Lorsque l’on s’intéresse aux droits des enfants, on est quasiment obligé de jeter un coup d’œil à ce qu’il se passe au nord de chez nous, en Suède.
Les Suedois sont les premiers dans le monde à avoir aboli la violence physique infligée aux enfants. C’était en 1979.
Depuis, leur société a évolué pour prendre en compte les besoins spécifiques des enfants et surtout la Suède fait partie des rares pays à inclure les enfants dans les discussions qui les concernent.
Marion Cuerq, spécialiste des droits de l’enfant mais aussi de la Suède, raconte dans cet épisode comment la culture suédoise à réussie son pari de respecter les enfants.
Avec des métaphores très explicites tirées de son livre, une enfance en (N)Or(d), Marion nous ouvre à de nouveaux horizons, nous fait voyager et nous permet d’emmener notre regard au coeur de la culture suédoise.
Changer notre manière d’envisager l’éducation nous demande d’abord de remettre l’enfant au centre des débats. Et c’est ce qu’on tente d’expliquer dans cet épisode.
Je vous souhaite une très bonne écoute
🗣️ Au programme :
🇸🇪 Introduction à la Suède et son approche de l’enfance (00:13 – 10:18)
👪 Approche suédoise de l’éducation (10:19 – 21:15)
🧠 Théorie de l’attachement et culture de la relation (21:16 – 31:49)
📚 Droits de l’enfant et participation (31:50 – 42:43)
🏫 Espaces publics et éducation en Suède (42:44 – 50:49)
🔄 Changement de paradigme social (50:50 – 59:47)
💪 Défis et mérites de l’éducation bienveillante (59:48 – 01:09:47)
LIENS UTILES
Le livre de Marion Cuerq : Une enfance en nord : pour une éducation sans violence et à hauteur d’enfants
TRANSCRIPTION DE L’ÉPISODE
Clémentine
Salut Marion.
Marion
Salut.
Clémentine
Je suis ravie de te recevoir en vrai. Tu m’as fait beaucoup rigoler parce qu’en arrivant, tu m’as dit t’as level up depuis bientôt cinq ans où je t’ai reçu pour la première fois où on avait parlé des droits de l’enfant et surtout de ton expérience en Suède. Et aujourd’hui, je te reçois parce que tu as écrit un livre qui est passionnant. Je vous invite vraiment à le lire. Si vous regardez sur YouTube, je le montre. Ça s’appelle Une enfance en nord avec le or qui revient parce que, au R, le petit jeu de mots, j’aime beaucoup parce que c’est vrai que nos enfants, on doit les préserver. Et j’avais envie que tu nous racontes quand même comment est-ce que tu as commencé par t’intéresser à la Suède ? C’est pas un pays qui est une destination très prisée des Français, on va dire, de base. Donc pourquoi la Suède ?
Marion
C’est vieux, c’est très vieux. Ça date… Alors, il y a d’abord eu les questions d’éducation et de non-violence. Là, je saurais pas te dire quand c’était, mais j’étais très jeune, je sais pas, 8, 10 ans, peut-être 12. Enfin, vraiment, l’éducation, ça… J’ai toujours été très intéressée par ces questions-là. Et ensuite, j’ai toujours eu une aversion très forte pour la verticalité qui caractérise quand même la France et ses structures sociales. J’ai toujours eu beaucoup de mal avec ça. Là je ne peux pas te donner parce que je pense que je suis née comme ça. En m’intéressant à l’éducation, en faisant les liens avec cette verticalité, même si les liens à l’époque étaient encore très flous pour moi, mais intuitivement ils étaient là quand même.
Et ensuite, je me suis intéressée à la non-violence éducative, comme on l’appelait à l’époque, peut-être comme on l’appelle encore aujourd’hui des fois. Et là, je me suis renseignée sur les magazines parentaux et tout ça. Et j’ai lu un article à 14 ans, comme quoi la Suède était le premier pays du monde à avoir interdit les châtiments corporels. Je me souviens du petit… C’était un tout petit drapeau suédois en bas d’un magazine, en bas à droite, je crois, ou en bas à gauche. Et je me suis dit, mais qu’est-ce que c’est que ce pays, en fait, qui a voulu déconstruire vraiment toute cette structure dominante. Je ne pense pas que je le pensais comme ça à l’époque, mais maintenant je le dis comme ça. Je me suis dit, tout simplement, je vais chercher des infos dessus.
Alors j’ai cherché des infos sur la Suède et je n’ai rien trouvé. En fait, il n’y avait absolument rien ni d’écrit, ni de filmé. Et je me suis dit, alors dans ces cas-là, j’irai voir quand je serai adulte. Donc voilà, je me suis dit que l’info qui n’existait pas, j’allais la chercher toute seule.
Clémentine
Donc t’es partie en tant que jeune fille au père, pour être au cœur de la famille suédoise ?
Marion
Oui. C’était super pratique, c’est la façon la plus… En tout cas, ça matchait vraiment mon besoin de vivre le quotidien familial, la vision de l’enfant, et pas uniquement quand on est dehors ou quand on est dans les lieux publics. Là, t’es chez la famille, tu vis avec eux, t’es là constamment.
Clémentine
T’as un exemple concret de comment on met en application une éducation où on a banni les violences physiques 40 ans avant.
Marion
T’as l’exemple de tout, t’es au cœur du système, au cœur d’une famille.
Clémentine
Qu’est-ce qui t’a le plus étonnée quand tu as vécu là-bas et que tu as commencé un peu à gratter le sujet, à t’intéresser à la manière dont les Suédois éduquent leurs enfants ? Qu’est-ce qui t’a le plus étonnée dans leur manière d’envisager de manière globale l’éducation ? À l’époque, et maintenant tu peux me dire les deux.
Marion
Non mais à l’époque c’est vraiment ça en fait. J’avais encore un niveau de suédois très très bas quand je suis arrivée, mais il y avait vraiment en fait cette absence de volonté de domination. Qui, pour moi, m’a frappée et m’a même au début, dans une certaine mesure, m’a dérangée aussi, parce que j’étais absolument contre les violences physiques. J’ai toujours été, mais j’étais quand même très française dans ma façon de faire. Et j’avais quand même cette idée que l’enfant, il doit t’obéir. Après, tu le fais en fonction, gentiment, mais quand même. On a vraiment cette idée en France qu’on veut constamment éduquer les enfants. La seule relation qu’on a avec eux, c’est elle est éducative, en fait. On voit pas autre chose. Et ça a vraiment été ce choc de se dire, mais en fait, ils ne les regardent pas comme des objets d’éducation.
Il y a aussi vraiment une relation d’humain à humain. C’était complètement différent. Et puis c’est vraiment aussi ce qui m’a aussi beaucoup marquée, parce que je me souviens du petit qui, à l’époque, avait quatre ans et qui était vraiment dans une phase difficile où il tapait tout le monde, où c’était vraiment, je ne sais pas, il faisait cinq, dix crises par jour. Il se roulait par terre. Et cette approche des parents aussi qui moi à l’époque vraiment m’intriguait et puis c’était vraiment trigger pour moi quoi. Ça me heurtait, où il n’y avait pas ce truc de on va lui faire passer l’envie.
Tu vois, où en France, on est tout de suite dans cette idée d’il faut lui montrer que c’est pas comme ça, qu’on veut tout de suite être la représentation du savoir et apprendre à l’enfant et même apprendre un peu par la coercition dans ces moments-là. Ils n’étaient pas du tout là-dedans. Ce qu’on peut d’ailleurs souvent, on le voit d’ailleurs quand on vous regarde de l’extérieur et qu’on ne connaît pas du tout le système et qu’on ne connaît pas du tout la culture suédoise, ça va être interprété comme du laxisme.
Clémentine
Par exemple, un enfant de 4 ans qui avait des crises répétées, il faisait quoi concrètement les parents ?
Marion
Ça dépendait des fois, ça dépendait s’ils étaient fatigués, s’ils ne l’étaient pas. Donc des fois, il lui parlait en lui disant bah oui, écoute, je comprends, c’est difficile, mais peut-être que d’être allongé par terre, ce n’est pas non plus la solution la plus optimale. Des fois, il ne disait rien, il le laissait pleurer. Ils lui disait écoute, si tu veux venir vers nous, on est là. Il y avait différentes façons de faire. Puis c’était difficile parce que c’était vraiment quotidien en plus à l’époque. Aujourd’hui, il est adorable, il a 17 ans et c’est quelqu’un de très empathique. Mais c’est vrai qu’à l’époque, c’était… Pour moi, c’était… Un défi. Un défi, je dirais.
Clémentine
Que la majorité des parents ressentent au quotidien de leurs enfants. Non mais c’est vrai, ce défi-là, puisqu’on est construit dans une société qui est pyramidale, verticale, où on doit représenter ce que tu dis, l’autorité, et on est tiraillé entre, on voit bien que notre enfant est en galère, on est fatigué, et en même temps, est-ce qu’on est un bon parent si on ne lui dit pas ? Donc je comprends ton choc, je pense qu’on le ressent un peu tous au quotidien.
Marion
Je me souviens, en plus, je l’avais dit aux parents, mais en fait, je ne sais pas quoi faire avec lui. Il n’y a rien de fluide. Et je me souviens aussi que c’est aussi ça qui m’avait marquée. C’est qu’il m’avait dit, mais tu sais Marion, c’est à toi de trouver les solutions. C’est ta relation avec lui. Ce n’est pas à nous. Il pouvait lui parler effectivement, lui dire voilà, il faut écouter Marion, elle est là pour toi, tout ça. Mais il y avait aussi cette idée de, en fait, c’est toi et lui. C’est ta relation. Et ça aussi, c’était à l’époque complètement neuf pour moi, cette idée en fait d’envisager ça sur le prisme de la relation et de ma responsabilité d’adulte, de jeune adulte, mais d’adulte.
Clémentine
Et on te faisait confiance.
Marion
Complètement, oui.
Clémentine
Et donc aujourd’hui, qu’est-ce qui t’étonne le plus dans leur système ?
