Depuis le lancement de ce podcast, je n’avais jamais parlé des particularités liées aux hauts potentiels.
Pourtant, j’ai été diagnostiquée il y a un an avec cette différence, si je puis dire, mais je ne m’en suis pas intéressée plus que ça.
Aujourd’hui, en revanche, j’ai le plaisir de recevoir Béatrice Millettre, qui est psychologue et spécialiste des troubles neurodéveloppementaux, mais aussi des hauts potentiels, les HPI. Elle vient de sortir un livre dédié aux doubles exceptionnalités, on les appelle les deux E.
Ce sont ces personnes qui cumulent plusieurs particularités, c’est-à-dire être haut potentiel, associées à un trouble neurodéveloppemental. Dans cet épisode, on parle donc d’intelligences différentes, de neuro-atypies, de troubles du spectre autistique, des dys, des troubles du langage, mais aussi des clichés qui entourent ces personnes qui réfléchissent différemment.
Si vous êtes parent et avez des soupçons, alors vous aurez des réponses à vos questions.
Si vous êtes adulte et ne savez pas si vous êtes concerné, alors vous êtes au bon endroit.
Je vous souhaite une très bonne écoute.
🗣️ Au programme :
🧠 Introduction et parcours professionnel (00:00 – 10:34)
🔍 Définitions et concepts clés (10:34 – 21:21)
👨🏫 Haut potentiel à l’école (21:21 – 30:09)
🧩 Double exceptionnalité et diagnostics (30:10 – 38:49)
🌈 Spectre autistique et autres troubles (38:49 – 47:53)
🛠 Stratégies d’adaptation et accompagnement (47:53 – 56:50)
TRANSCRIPTION DE L’ÉPISODE
Clémentine
Bonjour Béatrice.
Béatrice
Bonjour.
Clémentine
Je suis ravie de vous recevoir dans la matrecsence.
Béatrice
Oui, mais je suis ravie d’être là.
Clémentine
Merci d’avoir fait le déplacement depuis le Val d’Oise. Alors aujourd’hui, j’avais une première question toute simple. Pourquoi est-ce que vous avez voulu devenir psychologue ?
Béatrice
Ouf, question toute simple, comme vous dîtes. Alors, en fait, quand j’avais 15 ans, je crois que je voulais être cuisinier, chef cuisinier, étoilé, machin, voilà. Et puis, dans le même temps, je voulais travailler sur le cerveau. Enfin, non, c’est pas vrai. Je voulais… Faire de la médecine humaine. J’avais pas très bien ce que ça voulait dire, parce qu’en ce temps-là on n’était pas si jeunes, donc en ce temps-là, les psychiatres, les psychologues, on connaissait pas trop ce machin-là. Et puis finalement je suis pas du tout partie dans cette direction, je suis partie en biologie.
Donc j’ai fait maths sup, maths spé en biologie, je suis rentrée en normale sup en bio, et je suis tombée dans la marmite des sciences cognitives avec une première formation avec un gars qui était exceptionnel, qui s’appelait Jacques Mehler, qui a été le pionnier des sciences cognitives en France. Il n’y avait pas de formation, ça n’existait pas, il y avait juste écrit comment on apprend à apprendre. Et je suis tombée dedans, je ne suis jamais ressortie. Et donc de là, j’ai fait double cursus en sciences et en psycho. Et voilà, et après comment je suis devenue thérapeute ? Parce que finalement les thérapies comportementales que je pratique étaient la droite ligne de ça. J’ai essayé un peu la recherche, c’était pas pour moi. Et voilà à peu près comment je suis tombée dans la psychologie.
Clémentine
Ça fait combien de temps maintenant que vous êtes psychologue ?
Béatrice
Je crois que j’ai ouvert mon cabinet ça fait 25 ans à peu près, quelque chose comme ça.
Clémentine
Donc vous en avez vu passer des patients.
Béatrice
J’ai vu passer des gens, j’ai vu passer des gens. Voilà, j’ai vu passer un peu de gens.
