C’est une maladie essentiellement féminine et qui concerne majoritairement les adolescentes.
Je crois qu’il est important d’avoir ce chiffre en tête, 1 personne malade sur 5 meurt de l’anorexie.
J’ai voulu comprendre un peu plus les dessous de ce trouble du comportement alimentaire en invitant Laura Di Lodovico, médecin psychiatre italienne, ancienne cheffe de clinique aux hôpitaux de Paris et chercheuse à l’INSERM spécialisée sur le sujet.
Laura prend le temps d’expliquer à vous parents, les ressorts de cette maladie, les signes à repérer, la prise en charge à demander et toutes les stigmatisations dont cette maladie souffre.
L’anorexie touche de plus en plus jeunes alors parlons-en !
En enregistrant cet épisode j’ai eu des pensées constantes pour mes amies qui ont souffert d’anorexie et pour une personne de ma famille qui a traversé cette maladie. Je suis éternellement reconnaissante qu’elles soient toujours en vie aujourd’hui.
🗣️ Au programme :
🧠 Introduction à l’anorexie mentale (00:00 – 11:23)
🍽️ Caractéristiques de l’anorexie mentale (11:25 – 21:33)
👥 Facteurs de risque et signes d’alerte (21:33 – 29:47)
📊 Prévalence et impact de l’anorexie (29:47 – 38:43)
🏥 Traitement et guérison (38:43 – 46:47)
👪 Rôle des parents et prévention (46:47 – 57:23)
🤰 Anorexie et grossesse (57:23 – 01:07:59)
🦠 Impact du COVID-19 sur les TCA (01:07:59 – 01:16:59)
TRANSCRIPTION DE L’ÉPISODE
Laura Di Lodovico
Alors ça, c’est un message hyper important. De l’anorexie mentale, on guérit. On peut guérir. La rémission existe et c’est l’objectif de la prise en charge thérapeutique. Le traitement, comme on a dit tout à l’heure, la maladie est multifactorielle. Le traitement aussi, il est multidisciplinaire. C’est-à-dire que les résultats fait l’objet de l’interaction de plusieurs praticiens de santé.
Clémentine Sarlat
Bienvenue dans La Matrescence. Dans ce podcast, on part à l’aventure. L’aventure la plus merveilleuse et difficile de la vie: la parentalité. Laissez-vous embarquer au travers des épisodes qui explorent toutes les facettes des plus complexes au plus fun du monde des parents. Apprenez à rire, pleurer, découvrir et débattre en écoutant La Matressence. Nous avons une mission, vous donner des clés pour vous accompagner à n’importe quelle phase de votre parentalité. Je suis Clémentine Sarlat, votre hôte depuis mars 2019 déjà. Je suis ultra curieuse, très enthousiaste mais beaucoup trop bordélique. Je suis aussi maman de trois petites filles qui m’aident à me remettre en question quotidiennement et dans une autre vie. J’ai été journaliste sportive à la télé et aujourd’hui je vous aide à rayonner dans votre parentalité. Abonnez-vous pour ne rien rater. Allez let’s go !
L’anorexie mentale touche aujourd’hui près de 1% de la population française. C’est une maladie essentiellement féminine et qui concerne majoritairement les adolescentes. Je crois qu’il est important d’avoir ce chiffre en tête.
Une personne malade sur cinq meurt de l’anorexie. J’ai voulu comprendre un petit peu plus dans cet épisode les dessous de ce trouble du comportement alimentaire en invitant Laura Di Lodovico, médecin psychiatre italienne, ancienne cheffe de clinique aux hôpitaux de Paris et chercheuse à l’Inserm et à l’Université de Bordeaux, spécialisée sur le sujet. Laura prend le temps d’expliquer à vous, parents, les ressorts de cette maladie, les signes à repérer, la prise en charge à demander et toutes les stigmatisations dont cette maladie souffre. L’anorexie touche de plus en plus jeunes, alors parlons-en. En enregistrant cet épisode, j’ai eu des pensées constantes pour mes amis qui ont souffert d’anorexie et pour une personne de ma famille qui a traversé cette maladie. Je suis éternellement reconnaissante qu’elle soit toujours en vie aujourd’hui. Je vous souhaite une très bonne écoute. Bonjour Laura.
Laura Di Lodovico
Bonjour.
Clémentine Sarlat
Je dis Laura, c’est ça parce qu’en italien on dit Laura. Parfait. Mais on va parler français aujourd’hui, tu parles très très bien français évidemment. Tu es médecin psychiatre et tu es spécialisée sur un thème qui est je crois très important aujourd’hui mais qui est très difficile, les troubles du comportement alimentaire et notamment l’anorexie mentale. J’aimerais d’abord que tu m’expliques pourquoi tu as voulu être médecin psychiatre et te spécialiser dans ces troubles alimentaires ?
Laura Di Lodovico
Alors merci pour cette belle question. Alors, disons que j’ai toujours voulu faire la psychiatrie. J’ai toujours été intéressée par les cerveaux, la psychologie et ses pouvoirs absolus, disons ça. C’est ce qu’on peut faire par les cerveaux, c’est ce qu’on peut faire par tout ce que le cerveau contrôle, que ce soit de la volonté, que ce soit de la compréhension, que ce soit aussi tout ce qui est de l’ordre des émotions. Et j’avais envie de comprendre un peu tout ça et d’en faire l’objet de mon métier. Et surtout je ne me voyais pas faire quelque chose qui n’est pas l’autre comme objet. La psychiatrie parce que c’était une manière de soigner, on peut dire, la souffrance qu’on ne voit pas forcément.
Qu’on ne comprend pas forcément et c’est spécialité, un peu négligée parfois, parce qu’effectivement c’est très difficile parfois d’avoir à faire avec des patients qui souffrent de troubles psychiatriques, qui ne sont pas toujours au courant de souffrir de troubles psychiatriques, on reviendra en particulier pour l’anorexie mentale. Et l’anorexie mentale parce que c’est quelque chose qui m’a toujours beaucoup touchée du fait que j’étais dans des environnements, que ce soit des études on peut dire de haut niveau, un internat féminin, le sport aussi, en compétition, des niveaux qui sont à haut risque de ce type de troubles et j’ai vu beaucoup de filles que j’aimais beaucoup, tomber dedans tandis que d’autres avec les même facteurs, n’ont jamais développé d’anorexie mentale.
Et du coup la question c’est pourquoi et aussi effectivement comment faire pour aider cette forme de souffrance qui n’est pas dite et qui n’est pas vraiment facile à aborder, à gérer ?
Clémentine Sarlat
Donc c’est ton environnement et ce que tu as constaté qui t’a fait t’interroger en tant que médecin sur ce problème, cette thématique ?
Laura Di Lodovico
Oui, c’est ça. Ce qui m’a toujours intriguée, c’est la nature très paradoxale de cette maladie. C’est qu’elle est censée être un facteur de protection, on peut dire, d’autres troubles psychiatriques comme la schizophrénie, se retrouve comme un facteur qui s’associe plutôt à l’anorexie mentale. Par exemple, le bon résultat scolaire ou effectivement le statut socio-économique et ainsi de suite. Du coup, c’est tous ces paradoxes que je voulais mieux comprendre.
Clémentine Sarlat
Alors, est-ce que tu peux déjà nous donner la définition d’un TCA, donc Trouble du Comportement Alimentaire, et est-ce que c’est différent de l’anorexie mentale ?
Laura Di Lodovico
Oui. Alors, TCA, effectivement, trouble du comportement alimentaire ou des conduites alimentaires, il y a ces deux nomenclatures, vient représenter un ensemble de pathologies qui se caractérisent par la perversion, on peut dire la désorganisation, du rapport à l’alimentation. On sait que l’alimentation elle a plusieurs fonctions normalement. Donc une fonction on peut dire plutôt nutritive, biologique. On s’alimente pour avoir assez d’énergie pour que notre corps puisse effectivement effectuer toutes ses fonctions. Les fonctions autonomes et les fonctions qu’on peut contrôler comme les mouvements, les raisonnements. Il y a une fonction plutôt comment dire, sociale de l’alimentation. L’alimentation est souvent à l’occasion effectivement d’une rencontre, d’un partage, de discussions, de retrouvailles. En Italie en plus, on est vraiment très expert dans ça.
Et l’alimentation a aussi comment dire, une fonction purement édonique de plaisir, c’est-à-dire parfois effectivement on mange même au-delà de nos besoins pour se faire plaisir parce que c’est une forme de récompense qu’on peut se donner. Ces fonctions viennent à être soit mises des côtés, soit écrasées, soit perverties dans un trouble du comportement alimentaire. En plus de cela, ce changement du rapport à l’alimentation est source d’une souffrance pour l’individu, pour la personne, et ça peut avoir un retentissement qui, surtout dans les troubles du comportement alimentaire, est souvent physique, jusqu’à pouvoir mettre en danger la personne, mais aussi psychologique. Ça peut isoler la personne, ça peut lui prendre toutes les énergies et devenir une obsession.
