérêt pour la thérapie assistée de psychédéliques. Et il se trouve que cette université bouddhiste proposait ce cursus-là.

Clémentine Sarlat : D’accord.

Claire Berjot : Voilà.

Clémentine Sarlat : Et donc tu y as appris la pleine conscience.

Claire Berjot : Et donc j’y ai appris la pleine conscience, exactement.

Clémentine Sarlat : Et est-ce que c’est intéressant, quand on est en couple, de faire de la pleine conscience?

Claire Berjot : Oui, c’est super intéressant.

Clémentine Sarlat : Pourquoi? Vas-y, raconte-nous.

Claire Berjot : Je pense que ce qui est intéressant dans la pleine conscience, au final, c’est de ralentir. À la fois de ralentir et de mettre de l’intentionnalité. Un des grands problèmes pour moi, ce qui fait que les relations de couple sont difficiles, c’est que tout va trop vite quand on est en conflit. On en reparlera peut-être tout à l’heure, mais la pleine conscience permet de ralentir et donc en ralentissant, de nous permettre d’être plus intentionnel, d’être moins dans l’impulsivité qui peut parfois être problématique.

Clémentine Sarlat : On vit dans une vie à 100 à l’heure.

Claire Berjot : On vit dans une vie à 100 à l’heure.

Clémentine Sarlat : C’est difficile de ralentir. Et d’autant plus, je pense, tu le vois dans ta pratique, quand on est en couple avec des enfants : le temps, c’est quelque chose qui est une ressource très rare.

Claire Berjot : Tout à fait.

Clémentine Sarlat : Et donc, résoudre des conflits avec un minimum de temps, ça demande des compétences qu’on n’a pas en fait.

Claire Berjot : Oui. Et d’ailleurs, je pense que c’est aussi l’une des difficultés d’être en couple avec des jeunes enfants, c’est qu’on a très peu de temps. Et dans ce temps-là, je pense qu’il y a aussi… C’est important de diviser un petit peu en deux types de temps. Il y a le temps de connexion, le temps plus ludique, le temps où on va créer des nouveaux souvenirs ensemble, où on va avoir des expériences ensemble. Et puis, il y a un autre temps dédié aussi à vraiment être dans le : résoudre les conflits, parler des choses qui sont difficiles. Et ça, c’est deux types de temps différents encore dans ce temps minuscule qu’on a déjà.

Clémentine Sarlat : Oui, et il y a certaines personnes dans le couple qui vont choisir les temps où on résout les conflits et d’autres qui veulent aller plus vers le fun. C’est plus complexe. 

Claire Berjot : Ça peut être une complexité.

Clémentine Sarlat : … à trouver ce temps commun. T’as une autre qualification, parce que tu te bases sur, t’en as parlé juste avant, le PACT de Tatkin. Est-ce que tu peux nous expliquer ce que c’est et aussi en quoi ça aide les couples?

Claire Berjot : Oui, tout à fait. Donc, PACT, c’est un acronyme anglais qui veut dire en français : une approche psychobiologique de la thérapie de couple. C’est basé principalement sur trois axes. Le premier, c’est les styles d’attachement. Le deuxième, c’est la régulation du système nerveux. Et le troisième, c’est les neurosciences. Tout ça participe en fait à créer ce que Stan Tatkin appelle le “fonctionnement sécure dans le couple”. C’est cette idée vraiment fondamentale qu’au final, pour qu’une relation se passe bien, c’est-à-dire que pour que les deux individus puissent vraiment s’épanouir au sein du couple, il faut qu’il y ait de la sécurité. Et que notre tâche principale, au final, dans le couple, c’est de faire en sorte qu’on puisse être l’un et l’autre en sécurité. Voilà.

Clémentine Sarlat : Et comment on fait, alors?

Claire Berjot : Et comment on fait? C’est tout en thérapie. Comment on fait? Le principe de fonctionnement sécure, on va baser sa relation sur un principe de mutualité, de collaboration, de justice aussi. Il faut que ce soit juste, il faut que ce soit équitable quelque part. Et il y a toutes sortes comme ça de principes qu’on peut mettre en place, en fonction aussi de qui on est, en fonction de nos styles d’attachement, des stratégies, pour que même si on n’a pas un style d’attachement sécure, on puisse quand même avoir ce fonctionnement sécure entre nous. Parce qu’évidemment, si on a deux personnes avec un style d’attachement sécure, en général, ça va plutôt bien, mais c’est pas non plus si courant que ça.

Et pour tous ceux d’entre nous qui n’ont pas forcément un style d’attachement sécure à la base, le fait de mettre en place ce fonctionnement sécure, c’est quand même une bonne nouvelle. C’est ce qui a fait la différence, par exemple, pour mon mari et moi. On a ni l’un ni l’autre un style d’attachement sécure, mais on a mis en place un fonctionnement sécure. Et du coup, on a une relation qui fonctionne.

Clémentine Sarlat : Et alors, concrètement, si tu pouvais donner un exemple, comment est-ce que tu mets en place un fonctionnement sécure? Ça se base sur quoi? 

Claire Berjot : Ça se base sur : On passe de deux systèmes de une personne à un système de deux personnes. Donc on est vraiment sur cette idée d’écosystème, où la relation c’est un écosystème de deux personnes, donc un seul écosystème deux personnes. Et ça, ce que ça veut dire, c’est que plutôt que d’être toujours centré sur : moi, mes besoins, mes désirs, ce qui me fait mal, mes vulnérabilités, je prends aussi en compte dans ma façon d’être avec toi, tes besoins à toi, tes désirs à toi, tes vulnérabilités à toi. Et donc, dans ma façon de me comporter au quotidien, je suis pas seulement dans “moi, moi, moi”. Je suis aussi… Je garde en tête… En fait, il faut vraiment que je sois en mesure d’appréhender : comment mon comportement va t’impacter.

Clémentine Sarlat : Donc c’est passer du “je” au “nous”.

Claire Berjot : C’est passer du “je” au “nous”, exactement.

Clémentine Sarlat : Et donc vraiment être sur cette notion d’équipe.

Claire Berjot : Être sur cette notion d’équipe complètement, c’est ça.

Clémentine Sarlat : Qui est difficile.

Claire Berjot : Qui est difficile.

Clémentine Sarlat : Pourquoi c’est si difficile?

Claire Berjot : Pourquoi c’est difficile? En fait, je pense que ça reste relativement simple et accessible quand tout va bien. 

Clémentine Sarlat : C’est vrai.

