Nous sommes environ 8 millions de famille en France dont ¼ est une famille monoparentale. Parmi elles, 80% sont des femmes qui ont la garde principale de leur enfant.
Être parent solo par choix ou non est un défi dans notre société à bien trop d’égards.
Une des difficultés principales reste d’accéder à un logement pour soi et son ou ses enfants.
La discrimination est forte pour cette catégorie de population qui soufre trop souvent d’une grande précarisation.
Pour aider une partie de ses familles mono-parentales qui parfois souffrent d’isolement et d’un manque d’accompagnement, Tara Heuzé Sarmini a cofondé le premier lieu de vie au monde destiné spécifiquement aux parents solos.
La première maison commune living a donc vu le jour en décembre 2023, à Poissy.
Elle accueille 10 familles qui cohabitent ensemble.
Tara dans cet épisode nous embarque dans cette aventure entrepreneuriale à haute valeur sociale. Elle nous explique comment elle a eu l’idée, comment elle s’est concrétisée, pourquoi elle s’est intéressée aux familles monoparentales, les couacs et les belles histoires de l’aventure.
Tara évoque la difficulté d’entreprendre quand on a des valeurs fortes pour qu’elles coïncident avec la réalité d’un marché immobilier tendu.
C’est un souffle d’air frais d’avoir face à soi une personne concernée par le bien être des familles, qui innove et réfléchi à l’habitat de l’avenir.
D’ici 5 ans, Commune devrait créer 50 autres bâtiments de la sorte dans le nord de la France.
Embarquez avec nous dans cette aventure hors norme.
🗣️ Au programme :
🏠 Fondation de Comune Co-Living (00:00 – 09:33)
👥 Concept et fonctionnement de Commune (09:33 – 17:16)
🏗️ Développement et défis (17:16 – 26:11)
🔍 Retours d’expérience et impacts des parents solo (26:11 – 36:15)
💰 Financement et modèle économique (36:15 – 46:48)
🌍 Perspectives et enjeux sociétaux (46:49 – 57:57)
LES LIENS UTILES :
TRANSCRIPTION :
Salut Tara!
Salut Clémentine!
Bienvenue dans la Matrescence, je suis ravie de te recevoir.
Merci de ton accueil, je suis ravie d’être avec toi aujourd’hui.
Et merci d’avoir fait un déplacement très rapide jusqu’à Roubaix, tu vas nous expliquer d’ailleurs dans quelques instants pourquoi, et d’être revenue à temps ici à Paris pour parler avec nous. Alors déjà j’aimerais que tu nous racontes un petit peu ton parcours qui est atypique dans le sens où t’es assez jeune et tu as fondé un concept qui va parler aux jeunes parents. Et donc ça m’intéresse de savoir comment t’es arrivé à ça et comment t’es arrivé à co-fonder Comu et Co-Living.
C’est une très bonne question et je vais essayer de te faire la version courte. Moi je suis née, j’ai grandi à Paris dans une famille très multiculturelle, j’ai bougé à droite à gauche, j’ai vécu en Russie, en Angleterre, aux Etats-Unis, j’ai vécu dans des colloques, j’ai vécu dans des résidences étudiantes, donc déjà ça avait planté une petite graine. J’ai commencé ma carrière dans la tech, donc rien à voir avec le schmilblick d’aujourd’hui. En parallèle de ça, quand j’étais étudiante, j’ai monté une asso qui s’appelle « Règles élémentaires » qui lutte contre la précarité menstruelle et le tabou des règles, où je me suis rendu compte à quel point des problématiques vieilles de la nuit des temps étaient mises sous le tapis, ignorées, tout ça, tout ça, pour souvent des mauvaises raisons.
Et en fait, quand j’ai quitté Uber, où j’ai commencé ma carrière, j’ai été chassée par une grosse boîte de co-living pour gérer leurs opérations en Allemagne. Et moi, je connaissais pas du tout le co-living, je connaissais pas du tout l’immobilier. Vraiment, ça m’ennuyait au plus, au point même. Et en fait, je me suis dit, c’est hyper intéressant de faire vivre des gens ensemble parce qu’on est dans une société où on est ultra isolé, même d’un point de vue environnemental, de rationaliser les espaces, les équipements, de revenir à plus de partage et une économie plus circulaire et collaborative, c’est hyper chouette. Mais je me suis dit, je ne veux pas faire ça pour des yuppies qui travaillent dans l’attaque à Berlin. Et je me suis dit c’est hyper cool pour des personnes isolées. Et fast forward, on se retrouve en plein Covid.
Et là, je me rends compte que la pandémie frappe plus durement les parents solos que n’importe quel autre public. Et donc, en fait, les parents solos se prennent dans la figure la crise du logement parce que plus que n’importe qui d’autre ce sont des publics discriminés dans la mesure où en tant que parent solo tu recherches le même type d’actifs qu’un parent dans une famille traditionnelle ou qu’un jeune couple et donc en fait quand t’es dans un marché tendu deux revenus au lieu d’un ce sera toujours le dossier à deux revenus qui sera privilégié. Et en plus de ça, tu te prends en pleine figure la crise et la pandémie de solitude. Et on sait aujourd’hui que les parents solos sont deux fois plus à risque d’exclusion sociale que les parents, là encore, dites de famille traditionnelle.
Donc pour moi, c’est apparu comme une évidence qu’il fallait faire vivre les parents solos qu’ils souhaitaient sous le même toit. Et en fait, à ma plus grande surprise, je me suis rendu compte que ça n’existait pas et qu’il n’y avait aucune boîte qui proposait ça, alors qu’aujourd’hui, Tu as du co-living pour à peu près tout et n’importe quoi. Et en fait, on est la première solution d’habitat partagé et de services exclusivement dédiés à ce public de famille monoparentale. Et je me suis attelée à ça en 2021. Je savais que ça n’allait pas être une mince affaire et trois ans plus tard, tu confirmes que ce n’est pas une mince affaire. Et donc je me suis entourée, je me suis notamment entourée d’un premier associé qui lui avait un parcours dans l’hôtellerie.
Et l’hospitalité et qui est dutch et donc qui a cette vision des Pays-Bas beaucoup plus ouvertes sur l’habitat partagé et au bout de trois ans lui a quitté l’opérationnel mais je me suis entourée d’une nouvelle associée qui elle a la vision immobiliers, travaux et qui nous accompagne aussi beaucoup dans notre accélération pour créer des nouvelles communes aux quatre coins de la France et bientôt du monde j’espère.
Moi ce qui m’interpelle dans ton histoire c’est que tu as eu la capacité de te décentrer de ton expérience pour te rendre compte que les parents dans les familles monoparentales étaient ceux qui étaient les plus fragilisés. On sait aujourd’hui avec les stats que c’est aussi eux qui sont souvent les plus pauvres. Il y en a 20% qui vivent sous le seuil de pauvreté, surtout chez les mères. Comment ? Vraiment, parce qu’avant devenir mère, je n’avais aucune idée de l’expérience des parents. J’étais très auto-centrée. Enfin voilà, je n’avais pas cette capacité de comprendre la difficulté par laquelle nous, parents, on passe. Comment tu as réussi à à y arriver ?
