Épisode 196 – Enseignant, le plus beau métier du monde ? Mouhamadou

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Nos enfants passent une grande partie de leur jeunesse à l’intérieur de l’école, ils se réfèrent à d’autres adultes et découvrent un nouveau monde via le milieu scolaire.

Pourtant l’espace où évoluent nos enfants nous parait parfois un peu opaque…

Alors je me suis posée la question comment se déroule la vie à l’intérieur des écoles et à quoi ça ressemble d’être instit en 2024?

Mouhamadou est professeur des écoles depuis une dizaine d’années.

Il est remplaçant par choix, pour découvrir le plus de milieu possibles et donc d’engranger de l’expérience.

Sur les réseaux sociaux sous le pseudonyme de “balance pour la balance”, il raconte des scènes, des interrogations que lui suscitent son métier.

Plongez avec moi dans l’univers de l’enseignement du primaire et de la maternelle et venez prendre une belle leçon de remise en question avec Mouhamadou !

TRANSCRIPTION ÉPISODE

Clémentine Sarlat : Salut Mouhamadou ! 

Mouhamadou : Salut Clémentine !

Clémentine Sarlat : J’ai le droit de dire ton prénom, c’est bon ?

Mouhamadou : Bien sûr.

Clémentine Sarlat : Parce que tu es plus connu, quand même, sous le nom de “Balance pour la Balance”, qui n’est pas tout à fait ton prénom.

Mouhamadou : Non, mes parents, ils n’ont pas choisi celui-là, heureusement.

Clémentine Sarlat : Alors aujourd’hui, on va s’intéresser à ton métier parce que tu es professeur des écoles et ça me tenait vraiment à cœur de comprendre les enjeux qu’il y a autour de l’école aujourd’hui, de ce que ça veut dire être prof en 2024, de pourquoi on choisit d’être prof aujourd’hui au 21e siècle. Déjà, raconte-nous comment tu es arrivé à devenir professeur des écoles.

Mouhamadou : Écoute, je suis devenu prof parce que j’ai toujours eu la passion des enfants. Voilà. Non évidemment c’est pas vrai, c’est une partie de la réponse. Non, c’est quelque chose qui est arrivé dans mon parcours parce que moi j’ai fait des études de sciences humaines, j’ai fait de la socio, de l’anthropo, un peu d’économie aussi, des langues. Et puis à un moment donné, dans mon parcours, je me suis arrêté, j’ai fait autre chose. Je suis rentré dans la vie active et l’opportunité, on m’a conseillé en fait de devenir prof parce que apparemment c’était… Il y avait quelque chose dans mon caractère qui s’y apparentait, voilà. Et on m’a dit “écoute, je te vois bien en tant que prof, il y a des possibilités, t’aimes bien expliquer les choses aux gens, ils t’expliquent plutôt bien, alors pourquoi pas”. Et effectivement ça a matché.

Alors j’ai tenté le concours une première fois sans préparation en fait pour voir ce à quoi ça ressemblait. Évidemment je me suis fait recaler et ça c’est une petite info pour tous ceux qui disent que le concours est donné à n’importe qui et bien à ce moment là peut-être que j’étais même pas n’importe qui. J’étais personne. Voilà, donc on ne me l’a pas donné. Et l’année suivante je suis rentré dans la formation à l’époque ça s’appelait les INSPE. SP maintenant, voilà, et ça s’est très bien passé, on m’a expliqué ce qui n’allait pas, j’ai passé le concours, ça s’est très très bien passé, et puis voilà, maintenant je suis prof depuis 7-8 ans, et j’aime beaucoup, pour plein plein plein de raisons différentes, évidemment la première que j’ai évoquée, mais pas que, ce que j’aime bien en fait c’est la possibilité, si on veut, d’essayer, je dis bien d’essayer, d’impacter de manière positive en tout cas les parcours des élèves que je rencontre voilà mais c’est quelque chose qui est réciproque en réalité parce que je sais que ça fait très… très bateau comme ça, mais c’est la vérité en fait.

Tous les jours, j’en apprends un petit peu plus de la part des enfants que je rencontre. Et là, j’emploie le terme enfant, pas élève, parce qu’ils ne sont pas toujours élèves en fait. Être élève, ça s’apprend. Et lorsqu’ils arrivent à l’école, ces enfants, qui sont des enfants que les parents nous confient, sont d’abord eux-mêmes en fait. Ils ne sont pas toujours dans ce rôle-là et j’en apprends beaucoup.

Clémentine Sarlat : Et pourquoi est-ce que tu as voulu devenir un professeur des écoles et pas être prof dans une matière que t’aimais?

Mouhamadou : Parce que je ne me voyais pas avec des adultes. Le rapport est différent. Je ne me voyais pas… Parce que c’est vrai que lorsqu’on fait des sciences humaines, souvent l’un des débouchés, en tout cas, c’est l’enseignement dans le supérieur. Mais je ne me voyais pas avec des adultes, en fait, à aucun moment. Je me suis dit que s’il y avait contact avec des êtres humains, c’était plutôt à ce qu’on considère être la base, tu vois. Lorsque les enfants sont petits, c’est pas que c’est plus malléable, mais c’est un autre intérêt. Voilà, c’est un autre intérêt. Il y a moins de certitudes chez eux, peut-être. Et je trouvais que, et le terrain m’aura donné raison jusqu’à aujourd’hui, que la qualité des échanges était peut-être… plus directe.

Clémentine Sarlat : Avec des enfants.

Mouhamadou : Ouais. Il y a moins de filtres. Et c’est chouette. Et c’est chouette. Parce que vraiment, il nous renvoie parfois des images de nous-mêmes qu’on ne perçoit pas autrement, qui peuvent être vraies ou fausses, mais c’est extrêmement intéressant en fait. On est toujours en adaptation en fait. Et c’est ça que je recherchais, je crois, quelque part.

Clémentine Sarlat : Tu te serais vu quand t’étais toi, ado, te dire “en fait plus tard je vais être prof des écoles devant des tout-petits, que ce soit des 3 ans, des 11 ans?”

Mouhamadou : Non absolument pas. L’école je crois, comme beaucoup de personnes, c’est un endroit que quand t’as de la chance en tout cas lorsque t’y vas, lorsque t’es petit, ben t’aimes bien ça, moi c’était le cas, j’aimais bien l’école. Je sais que c’est pas le cas pour tout le monde, mais moi j’ai eu cette chance là. Mais lorsque t’y es plus, bah en fait, c’est comme si tu zappais un peu. Est-ce que c’est conscient, est-ce que c’est inconscient ? Je sais pas. Il y a quelque chose, en tout cas, qui fait que ce monde-là se referme, j’ai l’impression. On a des souvenirs, plus ou moins marquants, mais l’école s’éloigne de nous petit à petit. On est occupé, happé par autre chose, d’autres aspects de nos vies. Et c’est ce qui s’est passé pour moi, en fait. Non, je ne me voyais pas du tout devenir prof.

Mais c’est vrai que lorsque je discute avec des collègues, qui sont nouveaux dans le métier, ça arrive relativement souvent que ce soit des collègues qui me disent “bah moi c’est ce que j’ai toujours voulu faire en fait”. Donc ils sont restés dans leur scolarité et depuis tout petit en fait ils ont tout fait pour arriver à cet objectif là. Non moi c’était pas le cas, clairement.

Clémentine Sarlat : Donc tu t’es cherché professionnellement au départ, en gros. Donc c’était pas la vocation, comme tu dis, depuis les tout débuts de ta vie et t’as pas accroché à l’école en disant “c’est sûr, ça c’est pour moi”. Quand t’as débarqué la première fois dans une salle de classe, qu’est-ce qui t’a marqué?

Mouhamadou : En tant que prof?

Clémentine Sarlat : Ouais.

Mouhamadou :  J’étais paniqué. Ouais, j’étais paniqué. J’étais paniqué parce que… Je compare souvent ça au fait d’avoir le permis de conduire. Tu sais, quand t’as le permis, bah voilà, t’as fait tes heures, tout ça, t’as passé l’examen, ça s’est bien passé. Et puis, bah pendant trois ans, t’as un A en fait sur ta voiture. Qui montrent que tu es apprenti. Donc généralement… bon, ça a deux effets : lorsque tu es sur la route, il y en a qui vont être très gentils, qui vont comprendre, et il y en a qui vont s’en servir pour te mettre la pression, te klaxonner à chaque fois que tu vas faire ce qui s’apparente à une petite erreur, tu vas pas assez vite, ou voilà, des choses comme ça. Mais en tout cas, tout le monde a l’information qui dit que “attention, je suis encore en apprentissage”.

Mouhamadou : Lorsque t’es prof c’est pas pareil, t’as le concours et ensuite t’es devant les élèves et les élèves quand ils te regardent on leur a dit qu’ils avaient un maître, une maîtresse, un professeur et ils attendent de toi, que tu sois ce professeur. Donc t’as pas cette période d’essai en fait, il faut que tu sois ou en tout cas t’essayes d’être tout de suite… “Performance” c’est peut-être pas le mot mais au niveau en tout cas des attentes qu’on a placées en toi alors que clairement t’es pas prêt et je pense que beaucoup le ressentent moi je l’ai ressenti comme ça mes premières minutes alors ça a mis peut-être ouais le temps de la matinée jusqu’à ce que la pause méridienne arrive et que je puisse me reposer un peu et me dire “ça y est, c’est passé. Ça y est, c’est passé”.

Et les premières infos, les premiers bilans, j’ai pu les faire à ce moment-là, mais le premier sentiment, c’est la panique. Qu’est-ce que eux, ils voient en fait, les enfants? Est-ce qu’ils me voient au niveau? Est-ce que ce que je viens de dire, est-ce que j’ai pas bafouillé? C’est plein de petites choses comme ça, où en fait on est en train d’essayer de rentrer dans ce rôle de professeur. Comme, de l’autre côté, les élèves vont essayer d’entrer, les enfants vont essayer d’entrer dans ce rôle d’élève.

Clémentine Sarlat : T’avais une classe de quel âge?

Mouhamadou : Ma première classe était une classe de CE1.

Clémentine Sarlat : Donc c’était quand même des grands, donc il y a une interaction où ils peuvent voir ton mal-être, ton malaise, quoi. Ils peuvent le sentir.

Mouhamadou : Carrément. J’ai jamais su. Mais j’imagine que.

Clémentine Sarlat : Est-ce que quand t’as débuté, t’as pris un poste tout de suite à temps plein et dans la même école?

Mouhamadou : J’étais à mi-temps. À l’époque, la formation était ainsi faite. J’étais à mi-temps, c’est-à-dire que deux semaines, j’étais en classe et deux autres semaines, j’étais en formation à la fac.

Clémentine Sarlat : On parle beaucoup de la formation des instits, des professeurs des écoles, je pense que c’est un peu opaque pour nous, parents ou en tout cas en dehors de cet univers. Est-ce que vous avez, tu considères, une bonne formation au niveau de la pédagogie? Comment on est face à une classe? Comment on intéresse les élèves à quelque chose? Ou est-ce que c’est purement théorique sur ce que vous devez apprendre comme socle de connaissances?

Mouhamadou : Personnellement, mais je crois que beaucoup de collègues me rejoindront et j’espère que je vais pas vexer les collègues formateurs qui sont dans les INSPE parce qu’ils font un travail de fou, il faut aussi le dire, ils font comme ils peuvent et moi je suis ressorti de cette formation avec beaucoup d’éléments théoriques, mais c’est vrai, peu d’éléments pratiques. Parce que je pense que c’est extrêmement difficile en fait de se positionner sur ce qui est gestion de classe par exemple, parce que tu ne sais jamais à quoi va ressembler une classe, tu ne sais jamais à quoi va ressembler le climat scolaire dans lequel tu vas arriver.