Claire Berjot : Sur le principe, je pense qu’il y a beaucoup de gens qui se disent “ouais pourquoi pas”. Là où ça devient plus compliqué, c’est quand il y a du conflit. C’est plus compliqué quand il y a du conflit, parce que quand il y a du conflit, ce qui se passe, c’est que le stress augmente. On sort de sa fenêtre de tolérance, si on repart du système nerveux. Et quand on sort de sa fenêtre de tolérance, on arrive dans un mode plus de survie au final. Quand je sors de ma fenêtre de tolérance, en fait, je ne suis plus en mesure quelque part de… réfléchir à l’impact que j’ai sur toi. Ce qui est important pour moi, c’est ma survie. C’est que moi, je sois OK.

Et du coup, quand on est dans cette zone là – que moi j’appelle la zone orange – parce qu’on n’est plus dans la zone verte, ce serait la fenêtre de tolérance. Si tu veux, quand on passe dans la zone orange, là, ouch, c’est là où on commence à dire des choses qu’on va regretter après ou à faire des choses où on se dit “ouch, en fait, j’aurais pas dû faire ça, j’aurais pas dû dire ça”. Mais sur le moment, ça va trop vite, en fait.

Clémentine Sarlat : Donc, le but, c’est de pouvoir rester dans cette zone verte.

Claire Berjot : Le but, c’est de pouvoir rester dans cette zone verte.

Clémentine Sarlat : Et ne pas passer dans la zone orange. Mais est-ce que vraiment, c’est possible? Est-ce qu’un être humain, de manière générale, reste toujours dans sa zone verte?

Claire Berjot : Non, ce n’est pas possible. Je ne pense pas.

Clémentine Sarlat : D’accord. Rassurons tout le monde.

Claire Berjot : Rassurons tout le monde. C’est complètement normal, en fait, de passer dans la zone orange, voire dans la zone rouge, de temps en temps. Par contre, évidemment, on n’est pas tous égaux face à la fenêtre de tolérance. Notamment, plus une personne aura un antécédent de trauma ou de… Ou un attachement très compliqué (en général, les deux vont ensemble d’ailleurs), mais plus la fenêtre de tolérance va être réduite. Mais on peut s’aider l’un et l’autre, en fait, à rester dans notre fenêtre de tolérance. Et c’est aussi toute cette idée du fonctionnement sécure. C’est : avec les connaissances que j’ai de ce qui se passe pour toi, de ton profil psychologique à toi, comment est-ce que je peux t’aider, en fait, à rester dans ta zone de tolérance? Parce que moi, j’ai intérêt à ce que tu puisses rester dans ta zone de tolérance aussi.

Clémentine Sarlat : C’est sûr. Comment on fait quand, dans un couple, ça arrive souvent dans ce que j’entends autour de moi, il y en a un qui est très investi et l’autre, ce que dit Gottman, met son mur de briques.

Claire Berjot : Oui, ça, c’est un petit peu problématique. Son mur de briques, en réalité, là, moi, ce que j’irais faire, c’est aller voir vers l’IFS. C’est là où je trouve que l’IFS est très intéressante, parce que qu’est-ce que c’est, le mur de briques, en fait? Le mur de briques, c’est une partie protectrice qui dit “là, en fait, je me protège, c’est trop dur”. On a l’impression, quand on est de l’autre côté, moi pour connaître aussi de l’autre côté le coup du mur de briques, qui peut personnellement me…

Clémentine Sarlat : Toi tu serais celle qui est derrière le mur de briques, qui a mis le mur de briques?

Claire Berjot : Non j’ai pas mis le mur de briques mais…

Clémentine Sarlat : T’as été face à un mur de briques.

Claire Berjot : Mais j’étais face à un mur de briques, mon conjoint peut lui avoir son mur de briques protecteur de temps en temps. Qui moi, pour le coup, peut facilement me mettre très en colère, ce fameux mur de briques. Mais ce qui est important de comprendre, c’est que ce mur de briques là, il vient parce que c’est une façon de se protéger, une façon de dire “en fait là, c’est trop, je peux plus”. Et il y a le mur de briques qui fait “plouf”, on tire le rideau. Derrière le mur de briques, qu’est-ce qu’il se passe? Qu’est-ce qu’il y a? C’est qu’il y a quelqu’un qui est vraiment submergé, en fait, et qui ne sait plus. Du coup, on coupe. Donc l’IFS, par exemple, dans ces moments-là, nous aide à aller voir et à aller apporter du soin à l’endroit qui est submergé pour que, justement, le mur de briques, petit à petit, ne soit plus aussi automatique.

Clémentine Sarlat : Et comment on fait dans ces situations-là où la personne qui a mis son mur de briques n’a pas envie d’être aidée ou n’est pas capable en tout cas de recevoir de l’aide et de s’interroger sur pourquoi est-ce que il ou elle est submergée?

Claire Berjot : Alors tu parles ponctuellement sur un conflit ou tu parles de manière générale dans la vie?

Clémentine Sarlat : Oui, ça peut être sur le conflit. Quand il y en a, c’est tellement fort qu’ils fuient, en fait. On le sait, sur l’attachement, il y a ceux qui sont évitants, il y a ceux qui sont anxieux, ceux qui fuient. C’est difficile d’aller les chercher pour avoir une conversation et les ramener dans la fenêtre de tolérance verte.

Claire Berjot : Tout à fait. Alors, ce qu’on fait, déjà, je pense que c’est important de comprendre cette idée que quelqu’un qui met un mur de briques, ce n’est pas qu’il essaye de tout faire pour narguer l’autre ou pour l’embêter, c’est que réellement, il n’a plus la capacité d’interagir dans ce moment-là. La meilleure chose qu’on puisse faire sur le moment, c’est de donner de l’espace à la personne. En lui disant “ok, je comprends, je vois bien que ta capacité… on reprendra plus tard”. Bon, ça demande beaucoup de….

Clémentine Sarlat : Ça demande que soi-même on soit dans la fenêtre de tolérance.

Claire Berjot : C’est ça. Ça demande que soi-même on puisse quand même prendre sur soi, au minimum. Mais idéalement, si petit à petit on construit ce fonctionnement sécure, on réussit de plus en plus à faire ça. La meilleure chose à faire sur le moment, c’est effectivement de donner de l’espace. Si on ne fait pas ça, qu’est-ce qui se passe? La personne qui a mis son mur de briques, pour une bonne raison, parce qu’elle est submergée, c’est peut-être dans ces moments-là qu’elle va commencer à avoir des propos méchants ou que ça va vraiment escalader. Donc je pense que c’est important de respecter le fait qu’une personne qui a capacité, ait la capacité. Et qu’il faut l’aider à revenir dans sa fenêtre de tolérance.

Clémentine Sarlat : Mais encore une fois, c’est se voir en tant qu’équipe et pas en tant qu’ennemi.

Claire Berjot : C’est ça, se voir en tant qu’équipe et pas en tant qu’ennemi.