Clémentine
Alors, on est là pour parler de votre nouveau livre qui vient de sortir, qui concerne les doubles, voire triples, exceptionnalités. Dans ce livre, vous explorez ce qui est assez méconnu en France finalement, cette double exceptionnalité. Pourquoi est-ce que vous avez choisi ce thème ?
Béatrice
Alors, il faut quand même savoir que je suis un peu connue aussi sur le domaine du haut potentiel et de la neurodiversité plus largement. Donc j’ai écrit un certain nombre de livres sur le sujet des hauts potentiels, des enfants, des adultes, voilà, au travail, à la maison, enfin bref. Et à un moment donné, la question du haut potentiel se croise avec celle des troubles neurodéveloppementaux et je reçois beaucoup de gens qui arrivent, alors on en parle de plus en plus, des troubles neurodéveloppementaux et c’est très très bien, et donc moi j’en vois qui arrivent et qui me disent « je suis autiste ». Il y a 20 ans, ils venaient chez moi en disant je pense que je suis fou, faites-moi une lettre pour aller à Sainte-Anne.
Aujourd’hui c’est plus le cas, aujourd’hui ils disent je suis autiste donc je veux un diagnostic d’autisme, ce qu’ils ne sont pas d’ailleurs, ou quasiment tous me disent j’ai un trouble de l’attention. Et donc quand on regarde un peu outre-Atlantique, parce que chez nous on n’en parle pas beaucoup, c’est ce qu’on appelle la double exceptionnalité d’être haut potentiel et avoir un trouble neurodéveloppemental. Et finalement, pourquoi double exceptionnalité ? Parce que haut potentiel, c’est finalement peu de gens. Alors selon les pays, c’est 2,5%, 5%, 10%, c’est pas très très clair. Et le trouble neurodéveloppemental, c’est pareil, c’est pas très fréquent, même si on en parle beaucoup aujourd’hui. Et donc les deux ensemble, c’est ce qu’on appelle la double exceptionnalité.
Alors souvent triple exceptionnalité, parce que quand on est dans le spectre autistique, on a souvent une comorbidité, c’est-à-dire un autre trouble qui s’ajoute, la dyslexie ou le trouble de l’attention. J’ai voulu en parler d’une part pour dire aux gens qu’on peut être haut potentiel sans avoir un trouble neurodéveloppemental. Souvent les gens disent mais tous les haut potentiels ont un trouble de l’attention. Non, ce n’est pas le cas. Et qu’on peut avoir un trouble de l’attention dans l’aspect de l’autisme sans être non plus haut potentiel. Et que quand on est les deux, finalement, on ne va pas… On ne va pas fonctionner de la même façon que si l’on est juste un des deux. On n’accompagne pas quelqu’un dans le spectre de l’autisme de la même façon qu’un haut potentiel, ni qu’un neurotypique, ni que les deux à la fois.
Donc c’est ça qui est important pour ouvrir les bonnes portes finalement.
Clémentine
Donc si on reprendre depuis le début, pour les gens qui ne connaissent pas du tout ce monde, c’est quoi un neurotypique et quelqu’un qui est neurodivergent ?
Béatrice
Alors, neurotypique c’est quelqu’un qui va fonctionner selon une norme, un fonctionnement cognitif ou neurologique finalement, une manière de raisonner qui va être celle du plus grand nombre. Alors, ça veut tout dire et ça veut rien dire, parce qu’une norme ça existe mais ça n’existe pas finalement, parce qu’il y a une norme qui est un raccourci de pensée pour nous permettre de comprendre tous un concept et puis avec des disparités autour de cette norme. Donc ça c’est le concept de neurotypique finalement, donc on va avoir des gens qui vont avoir un raisonnement un peu comme tout le monde. Donc comme tout le monde, ça veut dire un peu le raisonnement logico-mathématique, l’enfant scolaire, des gens un peu… C’est un peu stéréotypé, mais c’est un peu ça. Et puis la neurodiversité sur toutes les personnes dont le fonctionnement s’éloigne de cognitif, s’éloigne de la norme.
