Aujourd’hui on prend de plus en plus conscience que notre style de vie impacte notre santé, mais ça veut dire quoi exactement ? Pourquoi notre alimentation joue un rôle primordial ? Pourquoi prendre soin de son sommeil et de gérer son stress reste un des piliers de la bonne santé ? Comment notre microbiote influence notre humeur et nos fonctions cognitives ?
De manière très concrète, Emilie Steinbach neuroscientifique et microbiologiste, nous explique le fonctionnement de notre corps.
L’épisode regorge de bons conseils, d’exemples pratiques et d’informations primordiales pour notre santé.
En tant que parents, on souhaite sincèrement faire en sorte que nos enfants grandissent en bonne santé et parfois on oublie que l’alimentation est un outil puissant par lequel commencer.
Je suis ressortie de cette interview encore plus convaincue que nous devons passer le mot autour de nous et faire connaître ce savoir.
Alors surtout n’hésitez pas à partager cet épisode autour de vous.
TRANSCRIPTION ÉPISODE
Aujourd’hui, on prend de plus en plus conscience que notre style de vie impacte notre santé. Mais ça veut dire quoi exactement? Pourquoi notre alimentation joue un rôle primordial? Pourquoi prendre soin de son sommeil et de gérer son stress reste un des piliers de la bonne santé? Comment notre microbiote influence notre humeur et nos fonctions cognitives?
De manière très concrète, Emilie Steinbach, neuroscientifique et microbiologiste, nous explique le fonctionnement de notre corps et répond à toutes les questions dont j’ai parlé juste au-dessus. L’épisode regorge de bons conseils, d’exemples pratiques et d’informations primordiales pour notre santé.
En tant que parent, on souhaite forcément faire en sorte que nos enfants grandissent en bonne santé et parfois on oublie que l’alimentation est un outil puissant par lequel commencer est plutôt facile. Je suis ressortie de cette interview encore plus convaincue que nous devons passer le mot autour de nous et faire connaître ce savoir.
Alors, surtout, n’hésitez pas à partager cet épisode autour de vous, dans votre entourage, les parents, les grands-parents, les cousins, les cousines, les futures mamans, parce que ce sont des informations primordiales et on a besoin aujourd’hui de prendre soin de notre santé. Très important pour la société, oui.
Je vous souhaite une très bonne écoute. Merci d’avoir choisi la Matrescence.
Clémentine Sarlat : Salut Emilie!
Emilie Steinbach : Coucou!
Clémentine Sarlat : Je suis ravie de te recevoir dans le podcast de la Matrescence, je suis ravie de t’avoir en face de moi, parce que je sais que les interviews sont toujours plus intenses quand on n’est pas avec un écran entre nous deux. Je voulais te poser une première question parce que tu as beaucoup de diplômes, après 11 ans d’études enfin, tu viens de terminer tes études. Comment est-ce que tu t’es intéressée au domaine de la science?
Emilie Steinbach : Donc je pense qu’une qualité qu’on retrouve souvent chez les scientifiques, c’est d’être très curieux. Et je pense que ma curiosité m’a poussée à me poser plein de questions et à essayer de trouver des réponses. Et les sciences c’est quand même pas mal pour ça. J’avais envie de découvrir comment notre environnement fonctionne, j’avais envie d’être archéologue, puis géologue, et puis petit à petit, je me suis tournée vers la santé, sans doute à cause de mon histoire personnelle. Je dirais que la curiosité c’est ce qui pousse le plus, pour moi en tout cas, à entreprendre une carrière en sciences.
Clémentine Sarlat : Alors moi je suis curieuse, mais je voulais être journaliste. La science, c’était pas pour moi.
Emilie Steinbach : Dans mon cas, c’est la chose qui m’a permis de tenir le coup. Relever des challenges, répondre à des questions auxquelles personne n’a de réponse. C’est vraiment un gros challenge de faire une carrière en science. C’est tout le temps être face à un inconnu, devoir apprendre tout le temps de nouvelles compétences, des compétences parfois très compliquées. C’est un peu stressant. Et puis finalement, quand tu trouves des réponses ou que tu acquiers de nouvelles compétences, tu ressors avec beaucoup de fierté. Et la compréhension permet de, je pense, réduire un peu l’anxiété par rapport à plein de questions.
Clémentine Sarlat : C’est ce qui t’a le plus plu là-dedans? Que ça réponde à des questions, que tu puisses avoir un impact sur la vie des gens?
Emilie Steinbach : Oui, je trouve que ce métier donne un sens à ma vie. J’ai vraiment l’impression, tous les jours, de faire avancer les choses, de contribuer à faire de ce monde un monde meilleur en travaillant dans le domaine de la recherche médicale. Oui, vraiment, ça donne un sens à ma vie.
Clémentine Sarlat : Donc si tu devais te décrire, tu dirais que t’es neuroscientifique, t’es biologiste, t’étudierais quoi?
Emilie Steinbach : Alors je suis neuroscientifique de formation et j’ai fait un doctorat en nutrition et microbiologie. En fait, j’ai fait un doctorat où j’ai étudié un microbiote qui est très peu étudié (donc le microbiome c’est l’ensemble des micro-organismes qui vivent dans l’intestin) dans une maladie qui est l’obésité. Donc j’étudiais les relations entre le microbiote intestinal et l’obésité, donc une maladie métabolique, et puis l’environnement. Donc qu’est-ce que les participants mangeaient? le sport qu’ils font, le stress qu’ils vivent, et puis leur santé, donc des choses dans leur corps.
Clémentine Sarlat : C’est tout un écosystème au final. Aujourd’hui on a compris qu’il y a beaucoup de choses qui interagissent ensemble. C’est pas seulement toi t’as les gènes ou t’as mal mangé. Tout va ensemble.
Emilie Steinbach : Exactement. Et en fait je suis docteure en biologie intégrative. C’est un peu un nouveau champ dans la recherche médicale. C’est ne plus s’intéresser par exemple qu’à un seul gène, disons une mutation qui favorise l’épilepsie, c’est s’intéresser à la communication entre organes, par exemple la communication entre l’intestin et le cerveau, la communication entre notre organisme et notre microbiome intestinal, qui en fait n’est pas nous, ou même l’environnement.
Clémentine Sarlat : Pourquoi est-ce que spécifiquement tu as été sur cette partie-là du corps?
Emilie Steinbach : En fait, vraiment, la réponse, c’est que c’était très opportuniste. Donc quand j’étais dans les neurosciences, on n’étudiait que les neurosciences, comme si le cerveau, c’était une petite boîte en haut du corps qui permettait de piloter l’organisme, mais qui n’interagissait pas avec le reste du corps. Et puis, pendant mon deuxième master, un superviseur m’a proposé de faire une thèse sur le microbiome intestinal. Je n’en avais jamais entendu parler. C’était quand même il y a un petit temps, donc en fait, Il n’y avait pas encore eu le livre de Giulia Enders qui était sorti, on ne parlait pas vraiment du microbiote intestinal. Et alors, il m’avait proposé de faire une étude sur les transplants fécaux, dont je n’avais jamais entendu parler non plus, donc qui consiste à transplanter, on parle de transplants parce que maintenant le microbiome est considéré comme un organe à part entière. Donc un peu comme un transplant de cœur.
Et il me disait qu’on allait faire des transplants de microbiomes fécales, moi j’ai un retenu fécal, pour étudier des changements au sein du cerveau. C’était un truc un peu compliqué, donc je ne vais pas rentrer dans les détails. J’avais été dégoûtée, je m’étais dit “ce type est hyper spécial”. Apparemment c’était une collaboration internationale, donc mon doctorat serait entre Londres et Rome. Ça aurait pu être génial, mais j’avais dit “non” parce que je trouvais ça un peu spécial quand même. Mais bon, le moment de choisir mon doctorat est arrivé et je voulais vraiment étudier le lien entre l’environnement et nous, mais surtout le mode de vie. Donc le sommeil, l’activité physique et particulièrement la nutrition. J’avais déjà fait de la recherche dans le sommeil.
Et en fait, en cherchant, je me suis dit pourquoi pas le microbiote intestinal? Parce que c’est ni nous, ni l’environnement. Mais par contre, il répond à tout ce qu’on fait dans l’environnement. Il change et puis il a un impact sur nous. Donc en fait, c’était vraiment opportuniste. Me dire “c’est le champ d’études où je pourrais vraiment intégrer plein d’organes et plein de paramètres du mode de vie”. Et puis j’ai choisi l’obésité comme maladie sur laquelle j’allais me concentrer pendant quatre ans quand même. Parce que c’est une maladie aussi qui est extrêmement complexe et multifactorielle. Beaucoup de gens pensent encore qu’être atteint d’obésité, ça reflète un manque de contrôle de soi. Alors qu’en fait c’est extrêmement complexe. Donc ça me permettait d’étudier le cerveau, le comportement alimentaire, la nutrition, mais plein d’autres choses.
Clémentine Sarlat : Aujourd’hui, les transplants de matières fécales, on en parle beaucoup plus, ça te dégoûte moins. Tu pourrais l’étudier.
Emilie Steinbach : Oui, je pourrais l’étudier. J’ai travaillé quand même quatre ans sur le microbiome. J’étudiais le microbiome salivaire, le microbiome duodéno-jéjunal, donc c’est juste après l’estomac. En vrai, ça ressemble à du vomi. Et puis le microbiome fécal. Donc j’ai travaillé régulièrement avec ces échantillons. Et contrairement à ce qu’on peut croire, l’échantillon qui était le plus dégueulasse, c’est la salive. C’est vraiment répugnant. C’est dur de travailler avec cet échantillon. Je pensais que j’étais la seule, mais à chaque fois que j’avais des stagiaires ou des personnes qui venaient m’aider à traiter ces échantillons, c’est… Tu vois quand on travaille avec des petites pipettes comme ça? On doit couper le cône parce que c’est tellement visqueux que c’est impossible à absorber. C’est vraiment… C’est à une consistance qu’on ne peut pas imaginer.
Clémentine Sarlat : Tu t’es intéressée à cette partie là qui aujourd’hui on sait est primordiale même si chaque chercheur nous dit qu’il y a encore des dizaines d’années d’études dessus parce que vous commencez simplement à comprendre comment ça fonctionne. Est-ce que vraiment l’alimentation ça peut impacter notre cerveau?
Emilie Steinbach : Oui. Totalement.
Clémentine Sarlat : Comment? Et pourquoi?
Emilie Steinbach : De manière indirecte par le microbiome intestinal et de manière directe parce que Ce qu’on mange, les nutriments qu’on mange vont finalement pouvoir faire leur chemin par la circulation jusqu’au cerveau. Donc par exemple les acides gras oméga 3, il y a différents types d’acides gras oméga 3, j’essaie de te donner quelques exemples pour que ça soit clair. T’as différents types d’acides gras oméga-3, dont des acides gras à chaîne plus longue, comme l’EPA et la DHA, et il faut savoir que ces acides gras oméga-3 vont s’incorporer dans le cerveau, ils vont s’incorporer dans les petites cellules du cerveau et jouer des fonctions. C’est des molécules qui sont importantes pour la bonne construction, je vais dire, le bon développement du cerveau.
Clémentine Sarlat : On trouve dans les huiles?