C’est une très bonne question. Je pense que c’est peut-être une curiosité naturelle à toute épreuve et je pense aussi que l’expérience de règles élémentaires que je qualifie de ma première expérience entrepreneuriale m’a vraiment permis de réaliser qu’en fait il y a des éléphants dans la pièce qu’on ne voit pas, que plein de gens ne voient pas parce que ça les arrange de ne pas le voir. Mais en fait j’étais pas victime de précarité menstruelle, tu vois, et en fait j’ai été sollicité un jour pour participer à une collecte et je me suis dit bah en fait les besoins doivent être énormes et de fil en aiguille j’ai monté ce projet. Là, on est fin 2020, on en est au deuxième confinement, couvre-feu, tout ça, tout ça. Je me dis, mais en fait, comment font ces gens et comment font les parents ? On en parlait beaucoup de l’école à la maison et du chômage partiel pour les parents, mais en fait, quand t’es tout seul, c’est pas du tout la même chose et la même logique. Et après, ça m’a frappée. Enfin, autour de moi, j’ai grandi dans une famille recomposée. Autour de moi, tous les enfants, enfin tous les parents de mes amis, on sont divorcés, remariés, séparés, en concubinage, etc. Et que je ne crois pas et plus à l’universalité de la famille nucléaire, du papa, de la maman, de leurs deux enfants. C’est quelque chose que j’ai vachement déconstruit avec des lectures et aussi de par mon activisme et en étant exposée au cercle où je suis exposée. Et en fait, en découvrant le co-living et du coup, cette idée qui est présentée comme nouvelle parce que ça fait dix ans qu’en Europe, il y a un peu un revival du co-living, mais en fait, les béguinages, c’est le Moyen-Âge, quoi. Donc, on réinvente. On réinvente et on remet au goût du jour.
On adapte à notre société.
Exactement. Mais en fait, ces besoins, ils sont évidents. Et il y a aussi une urgence sociale et sociétale de faire famille différemment. Et justement, c’est en faisant famille différemment qu’on arrivera à refaire société.
Alors vous avez ouvert votre premier lieu à Poissy il y a un an ?
Exactement.
Est-ce que tu peux nous raconter le principe, comment ça se passe et à quoi ça ressemble au final ?
Avec grand plaisir. Donc la solution qu’on a imaginée c’est des résidences dans lesquelles il y a une partie des résidences qui sont dédiées à des espaces privatifs, donc c’est ce qu’on appelle les unités individuelles. Et dans les unités individuelles, tu vas à chaque fois avoir deux chambres, donc une chambre pour le parent, une chambre pour l’enfant ou les enfants, et une salle de bain, ainsi qu’une kitchenette. Donc c’est vraiment un cocon et c’est un lieu pour retrouver ton intimité, des temps calmes, etc. Et là, on est vraiment reparti du constat que la plupart des parents solos dorment sur le canapé du salon, que les parents solos n’ont pas accès à cette chambre à soi si essentielle pour son épanouissement et donc en se disant voilà il faut absolument qu’on ait ça dans nos résidences. Et à l’inverse, on sait que les parents solos ont aussi tendance à se recroqueviller et parfois à se refermer comme des huîtres au vu des difficultés de leur parcours. Et donc on a été comment on les fait sortir de chez elles et de chez eux pour renouer ce lien social si important. Pour retrouver un équilibre, etc. Et trouver cette communauté de soutien et d’entraînement. Et donc on a également créé des espaces partagés au sein de toutes les communes. Et donc on a à minima, en espaces communs, une cuisine, salle à manger, salon tout équipé. Jusqu’au robot mixeur et à la machine à raclette très appréciée des petits et petites et grandes en ces soirées d’hiver. On a une salle de jeu polyvalente. Donc là aussi équipée de jeux, de jouets partagés et j’insiste aucun écran et donc on se rend compte au bout d’un an en fait que les enfants passent beaucoup moins de temps sur les écrans et voilà il y a plein d’externalités positives comme on dit qu’on n’avait pas anticipé et on va avoir une buanderie et donc ça c’est les trois types d’espace minimum et en fait on a la chance sur nos deux premières résidences d’avoir également des espaces extérieurs donc on a jardin, cours intérieur à Poissy à Roubaix on a jardin et deux chouettes terrasses et à Poissy on a également pu mettre en place un espace de co-working et dans les futurs projets selon le foncier auquel on aura accès on peut imaginer une salle de sport une salle de cinéma, un studio de podcast, qui sait ?
C’est vrai que dans ce projet, la diversité de ce que vous proposez, c’est vraiment hyper intéressant. Quand on vit dans une grande ville comme Paris ou Cézabord, avoir une salle motricité ou avoir un extérieur, c’est quasiment, même en étant en couple, avec deux salaires, c’est quasiment impossible.
Ouais, c’est un vrai luxe. En fait, c’était très important pour moi et mes associés de créer un produit qui est désirable et que ce ne soit pas vraiment la solution, pansement, le foyer où les gens s’entassent. Voilà, c’est vraiment quelque chose. Ce sont des beaux espaces, ce sont des beaux matériaux, ce sont des belles finitions. Il y a des attentions pour chacun, pour chacune, etc. Et en effet, même un couple ne pourrait pas vivre là. Et c’est vraiment le pouvoir du collectif qui permet d’avoir ces espaces. Et c’est assez rigolo parce qu’en fait quand il y a eu les premières parutions presse de communes, on a eu des candidatures de jeunes parents, donc des jeunes parents avec leurs premiers enfants qui étaient un peu débordés, et c’est pas à toi que je vais l’apprendre dans cet exercice, qui nous disaient mais on rêverait d’avoir une salle de jeu, les parents d’à côté qui jettent un oeil sur nos enfants, donc quand est-ce que vous ouvrez ? Et peut-être qu’un jour on ouvrira pour les parents en couple, mais voilà.
Est-ce que tu peux nous expliquer, parce qu’on l’a bien compris, t’es pas mère célibataire, tu n’as pas vécu cette expérience-là, comment est-ce que t’as fait pour construire ce projet en répondant au mieux aux besoins et aux enjeux de cette population ? Vous êtes entourée de qui ? Quels travaux ont mené vos recherches ? Ça s’est passé comment ?