Marion
C’est pas que ça m’étonne, mais c’est que c’est… Des années après, il y a quand même quelque chose qui, pour moi, c’est aussi étonnant, que c’est frustrant, que c’est magique. C’est cet aveuglement qu’ils ont quelque part sur leur vision de l’enfant. C’est-à-dire que moi, je passe mon temps à leur dire en fait, mais vous rendez compte que ce que vous faites, c’est pas comme ça partout. Votre vision de l’enfant, de l’enfance, des droits de l’enfant. Non, ils ne s’en rendent pas compte. Ils ne s’en rendent absolument pas compte. Et c’est à la fois, c’est forcément, c’est la logique d’une société qui s’est, d’un changement de paradigme, on va dire réussi. Mais c’est infiniment frustrant pour moi aussi, quand je les entends des fois critiquer leur vision de l’enfant aussi ou vouloir encore plus. Et c’est très bien. Il faut, il faut vouloir plus.
Mais des fois, je leur dis mais est-ce que vous rendez compte de ce que vous avez ? Non, tu vois, le congé parental, il faudrait qu’il soit trois ans, quoi. 480 jours, c’est trop peu. Pareil aussi dans les pré-écoles, il y a de grands débats aussi du nombre d’enfants par adulte. Grand débat. Parce que pareil, 7-8 enfants par adulte, c’est beaucoup trop.
Clémentine
Alors nous on est quand même sur des ratios encore bien supérieurs.
Marion
Surtout qu’en plus nous on a la maternelle tout ça, c’est la pré-école donc du coup les enfants jusqu’à 5 ans ils sont pas dans une école, enfin c’est différent mais pareil je leur dis, vous savez qu’en France dans les maternelles…
Clémentine
Ils sont moins de 27, il y a deux adultes.
Marion
Des fois il n’y en a qu’un.
Clémentine
Il n’y a pas l’ATSEM.
Marion
Mais ouais ils sont… Je dirais pas que c’est naïf, mais en tout cas, forcément, ils sont aussi cloisonnés dans leur façon de… Comme nous, on est cloisonnés dans la nôtre. Bien sûr.
Clémentine
Alors, dans ce livre qui est vraiment passionnant, qui nous emmène à travers cette culture suédoise et leur changement, tu parlais de paradigme, de vision. Toi, tu parles de chocolat culturel. J’ai beaucoup aimé cette analogie. Est-ce que tu peux nous expliquer ce que c’est et pourquoi ils sont si importants ?
Marion
Tous les gens qui connaissent mon boulot savent que j’adore les jeux de mots et les métaphores. Comme je te disais, au début c’était… C’était difficile, en fait, et puis j’étais très jeune en plus. Il y a vraiment eu un choc, quoi. Il y a eu un choc au niveau… Même si moi, je voulais comprendre la société suédoise, je voulais… Mais j’ai eu un choc, en fait, quand j’ai vu comment ils faisaient concrètement avec leurs enfants. Mais qu’est-ce que c’est que ça, quoi ? Et puis même dans les relations humaines en général, il y a vraiment eu un choc de me dire en fait, je suis où, concrètement ? Et là, il y a vraiment deux options, quoi. Soit on dit bon ben en fait, je me suis trompée, on prend l’avion et on repart, ce que beaucoup de gens font d’ailleurs.
Soit on se dit OK, comment je fais ? Qu’est-ce que… Voilà. Donc en fait, le choc culturel, en fait, cette idée finalement de pourquoi ça devrait être négatif ? Pourquoi ça doit être négatif que je me sente mal, que je sois frustrée, que je sois même des fois irritée par ce qui se passe ? Pourquoi ça devrait être négatif ? Pourquoi ça serait, eux, le problème ? Pourquoi ce n’est pas en fait finalement cette idée que moi je ne comprends pas, mais eux ils ont l’air de plutôt bien comprendre et de bien le vivre. Pourquoi c’est moi qui aurais raison en fait ?
Clémentine
Tu t’es remise en question.
Marion
Il y a vraiment cette idée en fait de soit j’essaye de comprendre, soit je pourrais pas comprendre. Donc c’est cette idée en fait de se dire que c’est pas forcément parce que choc culturel ça fait effectivement quelque chose de négatif quoi. Donc je me suis dit effectivement c’est un peu comme des chocolats culturels en fait où en fait tu as une boîte comme ça là plein de chocolats ils sont alléchants pour certains, d’autres t’as pas envie. Tu testes, tu sais pas ce que c’est, tu goûtes, tu te dis ouais non ça je m’y attendais pas du tout. Et puis t’essayes, tu vois t’analyses quoi, tu te dis mais attends c’est quoi, y’a quoi, y’a ce goût là, y’a ce goût là. Tu comprends t’analyses, t’essayes de… Tu savoures aussi parce que au bout d’un moment quand tu commences à faire ça c’est aussi quelque chose qui devient… Amusant, je dirais. Il y a un côté, tu vois, où tu te dis en fait, ouais, en fait, on peut aussi faire comme ça, quoi. C’est presque, il y a un lâcher prise, quoi, petit à petit à petit. Ça prend beaucoup de temps. Au début, c’est surtout des arrières goûts. Tu te dis non, ce chocolat, je veux pas. Celui-là, je veux pas non plus. Mais c’est vraiment en fait pour se dire, c’est la rencontre de nouvelles saveurs culturelles aussi.
Clémentine
Alors dans ce livre, je le redis, Une enfance en or, tu as tout le long du livre en filigrane cette notion d’être à la hauteur de l’enfant avec même, tu parles beaucoup, la sémantique des mots suédois que nous n’avons pas en français. Pourquoi c’est si important cette notion-là et ça implique quoi concrètement dans la société suédoise, le concept de hauteur d’enfant ?
Marion
On pourrait faire un podcast entier que là-dessus, tellement que c’est énorme ce que ça implique.
Clémentine
Alors le hauteur, je précise, c’est H-A-U-T-E-U-R, parce que tu en parles d’une autre après. Donc le hauteur, être à la hauteur de l’enfant, cette notion-là.
Marion
La hauteur d’enfant, c’est vraiment, à mon sens, c’est la matérialisation, en tout cas c’est le mot qui définit le mieux, qui montre le mieux, ce volte-face de paradigme. C’est-à-dire que c’est plus dans la domination de finalement je sais et je vais t’apprendre, et tu dois m’obéir et je suis, voilà, je suis au-dessus de toi, tu me dois le respect, enfin bon, tous ces trucs-là, c’est clairement, en fait, je mets à la hauteur de l’enfant. Donc, en fait, c’est dans un rapport horizontal. Et qui es-tu ? Et moi, je suis intéressée, tu vois, de te connaître dans la relation. Et on va faire les choses ensemble. Donc c’est toute une structure sociale, en fait, qui change autour de l’enfant. L’enfant, en fait, c’est la base de ça. Ça peut vraiment… Tu peux aussi le transposer à tellement d’autres sujets.
Marion
Les Suédois, c’est aussi les rois de l’inclusion. C’est cette idée que tout un chacun a sa place, peu importe qui tu es. Donc il y a vraiment toute cette idée, en fait, d’aller à la rencontre de chaque humain dans la relation, encore une fois, et non pas d’être au-dessus, de parler au-dessus de la tête des enfants, comme s’ils n’étaient pas là. Donc c’est vraiment une matérialisation du dialogue social, en tout cas de cette envie et de ce contrat social de confiance sur lequel ils ont quand même travaillé plus de 50 ans. Voilà, on va dire que c’est ce que ça implique au niveau social. Après, si on prend la définition auteur d’enfant, c’est l’adulte qui va essayer de se mettre dans les baskets de l’enfant pour le comprendre depuis sa propre perception.
Donc encore une fois, c’est plein d’humilité parce que des fois, on ne comprend pas. On n’est pas des enfants, donc des fois on ne comprend pas, on est perdu, on est frustré. Mais il y a quand même une posture d’humilité, il y a une posture de confiance aussi, parce que forcément si je mets à la hauteur de l’enfant, c’est aussi que je lui accorde une confiance à cet enfant. Je ne suis pas dans cette idée de « il va me bouffer », « je vais perdre le contrôle, je vais perdre le pouvoir ». Donc il y a aussi tout un regard social de confiance sur l’enfant, à travers ça, qui est aussi un regard social de confiance en règle générale en Suède, sur les hôtes, sur les relations, sur qui se fait à travers l’enfant comme socle de ce regard de confiance.
Donc la hauteur d’enfance, c’est vraiment, si tu veux, à mon sens, le résumé de la structure sociale suédoise de l’horizontalité que je venais chercher justement, puisque je suis un peu de la verticalité française. Donc je dirais ça comme ça.
Clémentine
Ce que tu expliques aussi, c’est que c’est un défi d’être à hauteur d’enfant parce qu’on ne sera jamais mieux placé que les enfants eux-mêmes pour comprendre leurs besoins, qu’on vient forcément avec notre vision de l’éducation, notre bagage. Tu parles de notre sac à dos qu’on a rempli de tout ce qui nous a nourri au cours de notre vie. Qu’est-ce qu’ils t’ont enseigné les enfants que tu gardais sur cette vision-là de l’enfance, sur cette hauteur d’enfant ?
Marion
Ils m’ont enseigné beaucoup et puis ça a été plutôt douloureux au début. Parce qu’en fait, c’était vraiment aussi au tout début, il y avait vraiment aussi cette idée. Moi, j’avais bossé pas mal en centre de loisirs, en colo, en France, tout ça. Et vraiment, encore une fois, cette idée de se retrouver face à des enfants qui, en fait, n’avaient absolument pas peur de l’adulte. J’avais l’impression qu’on me coupait les deux bras, quoi. Je fais comment, concrètement ? Je rentre comment, en fait, en interaction avec cet enfant, si c’est pas dans un rapport, quand même, de verticalité ? Je fais quoi ? Je fais comment ? C’est quoi la recette ? Mais eux, ils étaient vraiment… Ils étaient totalement dénués de crainte, de peur. Donc ça, c’était…
Clémentine
Tu racontes une scène, d’ailleurs, où avec le petit garçon, tu dis à un moment, si tu fais pas ça, je vais me lever. Oui, c’est quelque chose comme ça.