Emilie Steinbach : On en trouve, l’OPA et la DHA, en fait, on les appelle souvent les acides gras marins. On les retrouve surtout dans des poissons gras. Et en fait, je pourrais te montrer, j’ai un graphe que j’ai fait avec la teneur en acides gras oméga 3, mais aussi la teneur en mercure. Donc, je recommande, si vous voulez avoir un apport intéressant d’acides gras oméga 3, de consommer sardines, harengs, macros, truites arc-en-ciel, le saumon également, les anchois je pense que je ne l’ai pas dit, ça ce sont des poissons qui sont très riches en acides gras, oméga 3, EPA et DHA, mais pauvres en mercure. Tandis que d’autres poissons comme le thon, ou pire le requin, il y en a un… Un poisson qui a un très long bec comme ça… L’espadon ! Ca ce sont des poissons qui ont une haute teneur en mercure et qu’il faut éviter, particulièrement pour les femmes enceintes. Par exemple, ça c’est un exemple de lien direct entre ce qu’on mange et le cerveau. Il faut aussi se dire que tous les petits neurotransmetteurs qui sont synthétisés dans le cerveau, il y en a certains qui sont synthétisés uniquement à partir de petites molécules qu’on retrouve dans l’alimentation, par exemple dans les protéines. La sérotonine qui est un neurotransmetteur impliqué dans l’humeur, dans le contrôle de la prise alimentaire et qui est un peu problématique dans la dépression par exemple, il est synthétisé à partir d’un acide aminé qui s’appelle le tryptophan et qu’on retrouve que dans l’alimentation, c’est un acide aminé dit essentiel. Donc il faut manger pour avoir du tryptophane.
Et puis l’alimentation peut nous influencer de manière indirecte, par exemple par le microbiome intestinal, donc disons que tu manges quelque chose, ça va rentrer dans ton intestin et puis tu as toutes ces petites bactéries qui peuvent digérer les aliments et à partir des aliments créer des petites molécules qui vont soit avoir un effet local dans l’intestin, par exemple jouer avec la perméabilité de l’intestin, j’essaie de faire très simple, et dans certains cas l’intestin peut devenir poreux. Et ça va favoriser une inflammation (j’essaie de faire simple, donc tu me dis si c’est pas clair). Ça peut favoriser une inflammation locale et une altération de la perméabilité intestinale. Tu peux avoir des petits fragments bactériens qui vont passer dans la circulation et qui vont favoriser l’inflammation de bas grade.
Elle est quasiment systématique, par exemple dans l’obésité ou dans la dépression, par exemple, on peut même retrouver de l’inflammation dans le cerveau. J’essaie toujours de trouver des images mentales qui font simple et moi celle qui me vient en tête c’est : nos organes ils communiquent entre eux et quand on a de l’inflammation il faut imaginer qu’on a comme des embouteillages ou que les choses rouillent c’est dit très simplement mais nos organes ne sont plus très bien capables de communiquer ensemble ou même à l’intérieur des organes et ça peut favoriser l’apparition de plein de pathologies.
Clémentine Sarlat : Vraiment ça a du sens et je crois qu’aujourd’hui on commence à en parler un petit peu plus. Donc ça veut dire que quelqu’un qui a un régime alimentaire qui n’est pas adéquat peut du coup être plus sujet à une dépression, avoir des troubles neurologiques?
Emilie Steinbach : Oui. Je vais aller à un extrême, ok? Les aliments ultra transformés, si on en consomme un petit peu de temps en temps, comme je fais, ça m’arrive, parce que parfois je me balade avec un paquet de chips dans la rue et j’ai l’impression d’être une énorme fraude, mais voilà. Ça m’est déjà arrivé une fois dans le métro, après avoir pris plein de trains pour rentrer à Bruxelles, d’acheter un paquet de chips triangulaires, vraiment ultra processed. Tu vois les chips…
Clémentine Sarlat : Avec plus de sel,…
Emilie Steinbach : …de sucre, et qui sont tellement pleins de choses qu’on ne retrouverait jamais dans la nature, qui sont… enfin c’est des Doritos quoi, tu vois. Et j’ai vu des gens me prendre en photo et dire « c’est eux, The BrainCut Scientists ». Et je me suis vraiment sortie comme une fraude. Donc bref, je mange de temps en temps des aliments ultra transformés. Mais une alimentation qui est riche en aliments ultra transformés, donc où on consomme trop d’aliments ultra transformés, est associée à une augmentation d’énormément de maladies : la dépression, l’anxiété, les insomnies, mais aussi des maladies cardiovasculaires. Il faut savoir que le cerveau est un organe qui a aussi des petits vaisseaux sanguins. Des petits vaisseaux sanguins qui sont fins comme des cheveux. Et si on a des problèmes cardiovasculaires, que notre sang ne circule pas très bien, ça peut altérer le fonctionnement du cerveau.
Il y a d’ailleurs un type de démence qui est le plus fréquent, donc démence quand on perd la boule quand on est vieux, pour faire très simple de nouveau, même si c’est pas bien de dire ça comme ça, peut être dû à des troubles cardiovasculaires et c’est la deuxième cause de démence au monde. Et puis les cancers, enfin voilà, une alimentation ultra transformée favorise l’apparition de plein de maladies.
Clémentine Sarlat : Et ça même chez les enfants?
Emilie Steinbach : Oui.
Clémentine Sarlat : Déjà? Parce qu’on le sait aujourd’hui, nos enfants nous réclament tout le temps des bonbons, des chips, les gâteaux, c’est très difficile de lutter contre ça quand on a des enfants, de ne pas leur en donner, de restreindre. Est-ce qu’il y a un effet plus fort chez eux parce qu’ils sont plus vulnérables? Tu sais ça ou en tout cas c’est le même fonctionnement?
Emilie Steinbach : Alors, il n’y a pas d’étude d’intervention faite chez les enfants, ni chez les adultes, avec des aliments ultra transformés, ce serait pas éthique. On peut pas faire des expériences comme ça.
Clémentine Sarlat : Oui, parce qu’il faudrait leur demander de…
Emilie Steinbach : Voilà, tu peux pas dire à un groupe d’enfants “on va voir pendant 5 ans, on va vous donner une alimentation riche en aliments ultra transformés, les autres on va leur donner un régime traditionnel, riche en fibres, bla bla”. Et puis c’est dire “on verra dans cinq ans qui est devenu malade et à une augmentation de la mortalité”, enfin ça ça n’a… c’est pas éthique. Il y a eu en fait une seule étude au monde qui a été réalisée avec des aliments ultra transformés et qui visait à avoir l’impact sur la prise de poids. Bon évidemment les gens qui consommaient des aliments ultra transformés ont pris beaucoup plus vite du poids et l’autre groupe n’en a pas pris. Donc il n’y a pas d’études faites chez l’enfant, mais il faut juste dire que le cerveau il se développe jusqu’à à peu près 21 ans.
Et en fait, on a des fenêtres de tir dans nos vies où c’est vraiment très important de s’intéresser à notre alimentation, particulièrement quand le cerveau est en plein développement. Donc la petite enfance et quand on est dans le ventre de sa maman, c’est absolument crucial de faire attention à son alimentation. Mais jusqu’à 21 ans aussi il y a des choses à… Voilà, on crée un cerveau qui est en train de se développer, donc si on lui apporte pas ce qu’il faut, la stimulation qu’il faut, ça aura des conséquences sur la vie.
Clémentine Sarlat : Alors si on veut être pratique, parce que je sais que tu aimes bien donner des exemples très concrets, juste changer une chose dans notre alimentation, comme par exemple le petit-déj, est-ce que ça a des conséquences assez positives? Ou il faut faire un 360 qui demande beaucoup d’efforts aux gens?
Emilie Steinbach : Alors juste changer son petit déjeuner, évidemment il faut changer la qualité globale de l’alimentation mais je pourrais te donner des petits conseils vraiment pratiques, mais juste changer son petit déjeuner peut avoir un impact visible le jour même. Donc ça il y a plein d’études qui sont faites chez les enfants, je te parle d’enfants parce que je sais que ça t’intéresse, et qui montrent qu’un petit déjeuner qui a moins de glucides, une charge glucidique moins importante, mais aussi des glucides qui sont à index glycémique plus élevé. Je vais donner des exemples, par exemple quand j’ai un cookie, des petits gâteaux, des choses qui contiennent du sucre, ça aurait par exemple un index glycémique élevé, une charge glycémique élevée, altèrent les fonctions cognitives. Donc l’enfant peut être moins attentif, avoir une moindre capacité à retenir les choses. Le fonctionnement de son cerveau ne fonctionne pas bien.
Le cerveau, il carbure avec du sucre, mais il carbure avec du sucre qui lui arrive petit à petit, de manière stable et durable, tout au long de la matinée, puis tout au long de l’après-midi. Donc ce qu’il faut faire, c’est favoriser des glucides à libération lente, qui vont digérer lentement. Souvent, ils sont riches en fibres. Donc c’est, par exemple, faire des choix comme au lieu de prendre des céréales de petit-déjeuner pleines de sucre et colorées, c’est-à-dire qu’on va prendre de l’avoine complète. Et puis, il faut aussi essayer d’ajouter des protéines au petit-déjeuner. En fait, c’est un peu comme ça que j’ai commencé à m’intéresser à l’alimentation.
Il y a des chercheurs qui ont montré à quel point ça peut avoir un impact, notamment sur le trouble, la tension et de l’hyperactivité, et qui ont recommandé, et ça on le sait depuis longtemps alors que personne ne le sait, en fait, dans le grand public, qu’un petit-déjeuner qui contient plus de protéines que de glucides, donc par exemple des oeufs, les petits poissons que j’ai cités, des oléagineux, des noix, des graines, ça peut favoriser les fonctions cognitives et la synthèse de neurotransmetteurs qu’on appelle dopamine et noradrénaline, qui sont absolument cruciales aux bonnes fonctions cognitives. Donc un bon petit déjeuner c’est par exemple un fromage petit suisse avec des noix, des graines, et puis quelques morceaux de fruits par exemple.
Clémentine Sarlat : Ou un œuf ?
Emilie Steinbach : Un œuf, voilà, une tranche de pain, un peu comme du pumpernickel.
Clémentine Sarlat : C’est plus connu chez vous en Belgique que chez nous.
Emilie Steinbach : Du pain, quand tu le regardes, tu vois des graines et tu vois que la farine est foncée. Ce n’est pas votre pain de français qui est très blanc. D’ailleurs, je suis assez effarée de voir que les Français mangent du pain à chaque repas. Je pensais que c’était un mythe.
Clémentine Sarlat : Ah non, j’avoue.
Emilie Steinbach : Et du fromage après quasiment chaque repas. Vraiment, je pensais que c’était un mythe. Et d’ailleurs, ça m’énerve quand je vais manger chez des amis et qu’on me sert après avoir déjà bien mangé. Encore du pain et du fromage auquel je ne sais pas résister et on sort de table en sentant mal.
Clémentine Sarlat : On adore ça, nous. Mais parce qu’on marche 20 000 pas par jour à Paris, on compense un peu, c’est vrai. Si on n’est pas trop sédentaires, ça passe. Mais t’as raison, on sort souvent des repas… On a trop mangé. Un repas de famille français c’est… C’est pour ça que ça dure de 11h à 16h.
Emilie Steinbach : Exact, ouais. Et moi qui n’aime pas rester assise longtemps, parfois ça m’énerve un peu.
Clémentine Sarlat : Donc ouais, donc changer le petit-déj. De sortir de cette… Ce classique des céréales qu’on a tous eu petit, à regarder le paquet et le jus d’orange ou un truc très sucré.