Mais de manière générale je pense que la formation étant ce qu’elle est, en tout cas à cet instant là ou en tout cas moi lorsque j’étais dedans, et bien avec le recul il m’a manqué tout un tas de petites astuces pour pouvoir m’installer plus aisément on va dire dans ce rôle de prof. Parce que c’était très théorique. Peut-être parfois un peu trop théorique. Tu sais on a des situations où on a l’impression que les élèves, les enfants sont tous des élèves déjà et que c’est des classes parfaites. Tu vas donner une consigne, les élèves, tu sais, ils sont en randonnée, ils t’écoutent, juste ils t’écoutent. Mais quand t’arrives dans une classe… “Mais c’est qui lui? Pourquoi je peux l’écouter?” Non, il faut gagner la confiance en fait. Voilà, comment est-ce que tu la gagnes? Ça on ne sait pas toujours. Est-ce que c’est un positionnement?

Est-ce que c’est un timbre de voix? Est-ce que c’est un regard? Est-ce que… Toutes des petites choses qui s’apparentent un peu, peut-être, à un jeu d’acteur, tu vois. Moi je trouve que ça, ça nous a peut-être un peu manqué. Alors c’est pas que ça, parce qu’en fait lorsque t’es en classe, même si tu joues beaucoup, même si tu rentres dans un personnage, t’es aussi sincère parce que t’es… C’est une partie de toi-même en réalité. Tu enseignes des matières scolaires, mais à ta façon. Je sais que pour avoir déjà été en classe avec d’autres collègues, on n’a pas forcément les mêmes manières d’exercer notre métier, quand bien même on essaye de faire apprendre exactement les mêmes notions aux élèves.

Clémentine Sarlat : Par exemple, vous n’avez pas un module genre jeu de rôle dans telle situation, “comment je fais le premier jour de classe ?” “comment je dois ?” “qu’est-ce qui va être mis en place ? comment je me présente ?” pour dédramatiser aussi ce moment où toi tu t’es dit extrêmement angoissé, stressé, parce qu’il n’y a pas de répétition en fait, enfin on te donne les clés du camion et tu te débrouilles.

Mouhamadou : C’est ça. Moi je n’en ai pas eu le souvenir en tout cas. Je n’en ai pas eu le souvenir. Alors est-ce que maintenant ça a changé? Je ne sais pas, j’espère. J’espère parce que si j’avais une proposition à faire à tous nos gouvernants qui décident de ces choses-là, ce serait essayer de rendre la formation un tout petit peu plus concrète. Alors oui, évidemment qu’on a besoin de théories. Mais on a besoin de pratiques. Et dans les premiers instants, c’est vraiment ça qui nous sauve. Comment tu fais pour que les élèves… Pour que toi-même tu sois à l’aise en fait, déjà là. Peut-être un peu plus de mise en situation. Comment tu fais… Pour que les élèves portent sur toi ce regard que tu attends, tu vois ?

Peut-être aussi qu’il n’y a pas de solution, et c’est peut-être pour ça qu’on a passé notre formation, mais je crois qu’avec un peu d’ancienneté, tous les professeurs en ressortent avec des petites billes, tu vois, qu’on pourrait peut-être partager. Tu me donnes une idée, tu vois? Est-ce que c’est pas un truc à faire? Je sais pas, on se réunit tous ensemble et on écrit nos différents tips et on les partage, tu vois. Ça pourrait être quelque chose.

Clémentine Sarlat : Mais c’est vrai qu’il y a peu de métiers, j’ai l’impression, tu vois, un médecin ou une médecin, il va pas arriver au bloc “j’ai jamais essayé en fait. Allez, je me débrouille, on verra bien à quoi ça ressemble, je suis un peu stressée”. Normalement, il y a une formation continue. En plus, vous avez affaire à de l’humain, à de l’humain jeune, avec… beaucoup. Parce que je pense que tant qu’on n’a pas eu d’enfants, on se rend pas compte le bazar qu’ils peuvent mettre beaucoup d’enfants en même temps, ensemble.

Mouhamadou : C’est une expérience, la parentalité.

Clémentine Sarlat : Non mais tu vois ce que tu disais que les enfants ils t’ont beaucoup appris, c’est pareil pour nous quand on est des parents j’avoue tu te dis “ouah je pensais pas autant apprendre, j’ai l’impression que ça allait être moi la figure, et d’autorité ou d’apprendre… ou qu’aller apprendre quelque chose mais c’est eux qui nous enseignent tellement. Comment est-ce que tu définirais être prof en 2024?

Mouhamadou : Être prof en 2024 pour moi ce serait… Après c’est mon poste qui veut ça aussi, mais je crois dans toutes les classes, même lorsque t’es sur un endroit sur le long terme, c’est être constamment dans l’adaptation, je crois. Parce que, c’est bizarre, mais je crois que c’est un métier qui fait beaucoup parler. C’est un métier que pas beaucoup de gens ont envie de faire, mais c’est un métier qui fait beaucoup parler. On s’intéresse à l’école. On s’intéresse à l’école pourquoi? Parce qu’encore une fois, notre public, ce sont des enfants. Et ce sont les enfants des familles de la nation avec un grand N. Donc c’est un lieu où il y a beaucoup d’enjeux. Et du coup on est sans cesse dans l’adaptation parce qu’on est sous le feu des projecteurs.

Celui des enfants, celui des familles, celui des politiques qui tous les quinquennats vont toucher au programme et pour lesquels nous on doit essayer de s’adapter constamment. Donc ouais, c’est l’adaptation constante. C’est comme ça que je le vois. C’est parfois stressant, parfois grisant, mais c’est l’adaptation, ouais, pour moi.

Clémentine Sarlat : Alors dans ton parcours, toi t’as fait un choix un peu différent au fur et à mesure des années. T’as pas voulu prendre un poste à temps plein dans la même école, c’est ça? Tu es remplaçant?

Mouhamadou : C’est ça, on appelle ça brigade.

Clémentine Sarlat : Brigade. Ok, c’est drôle ce mot je trouve.

Mouhamadou : C’est ouf, ça fait très policier, genre tu viens, tu… C’est quoi, tu vas mettre de l’ordre ? Je ne sais pas, alors que non.

Clémentine Sarlat : Donc en gros tu es remplaçant sur des postes, ça peut être quoi remplaçant? Les maladies, formation?

Mouhamadou : Oui, congés mater’, formation pour le coup cette année vraiment. Mais c’est des remplacements divers et variés en fait à chaque fois qu’il y a un enseignant qui est absent on m’appelle ou on nous appelle parce que je suis pas tout seul évidemment. Et on n’est pas assez, clairement.

Clémentine Sarlat : Pour remplacer tous les profs qui manquent à l’appel. Mais ça veut dire qu’on t’appelle un vendredi matin à 7h, faut aller sur ce poste? Ou tu le sais en avance une ou deux semaines?

Mouhamadou : J’ai de la chance cette année sur le poste que j’occupe d’avoir, généralement pas tout le temps, les nouvelles en avance en fait, 2-3 jours en avance. Mais, parce que, comment dire ? Dans l’éducation nationale il y a différents types de postes de remplaçants et ce luxe que j’ai aujourd’hui, je dis bien c’est un luxe, ne m’a pas été donné pour les… Pour l’autre poste de remplaçant que j’avais avant, et pour le coup on m’appelait le matin pour me dire “attention, là aujourd’hui, tu vas dans telle école, tu remplaces sur tel niveau pendant tant de temps”. C’est-à-dire qu’effectivement t’as l’info à un instant T, et deux secondes avant tu savais pas en fait où t’étais censé aller. Et tu vois ça fait écho à ce que je racontais par rapport à l’adaptation en fait. T’as pas le choix.

Clémentine Sarlat : Et pourquoi est-ce que tu as voulu choisir d’aller… parce que c’est un choix de ta part, d’être dans la brigade? 

Mouhamadou : Alors peut-être que… Non, pour être honnête, en fait, en début de carrière, j’ai eu de la chance, je le dis, de la chance, parce que je suis arrivé dans des écoles où tout fonctionnait, en fait. J’ai été super bien accueilli, les collègues m’ont passé tout plein de choses et m’ont donné tout plein de conseils pour m’aider justement à m’installer dans ce rôle. Mais en même temps, eh bien, malheureusement, j’ai eu le sentiment de ne pas servir à grand chose, parce que les populations auprès desquelles j’étais étaient plutôt, je dis bien plutôt, pas partout, pas à tout moment, mais des populations qui étaient… Acculturées, j’ai envie de dire. Qui connaissaient les codes de l’école. Et pour le coup, je me suis dit, mais que ce soit toi ou un autre, en fait, ça changerait pas grand chose pour ces enfants-là.

Et j’avais bien idée tout de même que c’était pas une vérité sur tout le territoire, et j’avais envie d’aller voir autre chose. Parce que je pensais que ce serait enrichissant et intéressant. Le temps m’a donné raison, en tout cas.

Clémentine Sarlat : Donc là t’as l’impression d’avoir un impact plus fort sur la vie des enfants en prenant ce poste à la brigade? Pardon, ça me fait rire, mais…

Mouhamadou : J’ai l’impression d’avoir un impact plus concret en tout cas, ouais. Parce que les milieux sont pas les mêmes, tout simplement. Je veux pas qu’on se dise “ah oui, le public qu’il rencontre c’est des personnes qui sont [, je sais pas moi,] défavorisées ou quoi que ce soit”. Non, il y a différents types de mixité si on veut. Et il y a des endroits où, encore une fois, effectivement, que ce soit toi ou un autre, et c’est pas contre les enseignants, mais tu sais que ça va rouler pour ces enfants-là. Et moi, peut-être à un moment dans ma carrière, c’est exactement le type de public que je vais rechercher. C’est un confort aussi. Mais à cet instant-là de ma vie, de ma carrière, c’est pas ce qui m’intéresse. J’ai envie… C’est… Enfin je sais pas, c’est sollicitant intellectuellement en fait.

De se dire mais comment tu fais là pour aider cet enfant là? Est-ce que tu vas être en capacité d’aider ou pas? C’est un challenge. Voilà, juste t’essayes. Et en fait… Il y a plein de situations qui permettent de réfléchir différemment parce que c’est pas toujours les mêmes problématiques que tu rencontres mais en changeant d’école, en changeant de classe peut-être que l’expérience que tu as accumulée avant va t’aider en fait à solutionner à un instant T une situation pour un ou plusieurs élèves et c’est ça l’expérience en fait voilà. Moi c’est ça que je recherchais c’est pour ça que j’ai voulu prendre ce poste de remplaçant.

Clémentine Sarlat :T’as accumulé au final plein de scénarios différents auxquels t’aurais pas été confronté si t’étais resté dans une classe.

Mouhamadou : J’en suis sûr.

Clémentine Sarlat : Des enfants différents, des publics différents, des collègues différents aussi j’imagine.

Mouhamadou : Absolument.

Clémentine Sarlat : Des fonctionnements différents dans les écoles.

Mouhamadou : Absolument. Absolument.

Clémentine Sarlat : Et t’as la sensation qu’au fur et à mesure où tu vas avancer dans ta carrière, tu pourras piocher dans ce qui t’a parlé, marqué et pouvoir le mettre en place quelque part.