Marion
Oui, il était… Ben voilà, comme je t’ai dit, c’était une phase un peu difficile. Et effectivement, à un moment, je me suis dit, je vais la jouer un peu sévère, tu vois. Et je me souviens, il était au loin. Je ne sais plus ce qu’il faisait, mais j’étais dans la cuisine et je le regarde comme ça, avec les yeux un peu noirs. Et je dis, attention, je vais me lever. Et puis là, il me regarde, tu sais, et il me fait… Lève-toi ! Alors là je me dis, non mais le niveau quoi… Ok, d’accord, on est sur cette provocation-là, donc tu vois, moi je le prends mal, ça me vexe quoi.
Et puis du coup, je vac à mes occupations, et puis je sais pas, il se passe une minute, peut-être deux, et puis je le vois arriver vers moi quoi, et puis il me prend par la main comme ça, puis il me tire, tu vois. Et il me fait mais c’est difficile, tu n’y arrive pas. Et en fait, il pensait que j’arrivais pas à me lever. Puisque je lui avais dit que j’allais me lever, j’étais en plus contrariée dans le regard. Donc il s’est dit en fait, elle n’y arrive pas, je vais aller l’aider. Et là, je me suis dit, ouais, en fait, d’accord. OK, donc aujourd’hui, avec mes mots, je me dis, c’est là que pour la première fois, j’ai compris ce que c’est que de côtoyer un enfant qui ne grandit pas dans la culture de la punition. J’allais avoir besoin d’autres façons de faire, d’autres façons de procéder. Ça ne pouvait pas marcher, en fait. Et puis c’était… Moi, ce n’était pas ce que je voulais en plus, puisque je venais chercher autre chose.
Clémentine
En fait, toute la culture suédoise depuis cette fameuse loi qui a plus de 40 ans maintenant, bientôt 45, où on a aboli les violences physiques faites aux enfants. Il a fallu plusieurs générations, évidemment, pour arriver à cette hauteur d’enfance et de prise en compte ce changement de paradigme. Mais je crois que ce que j’ai trouvé intéressant dans ton livre, c’est quand même montrer que d’abord, la Suède, c’était la même culture que nous.
Marion
Alors la même culture je dirais pas, mais en tout cas il y avait.
Clémentine
Il y avait cette notion d’éduquer un enfant, ça peut passer.
Marion
Il y avait une dureté, et puis c’était très puritan la Suède. Je veux dire, la Suède quoi, regarde les films d’Imma Berman, c’est très… Oui, protestantisme, très droit, très carré, très froid aussi forcément. Donc oui, ils partaient vraiment d’une société. Mais de toute façon, c’est pas compliqué. La Suède, au début des années 1900, c’était tellement un pays pauvre, miséreux, froid, que les Suédois partaient. Il y avait l’exode vers les États-Unis. Et il y a eu cette idée aussi, on fait comment pour garder notre peuple, en fait. Mais je dirais pas que ça a commencé avec la loi. Ça a commencé avant la loi. La loi, ça a été… On va dire, une matérialisation de ce projet social qui était déjà quand même présent fin des années 60, début des années 70. Donc la loi est venue finalement mettre fin au débat, parce qu’il y avait quand même un débat, mais c’était aussi toutes les années 70, en fait, ont contribué à cette horizontalité sociale.
Clémentine
Ce qui fait qu’aujourd’hui, on a une société d’enfants qui n’ont pas peur des adultes. C’est ça une des grandes différences qui ne connaissent pas certains mots, qui ne connaissent pas la culture de la menace et qui donc ça donne des enfants. Est-ce que ça donne, comme pourraient beaucoup le croire les gens en France, des enfants tyrans, rois qui se permettent tout et qui sont ingérables ?
Marion
C’est drôle parce que moi quand je regarde en France comment les gens parlent, les adultes bien sûr, comment ils parlent des enfants et puis comment ils sont avec leur idée sur les enfants très tranchés, les enfants tyrans, les enfants rois, sans essayer de comprendre quoi que ce soit. Moi c’est eux que je vois en fait comme des tyrans, tu vois. C’est-à-dire qu’en fait ce sont des gens qui n’ont pas de limites. Et qu’ils sont toujours là à dire « les enfants faut leur mettre des limites ». Ouais mais en fait toi tes limites elles sont où concrètement ? Les enfants c’est les premières victimes de violences. Toutes violences confondues. Il y a des enfants qui décèdent, enfin on a un enfant officiellement tous les cinq jours mais en fait il y en a plus.
On est un pays je veux dire avec en plus la culture de l’inceste, enfin voilà on est quand même aussi malheureusement très bon élève sur ce sujet-là, et on a des gens qui nous disent que les enfants n’ont pas de limites. On a les crèches, le rapport de Lillias de 2022, comme quoi, suite au décès quand même d’une enfant, une enfant qui a été tuée par une personne qui travaillait dans cette crèche, qui lui a fait boire du Destop, l’enfant est morte évidemment. Elle n’avait pas encore un an. Et ensuite, on a un rapport de l’IGAS qui nous dévoile, c’est sans surprise, mais qui vient poser que oui, c’est systémique, il y a des violences dans les crèches. Pourquoi ? Parce que certes, il y a un manque de personnel, mais il y a aussi une culture de la punition, il y a une culture de la vengeance envers les enfants. Du coup, il y a cette idée de vouloir les remettre à leur place. Et quand on est vulnérable et quand on est tout petit, quand on a un bébé, forcément, ça ne pas. Donc, il y a des dérives pas possibles. On a ce rapport-là qui arrive, on a des gens qui veulent que ça bouge et on a d’autres personnes qui vont dire, mais en crèche, il faut aussi arrêter l’éducation bienveillante. Non, mais ces gens-là, en fait, mais qui êtes-vous ? En fait, tu vois, moi, c’est ça que je me pose comme question. En fait, elles sont où vos limites ? Elles sont où vos connaissances sur les droits de l’enfant, sur la recherche internationale ?
Comment on fait, en fait, pour se retrouver dans une position où on est dans sa tour d’ivoire, on voit pas le reste du monde et en fait, on pense qu’on détient le savoir ? Et puis tous les autres, ils n’ont pas les compétences. Je me dis, ces gens-là, pour moi, qui prônent cette éducation autoritaire et verticale, sont le reflet même que c’est juste pas possible comme façon de faire, parce que sinon on va à la perte de la société, concrètement. Pour moi, les tyrans, c’est pas les enfants. Donc au contraire, ça fait des gens… Globalement, évidemment, je généralise, mais ça fait des gens qui sont beaucoup dans l’humilité, qui sont beaucoup dans l’intelligence collective, qui savent dire « je ne sais pas » quand ils ne savent pas, sans se flageller tout de suite.
Ça fait des gens qui sont beaucoup moins dans la concurrence, qui sont beaucoup plus dans l’écoute. C’est pas parfait, c’est encore une fois l’humain a ses paradoxes, mais ça crée en fait un socle beaucoup plus pérenne pour faire évoluer la société dans le bon sens. Ça paraît tellement logique. Mais en fait, cette logique-là, on l’a perdue en France.
Clémentine
Ce qui est, je trouve marquant dans ton livre, c’est que tu parles, je disais, de cette sémantique, c’est-à-dire tu parles de, en France, on a des mots très forts pour les enfants, enfant roi, enfant tyran, des enfants qu’on doit mater, qu’on doit éduquer, même on a des fois du vocabulaire un peu dédié aux animaux, les dresser. Être dans cette verticalité, cette dureté parfois même. De toute façon, il n’y a que comme ça qu’il va comprendre. Et à l’inverse, tu parles en Suède où déjà tous ces mots n’existent pas, mais eux, ils ont des mots hyper valorisants pour les enfants.
Marion
En fait, langue suédoise, elle est fantastique. Il faut quand même que je le dise parce que c’est vraiment, en fait… Moi, d’apprendre le suédois, de l’apprendre vraiment couramment, de le parler vraiment au mieux, ça m’a vraiment fait changer de vision du monde. C’est vraiment… Si tu prends langue française et langue suédoise, je dirais que c’est les deux opposés. La langue française, elle est au service d’une verticalité. Déjà, on se vouvoie, monsieur, madame… Et puis, on a énormément de mots… On est très dans l’intellect. Le français, il se pense. Le suédois il se ressent. C’est très différent, c’est une langue qui est vraiment axée sur l’émotionnel. Et il y a des mots effectivement qui ont vraiment pris de l’essor après vers les années 70, qui étaient moins présents avant quand on regarde les archives.
Mais tu vois des mots, par exemple la sécurité émotionnelle, c’est un mot, c’est une virgule en suédois, tu l’utilises à toutes les sauces. C’est vraiment cette idée de sécurité émotionnelle à la fois pour les enfants, à la fois, tu as une sécurité émotionnelle, par exemple, je sais pas moi, si t’as un bon salaire, tu vois, ça te donne une sécurité émotionnelle, c’est pas uniquement la sécurité de « j’ai un toit sur la tête ». Tout est relié, en fait, dans langue, comme une espèce comme ça de… De toile, une toile autour, en fait, de la relation. Et ça change vraiment la façon de penser quant t’as les mots pour le dire. Ça t’ouvre vraiment des possibles que tu ne peux pas imaginer sans langue et sans les mots. La langue et les mots, c’est… D’une puissance infinie, mais je pense qu’il faut parler deux langues pour vraiment comprendre à quel point c’est le cas quoi, tu vois. Donc je pense que toi tu vois de quoi je parle. Parce que ça te change vraiment ta vision, enfin c’est… Je sais pas, il doit se passer, je sais pas, mais il doit se passer un truc dans le cerveau quoi. Quand tu dis des mots comme ça, je sais pas, ça doit créer des connexions. Il y a quelque chose qui doit se passer parce que c’est… C’est extrêmement puissant. Effectivement, il y a des mots qui n’existent pas. Par exemple, les enfants rois, enfin si les enfants rois sont les fils et les filles de la famille royale, mais ça n’existe pas en tant que concept de l’enfant tyran.