Emilie Steinbach : Ouais, pas de jus d’orange, ça c’est vraiment… Si je mangeais là tout de suite 8 oranges devant toi, tu dirais “un peu bizarre”. C’est ce qu’on fait quand on boit un jus d’orange, sauf qu’il n’y a pas les fibres dedans. Comme tu exposes les vitamines, tu les ressors de la matrice alimentaire, tu les exposes à la lumière, à l’oxygène, à la température, et en fait elles se dégradent très vite. Donc tu as du sucre mais pas beaucoup de vitamines. Mais comme tu disais, par exemple du pain très complet avec un œuf, de l’avocat, des petites matières grasses, Et ça, en seulement 4 jours, tu peux avoir un effet.
Par exemple, tu as un effet le jour même, mais des études ont montré qu’en seulement 4 jours, chez des étudiants à l’université, les participants qui ont un régime plus riche en sucre et en acides gras saturés qu’on retrouve par exemple dans les produits de source animale, comme la viande ou le fromage, versus un petit déjeuner qui est plus riche en protéines et moins riche en sucre, les participants du premier groupe ont une altération de la mémoire, donc on leur a donné des tests où ils doivent apprendre plein de mots, et puis les restituer, ils sont testés chaque jour, et après 4 jours, ce groupe-là n’est plus capable de bien restituer les mots qu’il a appris, alors que l’autre, oui.
Donc tu te dis, si seulement en 4 jours, on voit un effet comme ça sur notre fonction d’apprentissage, notre fonction mnésique, on dit, qu’en a-t-il des personnes qui mangent comme ça à vie? Donc vraiment le petit-déjeuner de nos enfants est crucial.
Clémentine Sarlat : Moi je vais donner un exemple, tu vois j’ai une de mes trois filles qui est très active on va dire et quand j’ai pas le temps et qu’elle me demande du sucre le matin et que je le lâche, je vois son comportement dans la fin de matinée mais qui n’a rien à voir avec le matin. Chez nous on a souvent des crêpes sarrasin avec des sardines, avec de l’avocat ou un oeuf et qu’elle mange avec moi parce que quand moi je le mange devant elle veut en prendre mais c’est pas la même enfant en fin de matinée. Vraiment. Juste sur quelques heures moi je le vois. Chez mes deux autres filles c’est moins fort l’effet. Est-ce qu’on est aussi individuellement plus ou moins réceptifs?
Emilie Steinbach : C’est ça, je donne des conseils de manière assez générale mais on est tous… Différents et donc c’est comme ça que je m’en suis rendue compte. Moi je souffre de troubles de l’attention et d’hyperactivité. J’aime plus dire que je souffre parce qu’aujourd’hui parfois je me dis que c’est plutôt une force. Ça a été une force dans ma vie.
Clémentine Sarlat : Les neuro-atypique c’est une force, on le dit.
Emilie Steinbach : Moi j’ai l’impression qu’aujourd’hui c’est une force.
Clémentine Sarlat : Donc le TDAH.
Emilie Steinbach : Oui, le TDAH. Adolescente, si je n’avais pas été bien suivie et si j’avais pas eu les parents que j’ai, je pense pas que j’aurais survécu. Ça a été très dur.
Clémentine Sarlat : J’imagine.
Emilie Steinbach : Voilà. Et en fait, personnellement, si je mange quelque chose de sucré au petit déjeuner, il va y avoir des répercussions. Petite, j’ai fait le test, mais de manière intuitive. Mais aujourd’hui encore, je sais quand je mange un truc très sucré, je vois mon mec qui me regarde genre “Please don’t!” et après je suis genre… Surexcité! Et puis après il y a un crash, tu vois…
Clémentine Sarlat : Ma fille, je vois ce crash, je dis “qu’est-ce que je lui ai donné le petit déjeuner, c’est de ma faute!”
Emilie Steinbach : Donc voilà. Mais ce changement de petit déjeuner, là c’est pas la scientifique qui parle, c’est la… C’est la personne qui fait des expériences sur elle-même. Ce changement de petit-déjeuner m’a permis d’arrêter mon traitement, donc la ritaline, que j’ai pris quand même pendant des années et des années. Et c’est un peu de gérer mon trouble un peu mieux. Sauf qu’à l’époque, je savais pas que j’étais en train de faire quelque chose de… Qui était backed by science, mais pendant mes études, je me suis rendu compte qu’en fait, ce que je faisais était assez intelligent. J’ai travaillé avec des neuropsychiatres qui m’ont dit “la manière dont tu manges, c’est comme tel régime”. Et en fait, c’est comme ça que j’ai décidé d’arrêter les neurosciences pures et me concentrer sur ça.
Clémentine Sarlat : Parce que tu l’as vécu toi-même, de base. C’est trop intéressant, j’adore. Est-ce que du coup ça impacte notre humeur, notre capacité cognitive, ça impacte sur le long terme? Donc on a vraiment tout intérêt à (j’aime pas ce mot, faire “attention” parce que je sais aussi qu’il y a les TCA, les troubles du comportement alimentaire), mais d’avoir une conscience de l’impact de chaque aliment sur nous parce qu’on réagit, comme tu dis, pas tous de la même manière en fonction de qui on est. Donc d’avoir des… Faire des tests en fait sur soi-même, tu conseilles? Est-ce qu’on teste tel aliment, “je me rends compte que ça fait ça”, de choisir mieux ou est-ce qu’on sait qu’il y a vraiment un type de régime qui fonctionne pour tout le monde? Et qu’il y a les plus belles vertus, on va dire, pour la santé?
Emilie Steinbach : Alors pour répondre à ta question qui a plusieurs compartiments, il n’y a pas de problème. Faire des tests, pourquoi pas, mais ne pas devenir trop névrosé non plus. Parce qu’aujourd’hui, on voit sur les médias la diabolisation de certains aliments. Disons par exemple les aliments qui contiennent du gluten. Et ça peut provoquer des réactions chez les individus qui créent des troubles alors qu’ils n’en avaient même pas. Donc là, il y a des études fascinantes qui montrent que quand des personnes qui se disent sensibles au gluten sans avoir reçu de diagnostic et qu’on leur donne soi-disant du gluten alors que c’est un placebo, ils peuvent avoir des symptômes et dans les études il y a même des personnes qui ont des… On dit un adverse event, enfin un effet secondaire qui demande à la fin l’interruption de l’étude parce qu’ils ont des troubles.
Il faut pas négliger l’axe aussi intestin-cerveau. Voilà donc moi je mange de tout, je mange varié, diversifié, enfin assez équilibré. Parfois je mange des Doritos dans un métro. Parfois je mange une salade que certaines personnes diraient « oh tu es parfaite Emilie ». Je ne mets pas trop la pression. Donc faire des tests oui, faire des tests s’il faut si on est malade et idéalement avec un médecin. Parce que je vois dans mon entourage des personnes qui se dirigent vers des faux experts de santé ou des conseils bidons sur leurs réseaux sociaux qui suppriment complètement une classe d’aliments. Et puis en fait, quelques mois plus tard, ils sont plus capables de bien digérer cet aliment et ils ont favorisé l’apparition d’un trouble.
Clémentine Sarlat : Il y a un effet boomerang.
Emilie Steinbach : Ouais. Alors pour le régime optimal, donc s’il y a un régime qui est vraiment très bien soutenu par la littérature scientifique pour améliorer l’humeur, prévenir le déclin cognitif ou gérer son poids tout au long de la vie, c’est le régime méditerranéen crétois. Alors c’est un régime auquel on donne ce nom et qu’on étudie dans notre partie du monde comme le régime optimal. Mais il faut juste dire que c’est un régime traditionnel ou un régime de paysans. C’est un régime où on mange énormément de légumes, des légumineuses, des céréales complètes. C’est pas des céréales raffinées dans un pain blanc, c’est du sarrasin complet, de l’épautre complet, de l’avoine, tu vois, pas des flocons d’avoine, mais de l’avoine grossièrement concassée en distil cut-out en anglais. Donc des aliments entiers, des aliments vrais.
On retrouve un à deux fruits par jour, une petite poignée d’oléagineux par jour, de l’huile d’olive, des petits poissons gras que j’ai cités. On retrouve un peu moins de fromage et de beurre.
Clémentine Sarlat : Et de charcuterie.
Emilie Steinbach : Et de charcuterie. La charcuterie ultra transformée, on n’en retrouve pas du tout. Il faut imaginer que tu as un peu de viande, un peu de fromage qui est riche en acide gras saturé. Là-dedans, je ne mets pas le yaourt qui est en fait un aliment qui est plutôt associé à une bonne santé. Mais je parle par exemple du Roquefort ou du Comté, tu vois. Un peu moins. On retrouve un peu moins de viande rouge. Pas pas du tout, mais c’est pour les grandes occasions. Les dimanches, dîner de français avec ton grand-père, tu manges la viande rouge qui te sert. Et c’est bon pour toi parce qu’il y a du fer, il y a certains composés qui sont essentiels pour nous. Mais tous les jours, non.
Emilie Steinbach : Et puis après tu retrouves des aliments ultra transformés, normalement jamais dans un régime traditionnel, mais si c’est une fois de temps en temps, c’est pas grave. C’est pas dramatique en tout cas.
Clémentine Sarlat : Oui, donc tu dis vraiment ces régimes traditionnels, c’est pas forcément… Nous, en Europe, on est très influencés par la culture méditerranéenne, effectivement, donc ça nous parle. Mais ça peut être le régime d’une partie de l’Afrique qui est un régime traditionnel ou d’une partie de l’Asie. On ne demande pas à ce que… J’ai souvent eu cette impression que comme on se considère un peu comme le centre du monde, les Européens, les Américains, on dit que c’est le régime méditerranéen qui est le mieux. Mais c’est vrai que si on habite au Ghana ou en Argentine ou dans un pays asiatiques, au Vietnam, c’est très bien aussi ce qu’ils font. En fait, il n’y a pas de…
On labellisé, tu sais, comme si c’était mieux que les autres, alors que ça correspond aussi juste à leur mode de vie et à leur culture et que si c’est basé, comme tu dis, sur beaucoup de légumes, de produits très peu transformés au final.
Emilie Steinbach : Oui, de légumineuses et céréales complètes.
Clémentine Sarlat : C’est la même chose, c’est juste la façon dont on… le met.
Emilie Steinbach : Et on retrouve ça, d’ailleurs, dans de nombreux pays et souvent la combinaison légumineuses et céréales, genre beans and rice. Là j’ai vécu 6 mois après mon doctorat, youhou c’était génial! Au Brésil et au Costa Rica. Et pas à Rio de Janeiro où là ils mangent vraiment fries. C’est gras. La plupart des individus souffrent d’obésité. Tu vois pas ça dans la rue ici. Parce qu’en fait il y a eu un changement de l’alimentation très rapide vers une bonne alimentation et tout d’un coup ultra transformée. Donc, en dehors de Rio, on nous servait toujours beaucoup de légumes et du riz et des beans au petit-déjeuner. En fait, c’est un régime traditionnel. Un régime traditionnel est un régime qui peut être retrouvé dans toute culture, mais qui met l’accent sur les fibres.
Une alimentation qui est principalement végétale, variée, diversifiée, avec des bons acides gras, donc insaturés, qu’on retrouve dans l’huile d’olive, les avocats par exemple. Les oléagineux, et puis des aliments polyinsaturés qu’on retrouve aussi dans ce type d’aliments, mais aussi dans le poisson par exemple.
Clémentine Sarlat : Juste si on parle des huiles, deux secondes, parce qu’en Europe, en France, on utilise quand même beaucoup l’huile d’olive, donc ça va, mais il y a des huiles à éviter, il y a des huiles qui sont ultra transformées, je sais aux Etats-Unis ils en parlent souvent, je crois que c’est…
Emilie Steinbach : L’huile hydrogénée.