Mouhamadou : J’ai cet espoir-là, parce qu’en fait… Alors j’écris pas. Voilà, “aujourd’hui il s’est passé ci, j’étais dans telle situation, voilà la solution”, parce qu’il n’y a pas de solution parfaite. Par contre, je sais que ces situations m’imprègnent en fait, et que du coup, à force de se retrouver dans ces dynamiques-là, il y a des choses qui deviennent plus ou moins naturelles en fait. Et pour moi c’est ça en fait, être prof aujourd’hui, quand je parlais encore une fois, je me répète, mais d’adaptivité, d’adaptation, et bien c’est qu’au bout d’un moment tu as accumulé tellement d’expérience dans un domaine… Que lorsque tu fais les choses, tu les fais pas de manière automatique mais en tout cas de manière naturelle, tu vois? Tu réfléchis moins, voilà.

Et c’est ça qui est intéressant, parce que c’est là où tu deviens un véritable professionnel, tu vois, de ce que tu fais. Toi qui étais dans le domaine sportif, lorsque tu vas mener un entretien avec une personnalité, tu sais, enfin j’imagine…

Clémentine Sarlat : Oui, oui, j’en ai eu, j’en ai eu.

Mouhamadou : Voilà, j’imagine qu’entre ta première interview d’une personnalité et ta dernière, t’as accumulé une expérience qui fait que t’es un tout petit peu plus à l’aise, parce que ça peut toujours être impressionnant d’être face à telle ou telle personnalité, mais t’as des petits tips, tu sais que tu vas pouvoir poser telle question peut-être à cette personne parce que t’as telle info, alors qu’avec une autre personnalité ça passera pas. Là c’est pareil, t’as un outil, tu sais que dans ce genre de situation peut-être ça va pouvoir le faire, mais dans une autre ça le fera pas.

Clémentine Sarlat : Si on revient sur ton parcours, à partir de quand t’as eu la sensation de commencer à être à l’aise dans ta classe et d’être droit dans tes bonnes, dans cette posture de professeur des écoles qui génère la confiance?

Mouhamadou : Paradoxalement, j’ai envie de dire assez rapidement. C’est-à-dire que cette première journée que je t’ai racontée en deux mots, en fait, peut-être une ou deux semaines après, ça y est. C’était concret en fait. Le moment risqué était passé. Et là, maintenant, il me restait plus qu’à faire. J’ai eu la chance aussi, encore une fois, de tomber sur des collègues qui ont été très très bienveillants, et qui m’ont laissé les clés du camion en fait. En me disant “écoute, tu vas faire des erreurs, mais c’est cool, parce que tu vas apprendre”. Et c’est la vérité. Tu dis quelque chose, tu te trompes même sur une notion que tu ne maîtrises pas encore très très bien, ok c’est pas grave. Tu vas chercher, tu vas demander, on va t’aiguiller, tu vas trouver, et ensuite tu vas pouvoir enseigner. C’est comme ça qu’on apprend, je crois.

On dit souvent aux élèves, voilà, c’est pas grave de se tromper, mais souvent, nous-mêmes, on a peur de se tromper. Alors que non, faut pas avoir peur. On est ensemble, en fait, dans ce truc-là. Alors oui, il y a certaines choses que je sais peut-être mieux que vous, mais ça veut pas dire que vous n’avez pas de connaissances parce que vous êtes plus jeune. Non, vous avez votre expérience de vie, elle compte aussi, en fait, et c’est intéressant de la regarder. Donc on est tous là, on est tous ensemble et on va voir ce qu’on peut faire par rapport à ce qu’on doit faire, c’est-à-dire apprendre certaines notions scolaires.

Clémentine Sarlat : En étant remplaçant, t’es forcément face à plein d’âges différents, plein de niveaux différents. C’est quoi que tu préfères, maternelle, primaire?

Mouhamadou : L’élémentaire. Je préfère l’élémentaire et je préfère les plus grands. CM1, CM2. Parce que… J’allais dire “c’est plus vivant”. Non, c’est juste que la nature des échanges est différente. J’aime bien, moi, je suis quelqu’un qui aime bien l’humour. En classe, j’aime bien lorsqu’il y a… Une bonne ambiance et avec les plus grands en fait, tu peux te permettre certaines choses et tu sais qu’ils comprennent en fait. Il y a des jeux de mots, des jeux d’humour que les grands vont percevoir et ils vont avoir du répondant aussi et en fait j’aime beaucoup ça. Et puis même au niveau des programmes, Je trouve que les programmes du cycle 3 me parlent plus. Le cycle 3, c’est à partir du CM1. Ça me parle beaucoup plus en fait.

Je trouve qu’on rentre dans des espèces de notions un peu plus concrètes, notamment en histoire, en géographie, en science. Et j’aime beaucoup ça. J’aime beaucoup ça, ouais.

Clémentine Sarlat : Mais en revanche, tu fais des remplacements chez les 3 ans, 4 ans, 5 ans. J’ai pas du tout de chiffres, mais j’ai la sensation qu’il y a peu d’hommes professeurs chez les maternelles.

Mouhamadou : C’est vrai.

Clémentine Sarlat : Tu saurais expliquer pourquoi on est dans ce…

Mouhamadou : Déjà dans le premier degré, de manière générale, c’est-à-dire…

Clémentine Sarlat : Vous êtes moins.

Mouhamadou : Ouais, jusqu’au CM2, on n’est pas beaucoup d’hommes. Dans ce métier, on n’est pas beaucoup d’hommes. On est peut-être 15, 20%. J’en suis même pas sûr. Moi, il m’arrive d’aller dans des écoles où, quand j’arrive, je suis le seul homme. L’équipe, ce ne sont que des femmes. Voilà, donc c’est intéressant mais c’est la réalité. Pourquoi? Parce que peut-être que c’est encore un métier qui… déjà qui souffre. Ce n’est pas un métier qui aujourd’hui est très attractif, voilà, de manière générale de toute façon. Et puis il a aussi cette image, je crois, C’est pas pour rien qu’on parle d’école maternelle, tu vois. L’école, c’est un lieu qui, je crois, historiquement, est presque un prolongement du rôle des femmes dans nos sociétés patriarcales.

Voilà, donc c’est un lieu qui est fait pour… pas pallier la maternité, mais pour… Il y en a qui disent parfois que l’école a cette vocation à remplacer les parents. Non, ce n’est pas le cas. Par contre, on ne peut pas nier le fait que, effectivement, c’est un endroit qui, au départ, a été pensé pour pouvoir y mettre les enfants, et que les enfants, lorsqu’ils n’étaient pas à l’école, étaient plutôt dans les jupes des mamans. Voilà. Donc c’est un prolongement de cet espace-là, en fait, tout simplement. Et je pense qu’aujourd’hui, de manière inconsciente, le métier souffre encore de cette vision-là.

Ensuite, c’est vrai que lorsqu’on va plus haut, dans le second degré, il y a plus d’hommes. Mais c’est aussi parce que, je crois, au-delà de l’intérêt personnel qu’on peut avoir pour certaines matières, et bien c’est peut-être socialement plus acceptable d’avoir des hommes sur des niveaux où les élèves se rapprochent de l’âge adulte. Je ne sais pas si c’est clair ce que je raconte. Voilà, plus on est dans l’enfance, et plus on s’attend à voir des femmes, alors que plus les personnes sont grandes, et plus on s’attend à y voir des hommes. Moi je le perçois comme ça. Je ne sais pas si c’est juste.

Clémentine Sarlat : Non mais c’est vrai, je m’interrogeais parce que… C’est rare les professeurs des écoles chez les maternelles.

Mouhamadou : C’est vrai.

Clémentine Sarlat : Je pense qu’on l’a tous vu un peu dans les écoles. Tu vois, chez mes filles, il n’y en a aucun évidemment chez les mater’. Et il y a 50% d’hommes chez les primaires. Ce qui est déjà beaucoup de ce que je viens de comprendre. On est dans une anomalie représentative. Et chez les maternelles, c’est plus difficile pour toi parce qu’il n’y a pas l’interaction. Évidemment, l’humour, c’est plus compliqué avec les tout-petits.

Mouhamadou : C’est différent, c’est différent.

Clémentine Sarlat : C’est différent. Mais on a souvent cette sensation que l’école maternelle, c’est de la garderie, ils font rien, ils apprennent rien. Et toi, tu essayes de démontrer via tes réseaux sociaux que les tout-petits, ils ont plein de choses à apprendre justement parce qu’ils découvrent notre monde. Qu’est-ce qui te plaît par rapport à ça dans la transmission?

Mouhamadou : En fait, c’est un puits de questions, ces enfants. C’est un puits de questions, c’est-à-dire que tu restes deux minutes dans une classe, et t’es assailli de questions. Alors, elles ont plus ou moins de sens pour toi, mais elles ont du sens pour eux, en fait. S’ils te posent des questions, c’est parce que vraiment, ils veulent des réponses, souvent. Et c’est juste amusant, et en fait, tu peux… Les situations d’apprentissage sont là. Voilà. Et ça tombe bien parce que souvent c’est des questions qui se rapportent à des choses qu’on va retrouver dans les programmes. Donc c’est trop chouette. Ça je surkiffe. Je surkiffe. J’ai pas réponse à tout. Loin de là. Mais j’aime et j’admire leur curiosité en fait.

Je crois que pour tous les enseignants… je veux dire comme pour les parents, il y a des moments où c’est un peu pénible, parce que t’as l’impression que t’as déjà donné la réponse, parce que toi tu la connais depuis longtemps cette réponse. Mais pour cet enfant, non, c’est nouveau en fait, tu vois. Donc c’est peut-être ça qui est un peu difficile de se dire, bah, ça peut paraître un peu redondant, tu vois, mais ouais, non, la curiosité c’est… C’est fou de voir à cet âge-là le nombre de questions qu’ils ont. Vraiment, vraiment. Mais c’est parce qu’ils sont en découverte de ce monde et ils ont soif en fait, tout simplement.

Encore une fois, t’as pas toujours les réponses, mais si tu veux des questions, observe les enfants. Peut-être que leurs questions vont devenir les tiennes en fait, tu vois. Plein de fois, moi je me suis retrouvé à dire “bah oui en fait, non je sais pas”. Mais je suis rentré chez moi, j’ai dit “je vais chercher. C’est une question de fou ça”.

Clémentine Sarlat : T’as un exemple? Pour qu’on rigole un peu.

Mouhamadou : Oh là… Bah je sais pas… Ouais j’en ai parlé sur les réseaux. Alors, la réponse, en fait je l’avais dans un coin de ma tête lointain mais je suis quand même allé faire des recherches parce que… Parce que je voulais être sûr de ce que j’allais raconter. Voilà, c’était un remplacement sur une école… dans une école maternelle. Je dis dans, parce que pareil, lorsque t’es sur les réseaux et que parfois, t’as des tournures de phrases et tout, on te reprend.

Clémentine Sarlat : On te reprend, parce que toi t’es prof.

Mouhamadou : C’est ça, c’est ça. Et là, je pense à quelqu’un, je pense que c’est un collègue qui, dans mes premiers réels, j’écrivais souvent, où je disais “je suis arrivé sur une école”. Il me disait “non, tu t’arrives pas sur une école, ça n’a aucun sens. T’es arrivé dans une école…” Il a raison, il a raison. Donc je suis arrivé dans une école maternelle et l’enfant m’a demandé en fait “pourquoi j’étais noir”. D’ailleurs c’est pas le mot qu’il a employé, il a employé le mot marron. Ça aussi c’est intéressant parce que la vision qu’on a, la politisation de certains termes n’est pas du tout la leur en fait. Eux ils sont là et factuellement t’es pas blanche en fait, t’as plein de couleurs et factuellement je suis pas noir, j’ai aussi différentes couleurs. Mais il me demander pourquoi est-ce que tout ça a été foncé chez moi.