Clémentine Sarlat : Et à l’inverse, quelqu’un qui met son mur de briques et qui est face à quelqu’un qui est tout le temps en train DE demander à ramener les conflits, à vouloir en discuter et pour qui c’est submergeant, qu’est-ce que la personne qui fait ça, qui est tout le temps à vouloir enclencher des discussions, qu’est-ce qu’elle doit faire cette personne-là? Prendre de l’espace aussi?

Claire Berjot : En fait, en réalité, là on parle d’un outil très important dont je pourrais parler en deux minutes. C’est vrai que là, dans le scénario dont on venait de parler, on n’a parlé que de ce qu’on faisait pour soulager la personne avec le comportement plus évitant. Mais effectivement, il y a deux facettes. Et toute l’idée d’un fonctionnement sécure, c’est qu’on trouve un scénario gagnant-gagnant où les deux peuvent être apaisés. L’idée de dire “OK, là, je vois que tu as capacité, on s’arrête maintenant”. Mais dans ce cas-là, on donne aussi un timing en disant “Ok…” la personne qui met le mur de briques, idéalement, est en mesure, ce n’est pas toujours le cas, mais est en mesure de dire “je ne peux plus, j’ai besoin d’une pause. On fait une pause”, mais dans ce cas-là, je donne un timing.

“On peut reprendre la conversation dans une heure ou on peut reprendre la conversation dans deux heures”. Peu importe en fait du timing. Mais le timing aide la personne anxieuse qui est en face en général, la personne en tout cas dont tu parles qui veut toujours enclencher le truc. Est-ce qu’il y a au moins un truc où “ok, moi je peux redescendre un petit peu parce que je sais que derrière, il y a un… (Comment dire?) J’ai mon conjoint qui revient vers moi et on peut reprendre la discussion. Je ne suis pas complètement laissée à moi-même avec ce sentiment d’abandon, de rejet, d’on n’en parlera jamais et c’est toujours la même chose”.

Clémentine Sarlat : Toute la guerre qui va avec derrière, la lutte. Mais c’est ce qu’on disait tout à l’heure, c’est que ça, c’est génial quand on a du temps et qu’on n’a pas d’enfant. Parce que je me dis, tu vois ce truc de “on peut reparler dans deux heures”. Mais en vrai, dans deux heures, ça se trouve, il y a le bain, ça se trouve il y a… Tu vois ce que je veux dire. Il y a mon enfant qui fait une crise. Et ça, c’est super difficile d’arriver à laisser chacun, de respecter chacun son rythme quand on sait qu’en fait, on n’est pas à notre rythme, on est au rythme des enfants et donc pouvoir discuter des conflits, c’est pas si évident.

Claire Berjot : C’est pas si évident. C’est vrai que le fait d’avoir des enfants et surtout des enfants en bas âge, c’est un facteur de stress qui est juste immense. Et quand c’est la réalité, c’est la réalité et il faut faire avec. Donc, tu as raison, on ne peut pas toujours dire on reprend dans deux heures parce que des fois, dans deux heures, il n’y a pas. Mais le fait quand même d’avoir un timing, ça aide.

Clémentine Sarlat : Parce que ça montre que l’autre a une intention de revenir à nous.

Claire Berjot : Exactement. Et ça peut être “on reprend demain”. Mais pour la personne anxieuse, reprendre demain, c’est difficile.

Clémentine Sarlat : C’est trop tard.

Claire Berjot : Ce qu’on sait du style d’attachement anxieux, c’est que… Ce sont des profils psychologiques qui vont avoir beaucoup plus de mal en fait à passer la nuit si le conflit n’est pas résolu.

Clémentine Sarlat : Je vois bien ce que tu dis.

Claire Berjot : Le stress continue à monter, à monter, à monter… et un schéma que je vois parfois c’est : Il y a un conflit, il n’a pas pu être résolu avant d’aller se coucher. La personne évitante n’a juste pas les capacités avant d’aller se coucher. Elle s’endort tout de suite comme une pierre et se réveille le matin comme une fleur en se disant ça y est je suis prête à… Je suis prête à m’excuser, à… comment dire, à passer à autre chose. Et puis, la personne au profil anxieux toute la nuit, déjà, a fait une insomnie. Et puis, ça bout, ça bout, ça bout. Le matin, elle est juste furieuse. Et là, en fait, c’est plus le… Ça devient difficile.

Clémentine Sarlat : Là, on n’est plus sur des fenêtres de tolérance.

Claire Berjot : On n’est plus sur des fenêtres de tolérance. Donc idéalement le conflit on le résout avant d’aller se coucher quand c’est possible. Et si c’est pas possible, parce que c’est pas toujours possible, c’est important de garder quand même un signe de « on est ok ». Ça peut être rien que de se toucher l’orteil. Des fois, t’es dans le lit et chacun de son côté a un petit peu à se tourner le dos. Si on a juste… ou juste un bisou avant de se coucher, tu vois, parce que ça envoie le signal de “OK, là, je suis vraiment en colère, mais on est OK”. Mais il y a assez de sécurité dans la relation et on ne remet pas ça en cause.

Clémentine Sarlat : Mais ça ne remet pas en question mon amour et ce que je veux avec toi.

Claire Berjot : Exactement.

Clémentine Sarlat : Pourquoi c’est si difficile la relation amoureuse?

Claire Berjot : Alors ça, c’est une grande question, ça vient beaucoup de l’automatisation de notre mémoire, de nos réflexes neurobiologiques, si tu veux. Pour expliquer ça, on peut dire qu’il y a une partie du cerveau qui est peut-être plus sophistiquée, le cortex préfrontal, qui est la partie du cerveau d’ailleurs qu’on utilise quand on est dans notre fenêtre de tolérance, c’est la partie du cerveau qui est vraiment dans cette intelligence relationnelle qui peut à la fois réguler ses émotions, qui du coup aussi peut réguler ses comportements, qui peut prendre en compte ce qui se passe pour toi. Voilà, ça c’est l’endroit sophistiqué du cerveau humain. Cet endroit qu’on appelle un peu les “ambassadeurs” là devant. Le problème de cet endroit-là, c’est que c’est un endroit très coûteux, qui demande beaucoup de ressources au cerveau pour être en exécution.

Il y a une autre partie du cerveau, qui est le cerveau limbique, là derrière, qui est le cerveau plus de la survie, qui est un cerveau, comment dire? une fonction plus basique. Qui notamment est très présente dans les conflits, parce que ici, ce qui compte quand on est dans cette partie-là du cerveau, c’est réussir à se battre, réussir à s’échapper, c’est “comment est-ce que moi je peux faire pour me sortir de ce moment-là stressant?”. L’avantage de ce cerveau limbique, c’est que… comment dire? il n’est pas coûteux au cerveau. Et donc, il permet aussi d’automatiser nos journées. On est sur autopilote pendant une grande partie de la journée, sans s’en rendre compte. C’est parce qu’on utilise plutôt le cerveau limbique. On utilise la mémoire, ce qu’on appelle procédurale, où les choses se font de manière automatique.