On a parlé d’ensemble de pathologies, parce qu’il y a plusieurs troubles du comportement alimentaire, dont l’anorexie mentale, qui donc est un trouble du comportement alimentaire, est une pathologie spécifique au sein des troubles du comportement alimentaire. Il y a la boulimie, il y a l’hyperphagie boulimique, qui en anglais s’appelle binge eating, il y a ce qu’on appelle les troubles du comportement alimentaire non autrement spécifiés, on peut dire, qui sont des troubles du comportement alimentaire qui n’ont pas encore tous les critères diagnostiques pour rentrer dans l’un des troubles que j’ai cités, mais qui ont quand même un impact sur la vie de la personne.
Il y a d’autres formes, comme par exemple l’arphide, où il y a en fait, c’est un trouble, on peut dire, c’est ce qu’on appelle un trouble où on a une restriction alimentaire et un évitement alimentaire sans forcément qu’il y ait tous les critères de l’anorexie mentale qu’on va avoir ensemble. Ou d’autres troubles comme par exemple des personnes qui ne font que des hyperfagie-boulimiques pendant la nuit. C’est une constellation, c’est un spectre qui est très varié, qui peut donc avoir un retentissement sur la forme physique qui est différent. Les patientes avec anorexie mentale sont plutôt en sous-poids, tandis que les patients avec hyperphagie-boulimique sont souvent dans une condition de surpoids, voire d’obésité. Et l’anorexie mentale en particulier, c’est un trouble du comportement alimentaire qui se caractérise par une peur obsédante, envahissante de devenir gros ou de prendre du poids.
Qui est soutenue par une distorsion de l’image corporelle, ça aussi on verra bien de quoi on parle. Cette distorsion de l’image corporelle qui est résistante, on peut dire, aux données de la réalité, aux commentaires d’autrui, elle est tellement forte que ça peut entraîner des vrais efforts pour contrôler son apport calorique. Donc le contrôle de l’apport calorique dans l’anorexie mentale, se fait par la restriction alimentaire, qui est souvent une diminution de la quantité d’aliments ingérés, mais aussi la sélection de certains aliments et pas d’autres. Par exemple, les aliments qui sautent sont souvent ceux qui ont le plus haut contenu calorique. Dans tout ce qui est les sucres rapides, les desserts, souvent les féculents aussi. Donc on a des restrictions, mais il y a aussi d’autres manières de contrôler son poids.
Il y a un sous-groupe des patients avec anorexie mentale qui ont en plus des conduites de, on peut dire, expulsion du contenu du tube digestif qui peut se faire par des vomissements souvent provoqués et parfois par le médusage aussi de laxatifs. C’est ce qu’on appelle le sous-type avec accès hyperphagique et purgatif. Il y a des patients qui, en plus de la restriction, peuvent aussi occasionnellement faire des crises de boulimie, mais après effectivement compensées par ces conduites. Notre forme de compensation des apports alimentaires, ça sert pas qu’à ça mais c’est très fréquent en tout cas, c’est une activité physique qui est souvent complètement disproportionnée par rapport aux apports caloriques.
Donc on a dit qu’il y a la restriction, il y a les stratégies de contrôle du poids, il y a une perturbation de l’image de soi, il y a une peur devenir gros, et tout cela dans l’ensemble conduit à une condition de sous-poids, de dénutrition. Donc on a des patients qui sont plutôt à l’extrême bas, on peut dire, du spectre pondéral ou de l’indice de masse corporelle. On verra après, c’est une mesure clé.
Clémentine Sarlat
En fait, dans ce que tu expliques, dans les TCA, ce sont des maladies qui peuvent interférer l’une avec l’autre au final.
Laura Di Lodovico
Oui.
Clémentine Sarlat
On n’est pas forcément que anorexique, on peut être anorexique et boulimique. On peut faire de l’hyperphagie et faire de l’anorexie. Enfin voilà, il y a tout ça qui est ensemble. C’est compliqué j’imagine et à diagnostiquer et à traiter parce qu’il y a beaucoup de couches.
Laura Di Lodovico
Oui, oui. Et surtout, c’est qui est vrai aussi que On peut dire, c’est ça qu’on dit beaucoup à nos patients, on n’est pas anorexique, on n’est pas boulimique, on souffre d’anorexie, on souffre de boulimie. Et toutes ces pathologies peuvent aussi évoluer. C’est-à-dire, on voit par exemple des patients qui, au début de leur adolescence par exemple, avaient une forme d’anorexie mentale restrictive, qui après 2-3 ans s’est transformée dans une forme d’anorexie mentale avec conduite de purge. Donc une forme avec accès hyperphagique et conduite de purge. Et ça se trouve que plus tard, elle évoluera à boulimie ou pas. On peut dire que les issues et le développement du trouble, ça ne suit pas des règles générales. Mais oui, on peut avoir plusieurs dimensions au sein d’une même personne et au cours de l’histoire de cette personne aussi.
Clémentine Sarlat
Pourquoi est-ce qu’on déclenche ce type de maladie ?
Laura Di Lodovico
Alors ça c’est une autre excellente question à laquelle on peut dire personne ne sait répondre par une seule phrase ou une seule phrase qui dure cinq minutes. Effectivement alors, l’anorexie mentale comme presque toutes les maladies psychiatriques est une maladie multifactorielle. Ça veut dire qu’il faut vraiment oublier le rapport binaire une cause, une conséquence, un gène, une maladie, etc. Pour se dire qu’il y a plusieurs facteurs qui, au cours de l’histoire, s’accumulent, interagissent entre eux pour déterminer ou pas le déclenchement de la maladie. Il y a donc des facteurs qu’on appelle de vulnérabilité, qui sont des facteurs certains avec lesquels on nait.
Il y a beaucoup de recherches dans la génétique qui a montré par exemple qu’il y a une quantité très importante de toutes petites variations génétiques avec un très très très très faible effet tout seul, mais qui cumulés peuvent donner un risque plus élevé de développer la maladie. Des facteurs qui ne sont pas que psychologiques ou psychiatriques. Par exemple, une association génétique avec l’anxiété, avec le trouble obsessionnel compulsif, mais aussi d’ordre métabolique. Donc, des facteurs, oui, effectivement, métaboliques. Comme par exemple, le fait d’avoir le cholestérol qui est plus bas, la glycémie qui est plus bas, moins de chances d’avoir un diabète. Il y a donc tout un tas de génétiques qui n’expliquent absolument pas tout. Mais qui a un effet, qui peut contribuer. Il y a à contribuer à cette vulnérabilité, il y a aussi vraiment tous les facteurs familiaux.
Familiaux, c’est vraiment un grand champ où on peut dire que tout d’abord, pour rester dans la génétique, l’anorexie mentale est une maladie qui est en partie héritable. Ça veut dire qu’on a un taux d’héritabilité entre 50 et 70%. Ça veut dire que…
Clémentine Sarlat
Pas mal quand même. Élevé.
Laura Di Lodovico
Oui. Ça veut dire qu’avoir un membre de la famille, une mère, une soeur, une cousine, une tante anorexique augmente le risque de développer la maladie. Augmente le risque, ça veut dire que la maladie ne se déclarera jamais. C’est fort probable. Mais il y a ce risque qui est augmenté. Mais les facteurs familiaux ne se limitent pas à la génétique, il y a aussi tout ce qui est l’environnement et les premières années de la vie de la personne. Effectivement, les premières interactions se font au sein de la famille et donc souvent il peut y avoir des facteurs environnementaux qui ne se limitent absolument pas à la famille. Mais qui peuvent aussi être de l’ordre des premières interactions avec les autres enfants, la première scolarité, des facteurs plus ou moins traumatiques effectivement dont la personne peut faire l’expérience. Par exemple, on parle beaucoup de harcèlement scolaire.
Il y a beaucoup de facteurs, on peut dire, plus ou moins traumatisants. Qui peuvent contribuer à déterminer une vulnérabilité accrue. Il y a aussi des facteurs psychologiques de la personne, on sait qu’il y a des traits de personnalité qui sont plus associés au développement de la maladie plus tard, qui sont par exemple le perfectionnisme, donc tout ce qui est hautes exigences à l’égard de soi-même.
Laura Di Lodovico
Il y aussi tout ce qui est le neuroticisme, c’est-à-dire une vulnérabilité accrue à tout ce qui est l’anxiété, la dépression, une fragilité émotionnelle un peu plus importante. Donc il y a aussi ces types de facteurs et après il y a aussi des facteurs dits déclencheurs. Encore une fois on voit les facteurs de vulnérabilité, c’est donc ce gros mélange à proportions variables qui peut préparer un peu la personne et la rendre plus exposée. Après voilà, on arrive effectivement dans l’âge où la plupart des formes se déclarent, qui est l’adolescence. Âge des changements. De changements, on peut dire, de la personne comme individu au sein de la société. Donc tout ce qui est la séparation de la famille pour intégrer les groupes de pères, tout ce qui est les changements aussi d’école.