Et évidemment, il y a cette question de la mélanine et tout, et je lui ai demandé, lui, ce qu’il en pensait, parce que ça aussi c’est un moyen de, je crois, d’apprentissage sur soi-même, mais de savoir aussi d’où on part par rapport à l’enfant. Tu me poses cette question, mais probablement que tu as fait des hypothèses. C’est intéressant de savoir tes hypothèses, parce que si ça se trouve dans tes hypothèses, il y a une partie de vérité. Si ça se trouve, non, pas du tout. Alors là, en l’occurrence, Non, il n’y avait pas de vérité, mais c’était rigolo de l’entendre me dire qu’à la fin il me disait que c’était parce que je portais ce prénom, tu vois. Mon prénom a fait que j’étais noir, parce que c’est un prénom de personne marron, tu vois. Voilà, c’était rigolo.

Mais non, pas du tout, il y a une histoire de mélanine, il y a une question de… D’origine du monde, une question de voyage, et c’était intéressant d’aller chercher ces informations, rechercher ces informations, pour essayer ensuite de les lui donner avec un vocabulaire que lui puisse comprendre, tu vois. Voilà, donc ça, ça fait partie du type de questionnement que les enfants ont parfois, et qui peuvent nous interpeller, tu vois. Et je trouve ça intéressant, en fait, parce que, après coup, toi aussi tu vas chercher, et tu vas revenir avec quelque chose qui va lui servir, et quelque chose qui t’aura servi. C’est trop cool!

Clémentine Sarlat : Et par exemple, là tu dis que t’as fait des recherches, pourquoi est-ce que t’as voulu faire des recherches?

Mouhamadou : Parce que je voulais être sûr. Je voulais être sûr de ce que je racontais. Tu sais, la science, elle évolue constamment. Et les vérités d’un jour, il y a 10 ou 15 ans, ne sont pas forcément les mêmes, en fait. Est-ce qu’il y a d’autres théories qui sont sorties? Je sais pas, tu vois. Peut-être qu’un jour, on nous dira “en fait non, c’est pas ça. C’est pas du tout une histoire de mélanine” et j’en sais rien, tu vois.

Clémentine Sarlat : En fait je suis noire parce que c’est des extraterrestres.

Mouhamadou : Peut-être que c’est mon prénom, tu vois, il y a un pouvoir dedans. Je voulais être sûr.

Clémentine Sarlat : Mais c’est vrai que les enfants ont tellement de questions et comme tu dis, il n’y a pas de filtre. Parce que c’est clairement des questions que les adultes ne poseraient pas aujourd’hui, en pensant connaître la réponse sans vraiment l’avoir, ou parce que ça se fait pas, ou parce que peu importe, c’est pas des questions qu’on pose. Et c’est la magie des enfants, quelque part, d’avoir tout le temps de ne pas avoir de référence et de prendre l’information telle qu’elle est, telle qu’elle vient. 

Mouhamadou : C’est ça. C’est ça.

Clémentine Sarlat : Ton rôle en tant que professeur des écoles, est-ce que c’est aussi d’apprendre aux enfants, enfin même je pense que c’est un rôle principal, à vivre ensemble, parce qu’on parle beaucoup de cette notion de bien vivre ensemble, c’est quelque chose qui est mis en avant, mais concrètement, ça veut dire quoi et on fait comment à l’école pour faire ça?

Mouhamadou : Pour moi l’école c’est déjà un lieu où quoi qu’il arrive on est déjà dans l’expérimentation de vivre ensemble. Parce que tu prends des personnes qui sont différentes et tu les mets dans un endroit ensemble. Si toi et ta famille et moi et la mienne on devait vivre dans un endroit ensemble pendant je sais pas, une semaine, forcément qu’il y aurait des interactions. Alors est-ce qu’on les apprécierait ou pas, ça c’est une autre question, mais en tout cas on serait dans l’expérimentation de ce vivre ensemble. On est déjà dedans. Maintenant le truc c’est de se dire “comment on fait pour améliorer la situation et pour qu’elle soit appréciable ou plus appréciable pour tout le monde”. C’est là où peut-être que nous on va intervenir.

On va parler des règles, on va parler de savoir vivre, voilà. Des choses qui font parfois écho à la société qui est en dehors en fait parce qu’on a tendance aussi souvent à penser l’école comme un lieu qui est, à tort, fermé, tu vois. Genre c’est son microcosme. C’est faux, c’est faux. Le bâtiment en lui-même, je veux bien, d’accord, une fois que les portes sont fermées et qu’il n’y a plus personne dedans, mais en réalité le lieu est vivant et….

Clémentine Sarlat : Perméable.

Mouhamadou : Absolument perméable, parce que les personnes qui arrivent dedans sont d’abord imprégnées du monde qui est extérieur à l’école. Et ça, il ne faut pas se leurrer dessus. Il y a des choses qu’on entend parfois qui ne peuvent pas provenir des enfants eux-mêmes, on le sait, parce que c’est pas de leur âge par exemple, et qui viennent de l’extérieur, et qui viennent de l’environnement dans lequel ils évoluent, et du coup il faut…

C’est pour ça que je trouve que c’est, malheureusement… plutôt c’est malheureux, que j’ai l’impression qu’on essaye de fermer les portes de l’école. Parce qu’en fermant les portes de l’école, alors ça veut pas dire qu’il faut tout raconter, évidemment, il y a toujours une espèce de secret professionnel qu’il faut avoir à propos de certaines choses, oui, je suis d’accord, ok. Mais de manière générale, lorsqu’on ferme les portes quelque part, il s’installe un sentiment de méfiance, en fait, qui peut virer à la défiance. Et c’est ça qu’on veut éviter.

L’école, encore une fois, c’est un lieu qui accueille des enfants qui deviendront peut-être élèves, mais qui ne sont pas les nôtres. On nous les a juste confiés pendant quelques heures pour x ou y raison. Et nous on essaye d’en prendre soin et de faire en sorte que lorsqu’ils en sortent, eh bien, ils aient cette appréhension un peu plus juste de l’altérité en fait. On essaye de faire en sorte que… Parce qu’il ne faut pas oublier que demain, après-demain, la société dans laquelle on vit, ce sera la leur en fait. Ils seront aux commandes comme on est aux commandes aujourd’hui et on veut faire en sorte que ça se passe le mieux pour tout le monde. Donc comment est-ce qu’on fait concrètement?

Bah c’est les expériences de vie en fait, à chaque fois qu’on va se retrouver avec peut-être une scène qui s’apparente à, je sais pas moi, des choses qu’on n’apprécie pas en fait, de la colère,… j’allais dire de l’animosité, mais non c’est pas ça mais… Toutes ces interactions, en fait, qui ne sont pas souhaitables à l’extérieur de l’école, on va essayer de les prendre, les traiter, les décortiquer pour essayer de les expliquer et essayer de faire comprendre qu’il y a des solutions. Parce qu’il ne faut pas non plus nier ce que les gens ressentent, il ne faut pas non plus essayer de… Comment dire ça? Des interactions naissent d’autres interactions. Voilà. Là, on est en train de discuter, toi et moi, Mais si ça se trouve dans un autre contexte, toi et moi on serait en train de s’insulter en fait.

Parce que tu, ou j’espère que non évidemment, mais ça t’es déjà arrivé d’insulter quelqu’un ou de penser quelque chose de négatif à propos d’une personne. Ça veut pas dire que foncièrement cette personne est une personne qui mérite toutes les atrocités du monde. Non, c’est pas ça. Mais du coup, lorsqu’on se retrouve dans ce truc-là, comment est-ce qu’on fait pour quand même continuer à vivre ensemble ? Lorsque tu travailles avec une personne et que c’est ton collègue et que c’est une personne que tu trouves hautement exécrable, détestable, comment tu fais pour tous les jours continuer à aller la voir et faire en sorte que vos rapports restent le plus cordiaux possible parce qu’en fait cet espace n’est pas fait juste pour toi, il est fait aussi pour lui, pour elle.

C’est ça en fait qui nous intéresse à l’école et le meilleur moyen de réussir à faire ça c’est de ne pas nier lorsque la situation arrive de laisser peut-être se passer en lui donnant un petit cadre et ensuite de revenir dessus tu vois parce que c’est ça l’expérience. Je le disais tout à l’heure pour moi dans ma pratique ça vaut pour tout le monde en fait lorsque tu as vécu une situation plusieurs fois forcément t’en retire des enseignements. Ca on le voit l’exemple sportif est le meilleur. Les gens qui s’entraînent constamment ne progressent pas à pas de géant en fait, ils progressent à pas de fourmis, j’ai envie de dire. Tous les jours, t’as appris un petit truc, ce qui va faire que le jour de la compétition, ben en fait on aura l’impression qu’il y a eu un grand gap.

Mais non, ça fait un an que tu t’entraînes à faire ces petites choses-là. Maintenant, ça se voit. Mais en fait, c’est pas le travail d’hier, c’est le travail de 365 jours.

Clémentine Sarlat :C’est pour ça que tu as voulu être présent sur les réseaux sociaux avec ton compte pour pouvoir parler de la réalité de l’intérieur d’une classe ou d’une école pour que ce soit pas justement imperméable au monde extérieur?

Mouhamadou : Absolument, parce qu’en fait je me suis rendu compte… Le compte je l’ai ouvert pendant la période du confinement parce que je me rendais compte qu’en échangeant avec les parents au téléphone en fait. Il y avait tout un tas d’informations que je pensais qu’ils avaient et qu’ils n’avaient pas. Et je trouvais ça dommage. Et en fait, j’en suis arrivé à la conclusion qu’il y a vraiment certaines choses qui, pour moi, ne méritent pas de n’être pas dites. Voilà. Il faut les dire. Ça concerne vos enfants. Venez, on en parle. Quand je le dis, ça veut pas dire que moi j’ai les solutions. Je pars d’un constat, et je me dis peut-être que même vous avez des éléments qui vont m’aider dans ma pratique lorsque je serai avec votre enfant plus tard, en fait. Voilà.

Alors, sur le compte, je parle de choses générales, parce que je pense que c’est des questions qui… Qui touchent tout le monde, ou qui interpellent tout le monde, qui intéressent tout le monde, ou beaucoup de monde en tout cas. Mais l’enjeu, ouais, c’est celui-là. C’est juste ouvrir les portes de l’école. Je veux pas qu’on se dise…

Peut-être aussi parce que je suis assez assuré aujourd’hui dans ma pratique pour pouvoir me dire mais il y a des choses sur lesquelles j’ai pas les solutions en fait voilà. Et parfois je les ai, mais ça reste intéressant d’écouter les gens et d’échanger parce que ma pensée peut évoluer en fait peut-être que oui vous avez des éléments encore une fois qui vont m’aider peut-être que j’ai des éléments qui vont vous aider mais en tout cas si c’est pour le bien-être de cet enfant à l’école et peut-être plus tard en dehors de l’école dans la société en fait on ne perd rien du tout à ne pas en parler. Venez on en parle, venez on en parle. On sera en accord ou en désaccord mais on aura avancé un tout petit peu je pense.

Clémentine Sarlat : Qu’est-ce qui te fait kiffer dans le fait d’être professeur des écoles aujourd’hui?

Mouhamadou : Franchement c’est… Pour moi il n’y a rien de mieux que lorsque je suis en classe ou dans l’école, avec les élèves et les collègues. Monter des projets, apprendre telle ou telle chose. Encore une fois, me poser des questions pour savoir comment est-ce que, lui ou elle, je vais pouvoir lui faire rentrer cette notion dans la tête, alors qu’à la base, j’ai l’impression que c’est quelque chose qui ne l’intéresse pas. Je parlais tout à l’heure des cycles 3, CM1, CM2 avec l’histoire. Souvent, souvent je dis bien, c’est pas contre mes collègues historiens, mais c’est une matière qui n’a pas, en élémentaire en tout cas, qui n’a pas beaucoup la cote. Et ce n’est pas parce qu’elle n’est pas intéressante, c’est parce que souvent, je crois qu’on ne la rend pas intéressante.