Par exemple, quand tu apprends à faire du vélo, au départ, c’est compliqué. Il y a ton cerveau plus sophistiqué. Ton cerveau est vraiment mobilisé pour comprendre comment ça marche, etc. Ça te prend beaucoup de ressources. Ou quand t’apprends à conduire, au départ, t’es super fatigué. C’est parce que justement, ça vient demander énormément de ressources au cerveau. Puis une fois que t’as compris le truc, une fois que ça se met un petit peu sur pilote automatique, hop, ça passe dans la mémoire procédurale et en fait, faire du vélo, conduire, ça devient simple. Tu y penses même plus. Tu démarres ta voiture, pas de problème. Et quand on tombe amoureux, c’est pareil. C’est-à-dire qu’au départ, quand on tombe amoureux, on est vraiment dans cette partie ambassadrice du cerveau sophistiqué.

On veut tout savoir sur l’autre personne, on veut passer tout notre temps ensemble, on veut se toucher, on a envie de passer toutes nos journées ensemble. Et puis, ça, au bout d’un moment, à force de passer notre temps ensemble, on commence à être de plus en plus sérieux, on commence à former une relation. Et puis, au fur et à mesure que le lien d’attachement se met en place, que la relation, au final, est en place, petit à petit, ce qui se passe, c’est qu’on fait la même chose, c’est-à-dire qu’on automatise l’autre personne. On passe la personne avec qui on est en relation en mémoire procédurale. C’est normal, en fait, parce que si on était tout le temps dans cette partie du cerveau à utiliser toutes nos ressources, on va se… Comment dire? C’est trop.

Au bout d’un moment, on ne ferait pas autre chose. Ça prend trop de ressources. Après, t’as l’impression d’avoir le cerveau frit au bout d’un moment.

Clémentine Sarlat : Mais c’est vrai que quand on tombe amoureux, on a cette sensation là où plus rien n’existe. Et notre seul but de la journée, c’est l’autre. Mais du coup, le reste n’existe plus. Sauf qu’on ne peut pas maintenir ce rythme de vie là toute notre vie.

Claire Berjot : Exactement. Et donc, on a ce moment où l’autre passe dans la mémoire automatisée, la mémoire procédurale. Et là, le problème, c’est que du coup, on est dans l’automatisme. On pense qu’on connaît l’autre, mais en réalité, on ne connaît pas non plus l’autre tellement et on commence à faire des erreurs. Et on commence à être moins présent, en fait. On commence à plus faire autant attention à l’autre. Et le problème aussi, quand on est dans cette mémoire procédurale, c’est que cette mémoire-là, elle a enregistré toutes les expériences qu’on avait eues avant, toutes les autres relations, notamment les relations avec nos parents, les relations avec les autres personnes avec lesquelles on a été avant. Et elle est très bonne à détecter le danger. Et donc, c’est là où, d’un seul coup, on va être dans le… Pourquoi tu me regardes comme ça?

Et tu vas me dire “mais je ne te regarde pas comme ça”. “Pourquoi tu prends ce ton-là?” Mais en fait, tu dis “je n’ai pas ce ton-là”. Et on va commencer à être sur ces moments-là où il y a des… Comment dire? Des moments de tension entre nous, en fait, et ça va être le début… le début du conflit. Enfin les premiers moments où on va se dire “mais non” et on s’embrouille.

Clémentine Sarlat : En fait, là, c’est à ce moment-là où on met nos lunettes, un peu de la négativité, où on commence à voir différemment la relation avec ce danger de la souffrance.

Claire Berjot : Ce danger de la souffrance…

Clémentine Sarlat : À se dire “s’il fait ça, c’est que” ou “elle fait ça, c’est que”. “C’est qu’il ou elle ne m’aime plus”, ou “c’est plus comme avant, donc je suis en danger, donc…”

Claire Berjot : Alors peut-être, peut-être oui, mais pas non plus forcément. C’est juste qu’on est moins à être vraiment attentif, vraiment à être moins dans la… On parlait de pleine conscience tout à l’heure, on a la pleine conscience qu’on est vraiment présent, on est complètement focus sur l’autre, on a plus au bout d’un moment toute cette ressource là pour être… On vit plus notre vie en automatisant l’autre et du coup on fait des erreurs. On fait des erreurs d’appréciation en pensant parfois que l’autre représente une menace, alors que c’est pas le cas. Et ça, justement, ça apporte du stress et ça va nous faire sortir de notre fenêtre de tolérance.

Quand on sort de notre fenêtre de tolérance, qu’est-ce qu’on sait? C’est qu’on arrive justement dans cette zone où ça va très vite et on se met à dire des choses sans même savoir comment est-ce qu’on en est arrivé à ce que ça escalade aussi vite.

Clémentine Sarlat : Donc c’est pas facile la relation amoureuse, parce qu’on n’est pas aidé aussi par notre configuration, de notre cerveau.

Claire Berjot : Par notre configuration tout à fait. D’où l’importance vraiment de ralentir. Parce que quand on ralentit intentionnellement, qu’est-ce qu’on fait? On se donne plus de chances, en fait, de ne pas partir au quart de tour. Il y a autre chose aussi qui est importante, qui aide beaucoup dans ces moments-là, c’est quand on est dans le conflit, c’est de se regarder dans les yeux. Parce que justement, qu’est-ce qu’on fait quand on se regarde dans les yeux? C’est qu’on est dans le moment présent. Ça nous force en fait à revenir un peu plus dans cette partie un petit peu plus sophistiquée. Ça nous aide en fait à co-réguler. Le regard aide à la co-régulation.

Clémentine Sarlat : Alors moi, j’ai déjà été dans cette situation où mon partenaire ne peut pas me regarder dans les yeux.

Claire Berjot : Alors, il est vrai que certains styles d’attachement ont plus de mal avec le fait de se regarder dans les yeux, notamment les styles d’attachement évitants en général, ou désorganisés, vont avoir plus de mal avec le fait de se regarder dans les yeux. Si c’est le cas, c’est OK. C’est important aussi de ne pas venir apporter de la honte ou de dire à l’autre « mais quand même, t’es même pas capable de me regarder dans les yeux ». Mais…

Clémentine Sarlat : J’ai jamais dit ça. Non, non, je rigole. Mais quand on est énervé que l’autre ne fait pas ça, des choses basiques pour nous, ça nous met tellement en colère qu’on peut aller dans ce truc-là, de mettre la honte à l’autre, de dire “mais attends, c’est un truc simple, pourquoi tu n’y arrives pas?” Alors qu’en fait, ils sont submergés et que ce n’est pas de leur faute.

Claire Berjot : Tout à fait. Tout à fait. Mais rien que d’être quand même en proximité, ça aide.

Clémentine Sarlat : OK. Ou de se dire on peut se tenir la main. D’avoir un contact.