Clémentine Sarlat : Voilà, c’est ça. Nous on a ça en France et en Europe? C’est interdit?
Emilie Steinbach : Alors, normalement, on ne devrait plus en avoir. En fait, l’Organisation Mondiale de la Santé a publié un rapport qui montre qu’en fait, ces acides gras trans sont vraiment dangereux pour la santé. Et il demandait dans ce rapport qu’en 2023… ils insistaient fortement à réduire, voire faire disparaître ces acides gras trans. Alors, les acides gras trans, c’est un type d’acides gras qu’on peut retrouver naturellement dans l’alimentation. Par exemple, dans certains types de viandes, les viandes des ruminants. En fait, on va dire que le gras insaturé, du bon gras, peut être transformé en acides gras trans par les bactéries de l’intestin des ruminants. Et donc, on va le retrouver dans leur corps et aussi dans leurs produits laitiers. Dans le monde, normalement, la quantité d’acides gras trans que les gens consomment provient plutôt d’aliments ultra transformés.
Donc on en retrouve un tout petit peu dans les aliments que je viens de citer, mais l’industrie alimentaire pour des raisons pratiques et économiques, a ajouté de l’hydrogène aux graisses pour les rendre plus solides, plus stables, et les a mis dans l’alimentation. Et on a retrouvé par exemple beaucoup dans la margarine, et puis dans certains aliments, souvent c’est les pâtisseries industrielles, les cookies, les gâteaux, les plats déjà préparés. Tu vois, tu vas acheter un plat déjà préparé en disant que c’est bien pour toi, mais tu vas retrouver des graisses trans dedans. Et tu vas même retrouver des sucres ajoutés par exemple dans une lasagne alors que ça n’a pas beaucoup de sens. Bref.
En fait, normalement dans la plupart des pays, les gens consomment beaucoup d’acides grattants, ce sont des aliments ultra transformés, mais la France est un des rares pays où on consomme tellement de fromage et de viande que ça pourrait être une source majeure d’acide gras trans. C’est pour ça qu’on dit essayer de réduire votre apport de viande, mais surtout de fromage et de beurre, parce qu’il faudrait en consommer vraiment très peu. On devrait en consommer très peu, mais il y a quand même toujours des Français qui sont au-dessus de la norme.
Clémentine Sarlat : Franchement, je réfléchis à combien de plaquettes de beurre j’achète par mois. Mes filles adorent le pain et le beurre, tu vois. Et je me dis qu’on est dans…
Emilie Steinbach :Il ne faut pas diaboliser, mais. Il faut se dire qu’il faut pas manger du fromage et du beurre à chaque repas.
Clémentine Sarlat : Oui, mais ça fait partie de notre alimentation, de notre culture en fait. C’est notre marque de fabrique, donc c’est compliqué des fois d’aller à contre-courant de ça. Et surtout le fromage, je crois.
Emilie Steinbach : Alors, il y a des régimes, tu as posé la question sur l’impact sur l’humeur et sur l’impact sur notre cerveau. Il y a une étude qui a été beaucoup reprise et répliquée où des chercheurs ont suivi des personnes âgées qui étaient dans des Ehpad, vous dites ça comme ça en France?
Clémentine Sarlat : Ehpad ouais.
Emilie Steinbach : On dit des “homes” en Belgique, c’est horrible.
Clémentine Sarlat : Ouais, Ehpad c’est pas beaucoup plus jeune.
Emilie Steinbach : Des maisons…
Clémentine Sarlat : de retraite.
Emilie Steinbach : De retraite. Et ils les ont suivis pendant 20 ans. Ils ont regardé qui avait un déclin cognitif plus rapide ou moins rapide, qui développait Alzheimer, etc. Et qui mourait, évidemment, et tout ce qu’ils mangeaient. Et ils ont fait une association après les 20 années entre les différents aliments et l’état de leur cerveau. Ils ont pu trouver une association très forte entre cinq aliments et le fait d’avoir un déclin cognitif moins rapide, et cinq autres types d’aliments et un déclin cognitif beaucoup plus rapide. Et les personnes, donc disons on a les 5 bons aliments et les 5 mauvais aliments, les personnes qui consommaient plus des 5 mauvais aliments, j’aime pas dire que c’est mauvais parce qu’ils sont pas à supprimer, avaient une augmentation de… Enfin, les personnes qui mangeaient mieux avaient une réduction de l’apparition d’Alzheimer de 53%.
Donc ils ont une réduction du risque d’avoir Alzheimer de 53%, c’est énorme! Et dans les 5 aliments à limiter, il y avait le fromage et le beurre, tu vois. Donc c’est pas la ricotta, la feta de temps en temps, le comté, le dimanche. Mais normalement, je vais juste citer quelques exemples de fromages qu’on peut consommer normalement. Le petit suisse, le yaourt, ça tu peux en consommer tous les jours. Un peu de feta de temps en temps, c’est des fromages qui sont moins riches en acides gras saturés. Cottage cheese qui est un peu à la mode pour l’instant, en vrai c’est super bon. Tu peux en consommer.
Clémentine Sarlat : C’est comme le Saint-Moré, bon je vais donner des marques mais, le Madame Loïc, tout ça.
Emilie Steinbach : Ils sont souvent moins riches en acides gras saturés. Par contre…
Clémentine Sarlat : Ils ont plus de protéines.
Emilie Steinbach : Le Roquefort… ils sont très protéinés aussi. Le Roquefort, les yaourts ne sont pas tous très protéinés, mais cottage cheese, petits suisses, etc. sont souvent assez protéinés. Par contre les autres fromages, on les consomme de manière modérée, une à deux fois par semaine, pour des occasions en fait. Ça doit rester des plaisirs.
Clémentine Sarlat : Et dans les cinq aliments qui ont fait diminuer de 50%, il y a quoi?
Emilie Steinbach : Alors, il y avait, justement je te le disais… c’est pour ça que c’est important d’avoir ce petit truc.
Clémentine Sarlat : Émilie amène toujours son ordinateur avec elle pour être sûre de ne pas dire de bêtise et de chercher des informations précises quand on lui pose des questions.
Emilie Steinbach : Alors, les aliments les plus associés, c’est ça mais c’est important je pense. Donc trois portions ou plus par jour de grains entiers, légumineuses ou céréales complètes.
Clémentine Sarlat : Quand tu dis légumineuses, il y a plein de gens qui ne voient pas ce que c’est.
Emilie Steinbach : Légumineuses c’est lentilles, pois chiches, haricots secs, flageolets, les haricots blancs, les haricots rouges et c’est super bon, tu peux les cuisiner un peu comme tacos night tu vois.
Clémentine Sarlat : Donc ça, il faudra manger tous les jours.
Emilie Steinbach : Tous les jours, trois portions par jour. Une portion, on va dire que c’est une poignée. Ou alors des céréales complètes, du riz complet, du riz brun par exemple. Tu peux avoir du sarrasin, faire un risotto de sarrasin, c’est bon. Ou de petit épeautre, vraiment c’est bon. Le millet, l’avoine, le quinoa, c’est une pseudo-céréale. Ça c’est trois portions par jour. Alors, une portion ou plus par jour de légumes. Ça paraît peu, mais en plus tu as 6 portions ou plus par semaine de légumes à feuilles vertes. Donc par exemple, épinards, kale, etc. Alors les exemples qui étaient le plus cités dans l’étude, c’était les choux kale, les choux, les légumes verts, épinards, laitues et salades mélangées. La salade d’iceberg ne rentre pas là-dedans, c’est pas vraiment un vrai aliment.
Clémentine Sarlat : L’iceberg, c’est bon pourtant c’est crunchy.
Emilie Steinbach : Tu vois les toutes petites salades toutes blanches que tu retrouves dans des petites barquettes en plastique et qui sont toutes jolies et qui sont crunchies, tu peux les ajouter dans tes salades pour ajouter ben en fait c’est plein d’eau…
Clémentine Sarlat : Un petit peu de texture!
Emilie Steinbach : Voilà, un petit peu de texture, mais tu essayes de aussi mettre un peu de kale ou des choses comme ça.
Clémentine Sarlat : Moi je mange les épinards en salade, c’est très bon. Parce qu’on est un peu tous traumatisés. T’as pas grandi en France mais de la cantine, des épinards à la cantine qui étaient franchement immondes. Et du coup je pense qu’on a tous eu cette aversion pour les épinards. Mais les épinards quand on les cuisine bien c’est super bon. Et en salade c’est hyper bon.
Emilie Steinbach : En salade c’est super bon. Faut juste pas trop en mettre parce que c’est un petit goût…
Clémentine Sarlat : Oui, mais c’est… en salade avec d’autres choses. Mais si on aime pas la forme cuite des épinards, parce que ça arrive assez souvent.
Emilie Steinbach : Et alors faire rôtir de l’ail. Tu vois, tu fais revenir de l’ail à la poêle et puis tu mets des épinards dedans. Ça, c’est vraiment une tuerie.
Clémentine Sarlat : Mais vraiment, je pense qu’on est une génération entière à avoir été traumatisés par les épinards à la cantine, malheureusement.
Emilie Steinbach : Moi, un truc qui me traumatise… que vous me traumatisez avec ces légumes, c’est les haricots verts. Pourquoi est-ce que les Français servent des haricots verts quasiment à chaque repas du dimanche? Ça, je ne comprends pas non plus.
Clémentine Sarlat : C’est vrai. Le poulet-haricot vert est une tradition familiale. C’est vrai. Moi, j’adore les haricots verts.
Emilie Steinbach : “Encore des haricots verts?” enfin il y a tellement de…
Clémentine Sarlat : Mais c’est un légume vert, arrête!
Emilie Steinbach : Et toujours cuisiné de la même manière.
Clémentine Sarlat : Non, il y en a qui aime ça crunchy et d’autre…
Emilie Steinbach : Je dépeins une mauvaise image des français mais… Franchement, dans les dîners où je vais, c’est souvent viande, haricots verts, pommes de terre, après pain blanc, fromage et puis un dessert. On peut manger, je sais pas, un dalle de lentilles, faire… Il y a plein de types de…
Clémentine Sarlat : Ah non, on cuisine pas varié sur ça.
Emilie Steinbach : Plats différents, de cultures différentes qui sont chouettes à découvrir.
Clémentine Sarlat : C’est vrai, tu as raison. Je reconnais.
Emilie Steinbach : Alors, on retrouve aussi 5 portions au plus par semaine de noix. Donc moi je disais un creux de main chaque jour de noix. Ou de graines. Quatre repas au plus par semaine de légumineuses, ça je l’ai déjà cité, comme haricots secs, lentilles, soja, tofu, voilà. Deux portions au plus par semaine de fruits rouges ou fruits des bois, comme les fraises. Je ne vais pas citer les fruits rouges, tout le monde sait ce que c’est.
Clémentine Sarlat : Les mûres, les framboises,…
Emilie Steinbach : Les myrtilles, les groseilles, tout ça. Et puis l’utilisation principale de l’huile d’olive comme matière grasse. Et puis les autres, c’était de l’ordre du mieux au pire. Donc des aliments qui étaient associés à un meilleur maintien des fonctions cognitives et à consommer occasionnellement, mais quand même à consommer, c’est juste pas à chaque repas, c’est la volaille, le poisson non frit, donc la volaille c’est dinde, poulet, le poisson non frit, j’en ai déjà parlé, et pas sous forme de bâtonnets panés. Les fish sticks, c’est pas spécialement le meilleur type de poisson, mais c’est vrai que c’est très bon. J’ai hâte d’avoir des enfants pour cuisiner le fish stick quand j’aurai pas le temps. Une consommation occasionnelle d’un verre de vin rouge par jour.