Et dans la neurodiversité, on met, au tout départ, c’est parti du spectre de l’autisme, c’était les gens dans l’autisme qui revendiquaient d’être comme tout le monde, enfin d’être normaux autrement, si je peux dire, c’est un terme que j’utilise souvent, d’être normal autrement, et ils revendiquaient de ne pas avoir de pathologie, de pouvoir s’insérer dans le monde comme tout un chacun. Donc c’est parti de là, donc aujourd’hui dans la neurodiversité évidemment se trouve le spectre de l’autisme, se trouvent tous les troubles neurodéveloppementaux, donc troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité, les dyslexies, et on ajoute maintenant l’hypersensibilité, et le haut potentiel. Alors ça c’est très français, d’ajouter le haut potentiel, parce que la France est un des rares pays à s’intéresser au potentiel adulte.
Donc chez nous, quand on parle de neurodiversité, quand on regarde dans les entreprises, ou moi j’interviens aussi dans des conférences pour les entreprises, quasi toutes les personnes neurodiverses entreprise sont haut potentiel et autre chose, probablement. Ce qui est très spécifique à la France.
Clémentine
Pourquoi ?
Béatrice
Je ne sais pas pourquoi les Français sont quasi les seuls au monde à s’intéresser au haut potentiel adulte. Aux Etats-Unis, vous parlez de haut potentiel adulte, ils savent pas, quand vous parlez de gifted pour les Américains, ils disent oui les enfants.
Clémentine
Comme si ça se transposait pas après ?
Béatrice
Voilà, et après, et après, et après, on ne sait pas. Donc ils ont des programmes pour accompagner les enfants, et quand vous discutez avec les adultes, moi ça m’arrive, j’ai des amis, je dis mais peut-être t’es pas TDAH, peut-être t’es au potentiel. Mais non, c’est que les enfants. Donc, pour une raison que j’ignore, au Québec c’est pareil, je travaille pas mal avec les Québécois, que j’accompagne pour certains, et les adultes sont pas du tout pris en considération. Donc je ne sais pas pourquoi.
Clémentine
Pourquoi est-ce que vous, dans la psychologie, vous êtes intéressée à ces personnes neurodivergentes, les hauts potentiels, l’autisme, le trouble de l’attention ? Qu’est-ce qui a fait que vous avez une patientelle ou que vous avez plus eu ce genre de cas à avoir ?
Béatrice
Et je crois que c’est un peu le hasard. C’est-à-dire qu’à un moment donné, je me suis dit… Je crois que le déclencheur, je l’ai déjà raconté, c’est une anecdote mais c’est la réalité, ça a été dans la même semaine où j’ai reçu plusieurs personnes qui me demandaient des lettres pour aller à Sainte-Anne se faire interner. Et je me suis dit mais c’est d’une violence inouïe alors que ces gens, ils n’ont rien, ils n’ont pas de pathologie, ils sont juste autres. Et c’est là où j’ai commencé à creuser le sujet parce que c’est pas enseigné en psycho parce que ça n’est pas une pathologie d’être au potentiel. C’est des singularités, c’est un fonctionnement différent, ce sont des caractéristiques singulières, mais ça n’est absolument pas une pathologie, donc c’est pas enseigné.
Et donc de ce fait, j’ai creusé, j’ai exploré, j’ai lu beaucoup de publications, j’ai cherché, et c’est un peu comme ça que je suis rentrée dedans finalement. Mais alors tout à fait par hasard, j’avais beaucoup de gens qui étaient de ce profil-là.
Clémentine
Donc ça tombait bien.
Béatrice
Donc voilà, ça s’est fait un peu par hasard. Les gens qui arrivaient chez moi, je me souviens, les gens disaient mais je comprends pas, t’as des gens haut potentiel, nous on n’en a pas. Et ils disaient mais nous on a beaucoup de gens états limites, personne borderline, états limites. C’était l’époque où on en parlait beaucoup. J’ai dit non mais moi j’en ai pas. Et il y a un moment, j’avais un ami qui avait fondé une association sur la personnalité état limite. Je lui ai dit mais je comprends pas, tous ceux que tu m’adresses, ils sont aussi au potentiel. Il me dit bah oui, ça va avec. Mais non, ça va pas du tout avec. Quand on prend les pathologies, les critères diagnostiques, il n’y a rien qui dit que les personnes états limites sont haut potentiel. Ça n’a rien à voir du tout.