Claire Berjot : On peut se tenir la main, oui. Alors si c’est OK pour l’autre. Mais ce qu’on sait, par exemple, d’un style évitant, même si le style évitant va avoir tendance à penser qu’il est mieux complètement tout seul pour se réguler. Le fait qu’il y ait une autre personne dans la pièce, alors sans s’adresser la parole forcément au début, ça l’aide à redescendre en termes de stress.

Clémentine Sarlat : À faire la co-régulation, ce que tu disais.

Claire Berjot : Alors à faire une forme de co-régulation qui soit pas les yeux dans les yeux, mais dans la même pièce.

Clémentine Sarlat : Pas frontale?

Claire Berjot : Pas frontale, c’est ça.

Clémentine Sarlat : OK. Tu as beaucoup parlé du système nerveux. C’est quelque chose dont on ne parle pas beaucoup en France. Est-ce que tu peux nous expliquer pourquoi ça joue, notre système nerveux, dans nos relations de couple? Est-ce que c’est de base, le système nerveux, comment on le régule? Il y a beaucoup de choses.

Claire Berjot : Alors, le système nerveux, qu’est-ce que c’est? Le système nerveux, c’est ce dont on parlait tout à l’heure, c’est un petit peu cette idée de fenêtre de tolérance. Ça c’est… comment dire? La fenêtre de tolérance, comme je disais tout à l’heure, c’est cet endroit en fait où je peux, je oscille tranquillement entre activation et désactivation et je m’auto-régule de moi-même en fait, c’est facile. Et depuis cet endroit-là, en fait, je suis bien. C’est-à-dire que je suis en mesure de réguler mes émotions, je suis en mesure de prendre en compte ce qui se passe pour toi. Et puis, le système nerveux, quand on sort de cette fenêtre de tolérance-là, on va monter dans la zone orange, par exemple, comme je disais tout à l’heure. Là, on est plus… Donc, la zone verte, la fenêtre de tolérance, c’est ce qu’on appelle l’engagement social.

Donc, c’est cette idée, justement… je peux prendre en compte ce qui se passe pour toi. Quand on passe ensuite dans plus d’activation, quand on arrive dans la zone orange, On est là vraiment dans plus le mode de survie. Alors, pour donner peut-être un exemple où ça va être plus parlant, le genre d’émotions qu’on va avoir quand on est dans notre fenêtre de tolérance, ça va être : je vais me sentir calme, je vais être en mesure d’avoir de la curiosité pour ce qui se passe pour toi, de la compassion. Je vais être, voilà, je vais être centrée. Quand j’arrive dans la… Pour moi, le signe que j’arrive dans ma zone orange, je commence à me sentir un peu frustrée, un peu irritée. Ça commence à… Ça me démange un peu. Là, je me dis “c’est le signe que j’arrive dans ma zone orange”.

Alors, après, ça peut continuer à monter. On est encore dans sa zone orange quand on va être, disons, quand on va ressentir de la colère, peut-être même de la rage, on est encore dans sa zone orange, dans le haut de la zone orange. Et cet endroit-là, comme je disais tout à l’heure, c’est l’endroit où en fait, ce que l’autre… “J’arrive plus en fait à…” “Je m’en moque en fait de ce qui se passe pour toi là. Il faut que je sauve ma peau, je suis dans la survie”. Et puis si le stress continue encore de monter, on arrive dans ce que moi j’appelle la zone rouge. Alors les zones orange, rouge, verte, c’est moi, c’est pas la théorie officielle du système nerveux, mais je trouve que ça aide un petit peu à se rendre compte de ce qui se passe.

Et donc si le stress continue encore de monter quand on est dans cette fameuse zone orange et qu’on arrive en zone rouge, soit parce qu’il y a de plus en plus de stress parce que c’est l’escalade, soit parce que le stress simplement ne s’arrête pas. Là, on arrive dans… “J’abandonne”. “Je ne peux plus. Je n’ai pas de solution”. Et là, c’est là où on arrive dans le figement. Le figement, c’est cet endroit où c’est le freeze. Et là, c’est beaucoup plus dur de revenir. Donc, idéalement, on reste dans sa zone verte le plus possible. Alors après, régulièrement, on passe dans la zone orange. C’est normal, en fait. C’est les stresseurs de la vie quotidienne. Mais c’est important de réussir à revenir le plus rapidement possible dans sa zone verte.

Et donc ça, ça passe déjà par se rendre compte qu’on est dans sa zone orange. Parce que quand on est dans la zone rouge, c’est ça aussi qui est difficile, c’est qu’on a beaucoup moins conscience de ce qui se passe de soi. C’est l’endroit de la dissociation.

Clémentine Sarlat : C’est là où la vision est plus restreinte.

Claire Berjot : Oui, exactement.

Clémentine Sarlat : Nos sens sont, comme tu dis, on veut courir ou fuir ou s’arrêter, puisqu’on a l’impression qu’on est en vrai danger.

Claire Berjot : Oui, courir ou fuir, c’est la zone orange.

Clémentine Sarlat : OK.

Claire Berjot : Et la zone rouge, c’est freeze, c’est je suis dans le figement, je ne peux plus rien faire, j’abandonne. Et là, en fait, “j’abandonne” : dans les animaux, quand on observe chez les animaux, dans le moment du trauma, quand un animal pense qu’il va mourir, un humain aussi au final, il y a ce moment de dissociation qui permet de ne pas ressentir la douleur de plein fouet. C’est ça la zone rouge. Je vois qu’il n’y a plus de solution, j’abandonne.

Clémentine Sarlat : Ok. Mais c’est intéressant ce que tu dis : toi tu connais quand tu passes de la zone verte à orange, tu sais ce qu’il se passe dans ton corps, tu sais dire “là attention alerte, je commence à voir mon seuil de tolérance s’abaisser”. On ne nous enseigne pas ça, c’est très dur de savoir, de comprendre. Juste de soi à soi, “là, attention, ça va pas”.

Claire Berjot : Oui, tout à fait. Et ça, c’est très important de faire attention à ça, de sentir que là, je sens que je… Il y a des gens qui me disent “là, j’ai vrillé”. “J’ai vrillé”, c’est que je suis passée dans ma zone orange. Un signal pour moi aussi que je commence à passer dans ma zone orange, c’est quand je commence à avoir des pensées en boucle. Ou là, j’rumine. Ça peut être quoi que ce soit. Il s’est passé une interaction entre mon mari et moi et j’rumine le truc, tu vois. Quand je vois que je n’arrive pas à passer à autre chose, je me dis “attends, là en fait, on va redescendre”.

Clémentine Sarlat : Et donc comment toi tu redescends, par exemple, pour donner un exemple à ceux qui ne connaissent pas du tout des techniques pour apaiser le système nerveux?