Et ça, c’est pas bien de le dire, parce qu’en fait dans la plupart des cas, les études qui montrent une association entre une amélioration de la qualité de vie ou du fonctionnement du cerveau et le vin n’en prennent pas en compte de nombreux biais, dont le fait que les personnes souvent qui ne boivent pas parce qu’elles sont malades ou ce sont des anciens alcooliques. Il y a aussi le fait que les personnes qui consomment plus de vin rouge sont des personnes qui souvent viennent d’un statut socio-économique plus favorisé et qui ont plus de connexions sociales, qui sortent plus souvent. Or, c’est un facteur extrêmement important pour muscler son cerveau. Le tissu social est un des facteurs les plus importants pour la réserve cognitive. C’est comme si tu pouvais investir dans ton cerveau, disons qu’avoir des bonnes connexions et différents types de connexions, c’est de la nourriture pour le cerveau.
Donc les cinq aliments qui étaient associés à un déclin cognitif plus rapide, tu avais le beurre et la margarine, les pâtisseries et les sucreries, la viande rouge, y compris bœuf, porc, agneau. Donc c’est pas qu’il ne faut pas en manger, c’est qu’il ne faut pas en consommer à chaque repas. Et puis tu avais moins d’une portion par semaine de fromage riche en graisse saturée et moins d’une portion par semaine d’aliments frits.
Clémentine Sarlat : Est-ce qu’il… là les cinq dont tu viens de parler, on en consomme quand même de manière générale assez souvent, au final. Parfois avec une bonne intention en se disant que le beurre c’est un bon gras ou la viande rouge c’est notre façon de manger aujourd’hui. Sans parler d’écologie tout ça en plus c’est vraiment de se dire on n’a pas l’impression de se faire du mal parce qu’on n’est pas en train d’aller chez McDo ou voilà, un fast-food tous les jours. Alors que les études montrent que c’est un impact.
Emilie Steinbach : Alors, essayer de consommer entre à peu près 100 grammes de viande rouge par semaine, c’est une bonne idée. Il y a une étude, un consortium de scientifiques qui ont publié un rapport du meilleur régime pour la santé et la planète. Et eux, ils recommandent quand même de consommer 100 grammes de viande rouge par semaine. Pour l’humeur et les fonctions cognitives, la viande rouge est importante. Si on compare des gens qui ne mangent pas du tout de viande rouge versus en consommer de manière modérée, le groupe qui n’en consomme pas du tout peut aussi avoir plus de troubles de l’humeur comme la dépression ou un déclin cognitif plus rapide. Donc c’est pas qu’il ne faut pas en manger, mais de manière modérée.
Clémentine Sarlat : Tout. Bon mais c’est bien, on apprend des choses déjà. Tu l’as dit, il y a des fenêtres dans la vie où il faut faire très attention à ce à quoi on mange, donc on l’a compris la petite enfance et notre cerveau qui est mature dans la vingtaine, mais tu as parlé des femmes enceintes. Pourquoi est-ce qu’à ce moment-là on doit faire attention et à quoi on doit faire attention en étant enceinte?
Emilie Steinbach : Alors, quand on est enceinte, on crée un petit humain dans notre ventre et son cerveau se développe. Moi je m’intéresse au cerveau mais il y a plein d’autres choses aussi. Et c’est vrai que… Je ne sais pas, je ne suis jamais tombée enceinte. Mes parents entendraient ceci, ils diraient “arrête de dire tomber enceinte!” Je n’ai pas encore de projet de grossesse, voilà. Parce qu’apparemment on dit ça comme ça, comme si c’était un truc de business. Je n’ai pas encore de projet de grossesse, donc je n’ai pas encore été suivie à ce propos. Mais quand mes copines me donnent leur compte rendu de comment elles ont été suivies, c’est rare en fait qu’elles aient l’air d’être vraiment au courant que l’alimentation est cruciale à ce moment-là de la vie.
Clémentine Sarlat : Non on ne parle pas de ça comme ça.
Emilie Steinbach : Parfois elles ne prennent pas du tout de complément alimentaire et n’ont pas fait de bilan sanguin ou alors elles ont fait un bilan sanguin, quand j’insiste elles me disent “oui je fais un bilan sanguin mais j’ai pas vraiment regardé” et puis quand je regarde avec elles je me dis “quand même bon tu pourrais prendre du fer…”
Clémentine Sarlat : On nous donne l’acide folique.
Emilie Steinbach : Alors, l’acide folique, la B9, est toujours prescrite aux femmes enceintes, normalement dans nos pays, parce qu’elle permet de prévenir des malformations congénitales. Mais il faudrait aussi suivre d’autres nutriments. Le premier, qui a un impact sur le développement du cerveau, et qui peut, en fait, ça va être horrible parce que je dis ça comme ça, mais l’iode, une carence en iode peut favoriser le fait de souffrir de crétinisme. Donc d’être un crétin, c’était le terme utilisé auparavant. Donc c’est tout à fait crucial d’avoir un bon apport d’iode pendant la grossesse pour le bon développement du cerveau du bébé.
Clémentine Sarlat : Donc les petits poissons, on se complémente…
Emilie Steinbach : Souvent on va donner un complément alimentaire aux femmes pour être sûre qu’il n’y ait pas ce risque.
Clémentine Sarlat : Et c’est quoi le complément alimentaire? Moi je prenais de l’eau de Quinton. Ce serait ça ?
Emilie Steinbach : Alors souvent…
Clémentine Sarlat : C’est de l’eau iodée…
Emilie Steinbach : Je sais pas.
Clémentine Sarlat : Tu vois pas ce que c’est?
Emilie Steinbach : Je sais pas ce que c’est que l’eau de Quinton. Mais normalement on donne des complexes aux femmes enceintes qui contiennent de l’iode, de la B9, du fer, des choses comme ça. En fait je préfère ne pas donner de conseils ou de dosage parce qu’il faut le faire en fonction d’un bilan sanguin. Et c’est vrai que je ne pense pas qu’on mesure systématiquement le taux d’iode dans le sang mais… Ça c’est très important. Alors t’as l’iode en top 1, qui est le plus important pour éviter le fait d’avoir de mauvaises fonctions cognitives, et qui est fortement associée au QI. Tu as le fer c’est crucial si on n’a pas un bon taux de fer de se faire complémenter pendant la grossesse, et même en dehors. Et puis t’as d’autres vitamines qui sont importantes. J’ai parlé des acides gras oméga-3.
L’apport d’acides gras oméga-3 pendant la grossesse est aussi associé au QI de l’enfant à venir et à de bonnes fonctions cognitives. Donc quand on compare des femmes qui ont eu un bon apport d’acides gras oméga-3 versus celles qui ont eu un moins bon apport d’acides gras oméga-3, à 4 ans, les enfants performent de manière significativement différente à des tests qui mesurent différentes fonctions cognitives. Donc ça c’est important. Et puis j’aimerais insister sur le fait qu’il y a plein de vitamines qui sont essentielles pour le développement du cerveau, comme la vitamine A, mais qu’il faut faire un bilan sanguin, par exemple parce qu’un apport trop élevé de vitamine A ou de vitamine E est par contre associé à des risques, par exemple de malformation du fœtus ou de fausse couche. Donc toujours se faire suivre par un médecin.
Clémentine Sarlat : Tout à fait. Mais c’est à surveiller pendant une grossesse, il y a des choses vraiment importantes liées à l’alimentation, parce qu’elles ont des conséquences sur nous évidemment, mais sur le bébé.
Emilie Steinbach : Idéalement, quand on a un projet de grossesse, faire la prise de sang 6 mois avant, essayer de corriger les déficits, et si on n’a pas le temps et que c’est un cadeau du ciel, aller rapidement voir un médecin et s’intéresser vraiment à santé. Et je pense que les femmes, on est polies, on a tendance un peu à se taire et pas trop parler de nos troubles, tu vois. Il faut challenger son médecin et lui dire “voilà, j’ai vraiment envie que vous intéressez à ce point et j’ai vraiment envie que vous m’aidiez à être sûre que ce petit nid soit prêt à donner à un enfant qui soit heureux et qui ait une belle vie, quoi.”
Clémentine Sarlat : Là on a parlé de la grossesse, en postpartum, ce qui pose problème souvent c’est le fer. Parce qu’en gros notre bébé nous a un peu pompés. Il y a quoi d’autre?
Emilie Steinbach : Les acides gras Omega 3 sont importants. Il faut imaginer que les acides gras Omega 3 vont s’incorporer dans le cerveau. Ils vont privilégier l’avenir du cerveau du bébé. Donc ils vont s’incorporer dans son cerveau. Si tu n’as pas un apport suffisant, étant donné qu’ils sont essentiels, par exemple, pour le bon maintien de l’humeur, tu pourrais favoriser l’apparition d’une dépression postpartum. Donc vraiment faire attention. Mais faire fréquemment des bilans sanguins, c’est l’époque de la vie où je pense que c’est intéressant de dépenser un peu d’argent pour ça.
Clémentine Sarlat : En France, c’est remboursé par la Sécu si le médecin nous le prescrit pour les bilans sanguins.
Emilie Steinbach : Les acides gras oméga 3, je ne suis pas sûre qu’ils soient… Il faut mesurer les acides gras oméga 3 érythrocytaires, mais…
Clémentine Sarlat : En tout cas, d’avoir un œil sur dans quel état est notre corps une fois qu’on a donné naissance à un bébé, parce qu’il y a forcément des petites carences qui ont pu… S’installer. Moi, je vous le dis, deux ans après, je me suis rendue compte que j’avais une énorme carence en fer que j’étais anémiée. Ça faisait deux ans après ma grossesse et je l’avais pas mesurée. Et aujourd’hui, je remonte mon fer et je me dis “ah! quand même plus sympa la vie.”
Emilie Steinbach : Vraiment, le fer, avoir une carence en fer, ça peut faire en sorte que son cerveau fonctionne moins bien. Ton podcast est surtout écouté par des femmes.
Clémentine Sarlat : Il y a quand même 30% d’hommes qui écoutent.
Emilie Steinbach : Alors je ne dis jamais ça. Les hommes, vous pouvez faire une pause et ne pas écouter s’il vous plaît pendant 30 secondes parce que j’ai eu le malheur de citer cette étude à une conférence dans un gros groupe de finance. Je donne beaucoup de conférences dans l’entreprise où j’expliquais que les femmes qui étaient carencées performaient beaucoup moins bien des tests de logique, des trucs comme ça. Et que ça pouvait être une des explications pourquoi les femmes pensent parfois qu’elles sont moins bonnes dans certains types de domaines. Ce qui est faux, j’aimerais le dire, parce que souvent, même carencées, elles ont la même capacité, mais on n’est pas à 100% de notre potentiel. Et se supplémenter en fer peut permettre de réduire ce déficit.
Clémentine Sarlat : Et surtout, c’est juste normal de se remettre à niveau.
Emilie Steinbach : On est très fatigué quand on est carencé en fer, on peut avoir… dépression, souffrir de troubles du sommeil, c’est vraiment… Résoudre sa carence en fer peut permettre d’aller vraiment mieux.
Clémentine Sarlat : Ouais, mais écoute, je suis sur la pente où je remonte, donc je confirme que quand même c’est un peu plus agréable de se réveiller le matin. On commence donc à comprendre, et c’est pour ça que tu as voulu t’intéresser à la science, que notre style de vie impacte notre santé. Est-ce que tu peux nous expliquer un tout petit peu en quoi ça impacte? Ça veut dire quoi le style de vie?