Parce que qui peut dire que l’histoire n’est pas intéressante lorsqu’on s’y connaît un tout petit peu? Ça nous donne un éclairage sur les temps modernes dans lesquels on vit en fait. Mais les enfants, ils n’ont pas ce recul-là. Et du coup, il faut rendre la chose dynamique pour mettre de l’intérêt dedans. Et quand on réussit à faire ça, C’est magique. Les enfants reviennent avec des choses qu’on leur a racontées, des faits historiques, ils sont rentrés chez eux, ils sont partis chercher d’autres informations, donc ils reviennent avec des choses plus précises qu’ils vont apporter ensuite à la classe. Il y a une espèce de cercle vertueux qui se met en place en fait, et c’est… C’est juste trop chouette. C’est trop chouette. Et nous on est là pour essayer de mettre un cadre, et quand ça fonctionne en fait ça roule tout seul.

Et les élèves se nourrissent les uns des autres. “Mais trop bien! Est-ce que moi aussi maintenant je peux faire un exposé sur ça? Parce qu’on l’avait vu la dernière fois et tout”. “Allez hop, c’est free, bien sûr, vas-y”. Et les autres ont envie de faire de même et c’est… C’est mortel. Et c’est ça que je kiffe en fait. Le fait d’être dans la classe. À faire vraiment mon métier. Tout ce qui est à côté, j’ai envie de dire, tout ce que je trouve n’est pas mon métier en fait, je n’aime pas ça. Parce que c’est pas pour ça à la base que j’essaie de faire ce métier. Tout ce qui va rentrer dans l’ordre de l’administratif, des choses qu’on va nous demander un peu en plus, ou parfois c’est des choses dont peut-être je n’ai pas compris l’intérêt, il faut aussi le dire. Je n’apprécie pas trop, je le fais parce que c’est mon métier mais je n’aime pas trop.

Clémentine Sarlat : Est-ce que t’as la sensation qu’en étant remplaçant, t’as le temps de mettre en place des projets, t’as le temps de construire quelque chose? Ça c’est pas un peu frustrant pour toi?

Mouhamadou : Ça ça l’est. C’est le côté négatif. Le côté positif c’est que oui, je vois beaucoup de monde, je suis dans plein de situations différentes et pour ma réflexion personnelle c’est trop bien. Mais le côté négatif c’est celui-là, c’est que t’as pas, ou très rarement en tout cas, l’occasion de revenir quelque part. Et de mettre en place un projet sur le long terme. C’est la chose qui me manque.

Clémentine Sarlat : Parce que tu peux être remplaçant combien de temps? C’est quoi la durée de remplacement?

Mouhamadou : Là cette année, par exemple ? C’était… Allez, au maximum j’ai fait une semaine pour l’instant. Voilà. Donc c’est des remplacements qui sont très très courts. Et ça c’était lorsqu’il n’y avait pas de formation, sinon c’est des choses qui font une journée, deux jours. C’est vraiment très très bref.

Clémentine Sarlat : Et tu reviens jamais à l’école 2-3 jours?

Mouhamadou :  Ça arrive que je revienne, si, parce que c’est des formations qui sont actées dans un calendrier particulier et on sait que sur l’année, eh bien, il y a de fortes chances que je revienne à un autre moment. Mais bon voilà, à ces moments-là, si on sait que c’est vraiment moi qui vais être là, alors on peut échanger nos coordonnées avec les enseignants et se dire “voilà, peut-être que lorsque tu reviendras, tu pourrais bosser sur ci ou sur ça”. Mais 90% du temps, c’est pas le cas.

Clémentine Sarlat : C’est un one-shot.

Mouhamadou : C’est un one-shot.

Clémentine Sarlat : Donc toi, tu dois être excellent H24, quoi. Un peu, c’est ça, non?

Mouhamadou : Ouais, et si je le suis pas, je donne pas mon nom, comme ça je sais que personne ne me retrouve. “Il y a un mec, il est venu une fois, il était prof, on n’est même pas sûr. Je sais pas qui c’était”.

Clémentine Sarlat : On sait pas. Monsieur M. Non mais c’est vrai que c’est un exercice particulier parce que t’es pas dans le temps long où tu peux construire quelque chose, où… Déjà tu dois gagner leur confiance en deux. J’imagine que jamais à la fin de la journée tu connais tous leurs prénoms, si ça t’arrive?

Mouhamadou : Oh ça dépend, si, je crois que tu vois, ça c’est l’expérience qui rentre. On se dit “mais il y a un moment donné…”, et même moi je suis étonné, je me dis “ouais, si, je m’en souviens”. Ce qui se passe parfois, c’est que, c’est très rare, mais cette année ça m’est arrivé, de revenir sur une école… dans une école, où j’avais été il y a deux ans, et en fait non seulement les élèves se souvenaient de moi, mais moi je me souvenais d’eux. Et c’était pas pour les raisons qu’on pense. C’est pas genre ça s’est super bien passé tout ça. Non, ça s’était pas bien passé. Je me dis… mais c’est fou parce qu’en fait ils sont venus me voir et c’était dingue.

J’arrive dans la cour et, c’est pas bien ce que je vais dire parce que les gens vont dire mais il se la raconte lui, mais c’est vraiment ce qui s’est passé, c’est-à-dire je suis arrivé dans la cour et les élèves se sont mis à crier. Genre,”c’est monsieur…! ”. Je donne pas mon nom de famille, mais ils ont crié mon nom de famille et ensuite ils sont venus autour de moi, y’en a qui m’ont pris dans leurs bras, tout ça, et j’étais là, genre…

Clémentine Sarlat : “Mais ça s’est mal passé les gars, pourquoi vous venez voir?”

Mouhamadou :  Mais oui ! Mais c’est qu’en fait, ma notion du mal passé n’est pas la leur. C’est que je me souviens, c’était une classe qui était déstructurée en fait, tu vois. Et malheureusement pour moi, parce que c’est quelque chose que je n’aime pas faire, eh bien, j’ai dû axer une bonne partie de… J’avais été un peu plus longtemps à ce moment-là, j’avais été… Une semaine, je crois, justement. J’avais dû axer les premiers moments sur la discipline, en fait. Revenir sur quelques règles de base. Quand on veut parler dans le collectif, on lève le doigt. Si tu ne lèves pas le doigt, je ne t’écoute pas. Ce n’est pas contre toi, mais les règles sont faites pour tout le monde, en fait. Parce que si tout le monde fait exactement comme toi, on ne s’entend pas. Ce n’est pas possible.

Donc, des choses comme ça que je n’aime pas faire, que j’ai dû faire. Et pour moi, c’était pénible. Donc, j’en ai gardé un souvenir mitigé. Mais pour eux, c’était cool. C’était cool, ils ont passé un bon moment, ils se souvenaient de ce qu’on avait fait, tout ça, et je reviens et ils se mettent à crier mon nom à 8h30 dans la cour, les autres profs qui me regardent un peu bizarrement, genre “c’est qui lui?” On l’a jamais vu sur l’école, parce que l’effectif il a changé entre temps, tu vois. Et c’était fou, c’était fou, c’était fou, ouais. Un super souvenir.

Clémentine Sarlat : T’es confronté quand même, même en n’étant pas de manière longue avec les élèves, à des situations difficiles. Évidemment il y a le harcèlement scolaire, aujourd’hui on en parle beaucoup. Comment toi tu gères, sachant que tu les as pas longtemps justement, et que tu connais pas toutes les histoires qu’il y a eu entre… 

Mouhamadou : C’est délicat. J’essaye de faire sur le moment avec les informations que j’ai. Lorsque j’ai l’occasion d’aller voir les autres enseignants, je le fais parce qu’ils ont plus d’informations que moi. Que ce soit sur le ou les enfants en question, que ce soit sur le contexte familial parce qu’il peut y avoir des choses qui relèvent de ça aussi. Je n’hésite pas en fait à aller piocher les informations aux endroits où je pourrais les trouver, mais ce qui m’intéresse, moi, c’est le temps présent. Tu disais tout à l’heure, voilà, par rapport au projet sur le long terme et tout, moi je prends les remplacements, tels qu’ils arrivent, comme si c’était finalement des mini-années scolaires.

C’est-à-dire que si je suis là pendant une semaine, sur les 36 semaines de l’année, pour moi, mon année scolaire, elle commence lundi et elle se termine vendredi avec vous. On va faire le max pour que ça se passe bien. Je vais chercher juste le maximum d’informations, mais je vais aussi rester sur le temps présent. Qu’est-ce que moi je peux faire à cet instant-là pour essayer de solutionner la situation? Et pour ça, il n’y a pas 50 000 secrets. C’est la bienveillance, j’allais dire. Mais la bienveillance, qu’est-ce que ça veut dire? Je vais essayer de donner un exemple concret. Un élève me dit que, je sais pas, c’est un truc peut-être que j’ai déjà raconté ou je raconte autre part, mais un élève me dit, me laisse comprendre que, allez, oui, voilà, je vais donner un exemple :

Un élève fait quelque chose qu’il ne devait pas faire, et je lui dis, ben écoute, fais gaffe, parce que si tu continues ce soir, tes parents s’ils me posent la question, je vais sûrement leur dire la vérité, à savoir ce que tu as fait. Parce que ça aussi ça arrive, les parents viennent te voir le soir, ils disent “voilà comment s’est comporté mon enfant, comment s’est passée la journée”. Je suis pas un menteur, je vais pas mentir pour toi, je vais dire la vérité. Donc voilà, il me dit “oh non il faut pas”. Je dis “mais pourquoi?” Il me dit “parce que sinon je vais être privé de (je sais pas moi) de judo”. Je lui dis “ok d’accord, donc là en fait, tu sais que t’as fait quelque chose que tu devais pas faire, ok, mais tu me proposes en fait de te couvrir, pour que toi tu puisses profiter d’un truc que tu trouves cool, alors que ce que tu viens de faire n’était pas cool, que ce soit pour moi ou pour toi ou pour les autres.”

“Qu’est-ce qu’on fait maintenant? Qu’est-ce qu’on fait maintenant? Bah viens, on réfléchit. À cet instant-là, si jamais je devais rencontrer tes parents, malheureusement ta séance elle saute, parce qu’encore une fois je suis pas un menteur. Mais peut-être qu’à partir de cet instant-là, qu’on s’est dit les choses, tu vois, eh bien, si tu fais ce que tu as à faire, tu le fais correctement, ben en fait, ce que je vais dire à tes parents va changer aussi, parce que je serai dans une autre vérité, une autre vérité que t’auras mise en place.”

“Viens, on va dans cette direction-là, comme ça, si jamais on me pose la question, je n’aurai pas à mentir, je dirai cette vérité-là parce qu’elle sera plus immédiate”. Voilà, c’est des choses comme ça que moi j’essaie de mettre en place. Alors, on n’est pas sur le harcèlement, tu vois. Mais, j’allais dire quelque part, c’est pareil. Lorsque tu te retrouves dans des situations qui ressemblent à du harcèlement, parce que le harcèlement, tu sais, c’est un terme qui est revenu peut-être à la mode aujourd’hui, mais lorsqu’on en parle, on est souvent pas d’accord sur la définition, je sais pas si je te pose la question, ce que c’est que le harcèlement, qu’est-ce que toi tu me dirais?

Clémentine Sarlat : Quand il y a un effet de groupe face à un individu, qui est exclu, et qui est en souffrance, dans la sphère de l’école, ouais.