Il y a des changements sociaux effectivement qui portent la personne à se chercher et chercher son identité. Il y a des changements corporels, effectivement, l’enfant voit son corps changer à grande vitesse et développer les formes, surtout pour les filles, c’est développé en taille, il y a des changements qui peuvent être vécus de manière plus ou moins traumatique. Encore une fois, on voit aussi l’interaction avec les facteurs environnementaux. Et il y a aussi des choses qui font partie souvent, qui débutent souvent à l’adolescence. Encore une fois on a dit l’intégration avec les groupes de pères, les premières relations sentimentales. Parfois aussi le début d’un sport, parfois des sports de haut niveau, de certains sports qui mettent en avant aussi l’importance d’avoir un certain type de physique, et on peut voir comme à ces moments-là tout ça aussi vient contribuer.
Par exemple aussi les exigences scolaires, il y a encore une fois ces nouveaux mélanges de grands changements qui peuvent être vécus de manière plus ou moins traumatique et qui viennent souvent des interactions avec les autres, avec les groupes, mais encore une fois pas que. Parfois encore une fois des traumatismes qui surviennent pendant l’adolescence.
Clémentine Sarlat
Mais c’est fou, dans ce que tu expliques, il y a énormément de facteurs pour expliquer cette maladie. Donc vous, j’imagine, quand vous recevez vos patientes, parce que tu l’as dit, c’est beaucoup des filles, on va en parler après, c’est un travail d’enquête monstrueux que tu dois faire, j’imagine, pour comprendre d’où vient le trouble.
Laura Di Lodovico
Oui, oui souvent c’est ça, c’est ça exactement. On peut dire que c’est fondamental de se pencher vraiment sur l’histoire de la personne, sachant qu’il y a l’individu qui souffre de la maladie et parfois c’est vraiment la personne, c’est la patiente ou le patient qui va pouvoir nous aider à y voir plus clair et surtout pouvoir le soutenir parce que c’est un gros boulot. Le fait de prendre en charge les patients, de les accompagner dans les processus de guérison qui se fait d’énormément de composantes, de sphères, d’étapes aussi parce qu’on ne peut pas tout travailler en même temps. Mais oui, effectivement, le fait de connaître quelle a été la trajectoire du patient qui arrive chez nous, c’est absolument fondamental.
Clémentine Sarlat
Pourquoi est-ce que ce sont les adolescentes qui sont les plus touchées par cette maladie ?
Laura Di Lodovico
Oui effectivement, ça aussi c’est une donnée de réalité pour chaque homme, chaque garçon qui développe une anorexie mentale et il y en aura 9 à 13, enfin il y a 9 à 13 filles. C’est une maladie à haute prévalence féminine. Alors pourquoi encore une fois, les hypothèses sont plusieurs. Il y a d’abord effectivement le fait que la pression sociale, on peut dire, les facteurs environnementaux ne sont pas les mêmes. On a eu pour longtemps effectivement aussi un diktat qui est heureusement je pense en train de changer, mais une incitation un peu à la maigreur de la part de la société. Et je pense du coup un besoin d’adhérer à cette image, à ces stéréotypes qui étaient très forts encore une fois, qui je pense est en train d’évoluer un peu.
Il y a encore une fois tout ce qui est aussi de l’ordre de facteurs déterminés par la génétique, qui peuvent jouer un rôle. Il y a aussi tout ce qui est de l’ordre aussi de la biologie, qui sont les modifications du corps féminin qu’on cherche un peu à freiner. Parce que c’est surtout en fait la théorie psychanalytique qui insiste beaucoup sur le fait de développer une anorexie pendant l’adolescence et ainsi bloquer les temps. Bloquer les temps ça veut dire par exemple ne pas développer des formes féminines avec tout ce que ça pourrait comporter. Et chercher à prolonger quelque part l’enfance aussi. Chercher de différer ce qu’on appelle le processus de séparation, individuation, auquel on est un peu toutes appelé au moment devenir adolescentes. Et il y a aussi le grand enjeu de la sexualité. Avoir des formes, ça veut dire développer un corps sexué.
Et là on revient aussi au 7% des patientes qui ont fait l’expérience d’un traumatisme.
Clémentine Sarlat
Donc les violences sexuelles ont un impact, vécues dans l’enfance, ont un impact sur ces jeunes adolescentes qui ne veulent pas devenir avec des formes de femmes pour ne pas s’exposer à nouveau à une forme de violence sexuelle ? C’est un contrôle ?
Laura Di Lodovico
Oui, c’est l’un des cas des figures qu’on s’est trouvé à gérer, on en retrouve de plus en plus, encore une fois c’est l’une des possibilités et tu viens de dire un mot clair, la question du contrôle. Je pense qu’on se, effectivement, on prétend beaucoup aussi de, je pense qu’on prétend aussi beaucoup des femmes, des filles en général. Quelque chose de… En prétend beaucoup de performances, en prétend beaucoup d’affirmations. Et parfois l’anorexie mentale, effectivement, s’impose comme une possibilité de regagner le contrôle sur au moins une dimension de sa vie. Et de montrer aux autres aussi qu’on contrôle. Aux autres et à soi-même.
Clémentine Sarlat
Qu’on est en charge de sa vie et qu’on a un pouvoir, en fait, sur soi.
Laura Di Lodovico
Voilà, exactement.
Clémentine Sarlat
Et c’est ça aussi, la période sur la dernière de l’adolescence, parce que quand on est enfant, potentiellement, on a peu de contrôle sur notre vie, puisque c’est nos parents qui prennent les décisions majeures. Et l’émancipation, l’affirmation de soi quand on devient adolescente, c’est ce moment où on peut contrôler quelque chose que nos parents… Qui échappe à nos parents.
Laura Di Lodovico
Oui, oui.
Clémentine Sarlat
Il y a cet enjeu-là.
Laura Di Lodovico
Oui, exactement. Deux considérations en plus pour compléter le fait que, je dirais, Quelque part, avoir une forme de contrôle, ça veut dire pouvoir obtenir une meilleure estime de soi par ce biais. Parce qu’on retrouve souvent des personnes, des patientes avec une anorexie mentale, avec une estime de soi effondrée. Et donc c’est souvent quelque chose qui viendra les rassurer. Dans une angoisse de fond qu’elles peuvent éprouver. Et effectivement, ces gammes de contrôle, c’est aussi quelque part dans la dynamique familiale, une forme de révolte. De révolte un peu, on peut dire un peu à un bébé lourd, par rapport à certains passages adolescents beaucoup plus flamboyants, beaucoup plus fracassants qu’on peut voir dans d’autres cas des figures.
Et qui est beaucoup plus rare chez les patients qui développent une anorexie mentale, des personnes qui ont toujours été considérées comme des enfants sages, des personnes qui n’ont jamais fait de vagues, qui ont toujours été parfaites. Et qui, quelque part, passent aussi par là pour exprimer quelque chose qui est très difficile à exprimer autrement. À défaut pouvoir l’externaliser que ça se voit.
Clémentine Sarlat
Est-ce que cette maladie touche les enfants de plus en plus tôt ? On a parlé de l’adolescence, mais on sait que les TCA ça vient dans l’enfance. Est-ce que tu vois dans ta pratique que ça recule l’âge ? Il y a des enfants qui ne devraient même pas être dans ces conditions-là et qui sont déjà en train de parler de leur poids, de leur image ?
Laura Di Lodovico
Alors moi, je travaille dans un service d’adultes mais je suis d’accord avec ce que tu dis. Je vois l’âge de début des patientes qui arrivent chez nous. On a un lien avec des services de prise en charge de troubles du comportement alimentaire de l’enfant. C’est effectivement l’anorexie mentale et les troubles du comportement alimentaire chez l’enfant. C’est très complexe, c’est très intriguant parce qu’effectivement l’enfant aussi traverse des phases, des rapports avec l’alimentation qui sont… Voilà, qui sont très…
Clémentine Sarlat
C’est sûr que les enfants peuvent avoir des phases où ça nous perturbe, parce qu’ils veulent plus rien manger. Après, oui. Là, l’aliment, on l’aimait bien hier. Aujourd’hui, ils veulent plus. Et c’est vrai que ça peut être un peu… Ça peut secouer. Mais il y a une différence avec quelque chose qui est pathologique. Ça peut commencer à quel âge ?
Laura Di Lodovico
Alors, on a effectivement, ça peut commencer à, on peut dire, ça peut commencer à tout âge, on peut dire 6 ans, 7 ans, oui des bébés, même des bébés, on a aussi du nourrisson, là c’est vraiment un autre contexte effectivement. Qu’est-ce qu’elle exprime le nourrisson qui ne veut pas manger. Effectivement, on oublie un peu la dimension effectivement du corps pour se concentrer plutôt sur la dimension de l’angoisse et la dimension relationnelle. Et effectivement, quand on voit un rapport à l’alimentation qui se perturbe chez les enfants, on se pose quand même plusieurs questions. Est-ce que c’est de l’angoisse ? Est-ce que c’est une autre pathologie psychiatrique ? Parce qu’il y a des pathologies où ça se recoupe un peu, par exemple au niveau des rituels alimentaires, au niveau de l’éviction de certains aliments, on peut aussi se poser la question si, voilà, le comportement est inquiétant, invalidant, si ce n’est pas une forme d’autisme. C’est très intriguant, effectivement.
Clémentine Sarlat
Ou le trouble obsessionnel du comportement, ce genre de choses ?