Emilie Steinbach : Ouais, le mode vie. En fait on s’intéresse au mode de vie, moi, et je trouve pas encore assez, moi je vais commencer à m’intéresser au mode de vie parce qu’au delà de la génétique ou des traumatismes vécus dans l’enfance, le mode de vie est modifiable dans une certaine mesure. Dans une certaine mesure parce que certaines personnes n’ont pas la capacité de modifier leur mode de vie, c’est complexe.
Clémentine Sarlat : Oui parce qu’il faut avoir des ressources financières pour modifier son mode de vie quand même.
Emilie Steinbach : En fait manger comme un paysan ça coûte pas très cher, Mais c’est que certaines personnes qui sont par exemple addictes aux aliments ultra transformés, c’est difficile demain se dire je vais manger comme Émilie a dit, mes portions d’épinards chaque jour, etc. Et ça demande du temps, ça demande des connaissances qui sont très peu accessibles. J’ai l’impression qu’à chaque fois que je raconte des trucs hyper banals, et pourtant, chaque fois que je raconte un truc, je reçois des centaines de messages qui disent « merci, je ne mens jamais de ceci, je vais m’y mettre ». Et puis quelques mois plus tard, des personnes qui me disent « grâce à ta conférence sur tel sujet, je me sens mieux ». Ou des entreprises qui me disent qu’elles ont vraiment vu un impact dans leurs équipes. Donc bref.
Le mode de vie, pour moi le pilier du mode de vie sur lequel il faut agir en premier, c’est le sommeil. Et puis t’as la nutrition et l’activité physique, ensuite la gestion du stress, qui est importante. Mais puis t’as plein de choses, t’as les connexions sociales, comme je l’ai dit, c’est un facteur absolument crucial pour une bonne réserve cognitive, le fait de te challenger, parfois la spiritualité aussi pour rentrer en compte. J’aime bien donner l’exemple de la démence, de maladies neurodégénératives comme Alzheimer. Il y a des gènes qui favorisent l’apparition d’Alzheimer comme APOE4. Quand tu es porteur de ce gène, tu as un plus haut risque d’avoir cette maladie. Mais pas total. Et donc, sur la population de personnes qui développent, disons, Alzheimer, certaines personnes pensent qu’en fait 90% de la population va avoir Alzheimer, 90% de la population va avoir Alzheimer.
Alors qu’en fait, la maladie d’Alzheimer expliquée par les gènes reste à peu près à 3% de la population. Et même quand on est porteur de différents gènes, parce que t’as certains gènes qui sont à haute pénétrance, ça veut dire que souvent, si tu l’as, ton risque est vraiment augmenté. Mais souvent, les gens sont au courant, c’est des personnes où il y a des cas familiaux d’apparition d’Alzheimer très tôt dans la vie, très violente, avec souvent une mortalité plus jeune. Mais dans la plupart des cas, en fait, le mode de vie joue énormément. Donc là, j’ai parlé d’une réduction de 53% du risque d’avoir Alzheimer avec le régime MIND dont on a parlé. Mais là-dedans, tu as le sommeil, tu as l’activité physique. Je pourrais te donner une étude à chaque fois pour montrer que l’activité physique permet de ralentir le déclin cognitif.
Même chez des personnes qui ont déjà un déclin cognitif, le fait de se muscler permet de réduire le déclin cognitif. C’est absolument fascinant. Ce qu’il faut se dire, c’est prendre un peu de temps pour modifier son mode de vie, c’est vraiment investir dans plus d’années de vie, mais surtout plus d’années de vie en bonne santé.
Clémentine Sarlat : Est-ce que nous, en tant que femmes, on doit faire plus attention à certains aspects de notre santé parce que notre corps, physiologiquement, ne fonctionne pas tout à fait de la même manière que ceux des hommes? On est plus impacté par des choses?
Emilie Steinbach : Alors nous, en tant que femmes, nous sommes négligées par la science. Donc je pense que d’ici 20 ans, on pourra répondre à la question en expliquant qu’il faut faire attention à ceci, ceci, cela. Aujourd’hui, c’est toujours pas le cas. Les hommes ont été plus étudiés que les femmes, et pour des raisons aussi pratiques, parce que la femme connaît des cycles, et si on voulait vraiment bien étudier les femmes, il faudrait les étudier à différentes périodes de cycles, comparer des groupes de femmes qui sont à différentes périodes de cycles et à différentes périodes de la vie, parce que nos hormones fluctuent tous les mois environ, je ne vais pas rentrer dans les détails, mais aussi au cours de la vie.
Et ça, certaines personnes vont dire “oui, je vais te donner le régime alimentaire en fonction de ton cycle ou le régime alimentaire en fonction du moment de ta vie”. Bonne idée, mais en vrai la recherche n’y est pas encore. Les femmes ne sont pas assez étudiées aujourd’hui. Donc j’espère que dans 20 ans je pourrai te répondre avec une question précise, mais aujourd’hui ce n’est pas le cas. Ce que j’aimerais dire aux femmes, c’est ne pas… Sous-estimer leurs souffrances ou leurs troubles. Souvent, on a tendance à, quand on est malade, “mordre sur sa chic”, comme on dit en Belgique. Et les femmes ont tendance à attendre plus longtemps pour demander de l’aide. Par exemple, quand une femme souffre d’un accident vasculaire, il est prouvé qu’elle attend plus longtemps qu’un homme pour appeler les secours et donc elle a plus de risque de mourir.
Et aussi, les femmes avant la ménopause sont protégées par les oestrogènes qui sont, on va dire protecteurs, notamment neuroprotecteurs. Il y a des études qui sont faites chez la souris où on retire leurs ovaires et on voit qu’elles commencent à avoir un déclin cognitif. Quand on leur administre des œstrogènes, il y a une restauration des capacités cognitives. Donc, ne pas sous-estimer le changement fondamental de la ménopause et chercher de l’aide, parce qu’au moment où les oestrogènes chutent, on devient plus à risque, comme les hommes, de maladies cardiovasculaires, de déclins cognitifs, mais aussi c’est un changement qui apparemment bouleverse complètement nos vies. Et qui n’est pas assez compris, pas assez étudié et souvent négligé.
Donc si le médecin ne vous prend pas au sérieux, si vous allez voir votre médecin aujourd’hui ou à la ménopause et qu’il ne prend pas au sérieux votre déprime ou le fait que vous n’arrêtez pas de perdre votre chose, vous avez laissé le téléphone dans le frigo sans faire exprès, que des choses changent, changer le médecin, challenger-les, et dans une certaine mesure, essayer d’aller dans… Se faire suivre par des médecins qui font partie d’un milieu universitaire et qui travaillent avec des équipes pluridisciplinaires. Ça permet de peut-être se rendre compte que cette dame, elle est vraiment… Pendant un meeting d’équipe, de parler avec le neurologue et dire qu’elle a l’air d’être à risque de démence. Et en fait, le psychiatre va dire mais non, en fait, la dépression imite la démence, donc il faut traiter sa dépression.
Je pense que, vraiment, chercher de l’aide, et si l’aide… Parce qu’on nous prend parfois pour des…
Clémentine Sarlat : Des pigeons.
Emilie Steinbach : Des pigeons qui se plaignent, etc. Alors que c’est réel. Donc il faut changer de médecin s’il ne nous prend pas au sérieux. Je vais te donner un exemple de ma vie qui m’est arrivé pendant ma thèse. J’avais très mal au bas du ventre, mais j’étais très stressée par ma thèse, j’ai travaillé beaucoup trop. Et j’avais vraiment très très très mal au bas du ventre. Quand je marchais, j’avais l’impression qu’on me rentrait un couteau dans le bas du ventre. Donc j’ai été voir mon généraliste en lui disant ça. Il m’a dit “vous devez avoir une inflammation au côlon, quelque chose comme ça, parce que vous êtes stressée, il faut se détendre, madame”… Ok. On m’a prescrit du Xanax. “Et peut-être qu’il faudrait arrêter votre thèse”. Merci monsieur.
Et puis j’ai été aussi voir quelqu’un pour… J’ai cherché un psy, j’ai pas trouvé de psy, j’ai été voir un psychiatre. Je disais “je commence à voir mal”, enfin voilà. En plus j’étais très stressée. Aussi la réponse était du Xanax. Et puis finalement, il m’est arrivé quelque chose d’un peu choquant. Je suis tombée dans les pommes dans une situation particulière. Parce que j’ai eu une torsion d’ovaire, parce que j’avais un kyst qui faisait 8 cm de diamètre. Et en fait, j’ai été chez mon médecin après trois mois de déjà énorme souffrance. C’est-à-dire que quand je me penchais pour mettre une assiette dans mon lave-vaisselle, j’avais l’impression que je devais me tenir au comptoir pour porter ma pomme.
Et donc la gynécologue, je lui raconte tout, elle était un peu choquée et puis on commence l’examination et elle me dit “mais enfin madame vous allez vous faire pipi dessus là, votre vessie elle est pleine à craquer quoi”. Je lui dis non, donc je vais faire pipi, je reviens, elle me remet la sonde, elle dit « Oh, c’est un kyste à l’ovaire droit, j’avoue que je n’ai jamais vu un kyste aussi gros, vous êtes… » Elle m’a dit « masochiste », c’est un terme, non? De vivre comme ça. En fait, c’était tellement un kyste qui était gros que j’ai dû me faire opérer d’urgence parce que je risquais devenir moitié stérile. En fait, c’était une souffrance horrible et quand je tombais dans les pommes, de torsions d’ovaires, c’est une douleur qui est inimaginable, tellement inimaginable que mon cerveau décide de couper.
Enfin voilà, donc quand on vous prend pour une chochotte en fait, changez le médecin, vraiment. Voilà, un exemple concret.
Clémentine Sarlat : C’est dur. Mais oui, c’est un exemple que malheureusement beaucoup de femmes pourraient raconter face à la médecine et où on n’écoute pas leurs symptômes. Donc c’est bien de l’entendre de ta voix aussi. Si on parle d’un autre aspect de ta spécialité, c’est le sommeil. Et ça je pense ça va intéresser beaucoup de parents, parce que le sommeil est une notion vague pour nous, avec des enfants en bas âges parfois. Pourquoi est-ce que c’est une des composantes les plus importantes de notre santé?
Emilie Steinbach : Vraiment, t’expliquer son effet sur chaque aspect de la santé, il me faudrait 60 000 heures. Juste pour parler du cerveau, il faut imaginer que quand tu dors, imagine que ton cerveau c’est la plus grande ville du monde. Imagine que quand tu dors, c’est le moment où t’as plein de… De gens qui passent pour laver les rues, au karcher, sortir les sacs poubelle, etc. Dormir permet vraiment, certaines personnes disent nettoyer le cerveau, je trouve ça con mais en vrai ça permet de bien imaginer que le sommeil est absolument crucial pour la santé de notre cerveau. Et puis il n’y a pas une seule fonction dans notre corps ou dans notre cerveau qui n’est pas améliorée par une bonne nuit de sommeil. Hier tu étais déprimé, tu dors bien, le lendemain tu te sens mieux. T’étais fatigué, t’avais plus de créativité au travail.