Mouhamadou : Tu vois là c’est bien parce que tu me dis sphère de l’école, c’est-à-dire toi tu parles du harcèlement scolaire, si jamais on devait l’écrire, il y aurait l’adjectif scolaire à côté. Pourtant le harcèlement c’est le mot le plus important, et il n’est pas que scolaire.

Clémentine Sarlat : Non mais parce qu’il est en dehors de l’école, pour les plus grands aussi, via les téléphones.

Mouhamadou : Via les téléphones, tout ça, mais pareil, tu restes sur le domaine de la jeunesse et quelque part du scolaire. Mais le harcèlement, on le retrouve partout.

Clémentine Sarlat : Bien sûr.

Mouhamadou : On le retrouve partout. Je te dis ça, moi j’ai lu des études qui disaient que 20% des profs étaient harcelés.

Clémentine Sarlat : Par les parents?

Mouhamadou : Par des profs.

Clémentine Sarlat : Par d’autres profs?

Mouhamadou : Par d’autres profs. Et oui. Donc voilà, c’est un truc qui est sociétal. Et du coup, pour trouver des solutions, en réalité, il faudrait mettre tout le monde autour de la table. Mais il n’y a pas, je crois…

Clémentine Sarlat : Sauf que là, t’es seul.

Mouhamadou : Là, t’es seul. Donc, qu’est-ce que tu fais? Le harcèlement, si jamais on devait définir, moi j’ai une définition, c’est la répétition de propos ou de comportements ayant pour but ou effet la dégradation des conditions de vie d’une victime. Il y a des mots qui sont importants dedans, voilà, c’est l’aspect répétitif, parce que si jamais il n’y a pas répétition, ça veut pas dire que c’est pas grave, ça veut juste dire que c’est pas du harcèlement, il faut qu’il y ait répétition. Ça peut être des propos ou des comportements, ça veut dire des gestes ou des paroles. Tu parlais tout à l’heure du harcèlement sur les réseaux, cyberharcèlement, c’est des paroles qui vont avoir, voilà…

Pour effet ou pour but, ça c’est intéressant parce que si jamais c’est un but, c’est quelque chose qui a été visé en fait, alors que si c’est un effet, c’est quelque chose qu’on ne voulait peut-être pas. Et des personnes qui malheureusement vont jeter d’autres personnes dans une situation de harcèlement sans l’avoir voulu, il y en a aussi. Et lorsqu’on est conscient du fait qu’on peut mettre une situation de harcèlement sur une personne sans l’avoir voulu, et bien en fait on se rend compte que peut-être on peut faire partie du problème soi-même. Voilà. Et que ça dépasse le cadre de l’école, ça dépasse même au sein de l’école juste le cadre des élèves. Les enseignants qui font partie de la communauté éducative peuvent être des éléments de ce harcèlement. Et il faut le reconnaître aussi, tu vois.

Et j’ai pas l’impression que ce soit fait tout le temps. Là je ne jette pas la pierre à mes collègues, je dis juste au niveau de la conscience qu’on a, de l’effet qu’on a dans le groupe scolaire, et bien…

Clémentine Sarlat : Il y a eu un cas d’une professeure condamnée pour une élève qui s’est suicidée.

Mouhamadou : Oui.

Clémentine Sarlat : Donc on le sait que ça peut arriver.

Mouhamadou : On sait que ça arrive, malheureusement. Mais ça reste… Bien sûr, heureusement…

Clémentine Sarlat : Bien sûr.

Mouhamadou : Ou malheureusement, très très rare. Je ne sais pas, parce qu’est-ce qu’on a tous les cas en fait où ça se passe? Je ne sais pas. En tout cas, lorsqu’on a cette définition là, en tête, et qu’on arrive dans certaines situations, à l’instant T, moi ce que je peux me dire c’est “est-ce que ça, ça ressemble à la définition que j’ai en tête?”

Clémentine Sarlat : Oui parce que je te parlais de ça, c’est que tu sais pas l’historique, s’il y a eu répétition ou pas, si ça fait des mois que ça dure, donc t’arrives à l’instant T.

Mouhamadou : J’arrive à l’instant T, mais parfois sur l’instant T, des choses peuvent faire penser que ce n’est pas la première fois. Ce n’est pas la première fois. J’étais sur un événement il n’y a pas très longtemps et je racontais cette histoire d’un enfant qui, au moment, d’ailleurs cette histoire je l’ai racontée sur les réseaux, cet enfant je l’ai nommé Jacques, en disant que j’arrive dans la classe, et on se présente, tout ça. Et puis je demande aux élèves de se présenter, moi j’aime bien faire ça. Pourquoi? Parce que leurs prénoms sont les leurs en fait, et ils vont les prononcer mieux que moi. J’ai toujours une liste, mais la liste, même si elle me donne les prénoms, bah en fait elle me dit pas qui sont les enfants. Donc je vais vous appeler, vous allez me dire présent, je vais pas forcément bien l’enregistrer.

Là tu me donnes ton prénom, tu t’appelles Clémentine, je vois ton visage, je l’entends avec ta voix, tu l’as bien prononcée, je vais essayer de répéter correctement. Je trouve que c’est mieux. Et puis tout de suite on est dans une interaction en fait, voilà. Donc je fais ça et puis on fait notre petit tour et tout. Il y a un moment donné où ça arrive, enfin le tour d’un autre élève arrive et cet élève là il n’a pas le temps de se présenter que d’autres élèves prennent son temps de parole pour le présenter à sa place. Alors eux n’ont pas de mauvaises intentions, c’est gentil de leur part. Parce qu’ils veulent me prévenir en fait. “Oh! Attention! Lui, c’est un élève qui fait souvent des “bêtises””. Je mets le mot entre guillemets parce que c’est pas un mot que j’affectionne particulièrement.

“Lui fait souvent des bêtises, maître. Quand t’es pas là, la maîtresse elle le punit. Parfois, il se retrouve dans une autre classe. Il fait souvent des choses qu’il doit pas faire, tout ça”. Donc, ils me disent ça. Et c’est gentil dans leur bouche, tu vois. Mais ils n’ont pas respecté la consigne. Ils viennent de prendre la parole à la place de leurs collègues. Là, la question que je me pose, c’est… Pour qu’ils se permettent de faire ça aujourd’hui, là, devant moi alors que moi, je suis un nouveau prof. Est-ce que ça s’est pas déjà produit, ça? Forcément, ça s’est déjà produit. Parce que t’es pas en confiance comme ça, sinon. Tu vois? Donc l’élément répétitif, en fait, je l’ai déjà. Est-ce que les conditions de vie de l’élève sont dégradées? Bah c’est sûr et certain.

Quand t’es là et que tu peux même pas te présenter toi-même, excuse-moi, t’es pas dans les mêmes conditions que les autres élèves. Alors c’est des toutes petites choses, tu vois. Mais c’est l’expérience qui fait qu’au bout d’un moment, t’arrives à les voir.

Clémentine Sarlat : Tu sais.

Mouhamadou : C’est ça. Et donc tu te dis “mais comment est-ce que tu vas faire en sorte de…”

Clémentine Sarlat : En fait, il est déshumanisé, là.

Mouhamadou : C’est ça, quelque part. On lui donne pas ce que les autres ont, tu vois. Et du coup, peut-être que les autres portent ce regard sur lui en disant mais… “Ouais, de toute façon, toi tu fais plein de bêtises, t’es toujours puni de toute façon. Ouais non, moi je traîne pas avec toi parce que je sais que sinon je vais être dans la galère à cause de toi”. Waouh, est-ce que c’est vraiment vrai? Ou est-ce que c’est à force de… Et puis même cet élève, tu vois, il se dit “mais finalement, si c’est le rôle qu’on attend de moi, mais je vais le remplir! Je vais le remplir! Je vais faire une bêtise, je vais être puni, et tout le monde va être content. Chacun à sa place, c’est cool”. Waouh! Ok, et moi, je fais quoi, moi, du coup? Je fais quoi avec ça, cette information?

Bah non. Généralement, je propose de recommencer la journée, de repartir à zéro, avec un petit speech disant, voilà, j’essaie de remettre tout le monde à sa place. “Eh, ce que vous avez fait là, c’est pas chouette. C’était pas la consigne. Chacun devait se présenter. Lui n’a pas eu le temps de se présenter, ou elle n’a pas eu le temps de se présenter, on va recommencer et on fait comme si rien ne s’était passé. Parce que je ne le connais pas en fait, je ne suis pas la maîtresse, je n’étais pas là. Pour l’instant il ne s’est rien passé avec moi”. Finalement on se donne une chance en fait.

Clémentine Sarlat :Ouais.

Mouhamadou : C’est important je crois.

Clémentine Sarlat : Mais c’est vrai qu’à chaque fois, ça veut dire que tu construis sur un temps tellement court que tu dois mettre en place toutes tes meilleures cartes pour les mettre dans des conditions où ils peuvent te parler. Est-ce que, justement, en étant prof vous êtes confronté à la misère sociale, à la violence qui vient de l’extérieur de la maison, de l’école justement, qui vient parfois de la maison. Est-ce que parce que tu vas passer de manière éphémère, les élèves ils vont plus se confier à toi? Ils vont venir plus te dire des choses parce qu’ils savent que tu vas repartir et que du coup c’est plus facile?

Mouhamadou : Waouh! C’est la première fois qu’on me pose cette question, c’est une très très bonne question. Parce que des choses effectivement j’en entends. Et ça pourrait être une des raisons. Ouais. Je ne sais pas. Il faudrait attendre que… Un des élèves que j’ai eu, soit en âge de me retrouver peut-être sur les réseaux et de s’exprimer sur la question, dire “je sais que je lui ai parlé parce que justement j’avais conscience de…”, je n’en sais rien. Peut-être de manière inconsciente, ouais, ça peut arriver.

Clémentine Sarlat : Mais tu sens que les élèves se confient?

Mouhamadou : Oui, ils me racontent plein de choses.

Clémentine Sarlat : Ce que tu en as parlé il n’y a pas longtemps sur les réseaux sociaux de cette posture protectrice que vous devez avoir. Vous en tant que professeur, d’ailleurs c’est votre rôle, vous devez signaler quand il y a des problèmes. Ce n’est pas toujours fait, ce n’est pas toujours simple. Le système n’est pas non plus hyper pratique pour vous. Mais c’est votre rôle, et ça je pense qu’il y a beaucoup de gens qui ne se rendent pas compte que vous devez signaler. Quand il y a violence à la maison, quand il y a abus, quand il y a… Peu importe ce que c’est, ça t’est déjà arrivé plusieurs fois dans ta carrière d’aller loin et devoir faire ça pour protéger un enfant?

Mouhamadou : Ça m’est déjà arrivé mais pas beaucoup. Et je sais pas si c’est une bonne chose. Parce que lorsqu’on regarde les chiffres apparemment… Près de… Je sais plus mais je crois c’est 2 à 3 enfants par classe.

Clémentine Sarlat : Je crois que c’est 5.

Mouhamadou : 5 ? Tu vois. Qui sont victimes d’abus réguliers dans le cadre familial, tu vois, proche.

Clémentine Sarlat : Et c’est même abus sexuels. Donc c’est, sur une classe de 25, on dit qu’il y aurait 5 enfants…

Mouhamadou : C’est énorme.

Clémentine Sarlat : Qui vivraient des situations d’abus sexuels à la maison.

Mouhamadou : C’est énorme. Et moi je sais que chaque année j’en ai pas fait 5. Donc je suis passé à côté de quoi? Est-ce que j’ai eu des promos où il y en avait moins? Ça m’étonnerait. Parce que les promos sont ce qu’elles sont. C’est juste qu’on n’est pas outillé pour déceler les signes tout le temps, tu vois. On n’est pas outillé pour accueillir la parole, tu vois. Et dans la formation des enseignants, peut-être il manque ça. C’est facile à dire, je sais. De dire “oui voilà, on a remarqué ça sur le terrain”. Il faudrait nous former sur ça. Comment on vous forme sur ça? Je ne sais pas.