Laura Di Lodovico
Oui, oui, un trouble obsessionnel compulsif, effectivement. Une forme d’angoisse. Une forme d’angoisse, d’une forme peut-être de dépression, c’est beaucoup plus rare, bien sûr, mais… Effectivement, pourquoi mon enfant ne mange pas ? Il peut y avoir plusieurs réponses. L’anorexie mental prépubère, on peut dire que c’est une maladie rare. Mais oui, c’est bien. Oui, je pense que c’est de plus en plus précoce.
Clémentine Sarlat
Je lisais quelque chose, pardon, je l’ai pas à la stat, ça me revient, que les petites filles à partir de 5 ans, elles ont déjà conscience si leur corps il est ok ou non aux yeux de la société. Ça m’avait tellement choquée de me dire qu’à 5 ans, elles sont déjà préoccupées par l’image qu’elles renvoient aux yeux des autres, au lieu de s’évertuer à jouer, à grimper, à se salir, à se raconter des histoires. Ça dit beaucoup, tu crois pas, de ce qu’on attend déjà des petites filles à cet âge-là, d’avoir une image corporelle qui convient à ce qu’on voudrait de la perfection ?
Laura Di Lodovico
Je pense, je pense effectivement, oui, c’est comme si ça devenait de plus en plus précoce, effectivement. Je pense aussi, et je pense qu’il y a plusieurs variables en jeu, parce que d’un côté c’est vrai aussi que, heureusement, la conscience de cette maladie évolue et évolue aussi grâce aux initiatives comme la tienne. Le fait de pouvoir le divulguer, de pouvoir offrir ces occasions de confrontation, d’informations au grand public. Mais c’est vrai aussi qu’on a des facteurs qui rentrent en jeu de plus en plus tôt et qui sont… moi j’ai en tête par exemple aussi l’accès aux réseaux sociaux et tout ce qui est donné de l’image, effectivement.
Clémentine Sarlat
Depuis que les réseaux sociaux sont arrivés dans nos vies, ça a un plus gros impact, ça génère plus de maladies ? C’est quoi le pourcentage de la population qui peut être touchée par l’anorexie ?
Laura Di Lodovico
Alors on parle de 0,9 à 1,5%.
Clémentine Sarlat
Ok. Ça reste quand même des centaines de milliers de gens au final.
Laura Di Lodovico
Oui, oui.
Clémentine Sarlat
Sur 68 millions à 1%…
Laura Di Lodovico
Oui.
Clémentine Sarlat
Ok.
Laura Di Lodovico
Et effectivement. Là par exemple à Saint-Anne, à Paris, on est en train de mettre en place un site internet ouvert en fait à toute la population de l’Île-de-France où la personne puisse répondre à des questionnaires et comprendre effectivement s’il y a quand même au moins des traits, des dimensions, sans forcément qu’il y ait un trouble tel que diagnosticable selon les critères, mais qu’il y a déjà des dimensions. Je pense que là on touche une partie des populations qui est beaucoup plus vaste, mais ils n’arrivent pas tous aux soins. C’est très difficile en fait d’établir une épidémiologie directe de l’anorexie mentale, en particulier en France.
Clémentine Sarlat
Pourquoi?
Laura Di Lodovico
Alors ça dépend par exemple parfois aussi de l’organisation des pays.
Par exemple des pays scandinaves, ils ont des registres de données, des bases de données immenses qui répertorient tous les accès aux soins et toutes les pathologies de tous les habitants de la nation. Ce qui permet effectivement de faire des statistiques systématiquement. Ce qu’on n’a pas nous. Donc les recensements sont faits plutôt effectivement sur les données des hôpitaux grâce aux initiatives de, voilà, des travaux collaboratifs. Donc c’est pour ça. Quand on voit déterminer la prévalence d’un trouble, ça veut dire, enfin la prévalence d’un trouble peut augmenter pour deux raisons. L’une, effectivement, est que la maladie touche plus d’individus. L’autre est que les moyens de la diagnostiquer sont beaucoup plus affinés et du coup on permet d’atteindre une partie de la population qu’on n’attendait pas tout à l’heure.
Cela dit, je pense que malheureusement, ça fait au moins quatre ans qu’on crie plutôt, qu’on tire la sonnette, je pense que la prévalence augmente pour le trouble du comportement alimentaire.
Clémentine Sarlat
En fait, ce que je dis, c’est que c’est 1%, mais de ce que vous savez, il y aurait beaucoup plus finalement de problématiques liées au comportement alimentaire en France ?
Laura Di Lodovico
Je pense qu’il y a des personnes qui en ont souffert ou qui en souffrent, on ne le saura jamais parce que peut-être la rémission va être spontanée. La guérison va être spontanée.
Clémentine Sarlat
Tant mieux, j’ai envie de dire. Alors si on s’intéresse vraiment à cette maladie, parce qu’aujourd’hui le public qui écoute, ce sont des parents, et on a un petit pouvoir quand même parce qu’on a nos enfants avec nous tous les jours, comment on repère les signes d’une anorexie mentale ? Qu’est-ce qui doit nous alerter ?
Laura Di Lodovico
Alors, il y a des choses qu’on voit. Effectivement, c’est que l’on voit et qu’on a souvent des pertes de poids qui sont quand même assez significatives, là où on ne s’attendrait pas à une perte de poids. Par exemple, effectivement, chez les enfants c’est encore plus bruyant parce qu’on sait que le gain de poids s’associe aussi à une augmentation de la taille. Donc si on voit effectivement même sur les carnets de santé que j’invite à remplir systématiquement sur la longueur, on peut avoir des petites cassures de la courbe à stature pondérale. Donc ça c’est un reflet, par contre on l’a dit tout à l’heure, c’est un peu une conséquence de ces comportements alimentaires. Donc si on voit une perte de poids, une stagnation de poids, la où on ne s’attendrait pas à une stagnation, on peut déjà commencer à s’alerter, effectivement.
Il y a, c’est qu’on observe. C’est qu’on observe au moment des repas. Au moment des repas, on peut avoir effectivement des enfants, des adolescents qui peuvent apparaître particulièrement tendus et irritables et qui, avec ça, diminuent les quantités de ce qui leur est servi dans le plat où ils se réservent de moins en moins. On peut voir l’évitement de certains catégories d’aliments, je le disais tout à l’heure, normalement ceux qui sont à plus haut contenu calorique et aussi les féculents. On peut voir des comportements aussi, par exemple, on voit que les personnes boivent beaucoup d’eau pour atteindre le sentiment de satiété par distension de l’estomac. On peut avoir parfois des rituels qui se mettent en place au moment de la prise alimentaire, par exemple de couper à mille morceaux les aliments pour les manger en tout petit bouts.
Laura Di Lodovico
On peut avoir parfois, surtout dans l’enfance purgative, des allers-retours aux toilettes qui se multiplient pendant le temps des repas, là où on ne s’attendrait pas à cela. Et ça c’est ce qu’on peut observer au moment de la prise du repas. Ou peut-être effectivement même l’évitement de la prise du repas, je mangerai quelque chose plus tard. Parfois on a vraiment des refus qui sont plus importants. On peut observer aussi en dehors des repas parfois une hyperfocalisation sur son corps. On a ce qu’on appelle le body checking, c’est-à-dire des comportements d’autopalpation, de confrontation au miroir qui augmentent significativement par rapport à ce qu’on avait observé, qu’on s’attendait. La mise de vêtements plutôt amples, plutôt larges, parfois pour effectivement se cacher, cacher son corps derrière ses vêtements. On peut remarquer un hyperinvestissement, comme je disais tout à l’heure, dans les sports, dans l’activité physique.
Qui peut être en dehors, mais qui peut être aussi parfois à la maison avec des véritables routines, des squats, des pompes, une activité là où on ne s’attendrait pas, ne pas prendre les transports et aller plutôt à pied, ne pas se faire accompagner à voiture. Et on observe parfois, dans certains cas, un hyperinvestissement scolaire, superinvestissement dans la sphère intellectuelle. Je ne peux pas manger, je dois étudier, parfois. Et aussi une altération qui se fait au niveau parfois des relations sociales, on les voit s’isoler de plus en plus. Donc il y a cet ensemble de petits signes encore une fois qui peut-être un jour occasionnellement pourrait être assez banal, mais effectivement quand on voit que ça persiste et qu’il y a des changements aussi de la forme physique, sur le comportement, sur l’humeur qui suivent, alors on peut effectivement commencer à s’inquiéter.
Clémentine Sarlat
Est-ce que c’est une maladie moderne ? Ça existait l’anorexie il y a plusieurs siècles ?
Laura Di Lodovico
Alors, et ça c’est une autre excellente question, très intéressante. Avec le récul, on pense que oui. L’anorexie mentale existait déjà. L’anorexie existait déjà sous forme de gens. On la rapproche souvent de tout ce qui était la pratique de certaines mystiques chrétiennes, par exemple, comme Sainte-Claire, Sainte-Thérèse d’Avila, qui se soumettaient à des gens ascétiques, on peut dire. Pour plusieurs jours.
Clémentine Sarlat
Des jeûnes qui ont duré trop longtemps, c’est ça ?