Tu te réveilles et même tu as des nouvelles idées, tu vois. Le sommeil améliore la créativité, la mémoire. En fait, quand j’ai fait la recherche sur le sommeil, c’était l’impact du sommeil sur la mémoire. Et on fait des expériences tout à fait machiavéliques où on réveille nos participants en plein milieu de la nuit et on regarde s’ils ont mieux mémorisé ou au moins bien mémorisé. En fait, quand tu perturbes le sommeil des gens, tout va mal le lendemain. Alors que si tu manges mal, l’effet est moins visible, plus lentement. Si tu dors mal, tous les parents qui écoutent ce podcast savent que quand tu dors mal, tout va mal. Et je pense que quand on devient parent, c’est un moment où on a un risque de développer un type d’insomnie qui s’appelle les insomnies psychophysiologiques. T’en as déjà entendu parler?
Parce qu’en fait, ça peut être tellement frustrant, notre relation avec le sommeil pendant la… Petite enfance, qu’on peut développer des angoisses autour du sommeil ou des croyances ou des envies d’optimiser son sommeil, de le voir comme quelque chose de productif qu’il faut améliorer et ça crée de l’anxiété. En fait, tout stress autour du sommeil est contre-productif. Essayer de dormir à tout prix crée de l’anxiété. L’anxiété ne va pas bien avec le sommeil. Ici, ce qui est important de dire, c’est que si vous souffrez de troubles du sommeil, type insomnie psychophysiologique, il faut chercher de l’aide, mais de l’aide qui est intelligente. Donc l’insomnie psychophysiologique, je vais te donner quelques idées de symptômes que les gens ressentent.
Typiquement t’es crevé, au moment d’aller te coucher, pouf, ton cerveau se réveille, là tu commences à penser, t’as to do list, tu commences à avoir presque des sueurs, tu vois t’as chaud, tu te retournes dans tous les sens, t’arrives pas à dormir, t’as de la tachycardie, tu commences déjà à t’énerver, Parce que tu ne dors pas et tu sais que demain ça n’ira pas, tu seras encore plus fatigué, etc. Ou tu te réveilles en plein milieu de la nuit, tu regardes l’heure et tu te dis « waouh, il est déjà 4h du matin, ça veut dire que je vais rater 3h de sommeil si je ne dors pas jusqu’à 7h », et tu commences à avoir plein d’idées de stress autour du sommeil. Ce type d’insomnie, elle se soigne.
C’est une insomnie qui, on l’appelle, est primaire, c’est-à-dire qu’elle est due à cause de nous. Ce n’est pas parce qu’on a de l’asthme ou des douleurs, elle se soigne. Certains médecins vont prescrire un neuroleptique, disons par exemple du zolpidem, qui fonctionne très bien pour donner l’impression qu’on dort, mais ce n’est pas du vrai sommeil, c’est comme un état de coma. Et d’ailleurs ça a des répercussions sur la vie à long terme de prendre ce type de produits chimiques pour imiter un sommeil. C’est pas un sommeil de qualité donc ça ne nous permet pas de se réparer par un bon sommeil. Le traitement qui fonctionne le mieux, c’est la thérapie cognitivo-comportementale pour les insomnies. Un TCCI, ça dure à peu près dix séances. Il y a plein de praticiens. Souvent, le temps d’attente n’est pas très long parce qu’on n’en parle pas beaucoup.
Et ça, c’est fascinant. Des études ont montré que dans la quasiment totalité des cas de patients qui souffrent d’insomnie psychophysiologique, après avoir fait la TCCI, il n’y a plus d’insomnie. Et puis dans une majorité des cas, au-dessus de 50%, je pense que la statistique c’est à peu près 60%, il n’y a plus besoin à vie d’aller voir un médecin pour des troubles du sommeil. Donc faites-vous soigner si vous avez des troubles du sommeil, c’est important, de ce type-là. Et puis, il y a plein de choses à faire en vrai pour améliorer son sommeil.
Clémentine Sarlat : Oui, c’est juste qu’on le sait dans la période où nos enfants se réveillent parce que… J’ai une fille asthmatique par exemple, quand elle a un crise, c’est l’enfer la nuit, parce que les crises c’est souvent la nuit. Il y en a une qui a assez dents, il y en a une qui a peur, une qui a fait pipi au lit, tu te dis en fait ça s’arrête jamais. Je sais que les nuits où elles m’ont réveillée, 5, 6, 7 fois ça arrive encore, j’ai envie de me taper la tête contre le mur le matin. Tellement le manque de sommeil, ça rend fou en fait, ça rend vraiment…
Emilie Steinbach : Bah c’est un type de torture.
Clémentine Sarlat :
Et les jours où je suis en déplacement, je suis à l’hôtel, je dors des nuits complètes, même si j’ai pas dormi mes 7-8 heures que j’aimerais, j’ai dormi 6h30 ou j’en sais rien parce que je travaillais assez tard, je me sens quand même beaucoup plus compétente et beaucoup plus moi-même au final. Je leur dis à mes filles quand j’ai pas dormi la nuit, je suis maman dragon. C’est terrible de sentir à ce point-là pas toi-même en fait. Ce truc d’être à côté de ses pompes quand t’as pas dormi. Au-delà de pas dormir, quand tu te fais réveiller tout le temps en fait. Tu vois ce que disait machiavélique ? Je voyais mes enfants être machiavéliques, je me disais c’est eux.
Emilie Steinbach : Ils font une expérience sur maman pour voir si elle devient déprimée.
Clémentine Sarlat : À quel moment ça s’arrête là? Jusqu’à où elle peut aller? C’est hyper dur, c’est vrai. Ce manque de sommeil-là, qui crée comme tu dis après des angoisses autour du sommeil.
Emilie Steinbach : Après cette période-là, c’est intéressant de chercher de l’aide. Bon voilà, là tu peux rien faire en fait.
Clémentine Sarlat : Beh non, faut attendre. C’est ça qui est dur, faut prendre des relais, quand j’en ai deux, faut essayer de se relier, de trouver des astuces.
Emilie Steinbach : Et parfois j’essaie de me rassurer en me disant que du point de vue de l’évolution, ce manque de sommeil pendant une certaine période de la vie, ne doit pas être tellement mauvais pour nous, on a une série d’hormones qui prend le dessus, etc. Par contre, à vie, mal dormir, ça c’est problématique. Donc après cette période difficile, cherchez de l’aide si on n’en a pas.
Clémentine Sarlat : T’as raison, si ça continue. Oui parce que là on connaît la cause. On va terminer par cette notion du stress dans notre société. Parce que t’en as parlé dans le mode de vie. On est dans des sociétés occidentales où en fait le stress est omniprésent. C’est un impact très fort ou on sait pas trop?
Emilie Steinbach : Si, si, c’est un impact très fort, surtout. Même le microbe intestinal souffre de stress. Autre étude machiavélique : quand on prend des souris… J’ai vu cette étude pendant le confinement et je trouvais ça marrant. Donc il y en a plein d’autres qui sont sortis, mais… Enfin, c’est marrant. Moi, en tant que scientifique, je trouve ça marrant parce que je me dis, waouh, c’est vraiment fascinant, mais c’est pas marrant du tout. Ils ont pris des souris, ils les ont stressés, comme si tu stressais un être humain, avec des types de souffrances qu’on aurait pu vivre, par exemple, pendant le confinement. Et ensuite, ils ont pris le microbiote de ces petites souris stressées et les ont mis dans des souris qui n’ont pas été stressées. Les souris deviennent stressées, anxieuses, dépressives.
Alors, une souris n’est pas anxieuse et dépressive comme un être humain, mais ils montent des signes où ils ne se grooment plus, ils ne se nettoient plus, ils ont peur de l’expérimentateur, elles restent seules aussi, elles ne vont plus voir leurs petites souris copines, elles vont moins sur leurs roues. Donc un effet sur le microbiote intestinal, un effet sur le système immunitaire. Les personnes qui souffrent de stress chronique peuvent tomber plus malades. Mais parfois quand tu as vécu une période de stress très intense et tout d’un coup ça va mieux, génial, tu pars en vacances. Non, les trois premiers jours de vacances, tu es malade.
Clémentine Sarlat : Ouais, ça c’est insupportable. Le retour de bâton.
Emilie Steinbach : C’est un signe. J’ai une copine, à chaque fois on part en vacances, chaque été. Marie, si tu m’entends. Chaque été, on arrive en vacances, elle est trop contente. Et les trois premiers jours de vacances, elle est vraiment au fond du lit, quoi. Et je lui dis, ça c’est un signe que tu as trop tiré sur la corde et qu’au moment où tu lâches tout, ton système immunitaire qui s’est battu pour toi, il pensait que tu étais chassé par un lion seul dans la nature. Tu vois, il y a eu un overdrive du système immunitaire, à un moment où tu te détends, il y a tout qui explose. À chaque fois elle a des maladies hyper marrantes en plus. Enfin marrantes, pour une scientifique. Des cas vraiment rares, tu vois. Un truc improbable. Bref. Le stress altère aussi notre métabolisme.
Être stressé de manière chronique favorise une augmentation de l’appétit, la prise de poids. Être stressé de manière chronique, tu le sais, affecte le sommeil. Le sommeil, c’est le pilier de notre santé. Augmente le risque de souffrir de dépression, d’avoir un déclin cognitif plus rapide, troubles de la mémoire. Je parlais du stress ou du sommeil, je sais plus. De toute façon, les deux c’est interconnecté. Aujourd’hui, on a des stress permanents, comme tu dis. Il faut se dire, moi j’aime bien expliquer qu’il faut avoir une relation positive avec le stress. Le stress c’est notre meilleur ami, il nous permet d’être la meilleure version de soi-même. A l’époque, si on se faisait chasser par un lion, Être stressé tout d’un coup nous permettait de penser beaucoup plus vite, de laisser tomber des fonctions qui servent à rien.
Pourquoi avoir envie de faire l’amour alors que tu te fais chasser par un lion, ou de manger alors que tu te fais chasser par un lion. Donc certaines fonctions étaient mises au repos et d’autres prenaient elles dessus. Tu vois, il y a plein de choses. Le cœur pompe à fond, il se passe plein de choses qui font que tu deviens la meilleure version de toi-même. Ta vision est plus claire. Tu peux te faire pipi, voire popo dessus, de stress, pour être plus rapide, courir plus vite et pour que ton intestin prenne moins d’énergie à digérer. Alors que, voilà, le lion est là. Mais en fait, le truc c’est que dans notre société, on vit un stress chronique. Et il n’y a pas un lion qui est tout le temps derrière nous. Et normalement, la réponse normale, c’est de combattre, de fuir ou de freeze.
Aujourd’hui, on ne peut pas dire… Tu vois, toi, tu passes souvent la télé, tu ne peux pas arriver en disant « Je suis super stressée! » et te cacher sous la table. Enfin, ce n’est pas une réponse appropriée. Surtout si c’est tous les jours. Le stress aigu n’est pas mauvais pour nous, le stress chronique l’est. Mais ce que je trouve intéressant, c’est que : si on arrive à voir le stress comme quelque chose de plus positif, il y a des études qui ont montré, quand tu prends un énorme groupe de participants et tu leur demandes s’ils sont très stressés, moyennement stressés, pas stressés dans la population, et puis que tu leur demandes est-ce que vous voyez le stress comme quelque chose de positif ou quelque chose de négatif, les personnes qui voient le stress comme positif ont un taux de mortalité moins élevé.