Donc c’était assez bizarre quand même. Effectivement, moi j’avais beaucoup de gens au potentiel quand les autres n’en avaient pas beaucoup. Et ils avaient d’autres pathologies que j’avais pas beaucoup. Ça s’est fait un peu par hasard.
Clémentine
Est-ce que vous aussi, vous correspondez à ces critères ? Peut-être.
Béatrice
Peut-être. Peut-être, peut-être, peut-être.
Clémentine
Alors, est-ce que vous pouvez nous dire, donc HPI, il y a beaucoup d’acronymes dans votre livre, donc il faut arriver à suivre pour que les gens qui nous écoutent, les auditrices et auditeurs, ne soient pas perdus. Donc il y a HPI, TDAH, TSA, TSLA, HPLA, il y a toutes les dys. À quoi ça correspond exactement ?
Béatrice
Alors HPI, c’est au potentiel intellectuel. Pour les enfants, on dit EHP, je ne vais pas en rajouter un acronyme, c’est enfants au potentiel, c’est le terme reconnu par l’éducation nationale. Avant, on parlait d’enfants précoces ou de surdoués. Et donc finalement, on a pris le terme belge de haut potentiel et nous, on a ajouté haut potentiel intellectuel. En France, justement, on parle beaucoup de… On ne peut pas enlever le intellectuel. Alors oui et non, parce que pour les enfants, il n’est pas mis. Mais… Ce qui pose la question ensuite de la définition, de où est-ce qu’on place la frontière du haut potentiel. Et donc chez nous, par exemple, un danseur étoile ne sera pas considéré haut potentiel intellectuel, sauf s’il valide le test.
Alors qu’au Québec, une personne douée, ils parle de douée. Pour les Québécois, les personnes douées sont celles qui s’écartent de 10% de la norme en termes de capacité. Ce qui veut dire qu’un danseur étoile, il s’écarte évidemment de la norme en termes de capacité, et donc il est automatiquement considéré comme doué. Donc nous on a, ça dépend de l’évolution, du concept de l’intelligence, et donc nous on a gardé cette notion de intellectuel, on parlait avant intellectuellement précoce, et on a le haut potentiel intellectuel. Les Belges parlent de haut potentiel tout court, par exemple. Les Américains Gifted et les Québécois de doué. Donc ça c’est haut potentiel intellectuel, le HPI. Qu’est-ce qu’on a d’autre ? On a donc les troubles neurodéveloppementaux, les TND, troubles neurodéveloppementaux, on a des plans gouvernementaux aujourd’hui de meilleure connaissance et de prise en charge.
Et dans les troubles neurodéveloppementaux, on a le trouble du spectre de l’autisme, le TSA. On ne parle plus d’autisme, on parle d’un trouble de spectre autistique parce que c’est un spectre avec à une extrémité des grandes difficultés, y compris la déficience intellectuelle et des troubles moteurs. Et à l’autre extrémité, finalement très peu de troubles visibles en tout cas. Donc c’est pour ça qu’on parle de spectre. Qu’est-ce qu’on a ? On a le TDAH, le trouble de la tension avec ou sans hyperactivité, dont on parle beaucoup aujourd’hui. Et on a le TSLA, les troubles du langage et des apprentissages, c’est ce qu’on appelait avant les DIS. Donc dysgraphie, dysorthographie, dyspraxie, voilà. Et puis ensuite on a des acronymes qui se mélangent, c’est-à-dire pour dire haut potentiel et autre chose. Donc haut potentiel, troubles du spectre autistique, ça fait HPSA.
Voilà, donc on fait un mix des deux.
Clémentine
Et H-P-L-A c’est le trouble d’apprentissage ?
Béatrice
Les troubles d’apprentissage.
Clémentine
Du langage ?
Béatrice
Du langage.
Clémentine
Ok. Donc oui, en fait ces doubles exceptionnalités se voient dans ces acronymes-là.
Béatrice
Oui, exactement. Dans ces acronymes, la double exceptionnalité, on ne l’a pas dit je crois, c’est le fait des taux potentiels et d’avoir un trouble neurodéveloppemental. Donc quand on regarde sur Google, qu’on googlise en 2E, Il y en a un milliard de choses chez nos amis anglo-saxons.