Entre le moment où j’ai eu l’idée et où on a incorporé la boîte. Entre fin 2020 et fin 2021, il y a eu un an de travail en sous-marin, de recherche et en effet de prise de conseils, ce qu’on appelle de focus group etc. Et donc en fait on a interrogé plus de 300 personnes, évidemment des parents célibataires mais aussi des personnes qui l’avaient été ou des personnes qui pourraient l’être. On a également échangé avec des sociologues, des urbanistes, des architectes, des designers. On a beaucoup, beaucoup lu également tout ce qui existait. Donc à l’époque, il n’y avait pas grand chose comme études. Il y avait le genre du capital de Céline Bessières et Sybille Golak qu’on a eu la chance de rencontrer. Et à partir de septembre 2021, il y a eu la monographie de l’INSEE sur les familles qui mettait en lumière le fait que c’était 25% des familles qui étaient en situation de monoparentalité et on sait que ces chiffres sont minorés. Parce que tu as beaucoup de familles qui ne décohabitent pas faute de logements disponibles et tu as aussi plein de familles monoparentales en puissance, on s’en parlait à l’instant sur toutes les femmes qui décident de faire des PMA toutes seules ou les parents qui décident d’adopter en solo. Donc voilà, c’est comme ça qu’on a construit le projet et j’aime dire qu’on l’a construit pour les parents solos et avec les parents solos. Évidemment, mon associé et moi, on a monté ce projet, on avait 27 ans. On n’a pas eu 100% juste à tous les coups et donc on apprend aussi cette première année, cette première commune, c’est vraiment un crash test et il y a plein d’apprentissages qu’on va mettre en pratique dans la deuxième commune, dans la troisième et dans toutes celles qui vont suivre.
C’est quoi qui te vient à l’esprit ?
L’importance du rangement. On avait sous-estimé…
Pas faux avec des enfants.
Ouais, ça, ensuite des sujets, je sais pas, on avait pris des poubelles hyper design, tu vois un peu justement pour revenir sur ce truc de tu pourrais pas forcément te l’acheter toi tout seul si tu vivais juste avec tes enfants. Et en fait, vu qu’on a des enfants là dans cette première commune, ça va de 18 mois à 17 ans, la poubelle dézinguait le premier mois. Et après, d’autres choses sur des hauteurs de poignées de portes, sur des accès où en fait, Il y a des accès qui sont contrôlés de l’intérieur mais pas forcément de l’extérieur ou vice versa. Donc oui, plein de petites choses où c’est vraiment de l’usage et les remontées qui nous permettent d’améliorer notre offre.
C’est quoi les critères pour pouvoir entrer et postuler à la communauté ?
Très bonne question. Donc être famille monoparentale, on accepte tout type de famille monoparentale, donc les mères célibataires, les pères, il faut avoir la garde de ses enfants au moins un week-end sur deux et la moitié des vacances. On a également des critères financiers, donc aujourd’hui on demande aux familles qui nous rejoignent d’attester deux fois le montant du tarif sélectionné en revenus. On va prendre en compte tous les types de revenus, donc ça va être ton salaire, mais aussi la pension alimentaire, les aides de la CAF, les potentiels revenus additionnels que tu peux avoir et tout, et surtout on n’a pas de contraintes de faut être en CDI hors période d’essai, donc on a des gens qui sont en apprentissage, d’autres qui sont freelance, d’autres même qui sont en reconversion. Ensuite il faut avoir un casier judiciaire vierge, ça c’est important, mais on ne souligne jamais assez l’importance de ce point quand tu vis avec des inconnus quand même au début et t’as plein d’adultes et plein d’enfants. Et donc nous, c’est quelque chose qu’on va vérifier. Et ensuite, on demande également d’avoir une appétence pour la vie en communauté parce qu’on le voit et d’ailleurs, il y a pas mal de témoignages de résidents et résidentes en ce sens. La plupart nous expliquent passer quand même énormément de temps dans les espaces communs, avec leurs voisins voisines, à cuisiner ensemble, à garder les enfants les unes et les uns des autres. Et voilà, il faut l’apprécier, il faut en avoir envie et il faut aussi avoir envie de s’impliquer dans la communauté. Donc l’une de nos premières résidentes était prof de yoga du rire et elle faisait profiter ses colliveurs de ça. On en a d’autres qui cuisinent des baklava à minuit dans la cuisine pour le petit-déj le matin. Mais c’est quelque chose qu’on essaye de mesurer en entretien, etc. Mais il n’y a pas de science exacte là-dessus. Mais c’est important pour que l’alchimie prenne.
Dans vos critères, au final, il y a beaucoup de choses qui seraient impossibles pour une famille monoparentale sur le marché classique. En ce moment, c’est deux voire trois fois le montant du loyer. Ce qui est très difficile en étant seul.
Non mais surtout, même si tu as les trois fois, vu qu’en face de toi, il y a des dossiers, ou… Exactement, avec deux revenus, tu n’auras pas le logement que tu veux.
Il y a l’aspect du CDI, qui dans un monde qui change aujourd’hui, où voilà, il y a de plus en plus de gens en freelance, qui changent de carrière, qui font… Surtout, quand on devient parent, on le sait, il y a ça aussi, le fait que vous attardiez pas sur ce critère-là, ou en tout cas que ce soit pas excluant. Fait que ça doit être un soulagement immense pour les familles de pouvoir postuler ?
En tout cas c’est les retours qu’on a et c’est vrai que ça change considérablement la donne et pareil on est assez flex sur les dépôts de garantie qu’on permet de payer en deux ou trois fois. Pareil sur les résidences qu’on ouvre, on a compris que la flexibilité du paiement était clé. Et donc en fait, on ne demande plus aux familles de payer le premier du mois, mais on leur donne une dizaine de jours et elles choisissent le jour de leur prélèvement pour faciliter la gestion de leur trésorerie, qui est quand même souvent très tendue pour des parents solos.
Surtout quand on attend une pension alimentaire.
Bien sûr, bien sûr, bien sûr. Et ça, on le voit. En fait, nous, ce qu’on nous rétorquait beaucoup au début où on a lancé le projet, c’était « mais vous verrez ». Vous allez avoir des taux de défaut incroyables, tout ça, tout ça. Et en fait, déjà, t’as beaucoup d’études de la Banque mondiale, d’organisations internationales qui, à l’échelle du globe, montrent que, pas du tout, que les familles monoparentales sont parmi les meilleures payeuses parce que le toit sur ta tête, c’est la dernière chose sur laquelle tu vas rogner. Et tu vas faire plein d’autres sacrifices que ça. Et d’autre part, on a constaté typiquement des retards de paiement, mais en fait pas de défaut de paiement. Et c’est des choses, en tant qu’entreprise, on est capable d’offrir cette souplesse. Et c’est le jour et la nuit pour ces familles.
Alors là, à Poissy, c’est 13 familles. Vous allez, là dans les prochains jours, c’est Roubaix qui ouvre, c’est 26 ?
28. Donc Poissy c’est 13 familles en théorie, là on est sur une dizaine de familles plutôt, puisque les joies des premiers projets, on a eu quelques soucis dans les travaux, des petites problématiques de bruit, ceci cela, mais donc on a une dizaine de familles à Poissy. Et Roubaix, on va en accueillir 28 et en plus sur une configuration très différente parce que Poissy c’était une rénovation, d’où les petites surprises de travaux qui font partie du métier. Et Roubaix, là c’est trois bâtiments, neufs qui sont sortis de terre et qui vont donc accueillir ces 28 familles.