Claire Berjot : Une technique super simple c’est la cohérence cardiaque par exemple. La cohérence cardiaque c’est le fait de respirer. On va prendre 5 respirations, 5 expirations, on va faire ça 6 fois de suite. Je respire en comptant 1, 2, 3, 4, 5, on expire. Et en fait, de faire ça, idéalement on fait ça même plusieurs fois par jour, ça nous aide jusqu’à trois fois par jour à simplement se réguler, à revenir à son corps. Ça c’est une technique très très simple, la cohérence cardiaque qui marche bien. Après, il y a d’autres façons de faire qui peuvent être plus complexes. Ça peut être plus complexe ou pas, mais de méditer, ça peut être l’introspection. Moi, je vais voir mes parties à l’intérieur, par exemple, avec des techniques d’IFS où je vais m’intéresser “Tiens, c’est quoi cette partie protectrice et qu’est-ce qu’elle vient protéger?” C’est peut-être un peu plus compliqué quand on n’a pas les concepts d’IFS. Mais la cohérence cardiaque, c’est simple.

Clémentine Sarlat : Moi, j’ai besoin de me sortir. Si je suis à l’intérieur, d’aller dehors, d’aller dans la nature. Enfin la nature, c’est vite dit.

Claire Berjot : De changer d’air, en fait. Tu sors de pièce, tu changes de scénario.

Clémentine Sarlat : De voir de la nature, du ciel, du vent. Je ne sais pas, quelque chose qui fait que ça va m’apaiser pour redescendre. J’ai souvent besoin…tu te sens enfermée, en fait, quand tu es dans la zone orange. Tu es dans une prison, en fait, dans ta prison mentale. Et moi, je sais que ça marche, si jamais ça peut vous aider. En gros, il faut trouver aussi ce qui fonctionne.

Claire Berjot : Il faut trouver ce qui fonctionne pour chacun, parce qu’on est tous différents.

Clémentine Sarlat : Qu’est-ce que les enfants observent de notre façon d’être en couple? Qu’est-ce qu’ils vont retenir?

Claire Berjot : Tout, en fait.

Clémentine Sarlat : Très rassurant.

Claire Berjot : Désolée, ce n’est pas très rassurant, mais c’est vrai que les enfants absorbent tout. C’est des éponges. Les enfants, au final, comprennent beaucoup de ce qui se passe entre les parents. Ils n’ont pas forcément besoin d’avoir les mots, mais ils sentent ce qui se passe entre les parents. Notamment, ils sentent, est-ce qu’il y a de la sécurité dans la relation? Est-ce qu’il y a… Comment dire? Dans les conflits, par exemple, est-ce qu’il y en a un qui a le dessus? Est-ce qu’il y en a un qui gagne? Est-ce qu’il y en a un qui a le pouvoir? Ils vont sentir aussi, ils vont savoir si les parents s’excusent ou pas. Toutes ces nuances-là de la relation, est-ce que les parents ont de l’affection entre eux? Les enfants absorbent tout.

Clémentine Sarlat : Comment est-ce qu’on peut leur montrer un exemple d’une relation saine? Ça passe par quoi?

Claire Berjot : D’une relation saine de conjoint à conjoint, c’est ça? Je pense que ça passe d’abord par : faire un travail sur soi. Bon, je suis thérapeute, donc j’ai un petit peu ce biais-là, mais on n’est pas forcément, d’ailleurs, obligé de faire une thérapie pour faire un travail sur soi. On peut aussi faire un travail sur soi d’autres manières, mais je pense que c’est vraiment quand même important d’avoir cette volonté d’aller comprendre ce qui se passe pour soi-même. Parce que qu’est-ce qui se passe quand on fait ce travail-là? c’est que ça nous permet de prendre la responsabilité en fait de nos comportements, de nos émotions, et de creuser pour comprendre en fait. Donc ça c’est la première chose et je pense que c’est important que les deux parents, idéalement, puissent faire ce travail-là.

Et puis, au-delà de ça, c’est aussi qu’il y ait un fonctionnement sécure, en fait, qui est les bases, en fait, de sécurité entre les parents. C’est notamment que les parents sachent aborder le conflit et sachent le faire de manière, comment dire? de manière adaptée pour les enfants. On sait que ça crée énormément de stress pour les enfants quand les parents, par exemple, commencent à crier devant les enfants. Toutes ces choses-là, en fait, impactent énormément les enfants. Donc, c’est important que pour sa relation, déjà, de savoir gérer les conflits, bien gérer les conflits, et puis de savoir aussi ne pas trop exposer nos enfants aux tensions qu’il y a entre nous.

Clémentine Sarlat : Quand on blesse son ou sa partenaire, ça arrive quand on est ensemble pendant des années et des années, comment est-ce qu’on fait pour réparer la relation?

Claire Berjot : Oui, ça c’est une question très importante. Je pense que la première chose à faire, c’est simplement de s’excuser. Mais de s’excuser de manière sincère, et de s’excuser pour le comportement qu’on a eu, sans aller chercher des justifications. Parce que souvent, ce que je vois trop en consultation au cabinet, c’est une personne qui va exprimer quelque chose qui a été douloureux pour elle, puis l’autre qui commence tout de suite à aller se justifier. Et alors, je dis pas que ça n’a pas sa place à un moment d’aller comprendre le pourquoi, mais si c’est la première réaction, en fait, l’autre, en face, il reçoit pas vraiment des excuses. Ça aide pas justement son système nerveux à redescendre.

Donc c’est important que le premier réflexe, c’est que si je me rends compte que je t’ai blessé, je viens de m’excuser sincèrement, que je vienne expliquer ce que j’ai compris de ce qui t’a blessé, de quels éléments spécifiques de mon comportement j’ai compris t’avais fait du mal, et aussi ce que je vais mettre en place pour pas que ça se reproduise. Sinon, c’est un peu facile.

Clémentine Sarlat : C’est le classique de “oui mais”, c’est ça?

Claire Berjot : “Oui mais”, c’est-à-dire?

Clémentine Sarlat : Beh “Je m’excuse, mais aussi…”

Claire Berjot : Exactement. Donc, on évite le “oui mais”. C’est le “Oui, je suis vraiment désolée”. Je me rends compte que ce que j’ai fait là, ça t’a impacté, ça t’a heurté. Et de quoi tu as besoin, en fait, pour te sentir mieux? Donc voilà, et encore une fois, ça peut dans un deuxième temps si vraiment… Parce qu’il y a des moments en fait où l’autre se dit mais en fait elle n’a pas compris, ce n’est pas du tout ce que je voulais dire, et de bonne foi en fait pense que ça va aider de dire “mais non t’as pas compris”. Mais ça n’aide pas, ça, sur le moment. C’est-à-dire qu’il faut faire vraiment la différence entre l’impact et l’intention. Au final, ce qui compte, c’est l’impact. C’est l’impact que j’ai eu sur l’autre. L’intention, peu importe. Même si mon intention, elle est bonne, il faut quand même que je m’excuse.