Clémentine
Et nous, pas beaucoup.
Béatrice
Nous, pas beaucoup.
Clémentine
Et c’est pour ça que vous avez écrit un livre, pour pouvoir un petit peu lever le voile.
Béatrice
Pour lever un peu le voile sur cette double exceptionnalité qui fait dire aux gens qu’ils sont tous TDAH, ils sont en trouble de l’attention, ils sont tous haut potentiel, ils ont tous les deux tous les hauts potentiels ou un trouble de l’attention. En fait, non, c’est peu de l’un, peu de l’autre.
Clémentine
Ok. Pourquoi est-ce que, du coup, les personnes qui cumulent deux atypies, voire trois, vous l’avez dit pour certains, sont souvent mal diagnostiquées ?
Béatrice
Alors c’est compliqué de diagnostiquer parce que parfois le haut potentiel va masquer le trouble. Ou quelqu’un, on va dire, c’est un enfant… Les études portent principalement sur les enfants. Donc c’est un enfant qui est haut potentiel et donc, ben voilà, la difficulté passe à l’as parce qu’on le voit pas, on va dire, c’est ses spécificités, ses singularités de fonctionnement. Soit on a un enfant dont le trouble va cacher le haut potentiel finalement, et on va dire que ce sont ses difficultés qui sont présentes et on va s’adresser qu’à des difficultés, et soit les deux s’équilibrent et quelqu’un ne voit pas trop grand chose finalement. Donc c’est important de le savoir. Maintenant, normalement, quand on fait un diagnostic de trouble neurodéveloppemental, on doit, normalement encore une fois, faire le test de Wechsler pour voir où on se situe en termes de hauts potentiels.
Pour éviter d’avoir des mauvais diagnostics. On sait par exemple que des personnes hauts potentiels diagnostiquées TDAH, donc troubles de l’attention, dans 25 à 50% des cas, n’ont pas de troubles de l’attention, donc dans 25 à 50% des cas, c’est un mauvais diagnostic. Par exemple, moi je voyais l’autre fois une dame qui dirige le service de la consultation de l’autisme à la Salpêtrière qui dit que la moitié des personnes adultes qui viennent consulter sont haut potentiel et pas dans le spectre de l’autisme. Donc voilà, ça pose la question quand même de faire très attention au diagnostic et au dépistage.
Clémentine
Donc oui, ça voudrait dire que chez les professionnels, en tout cas, on confond un petit peu toutes les neurodivergences.
Béatrice
Oui, parce que tout ça n’est pas très connu, finalement, et qu’on peut aussi passer à côté du haut potentiel, sachant que la littérature scientifique nous dit que quand on a déjà un TDAH, par exemple, ou qu’on a déjà un trouble, En France, on a mis le seuil de haut potentiel à 130, à ce moment-là, on l’abaisse à 120. Mais si le professionnel n’est pas au courant de ça, il va garder le score à 130 et 120, il va dire, ben non, une intelligence plus que la moyenne mais pas haut potentiel. Alors qu’en fait, oui. Alors qu’en fait, oui.
Clémentine
Donc ce que vous dites, c’est qu’il faut faire attention à qui on s’adresse quand on vient…
Béatrice
Je pense qu’il faut, oui, et je ne jette surtout pas la pierre aux collègues évidemment, mais c’est quelque chose qu’il faut bien connaître pour justement avoir le bon dépistage et le bon diagnostic, parce que c’est pas évident. Et c’est pas évident quand on regarde de l’extérieur, effectivement, on se dit, troubles de spectre de l’autisme, difficultés de communication, troubles des interactions sociales, et intérêts spécifiques, les hauts potentiels disent, bah oui, mais moi, les interactions sociales, Ce n’est pas mon point fort, parce que les petites conversations, la pluie et le beau temps, ce n’est pas top. Donc je rentre dedans. Alors qu’en fait vous ne rentrez pas dedans du tout, ce n’est pas du tout la même chose. La personne dans le spectre de l’autisme n’a pas du tout cette difficulté-là.