C’est pour nous donner un ordre d’idée quand vous ouvrez les inscriptions, il y a combien de familles qui postulent ?
Alors c’est une très bonne question et malheureusement je n’ai pas les stats à jour à partager. Il y a beaucoup de gens qui sont intéressés et qui vont remplir notre formulaire. En plus notre formulaire c’est quatre questions donc c’est assez simple. Après il faut prendre le temps de faire son dossier, de compiler toutes les pièces. Nous il y a de la vérification etc. Donc déjà, t’en as moins qui vont au bout. Voilà. T’as ensuite l’écrémage dû à tous les critères qu’on a dit, que ce soit financier, de volonté de vie en communauté ou de… Enfin, on n’en est jamais. On n’a jamais eu de cas de quasi-judiciaire pas vierge pour l’instant dans les personnes qui ont candidaté. Donc il y a ça, et après il y a aussi une réalité de… Sur la première résidence, c’est pas très représentatif parce qu’il n’y avait aucun recul. Les familles monoparentales ne savaient pas trop dans quoi elles s’engageaient. Les premières familles ont signé sans avoir vu le lieu, sans avoir vu de photos, donc c’était quand même assez dingue. Et surtout, nous, aujourd’hui, avec les deux premières résidences, on a quand même été dans le flou assez longtemps sur les dates exactes d’ouverture, là où des parents solos ont besoin de… Si tu déposes ton préavis, tu as besoin d’avoir une date fixe et ferme. Donc en fait, aujourd’hui, on a un grand vivier de gens qui veulent emménager chez nous. Mais après, il y a une vraie saisonnalité et temporalité. Et quelqu’un qui était intéressé il y a trois mois, si on prend trop un moment de retard, ne l’est plus forcément parce qu’elle a trouvé une autre solution. Donc il y a beaucoup d’intérêts, beaucoup de curiosités aussi, bien sûr. Mais il y a toujours de la place et ce, d’autant plus qu’il y a un roulement. On voit vraiment, nous, notre solution comme un coussin d’atterrissage et tremplin pour stabiliser ces familles et leur permettre de retrouver un équilibre, de progresser dans leur carrière, etc. Mais c’est vrai qu’on voit notre offre comme une offre transitoire et les parents s’engagent sur un bail d’un an, mais comme tout logement, ils et elles peuvent donner leur préavis avec un mois de préavis et on voit bien qu’il y a des familles qui sont restés quelques mois, d’autres qui sont là depuis le début. Donc, en fait, ça dépend des besoins de chacun et de chacune et on s’adapte.
Et vous n’avez pas de date limite, c’est pas à vous signer, c’est un an minimum ?
Alors, en théorie, c’est un an renouvelable deux fois. C’est ce qu’on a prévu. C’est ce qu’on a prévu, encore une fois, sur la base des échanges qu’on a eus avec toutes ces familles monoparentales qui nous disaient en fait, l’année scolaire, c’est un peu le minimum dont on a besoin pour se retourner au moment d’une séparation, d’une rupture, etc. Et au bout de trois ans, normalement, enfin, t’as trouvé un nouveau rythme, t’as peut-être progressé dans ton job, etc. Et en plus de ça, si nous on tient notre promesse qui est de faire des économies aux parents et aussi de réduire leur charge mentale et de leur… Fournir cette communauté de soutien et d’entraide. Peut-être que tu auras rencontré quelqu’un, peut-être que tu auras…
T’auras eu du temps pour le faire.
Voilà, exactement. Donc, il y a plein de choses qui se passent. Après, encore une fois, j’ai 12 mois de recul, donc je ne sais pas si les gens resteront 3, 4, 5, 10 ans. Mais l’idée, c’est qu’il y aurait quand même un roulement pour en faire profiter un maximum de parents.
On est un an après, comment quand tu as commencé à pitcher ton idée, avec ton cofondateur à l’époque, vous êtes allé trouver des financements ? Parce que c’est pas un projet qui est en ligne et qui demande rien comme investissement.
Pas du 16 B2B!
C’est un énorme investissement de trouver de l’immobilier, surtout en région parisienne. Ça s’est passé comment ça ?
C’est une très bonne question et surtout. C’est une lutte permanente parce que c’est un petit miracle que Commune existe. Comme je te le disais en début d’interview, on est les premiers et premières au monde à le faire, les seuls au monde encore, parce que c’est pas un projet simple. C’était pas un projet simple à faire sortir de terre. Il y avait eu des tentatives par le passé, t’as quelques exemples de par le monde de parents solos qui se sont mis en coloc etc mais fondamentalement c’est un business de volume, la société sera rentable quand on aura une dizaine ou une quinzaine de résidences pas avant donc c’est vraiment un marathon pas un sprint et comme tu le dis, c’est pas du sas B2B, t’as des assets, enfin t’as un sous-jacent immobilier, ça fait peur aux gens, surtout dans ce contexte. Donc 2022, c’est un petit peu différent, mais la crise de l’immobilier qu’on a dans la figure, elle est assez dingue. Et donc, comment on a fait ? Déjà, nous, on ne porte pas le foncier nous-mêmes. On a des partenaires immobiliers qui portent le foncier. Ça peut être des particuliers, ça peut être des foncières, des fonds d’investissement, ça peut être des sociétés comme Claisance qui est une filiale d’actions logements, ça peut être la Caisse des dépôts, enfin voilà. Donc on n’a pas cette charge-là, mais on a quand même beaucoup de coûts associés qui vont être les garanties bancaires qu’on doit fournir, qui va être l’achat de tout le mobilier, et évidemment après tout ce qu’il faut pour développer une boîte et payer des salaires parce que les startups ne vivent pas d’amour et d’eau fraîche. Et donc avec mon petit bâton de pèlerine, je suis allée voir des business angels engagés. Et j’ai réussi à convaincre assez de personnes pour réunir du coup 800 000 euros en equity d’une part. Et on a obtenu de près de la BPI à hauteur de 700 000 euros. Donc on a pu démarrer avec 1,5 million. J’ai ensuite réouvert le capital pour accueillir deux investes clés dans l’histoire de Commune qui sont Édouard Carle, le cofondateur de Babylou et Sébastien de Hülster qui est le cofondateur d’une foncière solidaire qui s’appelle Belleville et du coup qui ont des réelles expertises pour le développement et la suite de l’aventure. Du coup au total on a levé 1,8 millions avec 1,1 millions d’équities. Et ça, c’était ce dont on avait besoin pour lancer les deux premiers projets, pour recruter une équipe, pour aussi mettre à plat notre concept, l’image de marque, le book architectural, toutes ces choses-là. Ça nous a également permis d’aller se faire connaître, d’aller nouer des partenariats. Donc on a noué un partenariat d’ampleur avec l’Esence qui est la structure qui possède la résidence de Roubaix qui s’engage à financer 250 millions d’euros d’immobilier dans les cinq prochaines années pour ouvrir une cinquantaine de communes. Mais c’est pas à quatre personnes full time et deux alternants et alternantes qu’on va être capable de sortir tout ça de terre. Donc évidemment que je relève des fonds, je suis au moment où on se parle en levée de fonds, je recrute aussi et c’est un stop and go permanent parce que je ne peux pas recruter tant que je n’ai pas levé des fonds. C’est compliqué de lever des fonds quand je suis au four et au moulin, mais ce n’est pas simple. Et voilà, je suis déjà extrêmement fière et ravie qu’on ait réussi à faire ce qu’on a fait. On a vraiment fait ce qu’on appelle dans le langage start-up, le zero to one. Et maintenant, la question, c’est comment on fait le 1 à 100. Et peut-être pour reboucler et conclure là-dessus, tu vois, nous, on a réussi à convaincre des particuliers, des business angels, et la France regorge de business angels et c’est génial. Mais pour l’étape d’après, il faut qu’on puisse aller convaincre des institutionnels et des fonds d’investissement, etc. Et en fait, la réalité, c’est que ces gens-là ne sont pas très friands et friandes d’innovations radicales. Et nous, on n’a pas de comparables, on n’a pas de compétition, on n’a pas tout ça. Donc, tout le monde me dit, on vous financera quand vous aurez cinq, six communes. Oui, mais en fait, comment j’arrive entre mes deux et mes six communes ? Mais voilà, c’est une équation à laquelle beaucoup d’entrepreneurs et d’entrepreneuses sont confrontés et je n’y échappe pas.