Il n’y a pas, comme je le dis aussi, il y a plein de phrases. Baisse les yeux quand je te parle. Oui, qui ? Ce genre de trucs, ça ne se dit pas non plus. Il y a des mots qui existent, mais qui ne sont pas utilisés. Et puis, il y a des mots qui existent, mais qui ne veulent pas dire la même chose. Par exemple, les limites. On parle de limite en suédois. Mais ça n’est absolument pas le même mot. D’ailleurs, quand je le dis en français, limite, c’est un mot, tu vois, quand je me le dis pour moi-même, tout de suite, ça me…
Clémentine
C’est de l’autoritarisme, je trouve. Je suis d’accord que ça a une connotation assez…
Marion
La connotation, elle est dure. Et pourtant, au fil du temps, parce que c’est un mot vraiment avant que je détestais. Et au fil du temps, j’ai appris un peu à la douce dans ma tête, tout ça. Et donc, du coup, maintenant, je peux l’utiliser. Mais je sais que quand je l’utilise, les gens avec qui je l’utilise ne vont pas l’entendre comme moi, je l’entends.
Clémentine
Mais tu donnes un autre mot pour en parler.
Marion
Les repères.
Clémentine
C’est vrai qu’il y a une délimitation, il y a une sensation d’être entourée, de protéger, qui est moins dure que le mot limite. Même en anglais, c’est boundaries, et je trouve que c’est un plus joli mot.
Marion
Quand je le dis en suédois aussi, pour moi-même en suédois, c’est un mot je trouve…
Clémentine
C’est comment ?
Marion
C’est infiniment doux. Quand tu dis ce mot, tu t’imagines un petit cocon de sécurité affective, de relation. Ce n’est pas du tout la même connotation.
Clémentine
Tu expliques aussi qu’en Suède, on a tout à fait intégré la théorie de l’attachement, que c’est le socle et la base des études de psychologie, ce qui n’est absolument pas le cas encore en France, malheureusement, que la population générale connaît très bien la théorie de l’attachement et donc que cette notion de sécurité, de sécurité émotionnelle, physique et de relation à l’adulte, de la connexion de la relation, est aussi imprégnée dans le système scolaire.
Marion
Elle est imprégnée partout. Je dirais irais vraiment justement… Moi je l’appelle donc la culture de la relation. La culture de la relation, son socle, c’est effectivement la théorie de l’attachement. En fait, il y a vraiment eu un choix, parce que c’est des choix en fait, c’est des choix politiques, c’est des choix sociaux. Encore une fois, on va faire une dichotomie pour que les gens comprennent mieux ce que je veux dire. Mais en France, on est plus sur la théorie des pulsions. Donc la théorie des pulsions, elle va te dire finalement que l’enfant et l’être humain, en fait, naît mauvais et qu’il va te falloir en fait le discipliner, le civiliser pour qu’il rentre dans la petite case de la société. Et dans notre société, en fait, tout est fait autour de cette méfiance.
Parce que forcément, si l’être humain naît mauvais, tu as un regard de méfiance sur lui. Tu fais attention à sa nature. Je n’aime pas trop le terme, mais en tout cas, tu es dans la méfiance. Et toute la société française, en fait, elle est autour de ça. Autant, tu vois, dans langue, que dans les structures, que… Mais de tout, en fait. C’est dans tout, quoi. Dans la façon dont on se regarde, dans la façon dont on se parle, enfin voilà. Et en Suède, il y a beaucoup plus cette idée, qui a été vraiment portée aussi politiquement parlant, de la théorie de l’attachement.
Qu’on peut vraiment en fait dire que c’est un peu la théorie opposée à la théorie des pollutions, qui en fait voit l’être humain comme un être plein de potentiel, Je dirais pas forcément bon, parce qu’on va me dire c’est très rousseau. En tout cas, plein de potentiel et de possibilités de faire les choses si cet être humain reçoit les bons ingrédients de relation, de sécurité. Donc, en fait, c’est vraiment la théorie de l’attachement. Elle choisit l’humain, en fait, en disant OK, l’humain n’a besoin que des bonnes ressources pour s’épanouir. Tu vois ? Et c’est vraiment ça, en fait. C’est pour ça que la Suède et la France, c’est vraiment deux opposés à ce niveau-là. Parce qu’en fait, c’est deux regards sur l’humain qui sont profondément opposés.
Clémentine
On est influencés nous par la psychanalyse, c’est ce que tu dis sur la théorie des pulsions.
Marion
C’est sûr. En tout cas, la psychanalyse, oui, mais aussi, je dirais, quelque part aussi, la compréhension de la psychanalyse qu’on a en France, tu vois.
Clémentine
C’est pas la même aux Etats-Unis, par exemple. La psychanalyse américaine est différente.
Marion
Et pour le peu de psychanalyses qu’il y a en Suède, les gens avec qui j’ai parlé ne sont absolument pas comme on est en France. C’est au contraire des grands défenseurs des droits des enfants. Ça dépend ce qu’on en fait. Mais en France, on en a fait quelque chose d’abominable.
Clémentine
Donc tu parlais de cette relation très pyramidale qu’on a en France, qui n’est absolument pas la norme en Suède. Et tu dis des choses très intéressantes, c’est que les droits des enfants, c’est un sujet primordial. Vraiment, c’est quelque chose qui imprègne la société. Surtout que les enfants sont concertés par rapport à leurs droits. Concrètement, ça se passe comment ?
Marion
En fait, la Convention des droits de l’enfant, pour faire petite historique, elle est arrivée en 89, la Suède l’a ratifié en 90 et la France l’a ratifié en 90. Donc on la ratifie au même moment, en fait. Mais la France, on a dans notre système moniste, les conventions internationales vont au-dessus de nos lois nationales. Donc en fait, depuis 90, en France, la Convention des droits de l’enfant, c’est une loi. Pourtant, on ne la connaît pas. La Suède, c’est un pays dualiste. Donc, du coup, ils n’ont pas du tout le même système. Donc, en fait, la Convention des droits de l’enfant avait un impact mitigé, concrètement. Et en cas de problème, ça passait plus en dessous que dessus. Donc ils en ont fait une loi en 2020.
Mais il y a vraiment aussi cette idée que la Convention des droits de l’enfant, qui a été ratifiée par tous les pays du monde sauf les Etats-Unis, c’est aussi un produit de consensus énorme. Parce que pour se mettre d’accord entre toutes les cultures, tous les pays et tout, ça a été très compliqué. Elle a failli ne pas exister d’ailleurs. Donc il y a vraiment cette idée que pour comprendre la Convention des droits de l’enfant, il faut en comprendre l’esprit. Pour comprendre l’esprit, il faudrait comprendre aussi, on parle de Janusz Klorczak par exemple, qui est le père spirituel de la Convention des droits de l’enfant, il faut connaître son travail, qui est aussi un travail de dialogue envers l’enfant, de participation, de voir l’enfant comme un être humain, en fait, à part entière, dans une relation d’égal à égal au niveau de la dignité.
Donc ça, en fait, c’est l’esprit de la Convention. Et si on ne comprend pas l’esprit de la Convention, on peut dire les droits de l’enfant, mais les droits de l’enfant, c’est une notion de vitrine, si tu veux. Enfin, c’est joli à dire, tu vois, on se dit oui, ben voilà, on est dans la protection de l’enfance, tout ça, mais on comprend pas concrètement ce que ça signifie. Et la convention des droits de l’enfant, elle a deux axes principaux, la protection et la participation.
Donc la protection, ça va être cette idée de parce que l’enfant est vulnérable, c’est pour ça d’ailleurs qu’il y a une convention des droits de l’enfant, il y a une convention particulière à l’enfant, tu vois, parce qu’en fait, l’adulte plus fort, qui a plus d’expérience de vie, qui a plus de pouvoir aussi, va devoir mettre cette force et ce pouvoir au service des droits de l’enfant, pour le protéger, parce que l’enfant est vulnérable en développement, voilà, toute cette sphère-là. Et l’autre pan, qui est vraiment totalement opposé, c’est que oui, mais l’enfant, il n’est pas que vulnérable, il n’est pas que en développement, il n’est pas que l’adulte demain, comme on dit, il est aussi compétent, Il est là tout de suite maintenant, il a des droits et c’est un citoyen. Donc en fait, il a le droit de participer.
Et il y a vraiment cette idée qu’elle est indivisible la Convention. Donc pour réaliser la protection, il faut nécessairement que l’enfant participe. Donc si tu ne considères pas l’enfant comme un être compétent qui a son mot à dire, tu ne peux pas protéger l’enfant, en fait. Parce qu’encore une fois, tu vas parler au-dessus de sa tête, tu vas te placer en tout sachant, mais sans en fait prendre les conditions propres de l’enfant en considération, alors que c’est l’idée même de l’intérêt supérieur de l’enfant. C’est que chaque enfant a un intérêt qui lui est propre, et il faut nécessairement concerter l’enfant pour savoir en fait ce que lui en pense. Ça veut pas forcément dire que tu vas nécessairement suivre ce que veut l’enfant. Parce qu’il y a cette idée de l’âge, des capacités.
Mais il y a vraiment cette intention de, encore une fois, se mettre vraiment à la hauteur de l’enfant. Et qu’est-ce que t’en penses ? Qu’est-ce que toi, tu voudrais ? Comment toi, tu vois les choses ? Et une fois que tu as bien entendu et que tu as bien compris le point de vue de l’enfant, de prendre la décision en incluant aussi ça. C’est une intention aussi. Donc la Convention des droits de l’enfant, Moi j’en ai beaucoup parlé au début quand j’ai sorti mon livre, parce qu’en France on n’en parlait pas du tout, et quand il y avait tous ces débats sur l’isolement, je suis venue dire que dans la Convention des droits de l’enfant, c’est interdit d’isoler un enfant. Voilà, fin du débat. Ça fait partie des violences mentales. Et j’ai vite compris que les gens ne comprenaient pas trop de quoi je parlais.
On a cette idée en France beaucoup, que la Convention des droits de l’enfant, c’est un texte humanitaire. Ça ne concerne pas nos enfants, ça concerne les enfants des pays en développement, tu vois. On a beaucoup cette idée-là, en fait. Forcément, puisqu’il y a aussi beaucoup, voilà, il y a l’UNICEF, tout ça, qui quand même… L’organisme aussi qui s’occupe beaucoup de la convention. Mais la convention, ce n’est pas que ça. La convention, c’est tout le socle des droits de l’enfant et de l’enfant sujet de droit et de la participation. Et finalement aussi, si on le relie en tout cas à la façon suédoise de le concevoir, de la hauteur d’enfant.