Clémentine Sarlat : Vous n’êtes pas assistante sociale en fait. Enfin voilà, c’est aussi pas votre métier.

Mouhamadou : C’est pas notre métier. Donc on a besoin de ces personnes-ressources, c’est sûr et certain. Et tu vois, en élémentaire, là où en tout cas je travaille, on n’a pas d’assistante sociale dans le premier degré. Il y en a au collège, il y en a au lycée. Mais ça ne veut pas dire qu’en élémentaire il ne se passe rien. Au contraire, tu vois, Et si peut-être on en avait en élémentaire, eh bien en fait on arrêterait certains processus. Parce que lorsque tu es au collège ou au lycée et que tu as été habitué à certains abus, l’être humain je pense qu’il s’habitue malheureusement à tout, il a une force de résilience qui est folle. Et chez les enfants encore plus. Lorsque tu es habitué, ça devient ta normalité. Jusqu’à ce qu’on te fasse vraiment comprendre que c’est pas normal.

Mais peut-être que parfois tu arrives à un âge où il est trop tard pour qu’on te dise que c’est pas normal. Tu te dis “bon, c’est passé”. Ca ne veut pas dire que tu n’avais pas conscience que ce n’était pas terrible mais on t’a tellement habitué à rester dans le silence que ton secret, tu le gardes et peut-être que tu le vis probablement d’ailleurs, tu le vis très très mal mais tu ne sais plus comment le raconter en fait voilà. Et puis parfois aussi on va te dire “si c’était vrai tu l’aurais dit avant tu ne l’as pas dit avant. Est-ce que c’est vrai finalement?” Waouh, c’est terrible. Donc non, il nous manque quelque chose, c’est sûr et certain. C’est sûr et certain.

Je sais pas, à part les assistantes sociales, auprès de qui on peut trouver ces ressources-là, mais il nous manque quelque chose. C’est sûr et certain. Parce que, oui, j’en ai fait quelques-uns, mais pas…

Clémentine Sarlat : Pas à la hauteur de ce que tu penses est le phénomène. Parce que c’est important aussi que les enfants sachent qu’à l’école ils sont protégés.

Mouhamadou : Absolument.

Clémentine Sarlat : Par les adultes.

Mouhamadou : Absolument.

Clémentine Sarlat : Est-ce que tu as la sensation que c’est possible avec les moyens que vous avez? Parce qu’encore une fois on n’est pas là pour dire vous faites bien ou mal. On sait que quand on est dans votre situation, il n’y a rien de plus difficile.

Mouhamadou : Je pense qu’au niveau institutionnel, ça va paraître comme une critique, mais c’est plutôt un état de fait. Et je crois que je ne suis pas le seul à le reconnaître, même au niveau de l’institution, je pense qu’on n’est pas… Non. Encore une fois, il nous manque beaucoup de choses. Mais au niveau de l’humain, au niveau de l’empathie, je pense que beaucoup, vraiment, font juste ce qu’ils peuvent, en fait. Voilà. C’est-à-dire que lorsque… Enfin moi en tout cas, quand j’entends qu’un élève me rapporte un secret, ou ce qui ressemble à un secret, quelque chose que je sais que je ne peux pas raconter à ses autres camarades par exemple, mais que je vais devoir signaler, parler à la direction par exemple, ben…

Sur l’instant évidemment je suis pris d’empathie, sur l’instant je vais rassurer, sur l’instant je vais dire que je crois parce que c’est important de dire aux victimes qu’on les croit quand bien même on aurait le doute en fait de se dire mais si ça se trouve c’est pas totalement la vérité ok d’accord. Peut-être aussi que c’était du hameçonnage. Le petit il t’a dit un tout petit truc, aujourd’hui, pour savoir juste ce qu’il en était, tu vois. Est-ce qu’il est dans mon camp, lui? Est-ce qu’il me croit ou pas? Ok, il reviendra peut-être plus tard pour te dire autre chose, et ce sera cette fois-ci la vérité. Donc sois prêt, en fait. Et à tout moment, pour que ce moment-là arrive, il faut déjà que, dans les prémices, tu lui fasses comprendre que t’es de son côté, que tu le crois.

Les enfants… alors parfois, ils affabulent un peu, parfois ils exagèrent un peu, c’est vrai, c’est leur réalité, mais parfois ils sont dans le concret. Et parfois, cette manière de raconter en exagérant est une manière d’adoucir une réalité qui est beaucoup plus terrible que ce qu’on imagine. Je crois qu’il faut toujours croire, parce que c’est comme les légendes. Peut-être, une petite part de vérité.

Clémentine Sarlat : Comment tu fais pour te protéger? Parce que vous avez affaire à un public, c’est des enfants, ça touche forcément. Il y a un moment où tu peux pas sortir indemne de voir un enfant qui est en souffrance, qui peut-être arrive à la maison, peut-être qu’il a pas mangé depuis 24 heures, à part à la cantine, ou il y a de la violence à la maison. Comment tu fais pour pas avoir envie de sauver tous les enfants que tu vois en détresse?

Mouhamadou : Je crois que j’ai envie de les sauver. C’est juste que je peux pas. C’est juste que je peux pas. Parce que je reste un être humain et qu’au bout d’un moment mes besoins physiologiques aussi font leur taf, tu vois. C’est-à-dire que quand t’es épuisé émotionnellement, tu tombes de fatigue, juste. Tu vois, et tu peux rien faire. Ça veut pas dire que lorsque tu vas te réveiller à nouveau, ces choses ne vont pas t’assaillir. Si, si, elles vont revenir. Et puis tu vas retourner dans l’école et à chaque pas que tu fais qui te rapproche de cette salle de classe, tu sais que tu vas voir le visage de cet enfant en lui demandant “Est-ce que finalement aujourd’hui, dans quel état je vais retrouver, tu vois? Est-ce que ça n’a pas recommencé?” Mais si, si, ça te marque.

Mais tu n’as pas d’autre choix, paradoxalement, que… Pour revenir, en fait. Mais il faut que tu partes. C’est bizarre, ce que je dis. C’est-à-dire que t’es obligé de sortir de l’instant pour pouvoir mieux revenir. Si jamais tu restes tout le temps dans la… Ben en fait, toi aussi tu tombes. Et t’es plus d’une aide pour personne. Voilà. Mais c’est… Moi je sais que c’est bizarre à dire parce que c’est un métier où finalement on ramène beaucoup de choses avec soi en fait. Lorsque les enfants, les familles parfois nous confient des choses qu’on a observées. À 16h30, on n’a pas oublié. Tu rentres chez toi, tu les as. Pendant que tu corriges les copies, tu prépares la classe, tu les as aussi.

Et toute cette fatigue mentale, toute cette charge mentale, qui est la même pour chaque enseignant, n’est pas forcément mise en lumière pour les autres. Et ça veut pas dire que les autres, qui ne sont pas enseignants, n’ont pas leur propre charge mentale. A chaque métier, ça charge. Mais celle-ci est particulière, c’est vrai, parce que c’est de l’humain. Je comparerais ça peut-être avec les médecins, comme tu as dit tout à l’heure, avec les infirmiers, avec toutes les personnes qui travaillent dans l’humain, les psychologues, tout ça. Parce que je crois pas que tu puisses totalement te détacher, en fait.

À chaque fois que t’entends, parce qu’en plus c’est pas juste une histoire que t’as entendue avec une voix, il y a un physique, il y a… tu vois, il y a un timbre, ouais c’est ça, il y a des mots précis et tu peux pas oublier mais…

Clémentine Sarlat :  Parce que ça, j’ai la sensation que c’est absolument pas quelque chose auquel on vous prépare. Parce que c’est vrai que c’est très beau votre métier. Vous donner des connaissances, vous armer un peu nos enfants pour qu’ils affrontent ce monde et qu’ils trouvent leur voie aussi, quelque part. L’école ça permet ça quand c’est bien fait. Mais en fait la réalité du terrain c’est pas tout à fait ça. Il y a des histoires, il y a de la souffrance. Comme tu dis, quand t’es face à un public où tu sais que ce soit toi ou un autre maître ou une autre maîtresse, ça changera pas grand chose à leur trajectoire de vie. Il y en a d’autres, tu sais que tu peux changer leur vie. Ça t’a frappé la première fois que t’en as pris conscience ou tu le savais en allant dans ce métier?

Mouhamadou : Lorsque je suis rentré dans le métier, je me suis dit éventuellement il y a cette possibilité là. Tu sais, il y a plein de… Je pense qu’on a tous nos raisons d’entrer dans le métier et moi je ne me leurre pas, tu sais, lorsqu’on me pose la question et tout, voilà comment tu te positionnes et tout, mais je sais que je suis un homme dans ce métier où il y a beaucoup plus de femmes, je sais aussi que je suis relativement jeune dans un métier où je crois que beaucoup de personnes sont un tout petit peu plus âgées que moi et que je ressemble à ce à quoi je ressemble aussi, je ne me leurre pas et que je sais que pour moi c’est pas important à chaque instant mais que parfois tu vois que dans les yeux ou dans les paroles de certains, ça l’est.

Clémentine Sarlat : Tu représentes quelque chose?

Mouhamadou : Absolument, absolument, à tort ou à raison, parce que, encore une fois, à chaque position ça charge, parfois on fait comprendre que j’ai un rôle.

Clémentine Sarlat : Oui, on voudrait te donner du militantisme que t’as pas…

Mouhamadou : C’est ça, et je suis pas outillé pour, c’est pas le moment, c’est pas parce que je suis là et que ça va fonctionner, non. Mais parfois ça arrive aussi et effectivement tu vois dans les paroles des enfants que ça a du sens. Quand on te dit que t’es le premier prof noir qu’ils ont, tu vois, prof marron, ça dépend, l’âge, parce qu’encore une fois il y a cette imprégnation un peu politique, tu vois, de savoir comment on se positionne ou comment on a appris ça. Mais parfois on me dit, ouais, j’ai jamais eu de soi, j’ai jamais eu de… Profs hommes.

Clémentine Sarlat : Déjà.

Mouhamadou : Et j’ai jamais vu de profs noirs. Voilà, ça arrive. Et quand ça vient d’un petit qui quelque part te ressemble, tu te dis peut-être que c’est pas si anodin que ça, tu vois. Voilà. Que j’en fais pas tout un foin, mais l’information je l’ai en fait. Et je peux pas faire comme si c’était rien. Non, tu me l’as dit. Ça voulait pas rien dire pour toi probablement.

Clémentine Sarlat : Ça t’avais pas confiance au départ, du coup?

Mouhamadou : J’avais pas forcément confiance, c’est quelque chose que j’imaginais, mais en même temps, voilà, je suis en Île-de-France, la mixité elle est plus ou moins là quand même, tu vois. Donc tu te dis peut-être qu’en fait non, tu fantasmes, parce que ça va, quelque part. Maintenant il y a des coins où…

Clémentine Sarlat : Non, la mixité elle est pas aussi forte qu’elle peut l’être ici. Ça c’est vrai. Et du coup pareil dans la mixité des profs.

Mouhamadou : Absolument, même si…

Clémentine Sarlat : Il y a de plus en plus de parcours un peu différents aujourd’hui.

Mouhamadou : Oui. Oui, oui, mais…

Clémentine Sarlat : On n’est pas obligé d’avoir été fils ou fille de professeur pour devenir professeur des écoles?