Tu sais, c’est comme quand on dit aux jeunes qui rentrent sur le marché du travail, je ne peux pas te prendre, tu n’as pas d’expérience. Oui. Alors, OK, c’est vrai. Mais si tu ne m’en donnes pas d’expérience, j’en aurais jamais. Donc là, tu es dans une phase de développement. Il y a le concret qui est arrivé. Tu as le retour d’expérience de 10 familles, on va dire, monoparentales, qui vivent le quotidien de cette communauté. Qu’est-ce qui ressort le plus un an après dans les échos que tu as ?
De la part des familles ?
Alors, beaucoup de choses. Déjà, je pense qu’il y a un point extrêmement positif sur la mixité sociale. On n’avait pas du tout… Imaginé ça. On voulait avoir une population la plus représentative et diversifiée possible, mais c’est vrai que c’est quelque chose qu’on a vraiment réussi et on se rend compte qu’il y a des gens qui vivent ensemble, qui sont devenus meilleurs amis, qui peut-être ne seraient jamais rencontrés par ailleurs.
Donc ça c’est un point ultra positif et ce qui revient tout le temps et qui nous réjouit évidemment dans toute l’équipe c’est également ce réseau de soutien et d’entraide qu’on a réussi à créer et en fait on a eu des témoignages très forts de notamment deux mamans qui nous ont dit qu’elles pensaient avoir évité la dépression grâce à Commune, et en fait le fait de pouvoir rentrer chez elles à la commune de Poissy et de pouvoir déposer leur fardeau devant la porte et en parler, avoir des conseils, etc. On a également une maman qui nous a dit que depuis qu’elle avait emménagé chez Commune, sa fille n’avait plus de troubles obsessionnels compulsifs, donc elle n’avait plus de tocs. Et ce n’est pas que Commune, c’est aussi le soutien psychologique dont elle a bénéficié. Mais c’est vrai que la maman accorde beaucoup de crédit au fait d’avoir retrouvé une stabilité, d’avoir retrouvé une chambre à soi pour elle, pour ses enfants. Et du coup forcément c’est très très fort et pas plus tard que la semaine dernière on a rencontré la première famille qui va emménager à Roubaix et en fait c’est une maman qui est chercheuse, qui est sur un passeport talent, qui a du coup un profil très atypique parce qu’elle est étudiante et salariée à temps partiel pour de l’enseignement. Et en fait, là, il fallait qu’elle trouve quelque chose avant la fin de l’année, sans quoi elle devait repartir sur Paris, sur Orléans, abandonner ses activités d’enseignement, etc. Et tout ça parce qu’elle ne rentrait pas dans les cases des bailleurs et bailleuses classiques. Et voilà, on lui a annoncé qu’elle remplissait tous nos critères à nous, et on a vu la joie dans les yeux de ses enfants, et ça n’a pas de prix. Donc voilà. Ensuite… D’autres choses qui ressortent aussi donc j’en parlais un tout petit peu au début mais on se rend compte que les enfants passent beaucoup moins de temps devant des écrans parce qu’il y a une salle de jeu avec des jeux, des jouets partagés mais aussi un grand jardin et donc en fait les gens, autant les adultes que les enfants sont au grand air et c’est super. Et après, dans les autres points qui ressortent, et ça, je pense que c’est aussi très culturel et on verra comment ça évolue, mais c’est vrai que faire communauté, vivre en collectif, ce n’est pas facile tous les jours. Enfin, on a des retours parfois sur, là là, mais moi, je prends moins de douche que ma voisine ou la personne du dessus a deux ados et moi, j’ai deux petites filles, donc j’ai pas la même consommation d’eau, etc. Oui, bien sûr. Et à un moment donné, il faut accepter ce trade-off de oui, t’as un compteur commun, parce que c’est une forme de vie en communauté. Et peut-être qu’en effet, tu dépenses un tout petit peu plus en eau que ce que tu aurais aimé, mais tout ce que tu gagnes par ailleurs. Mais donc, il y a quand même un sujet d’évolution des mentalités. Qui est très important. Et ça, je pense que c’est assez lié à la France, parce qu’encore une fois, moi-même, pour avoir vécu à l’étranger, dans des pays anglo-saxons, pour des bonnes ou des mauvaises raisons, vivre en coloc et les habitats partagés sont beaucoup plus présents dans le quotidien. Et donc, il y a plutôt ce genre de questions.
Est-ce que vous avez un retour des enfants ? Parce que là on parle des adultes, des parents célibataires, en tout cas en famille monoparentale, qu’est-ce que les enfants retiennent de cette expérience ?
C’est un très bon point parce que, et ça c’est un sujet aussi parce qu’on essaye de documenter ce qu’on fait, alors encore une fois on n’a malheureusement pas toujours le temps ni les ressources pour le faire et c’est toujours une question de mesure et de juste équilibre entre documenter et en même temps préserver l’intimité des familles, parce que cette première commune, c’est vraiment une boîte de pétri. Ça n’existe nulle part ailleurs. On a plein de journalistes qui veulent venir tout le temps documenter. En fait, on est obligés de filtrer. Et nous, de la même manière, on a beaucoup de retours en off et typiquement, on organise des apéros tous les mois. Donc, on voit les parents tous les mois, mais on voit les enfants aussi. Et on a voulu recueillir les témoignages des enfants. C’est très compliqué souvent avec l’ex-conjoint ou conjointe pour plein de raisons, parce que…
D’autoriser.