Clémentine
Et tu dis quelque chose de surprenant pour nous, les Français, parce qu’on parle jamais des enfants en ces termes-là. Tu dis les enfants sont les experts de l’enfance.
Marion
Oui. Oui, c’est pas moi qui le dis, c’est les suédois, mais oui, effectivement. Oui, comme les femmes sont les experts sur les questions des droits des femmes. Les personnes handicapées sont aussi les experts, parce que c’est eux qui savent, en fait, parce que c’est eux qui vivent le truc. Les enfants, c’est pareil. Il y a cette idée d’effectivement, on a tous été des enfants. Pour la plupart, on ne s’en rappelle pas. Parce que quand on voit comment on traite les enfants, on n’a pas beaucoup de connexion avec l’enfant dont on a nous-mêmes été. Et en plus, on n’a pas été enfant dans l’ère actuelle, l’époque actuelle. On ne le sera jamais. On ne sait pas ce que c’est et on ne saura jamais ce que c’est. Donc concrètement, les seuls qui peuvent nous éclairer sur le sujet, ce sont les enfants.
Mais c’est encore cette idée d’horizontalité, d’humilité, de dialogue et non pas de verticalité, de domination, tout ça. Donc c’est vraiment une posture qui change profondément.
Clémentine
Tu donnes une autre métaphore aussi dans ton livre, qui est la métaphore de la commode, et que je trouvais très percutante parce que ça sort le débat de l’enfance isolée de tout le reste. Donc vas-y, explique-nous ce que c’est.
Marion
En fait, effectivement, j’ai longtemps cherché une façon de déparentaliser l’enfant. C’est-à-dire qu’en France, on a vraiment cette manie, je dirais, qui est aussi due à un gros manque de compétences et de connaissances à certains égards, de cloisonner l’enfant dans la famille. L’enfant, ça n’est que des questions d’éducation. Donc si c’est des questions d’éducation, ça concerne les parents. Donc concrètement, si tu veux élever ton enfant sans violence, et voilà, comme aujourd’hui on aspire quand même à le faire de plus en France, en tout cas certaines personnes, et bah concrètement c’est à toi de, tu vois, va en thérapie, va régler ta propre enfance, achète les petits bouquins de méthode éducative, et puis bah voilà, vas-y. Et puis si t’y arrives pas, bah écoute, j’sais pas… T’es peut-être pas très fute-fute, quoi, tu vois.
Non, mais tu vois, il y a cette responsabilité, en fait, sur la famille et puis souvent sur les femmes, concrètement, il faut dire les choses. Et en fait, il y a vraiment cette idée, encore une fois, tu vois, où je me suis dit, mais attends, mais qu’est-ce que c’est que cette arnaque ? Et j’ai cherché à le matérialiser par le fait qu’il faut en fait parler de l’enfance, parce que moi c’est évidemment ce que je fais et c’est mon domaine, de l’enfance sous un angle systémique. C’est-à-dire que la commode de la culture, c’est cette idée finalement, donc on a une grande commode, je crois qu’elle est blanche de mémoire, et dès que tu ouvres les tiroirs, il y a différentes couleurs à l’intérieur, et chaque tiroir en fait représente un domaine de la société.
Donc tu vas peut-être avoir effectivement l’éducation, tu vas avoir je sais pas, moi la culture ça va être les films par exemple, tu vas avoir les livres, tu vas avoir les lieux publics, tu vois, il y a plein de tiroirs comme ça avec les domaines finalement de notre culture. Et puis tu vas avoir ce fameux tiroir rouge, je crois, dans le livre, qu’on appelle donc l’éducation positive en France. Et là, tu as les parents français, beaucoup, les jeunes parents, qui vont finalement se battre un peu, faire des coups pour aller dans le tiroir rouge parce qu’ils veulent les connaissances sur le cerveau de l’enfant, ils veulent savoir comment je fais pour éduquer mon enfance en violence et comment je fais pour… Voilà, pour ne pas lui flinguer sa vie adulte. Enfin, tu vois, il y a cette espèce comme ça de… Les gens vont vraiment se ruer vers le tiroir rouge, en fait. Et puis, en fait, ils ne vont pas y arriver. Ils ne vont pas y arriver parce que c’est un tout petit tiroir. Tu le fermes, il n’y est plus. Et à côté, en plus, tu as le tiroir de l’éducation traditionnelle. Donc on va opposer comme ça l’éducation positive et l’éducation traditionnelle. Donc on va marginaliser l’approche et on va dire aux gens, en fait, si vous n’y arrivez pas, c’est votre faute. Concrètement. Alors que dans la commode de la culture suédoise, tu vois, c’est le même principe, tu as un tiroir pour chaque domaine de la société. Mais en fait, le tiroir rouge de l’éducation dite positive, bienveillante ou comment on veut l’appeler, il n’y est pas.
C’est un peu bizarre parce que c’est quand même un peu les premiers du monde à avoir voté l’abolition des punitions corporelles, des humiliations. Il est où le tiroir ? Il n’y a pas de tiroir en fait, c’est la commode vue de l’extérieur qui est rouge. C’est-à-dire que chaque tiroir garde en fait sa couleur interne propre, chaque domaine de la culture. Mais la couleur de la commode, le fond de la commode, l’esprit de la commode, le style de la commode, il est rouge, il est à hauteur d’enfant, en fait. Donc que ce soit les films, que ce soit les livres, que ce soit les lieux publics, que ce soit le théâtre, la musique, langue dont on parlait tout à l’heure, tout, les vêtements, les vêtements pour enfants, tout est fait, en fait, pour être dans cette hauteur d’enfant.
Donc forcément, les gens, ils sont imprégnés de ça. Ils ne s’en rendent même pas compte. En plus, comme je le disais tout à l’heure, ils sont parfaitement aveugles. Et forcément, il n’y a plus de débat. C’est-à-dire, tu vois, il n’y a plus cette idée d’aller mettre comme ça sur les épaules des parents le poids, finalement, de l’éducation non violente, alors qu’en fait, c’est un sujet de société. On ne peut pas demander à des parents de pleinement être dans la non-violence, la hauteur d’enfant, le respect de l’enfant, dans une société qui est gorgée de domination et où on est encerclé de représentations, où l’enfant, l’enfance et l’éducation, on pourrait faire tout un podcast aussi sur les représentations, sont profondément problématiques. Ce n’est pas possible, en fait, parce qu’on est comme… Tout un chacun.
On est en fait baigné dans une culture, on est baigné dans les représentations, on est baigné dans une langue aussi, comme on disait tout à l’heure. Et on est un peu le produit de ça, tu vois. Donc forcément, si après tu veux aller dans le tiroir rouge, ça dénote quoi. Tu te dis mais attends, c’est super difficile. C’est quoi cette arnaque de l’éducation dite positive ? Ça va pas, c’est pas naturel. Enfin, les gens, voilà, il y a beaucoup ça, c’est pas naturel. Oui, mais il y a le burn-out parental. Enfin, tu vois, les gens, ça va être de se dire les parents, ils n’en peuvent plus. Et on va faire quoi ? On va accuser les enfants. Tu vois, on peut pas les éduquer sans violence, ça marche pas votre truc. Les enfants… Mais accuse pas les enfants, accuse la société.
Tu vois, évidemment que c’est super difficile, super frustrant, super éreintant, super triste, tout ce que tu veux. Mais c’est pas les enfants qui portent la responsabilité de ce fiasco culturel. Tu vois, c’est la société. C’est notre… C’est notre projet social d’adultes qui n’est pas très pensé, en tout cas, qui n’est pas pensé à hauteur d’enfant.
Clémentine
Qu’est-ce que tu dirais que les Suédois, ils ont mieux compris que nous ?
Marion
Comme on dit en suédois, « allt börjar med barnen ». Ça veut dire tout commence avec les enfants. C’est ça qu’ils ont compris les Suédois. C’est-à-dire qu’il y a vraiment eu cette idée très forte, autant venue d’en bas que venue en dessus des politiques. Il y a vraiment une rencontre comme ça entre les mouvements sociaux et les politiques qui s’est faite. De cette idée de finalement, on veut une société plus douce. On veut une société où les gens sont ont tous leur place, on veut une société où il y a moins de… Comment on les appelle en français ? Les différences sociales entre les salaires, on veut plus d’égalité, voilà c’est ça. En fait, concrètement, ça doit commencer avec les enfants. C’est Astrid Lindgren qui est entre autres, parce qu’elle est beaucoup plus que ça, l’auteur de Fifi Bardassier.
Clémentine
J’adorais Fifi Bardassier quand j’étais petite.
Marion
Mais elle en a fait tellement d’autres. C’est vrai qu’en France, on ne connaît pas trop. Et qui, en fait, en 1978, a tenu un discours en Allemagne, à Francfort, qui s’appelait « Jamais la violence ». Et elle a tenu un discours, en fait, dans un… Bon, apparemment, dans une… Je ne suis pas très bonne en histoire, mais… À part l’histoire de la Suède, mais dans peut-être une constellation du monde qui était compliquée à l’époque. Apparemment, beaucoup de guerres… 78 en Allemagne, oui.
Clémentine
Ouais, il y a eu pas mal de choses. Tu es dans la guerre froide.
Marion
Et du coup, en fait, elle a fait un discours en disant que finalement, on est tous dans la peur en ce moment. On ne sait pas ce qui va se passer. On se dit que peut-être va y avoir une nouvelle guerre. On veut tous la paix. Elle a dit cette phrase, on veut tous la paix. Et comment faire concrètement ? Pourquoi on n’y arrive pas ? Pourquoi l’être humain, on passe notre vie à nous taper dessus ? Et elle a dit, je crois que nous devons commencer par la base. Nous devons commencer par les enfants. Et son discours a vraiment été un plaidoyer contre les punitions corporelles. Et pour une éducation du dialogue et de la coopération. Et un an plus tard, d’ailleurs, la Suède a été le premier pays du monde à voter la loi.