Oui, elle va avoir du mal dans les petites conversations, mais ne sera pas capable de le faire. Elle ne va pas vous dire bonjour parce que ça n’a pas de sens. Alors que le haut potentiel, lui, ça ne fait pas sens en termes intellectuellement satisfaisants. Mais il est capable de le faire parce que ça permet d’entrer en relation avec les gens. Donc on n’est pas du tout sur le même plan par exemple. Donc si on s’arrête juste à l’étiquette, à la formulation, on passe à côté.
Clémentine
Vous allez nous expliquer après sur le spectre autistique tout ce qu’il faut savoir, parce que c’est vrai qu’on a beaucoup de clichés. On a tous et toutes intériorisé une image de ce qu’est l’autisme, sans parler justement de ce spectre, et je crois qu’on a tous une idée de l’extrême, de l’autisme, et pas dans son intégralité. Dans le livre, vous expliquez quelque chose qui m’a frappée, c’est qu’il y a aussi une intersectionnalité dans les diagnostics, c’est-à-dire que si on cumule plusieurs inégalités ou qu’on ne rentre pas dans les normes de l’homme blanc, si on est assez honnête, c’est encore plus difficile d’être diagnostiqué. Tout à fait.
Béatrice
Oui parce que, alors ça on a des chiffres aussi, c’est pas juste moi dans mon cabinet qui le dit. Moi je reçois des gens un peu de toute minorité d’ailleurs, j’ai reçu des personnes, des gens du voyage, j’ai reçu des gens de minorité visible, des gens de tout type. Mais effectivement on a des publications qui nous disent que majoritairement aux Etats-Unis, si vous êtes noir hispanique, vous avez beaucoup moins de chances d’être dépisté haut potentiel, vous avez beaucoup moins de chances d’avoir un diagnostic quand vous avez besoin. Mais c’est énorme, les différences sont énormes, effectivement. Donc on a cette intersectionnalité-là, qu’il faut prendre en considération. Alors c’est vrai que, pour des raisons peut-être culturelles, ce sont des personnes qui connaissent moins ces sujets-là, dans des milieux socio-économiques plus défavorisés, donc on en parle moins, peut-être aussi.
Mais c’est quelque chose qu’il faut prendre en considération aussi quand on est professionnel et qu’on reçoit ces personnes. Enfin moi j’ai un exemple comme ça d’une famille que j’ai accompagnée d’origine maghrébine, mais enfin ça c’est un cas exceptionnel, mais la maman qui parle très mal français, qui est venue récemment en France, qui a épousé un monsieur qui a une maladie génétique avec un handicap intellectuel de 80%, donc voilà, et les trois enfants, deux des trois enfants sont porteurs de la même maladie génétique qui normalement conduit à la déficience intellectuelle. Et moi je reçois cette famille. Pour suspicion de haut potentiel. Voilà. Et donc effectivement, ils sont… Donc certains sont pile à la limite, d’autres sont… Mais les trois enfants sont haut potentiel. Les deux qui ont la pathologie génétique également, ce qui pose question. Donc moi j’ai été en contact avec le…
À Necker, l’équipe qui travaille, parce qu’ils étaient connus, c’est une maladie très très rare, qui me dit, non c’est pas possible, t’as dû te tromper. Non je me suis pas trompée, je vous assure que non. Et la maman faudrait faire le test. J’ai dit, la maman je ne peux pas faire le test parce qu’elle parle pas français, donc… Mais… Et donc effectivement, on a cette notion directement, c’est pas possible. Et pour ces enfants, ça a changé la vie. Ils ont pu aller dans des écoles, changer d’école parce qu’ils avaient un regard sur… Pas dans les écoles spécialisées, mais une école plus bienveillante finalement. Et donc voilà, donc ça c’est un cas quand même qui est extrême, mais qui arrive. Des personnes du voyage que j’ai reçues, des gens du voyage, ils m’ont dit non c’est pas possible, ils sont pas haut potentiel.