Exactement. C’est des gens qui sont quand même présents sans être présents. Quoique parfois on voit aussi que certains ex-partenaires viennent dans la commune et donc c’est assez chouette de voir toute cette émulation et cette mayonnaise qui prend au sens large. Mais tous les retours des enfants sont très positifs et j’ai en tête l’exemple de ce papa solo qui ne savait pas forcément où il allait atterrir, d’autant plus qu’il n’a pas la garde principale de ses enfants, mais quand il a emménagé chez Commune et que ses filles ont découvert la salle de jeu, en fait, tout d’un coup, elles avaient très, très envie d’aller chez papa. Et c’est des choses aussi qui sont très précieuses, parce que ça permet de tisser et retisser le lien. Parent/enfant. Et donc, c’est ça les retours que j’ai, et à chaque fois que j’y vais, je vois des gamins qui jouent dans la salle de jeu, des petits, des grands, des enfants en situation de handicap, des enfants qui sont parfaitement valides. Enfin, il y a une vraie beauté et ça me donne foi en l’humanité de me dire on peut faire société et on peut y arriver. Et ce qui est chouette, c’est aussi de voir forcément vu qu’on a un ancrage géographique à un endroit donné à un moment donné, il y a plein d’enfants qui parfois vont à l’école ensemble le matin, qui rentrent ensemble, enfin c’est assez chouette.
Je lisais que vous avez un cahier des charges assez précis pour l’implantation de vos lieux, il faut que ce soit dans une on va dire une agglomération à flux tendu sur le logement. Il faut que ce soit pas loin d’école, pas loin de transports en commun. C’est quoi à peu près le rôle du cahier des charges ?
C’est ça en fait, c’est vraiment d’être dans un contexte urbain dense, à proximité immédiate des transports en commun, à proximité immédiate de groupes scolaires. Donc c’est des écoles, des collèges, des lycées, mais aussi des crèches. Et après, on a des contraintes de superficie. Donc, on ne peut pas faire une commune dans moins de 500 mètres carrés, par exemple. Après, on a des contraintes d’exposition, de nombre de fenêtres par unité, etc. Et de plus en plus, maintenant, on regarde d’avoir des espèces extérieures ou à minima, la possibilité de créer un rooftop, une terrasse, etc. Parce qu’on voit vraiment l’avantage que c’est. Tout à fait.
L’apéro du soir.
Bien sûr, bien sûr. Ça, ça a aussi été l’un des retours. C’est rigolo. En fait, les parents solo ont installé eux-mêmes barbecue, tireuses à bière. Donc, c’était pas fourni par nous. Et inversement, ce qu’on voit aussi qui est très chouette, c’est qu’il y a pas mal de d’échanges de vêtements pour les enfants qui grandissent, etc. Donc il y a plein d’effets boules de neige pas prévus qui sont très très chouettes. Mais donc c’est grosso modo celle qui a eu des charges et après… Après, voilà, c’est des contraintes de superficie d’espèces communes, de pouvoir avoir cette salle de jeu, cette cuisine, salle à manger, salon, d’avoir une buanderie et tout, mais on a quand même développé un cahier des charges suffisamment flex pour pouvoir adapter notre solution dans un maximum de lieux, parce qu’on sait que c’est difficile de trouver du foncier, surtout du foncier au prix auquel nous, nos partenaires, sommes prêts à le payer. Et du coup, voilà, on a imaginé plein de typologies différentes pour s’adapter au maximum aux contraintes du bâti existant ou neuf.
Il y a un vrai sujet, c’est sur le tarif d’accès à vos logements. Comment est-ce que vous gérez ça, sachant que les populations dont on parle sont parfois, et même trop souvent, des populations qui sont précarisées ? Est-ce que vous avez des systèmes de subventions ? Est-ce que, pour l’instant, ça ne peut pas être mis en place ? Comment ça se passe ?
Alors, bien sûr, c’est le sujet numéro un et c’est d’ailleurs le sujet numéro un parmi toutes les personnes qui candidatent. Et c’est aussi, nous, la raison souvent principale d’un refus, parce que malgré toute notre flexibilité, il y a un moment donné, il faut pouvoir attester quand même de certaines ressources. Il y a plein de manières de répondre à cette question. Déjà, je vais préciser que nos tarifs sont tout compris. Donc on a une part de loyer, une part de charges et une part de services. Chaque personne qui va rentrer chez Commune, chaque famille, va avoir accès à un package de services de base. Donc c’est internet au débit, c’est du ménage trois fois par semaine, c’est l’organisation d’événements tous les mois. Il y a quelques jours, on organisait le sapin de Noël, il y a eu une fête d’Halloween, en janvier il y aura la galette des reines et des rois, c’est aussi l’accès 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 à notre application qui permet de mieux connaître ses voisins voisines mais aussi d’être en contact direct avec l’équipe commune donc pour tout ce qui va être réparation locative, maintenance du quotidien donc voilà donc on est capable aujourd’hui on intervient dans 99% des cas en moins de 48 heures, donc il y a tout ça dans le tarif. Ça commence à 790 euros à Roubaix et à 1190 euros à Poissy. Et nous on estime que ça permet de faire 20 à 30 % d’économies sur le panier de dépenses global d’une famille par rapport aux alternatives classiques du marché. Donc si tu devais te loger dans un appart avec deux chambres, payer ton abonnement internet, payer du ménage, etc. Voilà donc c’est ça notre benchmark. Aujourd’hui, on n’est absolument pas compétitif et compétitive avec du logement social, mais ça c’est malheureusement la structure juridique du logement social en France. Il faut comprendre que le logement social a été pensé comme du logement individuel. Nu et à durée indéterminé, et que nous on fait du logement collectif, meublé, à durée déterminée. Donc…
Tu rentres pas dans les cases.
Exactement, on essaye de faire rentrer des ronds dans des carrés, et pour l’instant, ça ne fonctionne pas. Et moi j’ai parlé à tous les cabinets possibles et imaginables, tous les ministres du logement qui se sont succédés, et il y en a eu beaucoup depuis que j’ai créé Commune. Il y a des avancées notables, notamment pour potentiellement que communes et d’autres résidences gérées demain puissent bénéficier du régime de logement à loyer intermédiaire. Donc ça, c’est quelque chose qui a été voté dans le projet de loi de finances 2024, mais on est en décembre et il n’y a toujours pas eu le décret d’application et on ne sait pas ce qui va se passer au moment où on se parle.
Nous sommes dans une zone de flou en ce moment.