Laura Di Lodovico
Oui, oui. Des jeûnes sur des journées, des journées, effectivement. Je pense à Sainte Catherine de Siennes aussi. En fait, oui, c’était un peu les saintes, les religieuses qui soumettaient leur corps à ces privations de nourriture prolongées. Tout comme on pensait que même les habitants de la Rome ancienne ils pouvaient faire des crises de boulimies, des hyperphagies, des binges, et après pouvoir aussi se vider pour pouvoir manger davantage. Donc on commence à penser que oui, il y avait déjà des formes. Et après, par contre, il y a même certains psychiatres qui peuvent nous faire le reproche de dire que c’est plutôt une démarche de hyper médicalisation de ce qui ne l’était pas forcément. Donc effectivement, nous on peut formuler des hypothèses. Eux, ils auraient plutôt la tendance à dire mais c’était plutôt quelque chose de culturellement justifiable par certaines pratiques.
Il ne faut pas les considérer comme mentales. C’est très flou. On pourra trouver encore une fois plusieurs points de vue. Mais oui, on peut dire qu’on a la tendance à dire que oui, ça existait déjà.
Clémentine Sarlat
En tout cas ce contrôle sur son corps, à ce moment-là ?
Laura Di Lodovico
Oui, exactement, on revient à la dimension du contrôle absolu sur ses fonctions instinctuelles.
Clémentine Sarlat
Tu as beaucoup parlé justement de ce contrôle, de palper son corps, de cacher les formes qu’on a, de vouloir ralentir le processus de devenir femme. C’est quoi du coup ce mot qu’on utilise qui s’appelle la dysmorphophobie ? C’est dur à dire, à écrire aussi.
Laura Di Lodovico
Dysmorphophobie.
Clémentine Sarlat
Dysmorph… Oui, je l’ai mal dit, tu vois. Dysmorphophobie. Ça correspond à quoi, la dysmorphophobie ? C’est plus facile à dire en anglais. Dysmophorbia.
Laura Di Lodovico
C’est vrai. Alors, en fait, c’est ce dont on parlait tout à l’heure, on peut dire que ça fait partie des symptômes de l’anorexie mentale, même si on peut retrouver une dysmorphophobie même sans anorexie mentale. C’est, en fait, pour une dysmorphophobie, on entend une perturbation de l’image de son corps. Une distorsion de l’image de son corps. Donc en particulier dans l’anorexie mentale, on parle vraiment du fait de se voir en surpoids ou à poids normal lorsque l’on commence déjà à être plus ou moins gravement dénutri. Avoir une perception altérée de son corps, se sentir grosse. Et effectivement, ça renvoie aussi à une autre dimension de la maladie, le fait que malheureusement parfois les personnes, les enfants, pourront être plus ou moins étanches lorsqu’on leur renverra le constat qu’ils ont perdu du poids. Quoi ils répondront, mais pas du tout.
Au contraire, j’ai encore beaucoup de poids à perdre, je me trouve grosse, je suis énorme ou je suis juste à point normal et tout va bien. La preuve, mes résultats sont excellents à l’école, je fais mes performances sportives, je me sens bien. Donc effectivement, la dysmorphophobie c’est une altération de la perception de son corps qui ne relève pas du mensonge, qui ne relève pas de la volonté de cacher ou de mentir. C’est vraiment parfois rattaché à un défaut d’insight, on peut dire. Et pour insight, on entend un défaut vraiment de capacité d’introspection et de perception de soi, correct.
Clémentine Sarlat
Mais ça, tu l’as dit, c’est pas obligé que ce soit relié à l’anorexie mentale.
Laura Di Lodovico
C’est ça, oui.
Clémentine Sarlat
On peut tous et toutes vivre ça un jour dans notre vie, non ? Moi, j’ai la sensation des fois, je regarde des photos de moi il y a dix ans, de me dire, mais pourquoi je trouvais que j’étais un peu grosse ? Enfin, grosse, je mets des gros guillemets. Alors que quand je me regarde en photo j’étais très très bien. On peut tous passer par des phases comme ça sans basculer dans un trouble du comportement.
Laura Di Lodovico
C’est ça, on peut tous sentir mal dans son corps. Et effectivement, ça ne suffit pas pour se considérer affecté par l’anorexie mentale.
Clémentine Sarlat
Oui, c’est pour dire aux gens que ça peut arriver au cours de la vie, sans derrière déclencher de maladie. Et aussi parce qu’on vit dans une société où on est tellement obsédé par l’image. On a beaucoup plus de miroirs aujourd’hui à la maison, ce qui n’était pas le cas avant, donc on se voit plus, on a plus de comparaisons avec les réseaux sociaux, donc c’est vrai que c’est… C’est une gymnastique je trouve difficile au quotidien de se détacher de ce que ça veut dire avoir un corps qui correspond aux attentes de la société.
Laura Di Lodovico
C’est vrai. Plus de miroirs, plus de caméras. Oui effectivement.
Clémentine Sarlat
Bonjour les caméras.
Laura Di Lodovico
C’est une pression qu’on peut ressentir. La question c’est est-ce que notre manière de nous percevoir à travers notre corps impacte significativement l’estime que nous avons de nous-mêmes, la perception que nous avons de nous-mêmes. Est-ce qu’on arrive à passer à autre chose ou est-ce que ça devient une obsession, ça devient quelque chose pour lequel on serait à même de délaisser d’autres sphères qui sont hyper importantes. Encore une fois, la socialité, les autres expériences, la sexualité, le plaisir. Est-ce que c’est quelque chose pour laquelle on se retrouve en tout cas, qu’on considère aujourd’hui comme une priorité, comme quelque chose d’envahissant, quelque chose qui, de ce fait, tôt ou tard, finit par échapper à notre contrôle. De manière très paradoxale, parce qu’on parlait tout à l’heure de la pathologie du contrôle.
Clémentine Sarlat
En fait ça donne l’effet inverse de ce qu’on veut à la base. On veut reprendre le contrôle et en contrôlant trop, on ne peut plus contrôler.
Laura Di Lodovico
C’est ça. Exactement. Et c’est ce qu’on a, parce que malheureusement il y a aussi des facteurs qui s’associent très souvent à l’anorexie mentale, on parlait de perfectionnisme, mais il y a aussi tout ce qui est de l’ordre de la rigidité cognitive. C’est-à-dire la difficulté vraiment à changer de comportement lorsque les demandes de notre environnement l’imposent. Par exemple, lorsqu’elles ont perdu 10 kg, 15 kg, et du coup l’enjeu c’est de manger un peu plus et faire moins de sport. Et là c’est une difficulté majeure pour ces patientes d’inverser la tendance.
Encore une fois, c’est pas parce qu’elles ne veulent pas, c’est parce que elles n’y arrivent pas parce que si elles le font, les pensées parasites de culpabilité, elles sont tellement écrasantes qu’elles préfèrent juste trouver la paix et se rassurer en faisant ce qu’elles ont toujours fait plutôt que se confronter à l’angoisse et aux ruminations sur les heures qui viennent de se dire t’as mangé tant, tu vas prendre tant au niveau des hanches.
Clémentine Sarlat
Quand on écoute les personnes qui souffrent d’anorexie, elles parlent souvent de punition. Elles ont mangé trois gâteaux, du coup elles vont aller courir 20 minutes. Ou les 24 prochaines heures, elles ne vont pas manger. Il y a ce rapport-là de conséquences, de se punir, de se faire mal parce qu’on culpabilise. C’est quoi l’émotion sous-jacente ?
Laura Di Lodovico
Effectivement, c’est vrai qu’il y a une forte sensibilité à la punition. Je pense que c’est un cocktail explosif de très faible estime de soi. Donc un rapport, oui, qui peut être violent avec soi-même, effectivement. Ce sont des patients qui sont capables d’une forte sévérité. Il y a la dimension de l’ascétisme qu’on considère pour revenir aussi au centre aux religieuses du Moyen-Âge, qui est vraiment cette épuration de toutes les sources de plaisir donc coupable, plaisir qu’elles ne méritent pas, parce qu’elles n’ont pas assez fait pour le mériter. Et il y a aussi parfois des véritables distorsions cognitives, on parlait des distorsions de l’image de soi, Il y a aussi parfois des syllogismes aberrants de notre cerveau qui dira si on mange 90 grammes de riz, ces 90 grammes de riz seront transformés en graisse sur mon corps.
Le fait de pouvoir effectivement avoir une distorsion totale des croyances autour de la nourriture qui perd complètement de logique et de rationalité.
Clémentine Sarlat
Tu vois, moi, j’ai trois petites filles. Est-ce que moi, en tant que maman de trois petites filles, j’ai un poids dans ce que je vais leur transmettre par rapport à mon rapport au corps, à mon rapport à la nourriture ? Est-ce que nous, en tant que parents, on a un rôle ? À jouer pour les mettre dans les meilleures conditions. Qu’est-ce qu’on pourrait faire ? Je ne sais pas comment te le dire. Comment on doit leur parler de ça pour ne pas les impacter et leur mettre une pression quelconque ?