Et je pense que ça a beaucoup joué aussi, parce que c’était vraiment Astrid Lengren, c’était vraiment une icône dans le pays. Je pense qu’elle a aussi contribué, même s’il y a eu d’autres choses. Mais c’est vraiment cette idée, en fait, de ouais, le monde, en fait, c’est pas facile. La vie humaine n’est pas simple. C’est paradoxal. C’est vraiment… C’est difficile de vivre. Les Suédois, ce n’est pas des bisounours. C’est difficile de vivre. Regarde les polars suédois.
Clémentine
Ils sont dark.
Marion
Voilà, c’est ça. La vie, c’est difficile. Mais on doit commencer par les enfants. C’est quand même cette idée de l’espoir. C’est vraiment maître. Les Suédois, ils ont vraiment mis l’espoir d’une société meilleure dans les mains de l’enfance. C’est ça qu’ils ont fait.
Clémentine
Ton livre, je le disais, il est beau, il est intense à lire, je trouve, en tant que maman. J’avais vu le premier documentaire que tu avais fait, ça m’avait révoltée. J’étais mère que d’une seule. Je n’avais pas la fatigue accumulée que j’ai accumulée aujourd’hui. Je n’avais pas des difficultés parentales que j’ai pu rencontrer ces cinq dernières années. Donc, je peux vraiment mettre à la place des parents qui sont en lutte entre ce qu’ils veulent faire et ce qu’ils n’arrivent pas à faire. J’ai été à cette place-là et je le suis encore assez régulièrement, avec quand même l’envie de faire mieux. On se rend compte, en lisant ton livre, tout le chemin qu’on a à parcourir. On se rend compte qu’on se sent très isolé, puisque comme tu le disais, c’est un changement que la société doit opérer.
Tu penses qu’il faut combien de temps pour qu’une société change ? Ça a pris combien de temps à la Suède, depuis la loi, pour vraiment arriver à cette paix dont tu parles, ce sentiment de bien-être pour les enfants ?
Marion
Alors, combien de temps il faut pour une société ? Ça dépend, en fait. Ça dépend d’où vient le changement. C’est-à-dire que si le changement, il vient des politiques, il ne faut pas beaucoup de temps. Concrètement, si on avait des politiques qui disaient maintenant, c’est la hauteur d’enfants, tu vois, dans cinq ans, c’est fait, quoi. Enfin, je veux dire, tu vois, c’est vraiment en fait d’où vient le changement. Et en Suède, il y a deux choses, quoi. Je dirais, il y a à la fois cette idée d’horizontalité sociale, de consensus, d’intelligence collective qui, en fait, a vraiment pas pris beaucoup de temps. Quand ils ont voulu la mettre en place, ça a tellement été, si tu veux, à toutes les couches de la société que ça s’est fait rapidement.
Mais si on regarde plus l’éducation, quand même, les punitions corporelles, les humiliations, là, ça a été plus long, quand même. Parce que c’est quand même bien ancré, cette histoire. Donc aujourd’hui, si tu regardes les chiffres, dernier rapport, 2023, il y avait 99,9% des parents qui étaient opposés aux punitions corporelles. Donc aujourd’hui, si tu veux, c’est quasi 100%. Voilà. Il y a cinq ans, ils étaient de mémoire 99,7. Il y a cinq ans encore avant, 92%. Enfin, tu vois, petit à petit, quoi. Mais ça fait déjà un bon moment que tu tapes pas les enfants et que les gens trouvent ça anormal. C’est pas au bout de 45 ans. Mais aujourd’hui, il y a vraiment, en fait, une… Petit à petit, en fait, ça devient de plus en plus… encré.
Il y a aussi cette idée, on dit beaucoup en France, moi j’en entends beaucoup, de dire, ouais mais ça sert à rien la loi, puisque c’est une loi dans le code civil. Les gens disent ça. Ils disent, en Suède, c’est pas ça quoi. Si, en Suède c’est ça aussi. C’est-à-dire qu’en 1979, ils ont voté l’interdiction des punitions corporelles dans le code civil, enfin dans l’équivalent du code civil. Et c’est parce que les mentalités ont changé qu’aujourd’hui, si un adulte frappe un enfant, la personne qui va le dire, c’est interdit depuis 1979 de donner une claque à un enfant. Ils vont dire violences sur mineurs, code pénal. C’est une transition finalement d’interdire. Les fessées et les claques, ces mots que nous on utilise encore. Parce qu’on fait une différence quand même.
Il y a une différence entre la violence sur mineurs, où on s’imagine tout de suite des violences très poussées, et puis l’éducation. Oui, on est contre, mais on fait quand même une différence. Je pense qu’on la fait tous. Je pense même que moi je la fais un peu encore. Les suédois ils ne font pas cette différence. Tu vois, c’est pour eux que tu parles d’une claque sur la main ou que tu parles d’un coup de poing, c’est pareil. C’est la même chose. Donc, en fait, il n’y a plus cette idée de en 1979, nous avons interdit. C’est tout de suite que c’est interdit de frapper quelqu’un au point barre, en fait. Donc, la loi française.
Elle est au bon endroit en étant le code civil, mais on a besoin d’accompagner le changement de mentalité pour qu’en fait cette loi finalement devienne caduque au bout d’un moment. Parce que la loi doit devenir caduque, c’est juste la violence sur mineurs qui est interdite. Donc les lois font pas tout. Les lois sont primordiales, elles sont importantes, elles dessinent la société et son cadre. Mais ce qui change vraiment les choses, c’est les normes. Tu vois. Et il faut arriver à faire de cette loi qu’on appelle une loi pédagogique, en fait, en changer les normes autour de cette loi.
Clémentine
Tu donnes des exemples, ça me revient là, que par exemple on le sait, si on est un peu sur les réseaux sociaux, on voit les espaces de jeu qui sont vraiment adaptés aux enfants, où ils peuvent prendre des risques, on les voit manipuler des scies, on a déjà vu les trains aussi parfois qui sont mieux aménagés. Les espaces de vie en tout cas sont clairement dédiés aux adultes et aux enfants, que ce soit les cafés, ce genre de choses. Mais tu parles de quelque chose qui m’a interpellée, c’est que les cours d’école des écoles maternelles et primaires sont ouvertes le week-end. En fait, les enfants ont le droit d’aller dans leur école à l’extérieur pour jouer et parce que ça paraît normal. Nous, on a tellement séparé…
Marion
Même les autres enfants, les voisins… Oui, parce que comme il y a des cours avec des jeux, Pourquoi en fait…
Clémentine
Créer d’autres espaces.
Marion
Pourquoi fermer ça le week-end alors qu’il y a des voisins qui veulent jouer ? Ils ne vont peut-être pas aller faire 500 mètres pour un parc alors qu’ils peuvent y aller à 50 mètres, tu vois. Non mais c’est cette idée en fait aussi, c’est très… Les suédois ils sont très pragmatiques quoi, tu vois. Il y a vraiment cette idée de voilà, on a accès à ça, et bien c’est très bien, tu vois. Donc où est le problème ? Il n’y a pas de problème. Les gens vont, les gens jouent et puis les gens s’en vont, tu vois.
Clémentine
Mais nous on dirait ça se fait pas. Tu vois, on a ce réflexe-là de ça ne se fait pas.
Marion
Bien sûr, mais il y a aussi parce qu’en France, on a aussi, ça fait partie du projet social aussi, on a complètement séparé l’école du reste en fait. L’école, c’est un endroit cloisonné. Tu vas chercher tes enfants, tu ne sais pas ce qui s’y passe. Tu n’as même pas le droit de rentrer, je crois.
Clémentine
À cause du plan Vigipirate, c’est compliqué.
Marion
Voilà. Il a bon dos, le plan Vigipirate. Je veux dire, c’est plus compliqué que ça. Ce n’est pas qu’une histoire de plan Vigipirate. Je me rappelle de la petite fille à la rentrée qui s’est fait frapper par son enseignante. Tu t’en rappelles aussi. Et on a encore des enseignants qui ont trouvé à dire sur les médias pourquoi les parents filment dans les classes. Le problème, ce n’est pas que les parents filment dans les classes. Le problème, c’est qu’il y a une enseignante qui bat une enfant. En fait, tu vois, de déplacer le problème sur le fait que si la mère n’avait pas filmé, on ne le saurait pas. Bah oui, t’as d’autres idées comme ça ? Donc il y a vraiment cette idée, encore une fois, qu’on se sépare. Pourquoi on se sépare ? Parce qu’on est dans la méfiance.
Parce que l’enseignement, le système scolaire, ne veut pas se laisser coloniser par les parents, parce qu’il les voit comme des colonisateurs. Et puis il y a cette idée finalement de « on est au-dessus, on est la représentation du savoir parce qu’on est l’éducation nationale, donc on sait mieux que vous ». Laissez nous vos enfants, aller bosser, et puis voilà, tu vois. Donc forcément, si tu ouvres la cour le week-end, tu casses ça, tu vois. Et pourquoi, après, les gens, ils iraient pas dans la cour le mercredi, le mardi, pour aller voir l’enseignante, tu vois. Si tu rentres, c’est aussi, tu vois, c’est aussi un mouvement, quoi. Si tu rentres dans la cour de l’école, ça devient un endroit familier, tu vois. Et en Suède, encore une fois, dans cette horizontalité, dans cette intelligence collective et cette confiance, On veut ouvrir ces espaces-là.
Les parents sont les bienvenus. Ils sont pas tout le temps. Évidemment, ils travaillent, ils font leur vie. Mais à tout moment, les parents peuvent dire en fait, moi, aujourd’hui, je veux passer du temps avec mon enfant. Est-ce que je peux rester ? Bah oui, d’accord. Restez.
Clémentine
C’est vrai ?
Marion
Oui, totalement. Incroyable. Autant en pré-école qu’à l’école. Après, à l’école, je pense que c’est des enfants qui veulent pas que les parents restent.
Clémentine
Il y a un âge où c’est bon, il faut partir.
Marion
Il faut partir, c’est ça. Mais t’as le droit, en fait. Il n’y a aucun problème. C’est transparent. Il n’y a rien à cacher, en fait. Et du coup, ça crée aussi forcément une confiance des parents envers le système, envers l’école, mais envers le système en règle générale, qui peut aussi être la matérialisation de cette horizontalité dans les relations les uns les autres, les uns au système, les uns aux institutions et donc forcément aux enfants aussi.