Et de manière générale, le logement en France a besoin d’être repensé parce que tu vois, tout ce qui est espace commun, si on rentrait dans cette typologie demain de logement à loyé intermédiaire ou même dans le futur de logement social, les parties communes ne sont pas prises en compte parce que historiquement, les parties communes, c’est ta cage d’escalier, ton ascenseur, ton local vélo. Ce n’est pas ton salon, ce n’est pas ta salle de jeux, etc. Donc, il y a un gros sujet plaidoyer, sensibilisation, éducation et donc pour l’instant, tant qu’on est sur du foncier qu’on appelle privé, du logement libre, etc., on n’a pas les moyens d’être plus accessibles et surtout déjà on n’est pas rentable. Enfin je veux dire, la société n’est pas rentable en tant que telle parce qu’on veut que ça reste abordable. Donc en effet, c’est pas abordable pour tout le monde, mais c’est abordable pour un maximum de personnes. Et surtout, toutes nos résidences sont éligibles aux APL, etc. Donc, si la personne qui postule, parce que les APL c’est individualisé, enfin, si elle y a le droit, elle pourra les appliquer sur une commune. Et on a également des discussions avec les CAF aussi pour les… Les sensibiliser à notre modèle et à notre philosophie. Parce qu’aussi, on sait qu’aujourd’hui, les CAF vont rembourser que la part de loyers hors charges et pas du tout ce qui va être services, etc. Mais il faut bien commencer quelque part. Et aujourd’hui, on répond quand même à une demande très importante, croissante. Il faut aussi garder à l’esprit que les familles monoparentales sont surreprésentées parmi les populations en situation de précarité parce qu’il y a eu une dégringolade à cause du logement. Et donc, en fait, c’est vraiment le point névralgique et nous, on espère et on pense qu’avec notre solution, on empêche justement la mise en place de cercle vicieux. Et donc, en fait, si tu arrives à te loger dans une commune, à faire des économies, à te stabiliser dans ta carrière, etc. En fait, tu n’es pas cette famille monoparentale qui a dû passer à 4/5ème, puis à mi-temps, qui s’est éloignée de ses amis, de sa famille, de son lieu de travail, de la bonne école pour ses enfants, qui s’est complètement refermée, etc. Donc, Donc voilà, mais évidemment, on réfléchit à plein de moyens pour, demain, rendre nos tarifs plus accessibles, pour faire peut-être différentes catégories de communes et évidemment des réflexions plus larges sur quel soutien aussi des pouvoirs publics, parce qu’aujourd’hui, Commune n’a pas un centime de subventions.
Ça me paraît fou, mais l’avenir nous dira que la façon dont on va vivre va changer et t’as cette sensation quand même qu’il y a une tendance à vouloir à nouveau investir cette vie en communauté. Tu disais le co-living, ça existe depuis très longtemps et dans différents pays d’Europe, c’est pratiqué, notamment le co-living intergénérationnel ou entre étudiants. On a déjà accès à ça. Est-ce qu’au vu de la configuration actuelle du monde, de son incertitude, est-ce que les gens ont un peu plus envie de revenir à ça ?
Alors, je suis extrêmement mitigée, c’est-à-dire post-Covid. Oui, je l’ai vu et c’est d’ailleurs dans cet élan que j’ai lancé Commune. On l’a vu pour des raisons d’isolement social. Les gens avaient besoin de se retrouver, d’être ensemble. On l’a vu aussi pour des raisons tout à fait pragmatiques de manque de logement. Il n’y a jamais eu autant de logements vacants. Etc. Et donc en fait, pragmatiquement, les gens se sont mis en coloc, ou… Enfin, des co-living ont fleuri, etc. Nous, on voit que sur les familles monoparentales, c’est une demande, et c’est une demande qui préexiste la naissance de Commune, donc la demande est là. Mais en revanche, là où il y avait un peu un soutien institutionnel, historiquement pour privilégier, démocratiser ce mode de fonctionnement, aujourd’hui, on voit un peu un coup d’arrêt et même un retrait, parce que je ne vais pas rentrer dans des sujets très politiques, mais il y a quand même une montée de l’extrême droite, une montée de la vision de la famille traditionnelle, du logement familial, de la famille nucléaire hétérosexuelle, etc. Là où nous, les modes de vie en communauté, les Commune, en France, aux États-Unis, pendant mai 68, etc… réveillent d’autres sujets et d’autres volontés de faire société aussi différemment. Et du coup, il y a une réelle demande et les gens en sont friands et friandes. Les institutions aussi dans la mesure où ça permet de faire avancer l’agenda climatique parce qu’on sait que les séparations, les divorces etc c’est un drame pour l’environnement parce que du jour au lendemain tu as tout en double. Là où tu avais un appartement, une voiture, une machine à laver etc tu multiplies donc, des solutions de co-living sont hyper attractives là-dessus parce que tu arrives à réduire l’empreinte carbone des foyers. Mais financer, investir, documenter, rechercher ce qui pourrait fonctionner là-dedans, aujourd’hui, les seuls qui investissent massivement, c’est l’extrême droite et dans des projets ultra communautaires, communautaristes. Où tu as les bonnes familles monoparentales, qui sont les mamans qui n’ont pas voulu avorter, versus les mauvaises familles monoparentales. Donc aujourd’hui, et nous on le voit bien, il y a aussi des blocages au niveau institutionnel en disant: « Vous n’avez pas de place de stationnement, il n’y en a pas une par famille, donc on ne va pas financer. » En fait, il n’y a pas de place de stationnement parce qu’on est sur des publics qui sont prêts à partager leur cuisine, leur salle de jeux, leur garde, enfin tout. Tous ces sujets, ce n’est pas des gens qui sont propriétaires d’une voiture individuelle. Et en fait, s’il y a de l’espace qui va être dévolué à des parkings, en fait, on préfère en faire un terrain de jeux, installer des toboggans, une cabane, un barbecue, tu vois. Mais il y a des gros freins institutionnels et de plus en plus idéologiques aussi. Ça va dans les deux sens et j’ose espérer que notre vision triomphera, mais aujourd’hui, c’est difficile à dire.
Pour contrebalancer ce que tu viens de dire, ça a quand même reçu beaucoup de prix. Il y a eu un grand élan, la presse notamment, il y a de la curiosité, pas qu’en France. Est-ce que tu es surprise du succès que ça a, de ce que ça génère comme engouement ?