Laura Di Lodovico
Très bien, ça aussi c’est une très bonne question, je peux, je veux bien donner des pistes. Je vais faire une petite introduction parce que je pense que c’est aussi important, étant donné que ce seront surtout des parents, des jeunes parents qui vont m’écouter, je tiens vraiment à vouloir rassurer tout le monde, parce que c’est vrai aussi que pour des années et des années, il y a eu quand même une instance assez culpabilisatrice sur les familles, en particulier sur les mères. Pendant longtemps, l’anorexie mentale était la maladie du lien avec la mère. Et c’est assez horrible effectivement, c’est dont nos familles font l’expérience. Dès là, c’est un cocktail, les familles de nos patients traversent souvent effectivement un cocktail de culpabilité. Parfois, pas de chance, ils se sont trouvés à passer par des praticiens très très très vieilles écoles qui ont peut-être aussi insisté là-dessus.
Donc parfois, on va vraiment devoir faire à côté de la prise en charge de l’enfant une véritable réanimation émotionnelle aussi des parents. Il y a de la culpabilité, il y a de l’impuissance. De l’impuissance, parce qu’on se retrouve devant des enfants assez étanches. Des enfants très intelligents, mais assez inaccessibles, déjà qu’il y en a qui pendant l’adolescence, ils sont assez inaccessibles en soi, mais là… Donc effectivement il y a ça, il y a évidemment énormément d’inquiétudes, énormément d’angoisses. Donc effectivement je pense que c’est hyper important avec la prise en charge de l’enfant de prendre en charge les parents aussi, on travaille beaucoup avec, on reviendra appeler sur tout ce qui est la participation de la famille dans la prise en charge. Donc, qu’est-ce qu’ils peuvent faire les parents ? Effectivement, on disait tout à l’heure que le repas est un moment aussi de socialité.
Donc je pense que, après voilà, il y a tout ce qui est les exigences de la vie moderne, mais si on a la possibilité, encore une fois j’insiste parce qu’on a des vies, on est vraiment très happé par le travail et les mille casquettes qu’on a aujourd’hui. Mais lorsqu’il est possible, vraiment chercher de créer cette atmosphère de partage, d’un repas, d’échanges aussi. Bien sûr, il y a aussi tout ce qui est… Je pense que c’est plutôt une attitude de vigilance bienveillante et non pas intrusive. C’est ce qu’on est appelé à faire. Effectivement, on sait qu’à l’intérieur de la famille, effectivement, pouvoir rester vigilante sur la santé physique de l’enfant en évitant des commentaires sur leur forme physique. Effectivement, tout ce qui est t’as grossi, dis donc, t’as un bon appétit, toutes ces remarques dont on ne sait pas, on ne connaît pas aujourd’hui l’impact.
Sur la subjectivité de la personne, éviter effectivement toutes remarques un peu dévalorisantes, mais ça je pense que ça va des sois, même si bien sûr on peut tous être en colère, on a les droits, l’important c’est quand ça arrive de pouvoir revenir dessus, de débriefer. Je pense que oui, c’est aussi une activité de veille attentive, de valorisation là où il est possible, d’ouverture aussi à l’échange et au commentaire qui peut venir de la personne en évitant effectivement la pression sur l’apparence physique.
Clémentine Sarlat
C’est ça oui, sur le corps. Est-ce que quand on parle par exemple des aliments, parce que tu vois nos enfants vont nous demander toute la journée des bonbons, des gâteaux, des glaces, c’est de dire il y a des aliments qui font du bien à notre corps et il y en a d’autres on le prend de temps en temps pour le plaisir. Ma question c’est ça, est-ce qu’on doit… Alarmer les enfants sur le fait qu’il y a des aliments qui sont nocifs quand même sur le long terme, si on en prend tout le temps. Tu vois, c’est cette frontière qui est difficile à trouver entre expliciter, parce qu’effectivement, manger des bonbons toute la journée, ça ne va pas faire du bien, et pas en même temps leur montrer que c’est mal. Je trouve que c’est très dur en tant que parent, d’arriver à trouver l’équilibre entre faire attention à leur santé, évidemment, et évidemment, leur laisser du plaisir et avoir cette liberté que nous, enfin, on a eue, parce que nos parents se posaient moins de questions sur la nourriture, et on mangeait quand même pas forcément toujours équilibré. Comment est-ce que tu vois, toi, dans ta pratique, tu vois les parents, comment on fait pour pas basculer dans quelque chose qui va créer des troubles ?
Laura Di Lodovico
Je pense que tout est aussi dans l’équilibre effectivement. Je pense que c’est le fait de dire, voilà, en toute petite dose où effectivement les trouver pas forcément que ça devienne l’enjeu d’une récompense, mais effectivement de pouvoir leur manifester que ça existe, manifester que oui effectivement c’est bon, c’est agréable, mais c’est vrai aussi que les bonbons font aussi des caries. Le grand allié, le dentiste qui te met sur le coup. Et que oui, prise en grande quantité, il y a des aliments qu’on ne peut pas prendre en grande quantité parce que ça ne deviendrait pas bon pour la santé. Je pense que la diversification alimentaire, sans démoniser les aliments, sans pour autant laisser libre accès, c’est un peu… J’ai toujours la tendance à… Avoir un peur des extrêmes.
Parce que, effectivement, priver par exemple un enfant, pour toute son enfance, de quelque chose pour qu’après il le découvre par d’autres moyens en pleine adolescence, ça pourrait créer un peu l’effet boomerang. Et vice-versa, effectivement. En donner trop, ça pourrait, effectivement, ne pas le favoriser sur le plan du métabolisme, encore une fois, de l’état du bouclier dentaire. Donc je pense que c’est vraiment une question de diversification alimentaire en disant oui notre corps il a besoin de tout parce que chaque aliment nous apporte des choses différentes mais chaque aliment peut être pris. Il y a des aliments effectivement qu’il faut prendre en quantité modérée.
Clémentine Sarlat
Mais c’est intéressant ce que tu dis, de ne pas priver totalement. Parce qu’on pourrait aller vers ce contrôle, aujourd’hui on sait, les études le montrent, le sucre même sur le cerveau, nos enfants ils pètent plus les plombs. Faut être très honnête quand ils ont mangé beaucoup de sucre. Donc on pourrait être vachement tenté à dire non, on évince totalement tous ces aliments-là de nos placards et c’est non, t’en auras jamais et du coup, contrôler tant qu’ils sont enfants, mais à l’adolescence, ça nous… Tu dis, ça fait un effet complètement inverse, boomerang, où là, ils vont être dans une disproportion par rapport à ce qu’ils auraient pu avoir dans une enfance normale.
Laura Di Lodovico
Oui, ça peut être le risque, effectivement.
Clémentine Sarlat
C’est intéressant parce qu’on… Je trouve qu’en tant que parent, la nourriture c’est vraiment un enjeu très central dans les familles et on tâtonne quoi. On a plein d’infos et en même temps comment on fait aujourd’hui pour pas créer des troubles alimentaires. C’est pas évident je trouve.
Laura Di Lodovico
C’est vrai et c’est vrai aussi que le parent c’est aussi un modèle. On sait que l’enfant il apprend surtout dans la première phase de sa vie par l’imitation. Donc effectivement ça peut arriver qu’entendre quelqu’un qui parle beaucoup de régime, qui parle beaucoup, qui a par exemple un repas complètement différent du reste de la famille, quelque chose qu’on pourrait vouloir imiter. Je suis au régime, dites avec… Avec effectivement aussi la naïveté de ne pas savoir ce que ça veut dire, mais ne pas oublier effectivement que parfois on est aussi un modèle.
Clémentine Sarlat
Et que nos enfants, ils regardent, ils observent. Alors, pour la dernière partie de l’interview, est-ce que tu peux nous parler des traitements ? Est-ce qu’on guérit de l’anorexie mentale et qu’est-ce qu’on peut mettre en place ?
Laura Di Lodovico
Alors ça, c’est un message hyper important. De l’anorexie mentale, on guérit. On peut guérir, la rémission existe et c’est l’objectif de la prise en charge thérapeutique. Le traitement, comme on a dit tout à l’heure, la maladie est multifactorielle. Le traitement aussi, il est multidisciplinaire. C’est-à-dire que les résultats, il fait l’objet de l’interaction de plusieurs praticiens de santé. Il y a le médecin, donc souvent il y a le médecin psychiatre et aussi le médecin généraliste. Parce que c’est vrai que du fait de la dénutrition ou du fait dans la boulimie, des crises de boulimie ou de l’hyperphagie boulimique, donc du risque de syndrome métabolique, il faut aussi une attention très focalisée sur toutes les complications que la maladie entraîne sur notre corps.
Donc il faut un médecin généraliste ou un pédiatre effectivement dans les formes prépubères ou jusqu’à 18 ans et il y a les psychiatres. Donc un psychiatre spécialisé s’il y en a dans le trouble du comportement alimentaire ou un psychiatre tout court parce que c’est vrai aussi que l’anorexie mentale est très rarement isolée. On peut trouver à côté de l’anorexie mentale une symptomatologie anxieuse, on a parlé tout à l’heure du trouble obsessionnel compulsif qui est aussi très associé à l’anorexie mentale, on a parlé de dépression dans certains cas, tout en faisant la part des choses entre les effets de la dénutrition sur notre cerveau et les comorbidités pures. Parce qu’effectivement, quand on est dénutri, on n’est pas comme quand on est à poids normal.