Clémentine Sarlat : Oui, sinon, ça nie le ressenti de l’autre.

Claire Berjot : C’est ça, ça nie l’expérience de l’autre.

Clémentine Sarlat : Et quand on est celui ou celle qui a été blessé, qu’est-ce qu’on fait pour avancer et pour ne pas ruminer et rester justement sur cette blessure et pouvoir pardonner?

Claire Berjot : Oui.

Clémentine Sarlat : Est-ce qu’on doit d’ailleurs toujours pardonner?

Claire Berjot : Est-ce qu’on doit toujours pardonner? Je pense que pardonner, c’est d’abord se faire du bien à soi-même, mais je pense qu’on ne peut pas donner l’injonction à quelqu’un devoir pardonner. Ce n’est pas juste. Je pense que la première chose, c’est déjà de prendre la juste mesure de ce qui s’est passé. C’est-à-dire que souvent, quand on a été blessé, et que justement on est dans cette rumination, dans ce truc… C’est un signe déjà qu’il se passe quelque chose à l’intérieur de nous. C’est important d’aller vraiment voir à l’intérieur et de voir l’impact et de se poser la question de qu’est-ce qui est vrai. Parce que souvent, on se crée aussi des histoires à l’intérieur sur… On décide que certaines choses prennent une certaine signification, un certain sens.

“Parce qu’il s’est passé ça un jour, ça veut dire que décidément, tu n’en as rien à faire de moi”. Et je reste sur ce truc. “J’ai pris une décision à ce moment-là, qui est une décision qui va impacter tout le reste de notre relation sur un événement”. Et donc, c’est important de prendre conscience de cette décision-là, de prendre conscience de ce qui se passe à l’intérieur et peut-être déjà pour soi-même, de venir mettre un petit peu d’attention sur les différents endroits en moi qui ont été impactés. C’est la première étape. Et je pense que la deuxième étape, c’est d’aller voir l’autre et d’aller exprimer en fait ce qui se passe pour nous. Alors évidemment de l’exprimer de manière à être entendu. Si tout de suite on est dans le blâme en disant « t’as fait ça », en général c’est plus difficile d’être reçu.

Mais en venant parler de son expérience à soi et de ses besoins à soi, de venir exprimer à l’autre qu’on a été heurté. Parce qu’il y a aussi plein de cas, souvent l’autre peut savoir qu’on a été heurté, mais il y a plein de moments où l’autre ne sait pas forcément qu’il nous a fait du mal. Et si on ne va pas apporter cette information-là à l’autre, on ne lui donne pas forcément l’opportunité de s’excuser et de réparer.

Clémentine Sarlat : Parfois, l’autre n’a pas la capacité de voir que ça a pu heurter, puisque lui, il n’aurait pas été heurté si ça lui était arrivé, c’est ça?

Claire Berjot : Oui, tout à fait.

Clémentine Sarlat : Il y a une phrase qui dit qu’on n’a pas 100 disputes différentes, mais on a 100 fois la même dispute de manière différente. Est-ce que tu es d’accord?

Claire Berjot : Oui, je pense que je suis d’accord. En fait, moi, ce que j’entends dans cette phrase-là, c’est… Au final, le problème, c’est pas tellement de ne pas être d’accord. On peut être d’accord de ne pas être d’accord. Mais c’est ce sentiment de “je ne suis pas vue et comprise dans mon authenticité”. C’est ça, au final, derrière les conflits, je pense, qui est vraiment douloureux. Donc, au final, cette phrase-là de… On a toujours la même dispute, au final. Pour moi, c’est cette idée de, peu importe le sujet, derrière ce sujet-là, moi, ce que je te demande, c’est de sentir que tu me vois, que t’es là, que t’es avec moi et que j’ai de l’importance pour toi.

Clémentine Sarlat : Oui, en fait, c’est que la manière, ça va peut-être être sur les chaussettes ou le bol qui n’a pas été rangé, tout ça. Mais derrière, c’est “est-ce que je suis importante ou importante pour toi? Est-ce que tu me vois?”

Claire Berjot : “Est-ce que tu me vois?”

Clémentine Sarlat : Et c’est toujours ça? Dans les couples, quasiment?

Claire Berjot : C’est beaucoup ça. C’est beaucoup… Parce qu’au final, et je pense que ça, c’est aussi quelque chose de très important à prendre en compte : on a chacun des vulnérabilités qui nous sont propres. On n’en a pas non plus 40, tu vois, on a chacun 2, 3, 4 vulnérabilités bien précises. En général, si on réfléchit un petit peu, on connaît celles de notre partenaire, d’ailleurs. Mais on appuie toujours dessus. Et c’est ça aussi l’idée d’un fonctionnement sécure, c’est que je vais vraiment, comment dire? je vais connaître tes vulnérabilités, mais je vais les utiliser en fait, avec cet esprit de on fait équipe en fait, on est ensemble. Et comme je connais tes vulnérabilités, je ne vais pas aller appuyer dessus, mais au contraire, je ne vais pas appuyer là où ça fait mal.

Clémentine Sarlat : Du coup, ça va avec ce que tu dis, qu’on choisit notre partenaire de sorte à être en relation avec notre part d’ombre. Donc là, c’est encore l’inverse, c’est-à-dire qu’on ne va pas appuyer sur la part d’ombre de l’autre, mais on vient appuyer sur la nôtre. C’est ça? Qu’est-ce que tu veux dire là-dedans?

Claire Berjot : Oui, alors c’est pas une phrase qui vient de moi, c’est une phrase qui vient de Bruce Tift, qui est un thérapeute américain que j’aime beaucoup, et je pense d’ailleurs qu’il a été repris par plusieurs personnes. C’est cette idée que nos parts d’ombre c’est quoi? C’est ces parts plus vulnérables qu’on a du mal à accepter. Pour simplifier, c’est ça nos parts d’ombre, c’est les parts de nous qu’on rejette parce que c’est pas confortable. Et ces parts-là, elles font quand même partie de nous, en fait. C’est pas parce qu’on a une part d’ombre. Nos parts d’ombre, on aimerait bien parfois juste les couper, qu’elles n’existent plus. Sauf qu’en fait, c’est pas possible. Elles font partie de nous et on a besoin d’être en relation avec ces endroits-là aussi.