Alors c’est peut-être très prétentieux mais non. Pourquoi ? Parce que pour moi c’était une évidence absolue et en fait j’étais la première surprise du fait que ça n’existe pas avant et j’étais non mais c’est pas possible j’ai bien trouvé quelque part dans le monde voilà et en fait à partir du moment où je me suis rendu compte que ça n’existait pas et que tous les indicateurs étaient au vert, et aussi de parler à toutes ces familles monoparentales, à voir sur les forums les papas et les mamans solos qui essaient d’acheter ensemble, etc, c’était une évidence que le sujet allait exploser, et d’ailleurs c’est fou parce que… Enfin, c’est pas fou et j’ose espérer qu’on y a contribué, mais c’est vrai qu’entre 2021, quand j’ai décidé de m’attaquer au sujet, comme je le disais, il y avait le genre du capital et puis basta à peu près sur le sujet. En septembre 2021, il y a eu le rapport de l’INSEE et en 2022, c’était les campagnes présidentielles. C’était aussi la sortie de Maid, la série Netflix, etc. Et là, tout le monde parlait de monoparentalité. Et en fait, il y a un moment donné, c’est une telle évidence, que c’est un sujet qui fédère à droite et à gauche, pas forcément pour les mêmes raisons, mais en fait de dire aujourd’hui il y a une précarisation extrême de ces familles, c’est les premières victimes de la crise du logement, c’est les premières à risque. De précarisation, qu’on le veuille ou non, c’est un quart des familles et ça ne va qu’augmenter. Donc il faut qu’on fasse quelque chose. Les entreprises aussi ont commencé à se rendre compte que la monoparentalité était un facteur de décrochage dans les carrières et principalement dans les carrières de leur talents féminins parce que les familles monoparentales c’est à 85% des mères célibataires. Et donc voilà, il y a eu cette prise de conscience sociale, sociétale, collective. Et on était là, et donc il y a aussi un sujet de momentum, et c’est aussi quelque chose que moi j’ai vécu avec Règles élémentaires, en fait. J’ai monté Règles élémentaires il y a presque dix ans, en 2015, à une époque où on parlait très peu de précarité menstruelle. Et en fait, c’était un sujet où là aussi, c’était une évidence qu’il y avait une très forte demande aussi de la population, un très fort soutien populaire pour ces enjeux. Et ça s’est vu avec le taux de taxation sur les produits d’hygiène intime, enfin plein de choses. Mais donc en fait, Je pense aussi que c’est mon tropisme personnel, ça m’intéresse d’aller voir là où personne n’a jamais regardé, mais sur en fait des besoins absolument basiques, primaires, qui ne sont peut-être pas très sexy sur le papier, mais qui en fait sont clés et des piliers de notre vie quotidienne et la base de la pyramide de Maslow. Donc, en fait, c’est un peu les mêmes logiques que je retrouve dans tous mes projets. Et donc, j’en suis ravie de cette couverture médiatique, de ces prix, etc. Et c’est une chouette visibilité pour le projet et la cause. Après, ce n’est pas avec ça que je paye des salaires, ni mes factures. Donc, c’est important aussi de continuer de sensibiliser là-dessus, parce que je pense aussi qu’il y a un peu le syndrome de la bonne élève, où en fait, quand tu es très médiatisé et quand tu reçois plein de prix, tout le monde pense que ça va très bien.
Il y a des attentes.
Mais ce n’est même pas des attentes. Mais c’est en fait genre c’est super. Et il n’y a pas besoin de soutien, il n’y a pas besoin d’investissement, il n’y a pas besoin de machin, tout va bien dans le meilleur des mondes et on ne va pas aller voir alors que la réalité c’est… Et surtout, c’est pas un projet qui va se construire en cinq minutes et qui va se construire tout seul. Et donc, en fait, c’est trop beau de se dire, oh là là, il y a trois articles sur papier glacé et des supers podcasts comme le tien. Mais en fait, derrière, il faut des moyens et il faut une vision à long terme.
Là, tu nous as quand même dit que tu as signé un contrat pour qu’il y ait 50 lieux qui ouvrent d’ici 5 ans. Est-ce que tu peux nous donner une carte géographique et vos projets pour l’avenir ?
Avec grand plaisir. Donc ce partenariat, c’est un partenariat avec une filiale d’Action Logement qui s’appelle Clésence. C’est une enveloppe de 250 millions qui est fléchée sur l’ouverture de 50 résidences en 5 ans sur deux territoires qui sont l’Île-de-France et les Hauts-de-France. Pour plein de raisons et notamment des raisons de facilité et de rapidité, on va sans doute avoir beaucoup de résidences en Île-de-France et dans les Hauts-de-France dans les prochaines années. Mais c’est important de noter que ce n’est pas un partenariat exclusif. Donc, en fait, il y a plein d’autres personnes qui sont en mesure de nous accompagner, y compris sur d’autres territoires. Et aujourd’hui, la demande, elle est très forte dans toutes les grandes villes. Et donc, en fait, on regarde aussi pas mal de projets à Marseille, pas mal de projets à Bordeaux, pas mal de projets à Lyon, dans les Outre-mer aussi. On regarde un projet aux Antilles où il y a des taux de monoparentalité qui sont absolument énormes. Et après, on peut même être amené sur des territoires qui sont moins densément peuplés que d’autres parce qu’il y a une demande spécifique. Typiquement, j’ai eu un rendez-vous il y a quelques mois avec le ministère de la Transformation Publique. Parce qu’aujourd’hui, il y a un réel enjeu qui est identifié auprès des soignants et des soignantes, où tu as énormément de familles monoparentales qui n’arrivent plus à se loger et qui délaissent leur carrière dans l’hôpital public. Et donc, en fait, demain, il y a peut-être un partenariat de communes, de l’État, un partenariat public-privé pour créer des résidences pour familles monoparentales soignantes. Il y a plein de choses à imaginer. Pareil, on a eu des demandes d’entreprises qui ont une grande culture du logement de fonction. Et qui logent soit leurs saisonniers et leurs saisonnières, soit les personnes en mobilité professionnelle, etc. Et qui nous disent, en fait, aujourd’hui, on veut prévoir la même chose pour les familles monoparentales. Donc, évidemment que plus la ville est grosse et plus les besoins sont importants, plus c’est facile pour nous d’aller déployer une commune. Mais aujourd’hui, on est encore une très jeune entreprise, on a plein de choses à tester, plein de choses à essayer, et donc on a une approche très souple et très opportuniste, et on regarde évidemment tous les projets qu’on reçoit.
Bah écoute, merci. J’espère qu’il y en a peut-être des gens qui ont écouté et qui se sont dit ça m’intéresse comme projet ou j’ai envie de postuler dans les Hauts-de-France parce qu’il y a encore de la place ?
Il y a encore de la place et fondamentalement, on accepte les candidatures en continu parce qu’on a aussi un système de liste d’attente et quand des unités se libèrent, d’autres les rejoignent.
Mais je trouve que c’est passionnant de voir la construction d’un projet innovant qui est inédit, de voir qu’il y a quand même des gens qui s’intéressent aux parents, à la parentalité, aux difficultés et à la catégorie des parents célibataires qui sont majoritairement des femmes, comme tu l’as bien précisé, et qui se retrouvent dans des situations compliquées. Comme tu disais, ça donne fort l’humanité de se dire qu’on peut leur redonner un petit coup de pouce. Le lien humain, c’est la base. Moi, ce podcast, je l’ai créé pour qu’on ne sente pas seul quand on écoute et qu’il y ait cette universalité. Je trouve que c’est chouette d’écouter dans un podcast, mais c’est encore mieux de vivre au quotidien si on peut vivre avec d’autres gens qui sont comme nous. Bravo à toi. Merci beaucoup Tara d’être venue.
Merci à toi et merci de donner une voix à la monoparentalité et à toute les familles en général, donc c’est chouette et bravo à toi aussi.
Merci.