Et en fait, quand on prend par exemple un groupe de participants et qu’on va leur faire une tâche très stressante, passer à la télévision disons, moi ça me paraissait très stressant, pour toi. Et que avant de leur faire… mais c’était une tâche complexe d’un point de vue cérébral et en plus ils ont jugé de manière pas très sympa. Avant de leur faire passer l’examen, on va leur dire, voyez le stress comme quelque chose de positif, qui vous permet devenir plus malin, plus ceci, cela. Et l’autre, on leur dit rien. En fait, les personnes qui ont su que le stress leur permettait de devenir la meilleure version d’eux-mêmes, quand on mesure certains paramètres de santé, on voit qu’ils ont eu un stress qui semblait moins négatif sur l’organisme, notamment au niveau du cœur. Être stressé et d’être stressé, c’est pas productif.
Si vous êtes stressé de temps en temps, dites-vous que c’est quelque chose de positif qui vous permet d’être la meilleure version de soi-même. Par contre, stresser de manière chronique, là, il y a un problème. Alors, les petits conseils, c’est d’essayer d’identifier toutes les petites choses qui vous stressent au quotidien et déjà les enlever. Le téléphone en est un. Se réveiller et tout de suite ouvrir ses mails ou Instagram, pour nous qui sommes créatrices de contenu, c’est une source de stress. Non, on va se dire, j’attends d’ouvrir mon téléphone. Par exemple, je l’ouvre quand je quitte la maison. Ça peut être plein de choses, mais essayez d’identifier tout seul les choses qui vous stressent. À chaque fois que je vais dans le métro, je suis stressée. Je passe une mauvaise expérience, mais pourquoi pas aller au travail à vélo, tu vois.
Ça, c’est les petites choses. Et puis, si vous souffrez de stress chronique, cherchez de l’aide. Là, je vais parler de dépression, mais des études montrent qu’un individu attend à peu près dix ans avant de chercher de l’aide quand il souffre de dépression.
Clémentine Sarlat : 10 ans!
Emilie Steinbach : C’est une maladie très grave qui n’est pas un trait de personnalité, ça veut pas dire qu’on est faible, qu’on est une chochotte. Il faut chercher l’aide le plus vite possible, c’est pareil pour le stress. Il y a des choses qui peuvent nous aider à gérer le stress comme la respiration ou simplement parler avec quelqu’un pour essayer de trouver des solutions.
Clémentine Sarlat : C’était intéressant tout à l’heure ce que tu avais fait comme parallèle sur le corps qui, quand il réagit au stress, il élimine quelques fonctions pour pouvoir aller plus vite. Je pense à ça pour les femmes enceintes qui ont peur d’avoir des selles pendant l’accouchement. Dites-vous que quand votre corps commence à éliminer ce qu’il y a dans votre intestin, c’est qu’il se dit qu’il a autre chose à faire de plus important, c’est-à-dire sortir le bébé. Donc c’est un bon signe, c’est que ça arrive. Je vais le raconter à chaque fois, mais à mes deux accouchements à la maison, on est vraiment perturbés par rien, on est dans un environnement hyper calme et safe.
Et quand on commence à aller aux toilettes, notre sage-femme, elle sait que ça veut dire que le corps est en train de se mettre en marche et que le bébé va arriver dans pas longtemps. Et je sais que dans les salles d’accouchement, elle voit ça aussi comme un signe positif. On se rend peut-être pas bien compte que c’est un stress, mais… Positif en fait, qui donne un bon signal de ce qui va se passer. C’est une vraie peur des femmes, c’est marrant d’avoir du caca, mais en fait ça fait partie de la vie, du processus du corps.
Emilie Steinbach : C’est vrai que ça doit faire peur à certaines personnes. Moi j’ai pas peur de ça.
Clémentine Sarlat : Je pense que c’est le regard des autres, parce que t’es dans une salle d’accouchement. Mais c’est que ton corps est en train de…
Emilie Steinbach : Le regard même de ton conjoint, en fait.
Clémentine Sarlat : Aussi, sûrement.
Emilie Steinbach : Parce que la personne qui te fait accoucher, elle a dû en voir… Oui.
Clémentine Sarlat : Mais tu fais pas caca devant les gens. Forcément, t’es un peu intimidée que ça t’arrive.
Emilie Steinbach : Moi, travailler dans le milieu médical m’a permis quand même de me rendre compte que c’est vraiment vrai, que les médecins n’ont rien à foutre de la taille de tes seins, de la forme de ta chatte. Désolée d’être crue, mais pendant mes trois années de thèse, j’étais souvent dans des salles de chirurgie digestive, d’endoscopie, où on faisait soit des fibroscopies, donc c’est un tube qu’on insère par le haut, soit des coloscopies, on insère l’endoscope par le bas. La première fois que j’ai assisté à une endoscopie, quand ils ont levé la blouse du patient, comme une conne, je me suis retournée par décence pour le patient qui était endormi. Donc je me retourne en me disant “il n’a peut-être pas envie de voir que je vois. Moi, la petite doctorante, le moment où on insère un endoscope dans son cul, il dort.”
Tous les médecins ont éclaté de rire, ils m’ont dit « mais qu’est-ce que tu fais? » « J’ai pas envie de regarder, c’est pas très sympa. » Ils m’ont dit « mais enfin, qu’est-ce que c’est que cette histoire? » Et en fait, après, donc je ne me suis plus jamais retournée et j’ai regardé, en fait tu regardes même pas et j’ai vu tout type de corps, tout type… Personne ne regarde, il n’y a jamais de commentaires, parfois les femmes ne sont pas du tout épilées, ce qui est normal en fait. Il n’y a jamais un commentaire, parfois elles sont complètement épilées, on ne dit rien, on voit tout type vraiment d’anatomie là-dessous.
Clémentine Sarlat : C’est pas le pro… Vous n’êtes pas focalisés sur ça en même temps, c’est pas ce que vous êtes venus chercher.
Emilie Steinbach : Il n’y a jamais eu un commentaire. Et ça m’a rassurée, je me suis dit bon bah… Et parfois les patients se chient dessus pendant l’examen, il y a des bruits… Personne ne dit rien, tout le monde s’en fout.
Clémentine Sarlat : C’est nous du point de vue du patient. Allez, j’ai une dernière question parce qu’on a fait quand même un très grand tour de tous tes sujets d’études, même si je sais tu as simplifié et on pourrait aller plus loin et tu pourrais parler des études encore plus longtemps. Chez nous les femmes, à partir d’un certain âge, on perd notre densité musculaire. Pourquoi est-ce que c’est si important de faire du sport et de maintenir cette densité musculaire?
Emilie Steinbach : Ok, je vais faire très court. À partir de 30 ans, notre masse musculaire ne fait que se dégrader. Elle chute.
Clémentine Sarlat : C’est la merde.
Emilie Steinbach : Exact. En plus, à la ménopause, à cause du changement hormonal, notre masse musculaire se dégrade encore plus. La première raison qui est assez claire, c’est que si tu as une chute de masse musculaire, tu perds ton indépendance. Plus tard, tu as envie de te lever, de prendre tes petits-enfants dans les bras et d’aller aux toilettes tout seul, par exemple, puisque ça a l’air d’être un sujet pour lequel on n’a pas envie demander de l’aide. En plus de ça, la masse musculaire, c’est un organe qui ne sert pas que à se déplacer. Il a des fonctions pour améliorer, par exemple, notre santé métabolique et même pour la santé mentale et cognitive. Le fait de se muscler, par exemple, favorise une meilleure neuroplasticité, une meilleure humeur, une meilleure estime de soi.
Donc il faut absolument faire au moins deux séances de renforcement musculaire qui visent à muscler toute la chaîne musculaire, pas que abdos, fessiers deux fois par semaine parce que j’ai envie d’être bonne à la plage, non, tous les muscles du corps. Et ça c’est le minimum. Autrement, ça peut avoir des répercussions sur absolument chaque aspect de notre santé. Et peut-être pour finir, voilà, je te l’ai dit, mais des personnes qui ont déjà un déclin cognitif, qui sont dans un Ehpad, quand on leur fait se muscler le corps, il y a un retour des fonctions cognitives. Donc si on peut faire quelque chose pour… C’est quand même assez simple. Pour aller mieux, vivre mieux et jusque tard dans la vie, faisons-le. Je sais qu’une femme a peur d’être trop musclée. Heureusement, même si en vrai pas heureusement, on est protégée. C’est très compliqué d’être musclée comme un bœuf.
Clémentine Sarlat : Quand on est une femme, tu veux dire? Ou de manière générale? Ou ça te demande beaucoup d’implications, d’heures de muscu?
Emilie Steinbach : Si tu voulais être musclée, tu vas pouvoir la faire comme ça.
Clémentine Sarlat : Faire du bodybuilding.
Emilie Steinbach : Ce serait ton job à plein temps. Deux séances de renforcement musculaire ne te rendra que plus fit. Et en forme.
Clémentine Sarlat : En meilleure santé cognitive et en longévité en fait. C’est surtout ça qu’il faut le voir.
Emilie Steinbach : N’ayez pas peur de vous muscler. Et on ne nous parle pas… Quand tu vas à la salle de sport et que tu… T’utilises des haltères et tout, on te regarde un peu. Mais non.
Clémentine Sarlat : C’est ça, il faut prendre des poids même s’ils sont légers, il faut pouvoir avoir ce renforcement musculaire.
Emilie Steinbach : Une bonne séance de renforcement musculaire, au sens strict du terme, c’est réaliser des séries courtes jusqu’à épuisement. Donc si vous n’avez jamais fait de squats de votre vie et vous faites 12 squats à la fin des 12 squats non chargés, vous tremblotez un peu ou même vous relevez avec le banc d’à côté, tu vois, c’est bien. Si après cinq ans de faire des squats, en fait ça ne suffit plus, vous prenez des charges. Et en fait c’est pour aller jusqu’à l’épuisement. Vous vous dites peut-être à quoi ça sert de muscler comme un bœuf. Non déjà vous ne serez pas un bœuf. Mais quand vous aurez 70 ans, vous penserez à moi et vous direz…
Clémentine Sarlat : C’était utile.
Emilie Steinbach : Je suis la plus fit de mes copines. Je sais marcher.
Clémentine Sarlat : Non, mais c’est vrai que c’est vraiment important parce qu’on a un mode de vie qui est beaucoup plus sédentaire. Peut-être que nos mères n’ont pas fait ce sport-là, mais peut-être qu’elles bougeaient beaucoup plus. Aujourd’hui, entre le télétravail, le Covid qui est passé, on a quand même perdu en mobilité. On a oublié que c’est important le mouvement et en tant que femme, avec la ménopause qui arrive, on n’est plus sujette à perdre cette densité. Et elle est très importante.
Emilie Steinbach : Oui, après la ménopause, c’est difficile de construire des muscles. D’où le fait de faire des séances de renfo, des courtes répétitions jusqu’à épuisement.
Clémentine Sarlat : Donc, si on récapitule un peu, on a parlé du mode de vie au final, parce que tu as parlé du stress, du sommeil, de l’alimentation et du sport. Est-ce qu’on oublie dans le mode de vie autre chose?
Emilie Steinbach : Il y a le plus comme les relations sociales, mais ça c’est vraiment des choses importantes sur lesquelles on peut agir. Et sur lequel il faut agir, en fait.
Clémentine Sarlat : Merci beaucoup, Émilie.
Emilie Steinbach : Avec plaisir, merci de m’avoir reçue.
Clémentine Sarlat : C’était trop intéressant et j’espère te recevoir avant 20 ans, une autre fois, et qu’il y aura d’autres études.
Emilie Steinbach : À la sortie de mon livre.
Clémentine Sarlat : Sur les femmes, déjà. Et voilà, la sortie de ton livre. Avec grand plaisir. Merci, Émilie.
Emilie Steinbach : Merci beaucoup.