Clémentine Sarlat
Oui, on n’a pas la joie en nous. On va plutôt être déprimé.
Laura Di Lodovico
Exactement, on n’est plus vulnérable aux sauts d’humeur, à l’anxiété, à l’irritabilité. Oui, on n’a pas les mêmes capacités.
Clémentine Sarlat
C’est un traitement qui dure longtemps ?
Laura Di Lodovico
C’est un traitement long, oui. On peut dire qu’il y a plusieurs paliers. Je parlais du côté médical, mais à côté de ces deux figures, on a souvent des infirmiers, des infirmières, des psychologues, souvent qui travaillent en alliance, en complément des médecins. On a très souvent aussi, donc on a dit psychologues, infirmières, des nutritionnistes, des diététiciens, ce qui aide énormément à tous les procédés de reprise pondérale et diversification alimentaire. On a souvent aussi d’autres figures qui peuvent être par exemple les kinés, les psychomotriciens, les art-thérapeutes, Et quand je fais ça, j’oublie toujours des corps et des métiers, et après je m’en veux à la fin de l’interview en me disant j’ai oublié, je les ai oubliés.
Clémentine Sarlat
Mais tu l’as dit, c’est pluridisciplinaire, c’est pas simplement le médecin psychiatre.
Laura Di Lodovico
Exactement. Normalement, on commence par un traitement en ambulatoire. Donc le rythme recommandé c’est à peu près une fois par mois. Donc il s’agit de contrôler d’un côté le poids, l’évolution pondérale, le poids c’est quand même quelque chose auquel il faut rester attentif. On a dit avant la puberté c’est un enjeu aussi de croissance et développement correct. Après la puberté ça reste effectivement un critère très important. Qui détermine toutes nos fonctions vitales. Par exemple, une chose qui arrive aux filles après la puberté, qui développent une anorexie mentale, c’est la disparition des règles. C’est ce qui doit toujours nous alerter. C’est hyper important. Ça arrive qui l’enfant trouve le courage de le signaler, de le manifester, bien après la date de disparition.
Et il faut faire hyper gaffe à ça parce que malheureusement les hormones que nos ovaires produisent et qui nous permettent d’avoir des règles, contribuent aussi à d’autres fonctions comme par exemple la solidification de nos os. Donc c’est hyper important qu’il y ait un suivi médical de ces faits. Consultation en ambulatoire qui passe aussi par les diététiciens qui peuvent mettre en place un plan alimentaire qui permet de réintroduire les aliments évités pour pouvoir les démystifier petit à petit, qui permet aussi de régler un régime avec un nombre de calories suffisant pour avoir une prise des poids harmonieuse. Des psychologues qui permettent aussi de travailler tous les facteurs psychologiques, parfois vraiment aussi les facteurs biographiques, et qui peut aussi… Avec qui souvent, par exemple, on reçoit les familles.
Parce que c’est vrai aussi que, par exemple, surtout pour les enfants, souvent la thérapie peut aussi se dérouler par l’approche systémique, c’est-à-dire effectivement des entretiens familiaux, voire une thérapie familiale, qui peut être demandé par l’enfant, qui peut être demandé par les parents, qui peut être recommandé par le médecin et les parents font partie intégrale, sont absolument impliqués aujourd’hui dans les processus de soins. Après il y a les cas plus graves où une hospitalisation s’impose. Soit parce que effectivement la prise de poids est tellement importante qu’elle est quelque part dangereuse, ça pourrait avoir des… J’ai dit la prise de poids ? La perte de poids ! Voilà ! La perte de poids peut devenir dangereuse ou bien parce que psychologiquement la situation est devenue ingérable. C’est devenu objet d’une souffrance trop importante, d’une désinsertion trop importante.
Et parfois il faut aussi pouvoir laisser les deux parties souffler, c’est-à-dire parfois effectivement on peut aussi faire un peu… Se proposer comme tiers dans la relation enfant-famille qui peut parfois devenir compliquée parce que ce n’est pas évident des deux côtés. Donc voilà, c’est une thérapie qui a comme l’incontournable, surtout dans l’anorexie mentale, on peut dire, c’est la reprise de poids. C’est à dire que si on ne remet pas les bases de l’alimentation et de la reprise de poids, on aura aussi moins de ressources au niveau rien que cognitif et émotionnel. Donc, comment dire, guérir de l’anorexie mentale sans reprendre du poids. Lorsqu’il est indiqué de reprendre du poids parce qu’on est dans une situation de dénutrition, ce n’est pas possible.
Il faut revenir à un point normal parce que c’est à ces moments-là qu’on aura le plein rayonnement de toutes nos facultés cognitives, intellectuelles, émotionnelles, et le reste on pourra le travailler. Effectivement une thérapie psychologique, il y a plusieurs écoles, analytiques, cognitives et comportementales, de soutien… Et voilà, on peut mettre en place aussi des mesures ultérieures, par exemple avec le sport, le rapport au sport il est souvent complètement perturbé. Donc il faudra effectivement calmer le jeu tant que le sport entrave la prise de poids, mais après pouvoir aussi rééduquer la personne au sport comme moyen de participation sociale et de plaisir. Donc il y a vraiment plusieurs dimensions à pouvoir soigner, à pouvoir traiter.
Clémentine Sarlat
L’anorexie mentale, c’est une maladie qui tue. Est-ce que, en revanche, les patientes qui arrivent, toi, dans les unités, quand c’est vraiment à un point critique, est-ce qu’elles ont ce désir de mourir ou c’est vraiment ce contrôle qui les amène à mourir à petit feu ?
Laura Di Lodovico
Les deux cas sont possibles. Je fais une parenthèse qui est vraiment pas très joyeuse mais c’est vrai que c’est une maladie qui s’associe à un taux de mortalité bien plus important que la population générale et une patiente sur cinq décédera par suicide. Et effectivement ça arrive souvent que c’est une maladie dans laquelle on s’enferme, on prend tel que la charge de souffrances est devenue juste insupportable, on est tellement obnubilé sur toutes les autres issues et solutions possibles, que malheureusement c’est une issue qui est réelle. Le désir effectivement d’auto-destruction, d’auto-mutilation, de privation peut s’exprimer par plusieurs modalités. On a eu des patients qui ont eu plusieurs anorexies mentales sévères, plus ou moins sévères. Elles avaient aussi malheureusement des idées suicidaires, des idées noires.
Et c’est arrivé au contraire des patients qui n’étaient absolument pas suicidaires et le jeu de la maladie était vraiment dans cette forme de contrôle, de perfection, de pureté, d’hyper-efficacité en adoptant des critères effectivement des critères pathologiques.
Clémentine Sarlat
Quand tu décris donc que la maladie ça se déclenche à l’adolescence, qu’on peut avoir des phases où elle est déclenchée, après peut-être un peu moins forte, qu’on la contrôle, quand elle n’a pas été prise en charge comme il faut et qu’elle est sous-jacente, et qu’on arrive à l’âge adulte et on tombe enceinte. Est-ce que les effets de l’anorexie peuvent revenir ? Est-ce qu’il y a une liaison ? Parce que le corps se modifie quand on est enceinte. Est-ce que dans la grossesse, il y a quelque chose qui se joue pour les futurs mamans ou mamans qui ont été anorexiques ou qui le sont encore un peu ?
Laura Di Lodovico
Alors dans ces cas-là, moi j’ai tout vu. J’ai tout vu, encore une fois, il n’y a pas de règles générales. Il faut dire que l’anorexie mentale, elle a quand même un impact sur la fertilité lorsque l’on reste en sous-poids. Il y a effectivement un risque accru de fausses couches, d’accouchement prématuré, de bas poids de naissance. Donc il arrive qu’il peut y avoir des risques associés effectivement au statut nutritionnel de la mère. Il y a parfois des recours à la PMA, parce qu’effectivement la fertilité spontanée est impactée. Et au contraire, il y a des patients qui, tout en étant en sous-poids, elles tombent quand même enceintes, tout en ayant écarté ou exclu cette possibilité. Quand, effectivement, on peut garder une régularité des cycles, une fertilité, tout en étant dénutri. Donc ça c’est le côté physique.
Moi c’est ce que j’ai fait quand j’ai eu la nouvelle d’une grossesse de certaines patientes qui venaient me consulter parce que les symptômes étaient actifs étaient de pouvoir en tout cas leur manifester que c’était une grossesse entre guillemets à risque et du coup j’ai sollicité auprès de mes collègues gynécologues qui ont répondu magnifiquement à ces demandes d’aide un suivi accru avec des échographies plus rapprochées en disant en fait à partir de là on va tout faire pour que les choses se passent dans les meilleures des manières. Donc avec un suivi pondéral, des échographies, des bilans sanguins plus rapprochés donc lorsqu’on tombe enceinte et qu’on souffre d’une anorexie mentale, je trouve que c’est très bien. Là, il y a aussi une autre partie de responsabilité, d’impact, de leur …
Clémentine Sarlat
Et de vouloir vivre. Oui. Parce que quand elles veulent nous donner la vie, c’est qu’elles ont cet appétit-là.