Clémentine
Ça me fait penser que j’ai une de mes filles qui est à l’école et j’ai envoyé un mail à la directrice. En étant pas pour moi familière mais pour elle visiblement trop, en l’appelant par son prénom, mais en la vouvoyant, en mettant les formes sur un mail, et elle m’a renvoyé un mail pour me dire, vous ne m’appelez pas par mon prénom, c’est Madame tant, et fin de la discussion. J’avais trouvé ça violent de me dire, mais je n’ai pas remis en cause votre autorité, votre statut de directrice, mais il ne fallait surtout pas mettre de l’humain en fait dans ça.
Marion
Faut même pas l’appeler par son prénom quoi.
Clémentine
Et ça m’a… J’étais en colère en fait. Ça m’a déclenchée de me dire mais je sais pas moi j’aimerais que ma fille soit contente que je puisse… C’est sûr. Il y a certains des enseignants de mes filles que je tutoie parce qu’ils sont hyper ouverts et que je les sollicite pas plus pour ça. Ça casse pas notre lien parent/enseignant.
Marion
C’est parce qu’on a cette idée en France… De se dire que plus on va avoir de la distance, plus on va créer cette verticalité, cette crainte finalement, plus on va avoir le respect et plus ça va fonctionner. Quand tu regardes la société, ça ne fonctionne pas bien.
Clémentine
Et tu sais que moi j’ai eu un enseignant incroyable quand j’étais petite, Manu, en CM2, qu’on tutoyait évidemment. Il tutoyait mes parents. On est plus de 30 ans plus tard, je lui parle encore. C’est quelqu’un qui fait partie de ma vie.
Marion
Oui, mais de toute façon le respect c’est pas la verticalité, le respect c’est pas la distance. C’est même l’inverse. Je veux dire, des enfants aussi, tu vois. Pour répondre à tout ce que tu disais tout à l’heure aux enfants rois, enfants tyranniques, tout ça, tu vois. Mais en fait, des enfants à qui tu vas… À qui tu vas pas… En fait, comment dire ? Un adulte autoritaire, un adulte dans la verticalité, il va pas se montrer tel qu’il est. Il va être la représentation de principes extérieurs. Tu vois. Je représente, l’autorité, je… Mais il va pas être authentique. Il va être dans un rôle, en fait. Il va jouer un peu du théâtre avec l’enfant, pour ne pas se laisser coloniser par l’enfant, se laisser bouffer. Donc en fait, tu ne permets pas à l’enfant de savoir qui t’es.
Réellement, qui tu es derrière ces principes arbitraires? Quelles sont tes limites à toi ? Pas les limites de oui, on a décidé que parce que… C’est quoi toi qui te heurte ? Qui tu es, en fait ? Qui es-tu derrière tous ces principes ? Et tu ne permets pas à l’enfant, en fait, de te connaître. Il n’y a pas d’authenticité. Comment tu veux ensuite que les gens, du coup, qui vont… Enfin, des enfants, puis qui, en grandissant, et même dans l’enfance, apprennent à respecter tout un chacun dans ce qu’ils sont ? On ne sait pas qui on est. On se balade avec des principes arbitraires, on joue un rôle.
Clémentine
Et c’est vrai. Même en tant que parent
Marion
Et c’est vraiment cette idée aussi, je me rappelle j’avais lu un bouquin à l’époque, fin années 70 je crois justement, sur ce refondement du système en Suède. J’ai plus le titre en tête, mais c’était sur la pédagogie du dialogue qu’on l’appelait à l’époque, quand on a voulu réformer la société pour plus d’horizontalité. Et il y avait l’autrice qui disait en fait dans le livre, qui disait en fait c’est hyper important qu’on arrête en fait tous d’être faux. Nous sommes dans une société où nous sommes faux. Pourquoi nous sommes faux ? Elle disait parce qu’en fait, on a peur. Pourquoi on a peur ? Parce que quand on était enfant, quand on faisait des erreurs, quand on n’allait pas dans le sens qu’il fallait, on était sanctionné pour ça. On était puni, on était frappé, on était humilié. Donc adulte, on a un peu comme ça, on a je sais pas, un mur autour de nous, on se laisse pas approcher réellement parce que, attention, ça fait vite mal, quoi. Et elle écrivait ça, elle disait, mais en fait, comment il est possible de créer une société pérenne avec des gens qui mentent ? Tu vois, c’est quand même une réflexion plutôt intéressante. Elle disait justement, dans le dialogue, dans cette pédagogie du dialogue, dans cette interaction, dans cette relation, encore une fois, ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de problème, il n’y a pas de friction, il n’y a pas de désaccord. Mais ça veut dire qu’en fait, on est vrai et on se connaît réellement les uns les autres. On se respecte pour qui on est réellement.
Clémentine
Et donc on sait poser nos limites.
Marion
Voilà, et totalement, parce qu’on est authentique. On n’est pas dans la crainte de qu’est-ce qui va se passer si je fais ça, qu’est-ce qui va se passer si je dis ça. Donc forcément on apprend à se connaître beaucoup mieux. Moi je trouve vraiment, pour avoir vécu quand même 13 ans en Suède, je trouve que les Suédois, quand tu les connais, quand tu passes les chocolats culturels, quand tu les as goûtés, tu les as savourés à un bon moment, Ils sont beaucoup plus respectueux de l’individu que les Français. On dit oui, ils sont froids. Non, ils ne sont pas froids. Il y a des différences culturelles, mais il y a un vrai respect où ils te voient différemment. Dans ce regard de confiance sociale, ça permet de voir à travers ce filtre un peu de principes arbitraires. Cet espèce d’écran qu’on a entre nous les gens. Donc tout ça pour dire que c’est beaucoup plus… C’est beaucoup plus authentique, c’est beaucoup plus vrai. C’est pas forcément plus facile. Mais en tout cas, ça donne une… Encore une fois, ça donne une meilleure place à l’humain.
Clémentine
L’humain, c’est le cœur de l’éducation. On revient toujours à ce thème dans mon podcast, c’est l’humain. Je vais terminer par une question, il y a souvent un amalgame qui est fait en France, dans notre société et dans les médias principalement et sur les réseaux sociaux. Le fait d’écouter un enfant, c’est le laisser faire ce qu’il veut. Qu’est-ce que toi, tu réponds à ça avec toutes tes connaissances ?
Marion
C’est un gros malentendu. Déjà je te répondrai ce que je t’ai déjà répondu tout à l’heure sur le fait que les gens qui disent ça sont les gens qui font ce qu’ils veulent. Puisqu’ils vont finalement élaborer leurs théories et leurs idées sur les enfants au-dessus de tout cadre international, au-dessus de tout cadre des droits de l’enfant, de la convention. Tu vois les gens qui parlent des enfants alors qu’ils ne connaissent pas les droits de l’enfant. C’est eux, en fait, ceux qui font ce qu’ils veulent, c’est ceux qui ont le pouvoir, tu vois. Ceux qui ont le pouvoir et qui l’utilisent mal, parce qu’il y a différentes sortes de pouvoirs, ce sont ces gens-là, en fait, qui font ce qu’ils veulent. Ce sont les dominants, tu vois, c’est ceux à qui ça profite, tout ça, ce système. Parce que ce système, il profite à certains, tu vois. Ils ne sont pas nombreux, mais ils tiennent à leurs privilèges, quoi. Donc pour moi, en fait, ce sont ces gens-là qui font ce qu’ils veulent, tu vois. Mais une société d’horizontalité où on cherche à voir tout un chacun, où on respecte la vulnérabilité, parce que respecter l’enfant aussi c’est respecter la vulnérabilité. Pour moi, quelqu’un qui ne respecte pas un enfant, il ne respecte personne. Parce qu’il y a vraiment cette idée de qu’est-ce que tu fais de ton pouvoir. Ça, c’est ce que j’adore en Suède. C’est vraiment quelque chose et c’est quelque chose que je n’ai vraiment pas vu ailleurs à ce niveau-là. Il y a vraiment eu cette pensée sociale du pouvoir. Fifi Brindacier, c’est ça. Fifi Brindacier, c’est d’ailleurs aussi, comme le disait Astrid Lindgren, elle a mis du temps à le dire, mais elle a fini par le dire quand elle était très connue et qu’elle était vraiment une légende en Suède et ailleurs, où c’était vraiment cette idée de… Elle voulait écrire un livre en 45, donc vraiment juste à la fin de la guerre. Pour montrer aux enfants qu’on peut détenir le pouvoir. Parce que Fifi, c’est la petite fille la plus forte du monde. Elle terrasse tout le monde. Elle porte des chevaux.
Clémentine
Elle porte des chevaux.
Marion
Oui, totalement. Donc, il y a vraiment cette idée en fait, on peut avoir le pouvoir et ne pas en faire quelque chose de mauvais.
Clémentine
Et être gentil, c’est ça que tu dis.
Marion
Faire le bien. Parce que c’est ça, Fifi, tu vois, elle est impertinente. Elle fait ce qu’elle veut. Elle se moque des adultes, mais elle est gentille. Elle est très gentille. Et elle est vraiment pour les plus faibles. Donc il y avait vraiment cette idée de… Le pouvoir doit changer de connotation. Ça, c’était très fort dans l’œuvre d’Astrid Lindgren, vraiment très fort. Et c’était aussi très fort dans le projet social en Suède, finalement, avec cette pédagogie du dialogue. Il y a une pédagogie qui est à la base de Paulo Frey, qui est un philosophe qui, en fait, cherchait, je crois que c’est au Brésil, il cherchait à rendre le pouvoir aux classes défavorisées au Brésil. Pour justement leur rendre du pouvoir d’action vis-à-vis de toute cette domination.