Et l’une des façons d’être en relation avec, en fait, c’est que quand il y a une qualité qui correspond à cette part d’ombre-là, chez l’autre, au départ, ça nous permet d’être en relation avec cette part d’ombre. C’est marrant d’ailleurs parce que ça peut être quelque chose qui au départ t’attire beaucoup chez l’autre et puis qui rapidement va t’agacer en fait parce qu’une fois que tu es en relation avec quelqu’un… C’est trop proche, tu vois, quelque part. Si je peux donner un exemple, pour que ça soit peut-être un peu plus parlant. Imagine que, pour une raison ou une autre, t’es grandi peut-être un petit peu vite. Il y a eu quelque chose de vraiment très difficile dans ton enfance. Et puis, voilà, t’as adopté peut-être un profil plus sérieux, une identité plus sérieuse.

Et puis, tout ce qui est plus léger, plus enfantin, plus joueur, se soit passé dans ta part d’ombre parce que… C’était pas une des stratégies possibles pour toi dans l’enfance. Et que tu grandisses à l’âge adulte et puis la personne que tu rencontres a cette légèreté, cette insouciance. Au départ, ça va peut-être vraiment t’attirer. Tu vas dire “c’est tellement chouette”. C’est quelque chose qui te plaît parce qu’en fait, ça fait partie de toi. Et puis ensuite, vous êtes en relation ensemble. Et en fait, dans ton quotidien, d’être confronté à ça tout le temps, parfois ça peut être dur.

Clémentine Sarlat : C’est trop, en fait.

Claire Berjot : C’est pas que c’est trop, mais en fait, comme c’est une partie de toi, le temps que cette partie de toi de là, tu ne l’as pas réintégrée, en fait, ça peut être très activant.

Clémentine Sarlat : De toute façon, c’est un peu ça le couple.

Claire Berjot : On est activés en permanence par l’autre.

Clémentine Sarlat : Et c’est notre façon de gérer cette activation qui va faire qu’on arrive à être une équipe ou non, en fait.

Claire Berjot : Exactement. Mais en même temps, c’est une superbe opportunité, au final, puisque la relation de couple, ça nous permet d’aller chercher nos pardons. Ça nous permet de… C’est vraiment un chemin pour grandir, en fait.

Clémentine Sarlat : Mais c’est fatigant.

Claire Berjot : C’est fatigant. Oui, c’est coûteux.

Clémentine Sarlat : C’est ce que tu disais. Alors, j’ai une dernière question. Tu as écrit sur ton compte Instagram, il y a quelque chose qui peut révolutionner le couple. Ça serait quoi pour toi?

Claire Berjot : Il y a quelque chose qui peut révolutionner le couple, je pense que c’est vraiment le fonctionnement sécure et notamment comment le fonctionnement sécure nous apprend à gérer les conflits. Et si je peux donner juste un outil, à quoi ça correspond, ça va être ce dont on parlait tout à l’heure, cette idée de faire pause et de revenir. Donc simplement dans les conflits, d’apprendre en fait à faire stop. De réussir en fait à stopper l’escalade. C’est-à-dire que quand on est en train de commencer à s’embrouiller, puis qu’on monte l’un et l’autre dans notre fameuse zone orange, Il suffit qu’il y en ait un des deux qui s’en rappelle en fait. Et on dit “stop” en fait. Là stop, on met cette intentionnalité de “là en fait on va pas vers ça, on fait une pause”. En général, c’est plutôt la personne avec le style évitant qui a envie d’arrêter en premier.

Clémentine Sarlat : Moi j’allais dire “moi j’ai jamais dit stop, on arrête là, c’est trop pour moi”. Moi j’ai encore et encore.

Claire Berjot : Tu vois, c’est différent de dire “c’est trop pour moi”, ce qui va être peut-être ce que va faire la personne avec le style d’attachement plutôt évitant. Mais de se dire “stop là on arrête parce qu’on va droit dans le mur”, le “on”, de savoir que c’est pas bon pour la relation en fait là, quand on est parti sur une voie là où on sait que ça va pas le faire. De réussir à avoir cette intentionnalité de dire “on arrête là”, “on fait une pause” et puis on revient dans une heure, on revoit ça pour sûr avant d’aller se coucher ce soir. Donc c’est pause et avec l’élément de on revient, on a un timing, on sait qu’on revient l’un vers l’autre.

Clémentine Sarlat : J’ai écouté la dernière fois un podcast avec le couple Gottman, qui a créé l’Institut Gottman, qui est vraiment très intéressant parce qu’ils ont étudié les couples pendant des décennies. Et elle, elle disait “il ne faut pas plus de 24 heures”. Parce que là, si on dépasse 24 heures après le conflit, on va dans une zone qui n’est pas bonne et de non-respect, d’indifférenciation. Dans le timing, il faut que ça rentre dans une fenêtre.

Claire Berjot : Tout à fait. Et moi, j’ai même tendance à dire, si on peut éviter d’aller se coucher sur un conflit, c’est mieux.

Clémentine Sarlat : Lui, John Gottman, il disait “non, c’est bien d’aller dormir parce que c’est mieux de dormir”.

Claire Berjot : Ouais, mais encore faut-il pouvoir dormir.

Clémentine Sarlat : Exactement, c’est ce que je pensais “Alors toi, tu dois t’endormir facilement, même si tu t’es embrouillée, parce que moi, non”.

Claire Berjot : Et encore une fois, c’est pas toujours possible de régler un conflit jusqu’à trois heures du matin quand il faut se lever à six heures avec les enfants. Mais comme je disais tout à l’heure, rien que le fait d’avoir un geste amical envers l’autre, un geste cordial, l’orteil qui se touche dans le lit ou de se faire un petit bisou, ce signe de “OK. Là, on est en colère, mais on est OK”. C’est important. Ça donne de la sécurité.

Clémentine Sarlat : Merci beaucoup, Claire. Merci à toi pour cette grande conversation autour du couple. Il y a tellement à dire, tellement à faire parce que c’est complexe. Ça appartient à chacun. Chaque individu réagit différemment. Mais si tu pouvais juste donner envie aux couples qui ont peur de franchir le pas et d’aller en thérapie de couple, qu’est-ce que tu pourrais leur dire?

Claire Berjot : Ce que j’ai envie de dire, c’est que, en fait, vous faites ça pour vous et que plus tôt on va en thérapie, plus c’est facile. Ça, c’est une grande différence que je vois entre la France et les États-Unis. En France, il y a encore un peu un stigma par rapport au fait d’aller en thérapie. On va en thérapie vraiment que c’est la dernière limite, quand c’est la crise de la crise. Et en fait, c’est beaucoup plus dur quand on est en crise depuis cinq ans, de réparer les choses et de retrouver un fonctionnement sécure et de réparer toutes ces choses-là qui ont été difficiles. Quand vous sentez que ça commence à ne pas aller bien et que ça fait quelques mois que ça ne va pas bien, allez en thérapie. Parce que du coup, ça peut se résoudre très vite et vous avez tout intérêt à ce que ça aille vite et que ce soit facile.

Clémentine Sarlat : Merci beaucoup Claire.

Claire Berjot : Avec plaisir Clémentine, merci à toi.

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