Laura Di Lodovico
C’est ça exactement.
Clémentine Sarlat
C’est à dire la vie elle vaut la peine d’être vécue.
Laura Di Lodovico
Exactement.
Clémentine Sarlat
C’est un bon signe quand même.
Laura Di Lodovico
C’est un très bon signe effectivement. J’ai eu des patientes effectivement qui à partir de là, alors il peut y avoir de tout, le corps se modifie. Il peut y avoir des patients qui ont souffert d’anorexie mentale qui quelque part vont mieux. Devant effectivement cette nouvelle fonction à laquelle elles louent leur corps. Effectivement, le fait de donner la vie, de préserver le développement d’une vie pour avoir un effet tout à fait positif. Et de l’autre côté, effectivement, le corps se modifie et ça peut être source d’une grande angoisse, que l’on ait souffert dans le mental ou pas d’ailleurs. Parce qu’il y a des changements évidents.
Laura Di Lodovico
Au Canada, ils sont en train de faire des études sur la population saine pour essayer de réduire effectivement tout cet inconfort, cette souffrance qui peut venir d’une perception d’un corps qui se modifie, qui passe beaucoup par ce qu’on appelle la vision fonctionnelle du corps. C’est-à-dire apprécier et aimer son corps aussi par ce qu’il est capable de faire. Donner une vie, nous permettre de faire face à toutes les missions qu’on aura parce qu’après la grossesse il y a l’allaitement. Pas dans tous les cas mais très souvent il y a la reprise des activités qu’on faisait auparavant et il y a effectivement les nuits avec l’enfant, il y a effectivement un individu dont on est complètement responsable. Il y a beaucoup de choses qu’on sera appelé à faire.
C’est une véritable transition de rôle pour nous et les patients qui ont souffert d’anorexie mentale, qui souffrent d’anorexie mentale, elles s’y mettent chacune en fonction aussi de ses propres ressources. Non sans quelques préoccupations, par exemple ça peut arriver de dire qui suis-je pour imposer entre guillemets ou garantir à mon fils une alimentation complètement diversifiée quand moi je suis la première à avoir des problèmes là-dessus. Donc chercher de résister tant que possible à cette identification. Parce qu’effectivement, il s’agit de deux choses différentes.
Clémentine Sarlat
Oui, la peur de transmettre sa maladie à son enfant.
Laura Di Lodovico
Oui, qui est une peur qui peut s’entendre effectivement, mais pour lesquelles il ne faut pas hésiter aussi à se faire aider. Encore une fois, pas aussi tout ce qui est mis en place pour l’assistance à la nouvelle mère.
Clémentine Sarlat
Alors j’ai une dernière question. Tu es aussi chercheuse, tu amènes beaucoup d’études, notamment dans le monde anglo-saxon, sur ce thème-là. Et j’ai vu un article où tu parlais, il y a aussi une aggravation des troubles du comportement liés à la crise du Covid. C’est quoi le lien entre les deux ?
Laura Di Lodovico
Alors ce qui nous a frappé, qui carrément ne nous a pas fait dormir la nuit, c’est le fait qu’on a vu se multiplier par deux, voire par trois, le nombre de patients sur liste d’attente et donc les délais d’hospitalisation, au point où on a porté à bout de bras des patients absolument dénutris, tout en étant dans l’impossibilité de pouvoir leur proposer un lit d’hospitalisation à court terme. Et je pense qu’il y a eu effectivement une aggravation des troubles du comportement alimentaire par prévalence et aussi par sévérité. Patientes subsyndromiques qui ont déclarées la maladie, patientes déjà malades qui ont aggravé leurs symptômes et l’état somatique qui va avec. Et je pense que c’est lié effectivement à tout ce qui a été le confinement.
Être confiné dans un appartement à Paris, je pense, dans un studio de moins de 20 mètres carrés équivalait aux patients avec anorexie mentale, par exemple, à ne pas avoir accès à la nourriture comme avant, et surtout à ne pas pouvoir faire, par exemple, de l’activité physique comme elles faisaient avant. Donc il y a aussi peut-être dans ces cas-là une équation mentale qui est survenue en disant, étant donné que je bougerais beaucoup moins, alors j’ai beaucoup moins le droit de manger. C’est comme on disait tout à l’heure, parfois à la punition ou à la prévention. Donc une réduction drastique des apports face à la perspective de ne pas pouvoir bouger ou sortir de chez soi. Il a eu l’élément de l’isolement social dans tout ce qui était l’étayage par les pères, la famille, les amis et aussi les occasions sociales de repas.
Certains patients qui ont cherché quand même de pouvoir assurer la dimension sociale qui saute. Les patientes avec anorexie mentale ne sont sûrement pas les seules à avoir souffert des effets du confinement. On pense aussi aux patients avec hyperphagie boulimique ou boulimique qui se sont retrouvés tout seuls face à leur frigo. Et encore une fois, dépourvus de la… De la plupart des stratégies qui pouvaient les aider par ailleurs à faire face aux émotions négatives, aux angoisses qui, encore une fois, qui revient souvent dans tous les troubles alimentaires. L’alimentation et la distorsion du rapport à l’alimentation comme moyen de faire face aux émotions négatives, aux angoisses pour chercher de les pallier ou au contraire de s’en anesthésier. Donc encore une fois, c’était une manière, encore une fois, c’était un renfort des symptômes qui leur permettaient de faire face aux angoisses, aux émotions négatives.
Voilà, je pense effectivement à la diminution des possibilités de bouger, l’isolement social, aussi le tissu d’angoisse qui quand même nous a tous quelque part affectés. Je pense que chacun à son niveau a sûrement contribué à cette augmentation qui est une augmentation réelle.
Clémentine Sarlat
Donc il y a un avant après Covid dans ce que vous avez vu vous dans votre pratique clinique de patientes avec une sévérité avérée dans leur maladie ?
Laura Di Lodovico
C’est ça. Dans les années, j’étais chef de clinique à la clinique des maladies mentales et de l’encéphale, qui est un centre de prise en charge de troubles du comportement alimentaire à Paris, à Sainte-Anne. Et je me souviens avoir corrigé au moins une soixantaine de comptes rendus qui à un moment de l’histoire de la maladie récente, commencé par la phrase après le confinement, pendant le confinement. Donc effectivement ça a été un facteur de crise. Je pense aussi fort partout dans le monde où il y a eu beaucoup de littérature scientifique qui était produite effectivement sur les effets du confinement, sur l’épidémiologie et aussi la symptomatologie.
Clémentine Sarlat
Bon, merci beaucoup Laura. Laura, je devais dire, excuse-moi. On est italien. Je trouve qu’il est important de retenir, c’est qu’on guérit quand on est accompagné. Ça demande du temps d’être accompagné par beaucoup de professionnels. Ça demande de demander de l’aide. Ça demande de repérer les signes, mais c’est possible de guérir. Et je pense qu’il y a eu une période où on disait aussi aux patients qu’on ne guérissait pas vraiment et que c’était là pour la vie.
Laura Di Lodovico
C’est vrai. C’est vrai qu’on dit ça, on a une anorexie mentale, enfin on a une anorexie pour toute la vie. Je ne suis pas d’accord, je suis très allergique à l’identification avec cette maladie. Et je pense que si effectivement la chronicisation est possible, les rechutes arrivent, ce n’est pas pour autant qu’il faut perdre l’espoir et la volonté et la motivation pour s’en sortir parce que c’est tout à fait possible. Et un autre message clé c’est que je pense en tant que parent qui se retrouve à traverser cette épreuve, ne pas hésiter à eux-mêmes se faire accompagner, demander de l’aide, en parler, ne pas rester isolé face à ça.
Parce qu’il n’y a pas de culpabilité à éprouver, il n’y a pas de stigmatisation à subir, au contraire, c’est là qu’il y a, je pense, un besoin tout à fait légitime de se faire aider, accompagner aussi.
Clémentine Sarlat
Merci beaucoup d’avoir répondu à toutes mes questions. J’espère que ça aura éclairé, aidé et peut-être incité des gens à demander de l’aide.
Laura Di Lodovico
J’espère aussi. J’espère aussi. Je signale deux sites, peut-être, c’est des ressources. Alors il y a la Fédération Française Anorexie Boulimie, c’est l’acronyme FFAB, donc le site c’est www.ffab.fr, qui permet en tout cas de trouver tous les centres spécialisés en troubles du comportement alimentaire en France. Et aussi les numéros à pouvoir appeler. Il y a une ligne d’écoute directe, qui peut être appelée par n’importe qui, avec des permanences de diététiciens, psychologues, psychiatres. Et il y a aussi le site de l’FNA TCA, qui est aussi un site d’accompagnement et d’aide, réservé aussi aux familles. Donc voilà, il y a des ressources. Il y a de l’aide qu’on peut trouver, quoi qu’elle soit, à la position de patient ou de parent en ligne. Merci.
Clémentine Sarlat
Merci. Comment on dit ? Grazie ?
Laura Di Lodovico
Grazie.
Clémentine Sarlat
Prego.