Et va savoir comment, c’est assez exceptionnel et c’est unique au monde, mais les idées de Paulo Frey sont arrivées en Suède. À travers la préécole et à travers l’enfance. C’était cette idée de les enfants sont aussi des opprimés et nous devons leur rendre leur pouvoir face au monde des adultes qui les oppriment. C’était l’idée de faire la peau au patriarcat derrière. Mais c’était vraiment à travers l’enfance que ça se jouait. Donc il y a vraiment eu en Suède, et il y a encore aujourd’hui, c’est absolument passionnant, une vision du pouvoir. Et sur les études que j’ai faites, autant les droits de l’enfant que les séances de l’enfance et de la jeunesse, on pense le pouvoir. Tu vois, c’est pas encore… Tu vois, c’est pas cette idée de dire oui, il n’y a plus… Tu vois, c’est un peu ce monde des bisounours dont on parle en France, tu vois, de dire votre monde là, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Mais absolument pas. Mais les Suédois, c’est pas ça. Ils pensent le pouvoir, parce que justement le pouvoir est dangereux. C’est aussi ça qui fait qu’ils pensent l’inclusion. Ce n’est pas de se dire, il n’y a pas de problème, tout le monde est dans l’inclusion. Non, on n’est pas dans l’inclusion. L’être humain, par définition, va se protéger et donc exclure. Mais on a tendance à exclure. Donc ce n’est pas cette idée de dire, ça n’existe pas, je ferme les yeux, je ne regarde pas. C’est cette idée de dire, ok, ça existe partout, dans toutes les constellations humaines, Qu’est-ce qu’on fait ? Tu vois, encore une fois, ce pragmatisme.
Donc c’est absolument pas ni bisounours, ni rousseauïste, ni tout ce qu’on peut entendre en France, tu vois. Ça n’est pas le cas, en fait. C’est extrêmement pragmatique. C’est presque un peu noir, quelque part, tu vois, d’envisager aussi l’humain sous un prisme de pouvoir comme ça. Mais c’est ça aussi qui permet ensuite de choisir l’humain, quoi.
Clémentine
C’est humaniste, en fait, moi je trouve.
Marion
C’est humaniste, quelque part aussi, ouais, mais…
Clémentine
C’est prendre en compte la réalité de l’être humain. On n’est pas tous magnifiques et faciles et on a des parts d’ombre.
Marion
Oui, c’est vrai.
Clémentine
Quand on récupère le pouvoir.
Marion
Mais si tu prends le progressiste, tout ça, après ils sont contre les humanistes.
Clémentine
Je parle dans ma définition.
Marion
Ta définition de l’humanisme, je crois comprendre. Oui, c’est ça.
Clémentine
J’ai une dernière question. Est-ce que c’est normal que nos parents galèrent dans une société qui nous aide pas ?
Marion
Bah oui. Tu sais, j’ai presque envie de te dire, je le dis avec beaucoup d’affection pour les Suédois, vraiment, parce que c’est vraiment aussi des gens formidables, en tout cas. Mais quelque part, les Suédois de la génération actuelle, ils n’ont pas de mérite, quoi. Non, mais quelque part, tu vois, il y a vraiment cette idée. En fait, encore une fois, je te dis, moi, je passe mon temps aussi quand je suis en Suède, tu vois, à parler avec des Suédois, des fois, quand je ne les connais pas, parce que quand ils me connaissent, c’est autre chose. Mais quand je fais des rencontres, c’est un impensé social, tu vois, dans l’autre sens. Mais c’est un impensé social aujourd’hui, tu vois.
En plus, les Suédois étant encore une fois un peuple, on pourrait parler aussi longuement, mais Ils sont pas très bons en histoire et dans le passé. Tu vois, nous, on est très intellectuels. En France, on pense beaucoup aux grands. Les grands penseurs, qu’est-ce qui s’est passé dans le passé ? On connaît toutes nos dates, enfin tout ça. Et surtout, ils sont beaucoup plus tournés vers l’avenir. Tu vois, c’est le côté pragmatisme et c’est le côté aussi d’avoir aussi horizontalisé un peu la connaissance. Bon, je rentre pas dans les détails, mais en tout cas, ils savent pas trop ce qui s’est passé il y a 50 ans. Tu vois, ils connaissent pas trop leur histoire, souvent. Et s’ils la connaissent, en tout cas, ils ne pensent pas tellement le côté de l’enfance.
Donc il y a vraiment ce côté que moi je reçois tous les jours, parce qu’en plus depuis que j’ai commencé à mettre des vidéos sur les réseaux sociaux où je montre des parents suédois en action, parce qu’apparemment les gens voulaient voir ça vraiment, je reçois tellement de messages de gens qui me disent « Mais nous, on ne peut pas. Mais nous, on ne sait pas. Mais ils sont fantastiques. Mais ce n’est pas possible. Mais c’est surhumain. Mais comment ils font ? Mais c’est tellement naturel. » Il y a quelqu’un qui me disait ça il y a quelques jours. Mais nous, on passe un temps pas possible à lire des livres. Ensuite, on les intègre. Et ensuite on le fait et c’est même pas naturel, c’est robotico-possible, c’est dénué d’authenticité.
Elle dit là tu nous montres un parent, en plus il est tout tatoué de partout donc c’est pas du tout le stéréotype du parent qu’on imagine. Et en fait il est là et il fait ça et c’est comme s’il allait acheter le pain. Mais oui, parce qu’en fait, encore une fois, c’est tellement dans la norme et c’est tellement acquis qu’en fait, aujourd’hui, ils n’ont pas tellement de mérite. Ils ne le pensent pas. Ils sont, tu vois. Donc, j’ai presque envie de te dire que les gens comme toi, avec tes enfants en France, tes trois enfants en plus, bah je suis désolée, mais le mérite, il vous revient à vous, quoi.
Enfin, je veux dire, tu vois, enfin non, mais je veux dire, c’est les, quelque part, si je puis dire comme ça, les vrais bienveillants entre guillemets, quoi, c’est les gens qui veulent braver la matrice de la domination. C’est pas les gens qui vivent dans une culture de la confiance, dans une culture de la relation déjà mise, dans une matrice de coopération. Où ils ont juste finalement à s’insérer et à vivre leur petite vie, tu vois. Quelque part, c’est pas eux. Parce que si ça changeait, si ça bougeait au niveau, moi je sais pas, tu vois, il y a quand même des tensions sociales, politiques partout. Qui te dit que ces gens-là changeraient pas de bord? Tu vois. On sait pas, en fait. Quelque part, eux, c’est là, c’est donné, c’est acquis, tu vois. Donc évidemment, c’est super dans la relation avec leurs enfants.
Mais c’est aussi des gens, je pense, je le vois aussi quand j’en parle avec eux, pour beaucoup qui ne sauraient pas spécialement le défendre si ça venait à disparaître. Alors qu’en France, quand je rencontre des gens qui vraiment baignent dans cet océan de verticalité, ça me frappe depuis que je suis rentrée, c’est partout, c’est à tous les coins de rue, c’est partout, c’est dans la matière en France. Je me fais la réflexion tous les jours en ce moment de me dire ça va être chaud. Et de me dire, il y a quand même des gens comme ça qui, tu vois, tu reçois le mail de cette directrice qui t’humilie, tu vois, et tu continues à y croire, tu continues à dire, allez, on va faire un podcast, là.
Non, mais tu vois, il y a cette espèce, en fait, de foi, de résilience qui est extrêmement belle. Et qui, je pense, paradoxalement, ne peut exister que chez des gens qui vivent dans cette matrice de domination et cette culture de la punition. Elle ne peut plus exister quand c’est devenu normatif, tu vois. Donc quelque part, le mérite, il vous revient à vous, quoi, en France, quoi, tu vois.
Clémentine
Merci, je pense, ça fera du bien à beaucoup de parents de l’entendre, qui se battent au quotidien et qui culpabilisent en permanence et qui se disent qu’ils n’y arrivent pas. Et que c’est dur, sincèrement, d’aller à contre-courant. C’est très compliqué de se heurter à sa famille aussi, parce que c’est les premiers avec qui on est en contact. Et de voir qu’on n’est pas entendus, qu’on est dénigrés. Souvent, je vois sur les réseaux sociaux des blagues quand il y a des trucs sur les enfants de les mamans Montessori en PLS ou des trucs comme ça. Je sais pas, à quel moment on s’est dit que c’était drôle de stigmatiser les mères qui essayent de faire mieux, d’être à l’écoute et en fait on est en permanence là-dessus.
Marion
L’humour est une arme extrêmement puissante et elle est utilisée.
Clémentine
Parfois à des très bonnes émissions.
Marion
À foison contre les enfants en France. L’humour, ça en dit très très long aussi, ça ferait rire personne en Suède.
Clémentine
Non, c’est sûr.
Marion
Non mais quand on regarde l’humour qu’ils peuvent avoir, c’est étonnant parce que c’est souvent aussi retourné. Les contes qui font un peu un tabac en Suède, ça va plus être les contes où c’est les enfants qui se moquent des adultes. Ça, ça marche bien.
Clémentine
En tout cas, les enfants, ils adorent quand on leur donne leur pouvoir. Des petits exemples de CNET ou de jeux que j’ai avec mes filles, c’est clair que quand c’est elles qui sont au commande, elles adorent. Merci beaucoup Marion.
Marion
Merci à toi.
Clémentine
Merci d’avoir passé une heure avec nous pour déverticaliser l’éducation, pour expliquer que ça marche, qu’on n’est pas dans une société qui va partir en vrille, si jamais on s’intéresse aux droits des enfants et qu’on les respecte. Je pense que vraiment, c’est important de noter que si vous êtes parent, que vous nous écoutez, que vous avez l’impression de vous battre dans un océan et que vous êtes seul. Déjà, vous n’êtes pas seul et que c’est normal d’avoir cette sensation là et que peut-être vous allez tous déménager en Suède dans pas longtemps. En tout cas, ce serait bien que des pédagogies suédoises viennent à nous. Ce qui est drôle, parce que je voulais finir, mais à l’époque, Adrien Taquet, qui était secrétaire à l’enfance, il a reçu les Suédois, il a reçu les Norvégiens, les Finlandais, notamment sur le congé paternité-parental. Ils savent les politiques, ils le savent ce qu’il faut faire, en fait. Ils ont une conscience, mais ça ne s’applique pas après. Il y a une marche qui…
Marion
C’est sûr que ça pourrait même nuire au système tel qu’ils le conçoit actuellement. Non mais c’est certain, ça serait une arme puissante, c’est évident.
Clémentine
Mais ils se renseignent, puisque quand on voit les résultats scolaires chez nous et là-bas, ils ont quand même une petite notion qu’il y a des choses qui se font bien dans les pays du Nord. Merci Marion.
Marion
Merci à toi.