Mais oui, ils le sont. Alors qu’ils sont pas scolarisés, ils font l’école à la maison ou pas du tout, mais voilà, peu importe. Et puis on a, avec les minorités de la communauté LGBT, on a une intersectionnalité qui est connue maintenant, qui est avérée, qui est répertoriée. Alors dans quel sens ça va, on ne sait pas très bien, mais les personnes neurodivergentes sont plus… Il y a plus de personnes LGBT ou LGBT-friendly dans les personnes neurodivergentes et inversement, dans les personnes LGBT et LGBT-friendly, il y a plus de personnes neurodivergentes. Bon, de la poule et de l’œuf, je ne saurais pas dire, mais on a cette corrélation.
Clémentine
Là, le podcast, ça s’adresse à des parents. Donc je pense qu’il y a plein de parents qui sont curieux sur ces thèmes-là, parce que comme vous le dites, c’est des sujets dont on parle un peu plus. Il y a aussi un peu de mépris aujourd’hui en disant, de toute façon, vos enfants, ils sont tous HPI. Bien sûr, s’ils sont turbulents, on sait qu’ils ont un TDAH. Alors qu’on élimine le fait qu’il y a quand même potentiellement des gens qui ont une exceptionnalité. Si on est parent d’un enfant. Quels sont les signaux qu’ils doivent nous alerter pour aller consulter justement ?
Béatrice
Alors souvent les signaux vont être envoyés déjà par l’école. C’est souvent la première cause de consultation, c’est la maîtresse qui dit votre enfant devrait aller voir le psy. Ce qui n’est pas toujours le cas, d’ailleurs ça ne devrait pas être le cas, mais c’est comme ça. Et je crois que… Oui, c’est difficile de faire la part des choses entre un enfant qui est turbulent, qui est juste un enfant finalement, un enfant actif, et notamment un enfant au potentiel qui s’intéresse à plein de trucs. Qui va être super actif. Il faut bien dire, les enfants haut potentiel, c’est merveilleux, vous parlez de tout avec eux. Et des fois, oui, il n’y a pas de sujet interdit. Alors, il faut les ajuster à leur âge, évidemment, mais on peut parler de tout. Ils sont curieux, vous les emmenez partout, ils sont contents.
Mais en même temps, c’est une sacrée calamité parce que ça court partout, ça ne s’arrête jamais. Ils ont besoin de vous en permanence. Et donc, c’est là où on se dit que celui-là, il est hyperactif, il est TDAH. Alors que pas forcément, pas forcément. Donc, on n’a pas, encore une fois, cette conjonction des deux obligatoires. Donc qu’est-ce qui mène à consulter ? Je pense quand vous avez un enfant, effectivement, qui va courir partout, qui ne peut pas s’arrêter. Ça c’est vrai. C’est un peu l’image du petit garçon TDAH, mais c’est une réalité en partie quand même, notamment pour les garçons. Donc si vous avez un enfant qui ne peut pas s’arrêter, Mais jamais. C’est-à-dire que, comment je vais dire ça, le trouble neurodéveloppemental, il est présent dans tous les compartiments de la vie.
Parce qu’on nous dit souvent, oui à l’école il est comme ça, il n’écoute pas en classe, il est turbulent, il perturbe la classe, mais à la maison pas du tout. À la maison il est sage comme une image, il est capable de faire un puzzle pendant deux heures, il peut faire ses Legos pendant une heure, il peut lire un livre, il peut… Alors on ne parle pas des écrans, ça compte pas. Pour rester sans bouger, ça, ça ne marche pas. Mais une activité qui lui plaît, il reste sans bouger, vous l’emmenez au musée, il est sage, il écoute, il pose des questions, et bizarrement, à l’école, ça marche plus. Donc ça, ça peut pas être un trouble neurodéveloppemental, parce que le trouble neurodéveloppemental, il est présent partout, dans tous les compartiments.
Et donc, à ce moment-là, faut se poser la question de peut-être qu’est-ce qui se passe autrement, qui marche pas à l’école, mais on peut quand même consulter pour avoir des éléments de réponse, en tout cas. Et… Concernant le haut potentiel… Comment je vais dire ça ? Ce sont des enfants qui ont… Enfin, ils ont quasi jamais de langage bébé, c’est pas eux qui vont vous dire… Alors ça dépend comment on leur parle, mais globalement c’est pas eux qui vont vous dire le toutou qui fait ouaf ouaf ou le tchoutchou qui… Je sais pas quoi, ils savent pas dire ça, ils arrivent à l’école, ils ont un langage, les enseignants le disent, ils ont un langage au-dessus de leur classe d’âge.