Mouhamadou : Non, non, non, bien au contraire. Moi, les enseignants que je rencontre, alors oui, encore une fois, il y en a : si, c’était tracé quelque part. Est-ce qu’ils feront ça toute leur vie? Je ne sais pas. Parce qu’il y a aussi un moment où tu…

Clémentine Sarlat : Tu veux te détacher.

Mouhamadou : C’est ça ! J’écoutais un de tes derniers podcasts où vous parliez de la construction adulte en fait, et de savoir comment l’adolescent, parfois, pas tout le temps, se construisait en contradiction avec ses parents. J’ai bien pu comprendre que toi c’était pas ton cas, t’avais pas fait de crise d’adolescence, tout ça voilà, mais il y en a certains qui la font, ils sont en opposition.

Donc je ne sais pas si ces professeurs qui ont eu ces trajectoires plutôt linéaires vont le faire toute leur vie, ou à un moment donné ils vont se dire “mais non, pourquoi est-ce que moi je fais ça en fait, ça se trouve je peux faire autre chose”. Ça arrive, mais beaucoup d’enseignants que je rencontre viennent d’autres mondes en fait.

Clémentine Sarlat : Et c’est plus riche, c’est mieux.

Mouhamadou : C’est beaucoup plus riche, personnellement je trouve que c’est mieux. Bah oui, tout ce que j’ai fait avant m’a servi pour aujourd’hui.

Clémentine Sarlat : On va terminer l’entretien, je me dis si tu devais parler à quelqu’un qui voudrait devenir un professeur des écoles ou qui débute juste sa carrière, qu’est ce que tu dirais à cette personne?

Mouhamadou : Je dirais fais gaffe. Fais gaffe parce que le métier est beau, mais il ne ressemble sûrement pas à ce à quoi tu t’attends. Ouais. Je sais pas si quelqu’un d’autre te l’a dit, je sais pas si on te le redira, mais c’est sûr et certain que tu vas en faire l’expérience. Et j’ai pas envie de te mentir. Ce métier est beau, mais c’est peut-être pas pour les raisons pour lesquelles tu entres dans le métier. 

Donc fais gaffe, parce que tu vas peut-être avoir certaines désillusions, mais au contraire, tu risques aussi d’avoir des moments magiques qui vont te faire reconsidérer les raisons pour lesquelles t’es rentré dans ce métier. C’est juste qu’il faut être sûr que t’es prêt à t’adapter en fait. Parce que les raisons pour lesquelles je suis rentré dans ce métier ne ressemblent pas aux raisons pour lesquelles je le fais aujourd’hui. Et je pense que c’est pareil pour beaucoup. Donc ouais. Fais gaffe.  Tu vas avoir un choc.

Clémentine Sarlat : Ah si j’ai quand même une dernière question. Est-ce que les parents d’élèves sont chiants?

Mouhamadou : Avec moi pas trop. Avec moi pas trop. Tu diras c’est du politique parce que si jamais je dis le contraire, si j’arrive pour un remplacement, on va me… Les parents vont dire “ah ouais, nous on est relous ?”. Donc voilà, c’est de la politique ce que je fais là. Non, les parents m’ont toujours bien accueilli et j’espère que ça continuera comme ça. Une extrême minorité parfois, cependant, me fait comprendre qu’ils ne sont pas très contents. Pas forcément de moi, mais du système scolaire.

Clémentine Sarlat : Ah parce que tu portes tout sur tes épaules.

Mouhamadou : C’est ça, parce que lorsque t’es prof, t’es sur le terrain en fait, tu vois. Et t’es représentant de cette institution.

Clémentine Sarlat : Vous êtes l’éducation nationale.

Mouhamadou : Exactement, exactement. Et parfois, on te remercie, alors que c’est l’institution qu’on voudrait remercier. Et parfois, on te finit, parce que c’est l’institution qu’on voudrait piétiner. Et ces moments-là ne sont pas agréables. Ça m’est déjà arrivé d’être là et d’écouter des doléances et tout en me disant – “mais… Mais c’est pas de ma faute, j’étais pas là, c’est pas moi”. – “Oui mais c’est parce que voilà, il s’est passé ci, et l’année dernière”, – “mais j’étais pas là. Ok j’écoute, ok d’accord, bah j’essaie de faire remonter, et je vais prendre en compte”. Mais parfois j’ai pas de pouvoir, je peux… Il faut le savoir ça.

Clémentine Sarlat : Parce qu’on caricature un peu les parents d’élèves dans les années 2020, on va dire, comme des parents hyper intrusifs qui contestent tout le temps l’autorité du professeur des écoles, la maîtresse ou le maître, qui va dire à tout va que mon enfant est HPI ou un TDA, c’est très grossier, je caricature évidemment. Est-ce que… On a exagéré le personnage de ce parent là ou est-ce que c’est une réalité aujourd’hui?

Mouhamadou : Oh ce parent il existe! Il n’est pas tous les parents loin de là mais ce parent il existe! Oui oui c’est sûr! Moi j’ai déjà… Je pense à des exemples, là j’en ai un qui me revient. Parent très gentil, qui vient me voir, j’étais avec une classe CM2 et tout, qui me demande en fait d’écrire une lettre de motivation pour son enfant qui va postuler pour une école privée. “Il faut absolument écrire, s’il vous plaît”, qu’en gros ça se passe super bien, que c’est un élève modèle, parce qu’il est en concurrence avec d’autres élèves, il n’y a pas beaucoup de place, tout ça et tout.

Et moi je suis là et je me dis “mais… bon, un, c’est pas mon taf”, parce que je suis là, on fait ce qu’on a à faire en classe, les cahiers sont là aussi, il y a les évaluations qu’on fait ensemble, il y a le livret scolaire, normalement ça suffit. Et puis surtout, en fait non, l’élève, non, il n’est pas comme vous pensez votre enfant en classe, quand il est avec moi. Donc si j’écris ce courrier, je vais mentir, je ne suis pas un menteur. Donc c’est délicat de parfois dire aux parents “attention, le regard que vous posez sur votre enfant, lorsqu’il est à l’école, c’est pas du tout le même regard qu’on pose sur lui”. Mais c’est extrêmement délicat parce qu’on a l’impression que… Quelque part c’est vrai, les enfants ça reste des enfants. Mais au bout d’un moment… Ils perçoivent aussi qu’ils ne sont pas dans le même espace avec les mêmes personnes.

Clémentine Sarlat : Ils sont malins.

Mouhamadou : Très malins. Très malins. Beaucoup plus malins que nous. Il y en a, sur le long d’une année, on se fait berner je sais pas combien de fois. Mais ça commence sur tout. Je sais pas, ça peut être le comportement général, mais ça peut être aussi sur les apprentissages. Il y en a un il va te faire croire qu’il a une posture absolument… Je veux dire… Modèle, j’ai envie de te dire tu vois. Tu dis mais alors lui c’est sûr et certain c’est un des élèves sur lesquels je vais pouvoir compter et en fait quand t’en parles avec les collègues ils te disent “fais quand même attention parce qu’il m’a fait le coup l’année dernière mais en fait c’est un fourbe de fou”. Il faut observer, tu vois, délicatement et c’est important de te faire ton propre avis.

Mais voilà, t’as ces cas de figures en fait où juste les élèves ils savent. Ils savent parfois comment te prendre, ils savent aussi comment parfois prendre leurs parents. Et il faut pas l’oublier. Donc oui, ce parent, il existe. Il existe. C’est pas tous les parents loin de là, mais il existe.

Clémentine Sarlat : Et je ne stigmatise pas du tout les enfants qui ont vraiment un TDA ou qui sont HPI et qui ont besoin d’accompagnement. Mais c’est vrai qu’on a caricaturé ces parents-là un peu intrusifs et qui vous contestent. Mais on en parlait juste avant de commencer le podcast que quand tu discutes avec des collègues plus anciens, ils te disent pas “c’est mieux” ou “c’est moins bien”, c’est juste que c’est complètement différent aujourd’hui le métier et les parents à qui vous avez affaire et les enfants que vous avez aussi aujourd’hui sont différents. Les enjeux sont différents.

Mouhamadou : Absolument. Il y a beaucoup de choses qui ont bougé. Parce que c’est pour le meilleur ou pour le pire. On ne saura pas maintenant en tout cas, mais oui c’est différent. En tout cas, les collègues… ils nous disent pas que c’est pire, mais parfois ils nous laissent comprendre quand même que c’était pas si mal avant. Je sais pas si c’est pour pas nous décourager tu vois.

Clémentine Sarlat : Ils prennent des pincettes un peu.

Mouhamadou : C’est ça, ils sont généralement bienveillants. Enfin c’est comme partout, il y en a qui sont bienveillants, il y en a qui le sont un peu moins, il y en a qui sont patients, il y en a qui sont… Agacés. C’est un métier où il y a de l’humain en fait, et au bout d’un moment, même si on se veut professionnel, le plus possible en tout cas, l’humain refait surface en fait, et on ne peut pas lutter contre ça je crois. Il faut juste pouvoir l’accepter, que ce soit au niveau des collègues, mais aussi au niveau des parents. Moi je leur en veux pas à ces parents là. C’est souvent des parents qui sont investis pour leurs enfants en fait. Ils ont juste de hautes aspirations pour eux, et ils veulent le meilleur pour leurs enfants, donc c’est cool.

Mais il faut… à chacun, quelque part, sa place. On a tous en tête l’intérêt de l’enfant, mais on n’a pas le même regard à poser dessus. Et on est censé, nous, à l’école, être un tout petit peu expert de ce qu’on fait. Ça n’a pas l’air qu’on est des experts en parentalité, non. On est juste pas trop mauvais dans nos domaines de prédilection.

Clémentine Sarlat : Qui est l’éducation… et l’enseignement ! Aller c’est vraiment ma dernière question. J’ai tergiversé là. Tu te vois faire ce métier toute ta vie?

Mouhamadou : C’est une question que je me suis déjà posée. Et au tout départ, je me disais oui. Et plus ça avance et… c’est pas un “non” qui est là, mais je me dis peut-être qu’il y a d’autres potentialités. J’aime vraiment beaucoup l’école, j’aime vraiment beaucoup mon métier, j’aime vraiment beaucoup être dans le cadre scolaire. Juste, je me dis, est-ce qu’il n’y a pas d’autres moyens de faire peut-être ce que je fais? Voilà. D’impacter ou d’essayer d’impacter autrement. Je ne sais pas. Je ne sais pas de quoi l’avenir est fait. Je ne me ferme aucune porte. Ce qui est sûr, c’est qu’à cet instant-là, maintenant, je suis plutôt heureux dans mon métier. Donc je vais continuer au moins un peu.

Clémentine Sarlat : La porte n’est pas fermée, elle n’est pas encore ouverte.

Mouhamadou : C’est ça, elle est entre-ouverte. Il y a des gens qui passent avec une lumière et tout, je me dis… Pas encore.

Clémentine Sarlat : Merci beaucoup d’avoir raconté ton quotidien, d’avoir mis des mots sur ce que vivent les enseignants aujourd’hui, même si c’est que ton expérience évidemment. Mais je pense que ça peut faire du bien aux parents de savoir quelles sont vos problématiques, vos enjeux et la réalité du terrain, qui est différente, comme tu l’as bien fait comprendre, de ce à quoi on peut s’attendre, même nous en tant que parents. Merci.

Mouhamadou : Merci à toi Clémentine, c’était un moment très agréable d’échanger comme ça, parce qu’on n’a pas forcément l’occasion d’avoir des moments off où soit on parle avec des collègues, soit on parle comme ça posément avec des parents, donc c’est moi qui te remercie. C’était très très chouette.

Clémentine Sarlat : Avec plaisir, merci !

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