Alors pour un parent qui a un seul enfant, moi souvent ils arrivent et me disent « mais moi je sais pas, c’est le seul que j’ai ». Donc on me dit « ton enfant, ta fille, ton fils, il est un peu plus vif », moi je sais pas quoi, je sais pas. Donc il y a le langage, principalement, qui fait dire… Bon. Et après, ce ne sont pas forcément des enfants qui sont isolés, qui sont harcelés. On nous dit que tous les hauts potentiels sont harcelés, ils sont malmenés. Non, pas du tout. Pas du tout. Il faut bien savoir que haut potentiel, ce n’est pas une pathologie. Ce qui veut dire que, statistiquement parlant, tous les hauts potentiels vont bien. Parce que si tout ça allait mal, ce serait une pathologie. Et même statistiquement parlant, ils vont mieux que les neurotypiques.
Donc c’est plus une protection qu’un calvaire. Alors que les gens, quand on leur dit votre enfant est haut potentiel ou vous êtes haut potentiel, c’est pas possible, il va être malheureux toute sa vie, quelle calamité. Non, c’est super d’être haut potentiel. C’est plein de qualités, c’est plein de richesses et c’est pas du tout une pathologie.
Clémentine
Oui, c’est ça, c’est qu’il faut qu’on sorte aussi de ce cliché.
Béatrice
Mais bien sûr, on a le sentiment que tous les hauts potentiels vont mal. Mais non, pas du tout. C’est plein de belles qualités, justement. Et si on va plus loin, on sait aujourd’hui quand même que ce qui est… Alors effectivement, les enfants hauts potentiels font partie, au même titre que les enfants avec des troubles neurodéveloppementaux, des enfants à besoins éducatifs spécifiques, qui sont reconnus par l’éducation nationale comme ayant des besoins particuliers qui ne sont pas comblés par une éducation, entre guillemets, traditionnelle. Ce qui ne veut pas dire les mettre dans d’autres écoles, ça veut dire que les enseignants proposent des aménagements à ces enfants-là. Ce qu’on sait aujourd’hui par exemple des besoins, qui sont vraiment des besoins intrinsèques, par exemple le besoin de sens pour un apprentissage, un enfant haut potentiel qui ne comprend pas, aura beaucoup de mal à apprendre.
Donc ce besoin-là, tout simplement, qui doit être comblé pour un enfant haut potentiel, eh bien, si on le donne à un enfant neurotypique, si on met du sens dans les apprentissages, alors c’est pas un besoin, ils peuvent apprendre sans comprendre les neurotypiques, paradoxalement, mais ça va favoriser leurs apprentissages. Donc ce qu’on sait aujourd’hui, c’est que les besoins des hauts potentiels finalement bénéficiaient à tout le monde, un peu comme si c’était le phare qui tirait, c’est un peu grandiloquent ce que je veux dire, mais qui tirait l’humanité vers demain. Et les Américains qui sont tous un peu… Des fois quand on est éloquent, c’est comme ça qu’ils le disent. Bon, on ne va pas non plus en censer, mais c’est vrai que leurs besoins bénéficient à tous. Et c’est ça qui est chouette.
Clémentine
Pourquoi est-ce qu’on a aussi l’image de potentiellement des élèves qui sont dans la douance qui sont en échec à l’école ? Est-ce que ça c’est une réalité du terrain ?
Béatrice
C’est une réalité, mais c’est une réalité la même que chez les neurotypiques, on a un tiers, un tiers en réussite, un tiers dans la moyenne, un tiers en échec. Comme chez les neurotypiques, à 2 ou 3% près. Donc c’est pareil. Ce qui est vrai, c’est que le parcours scolaire pour les enfants en potentiel est souvent très compliqué. D’une part parce que ça fait pas sens, et que sans sens c’est compliqué pour les enfants haut potentiel. D’autre part, la répétition c’est super compliqué. Et pourquoi c’est compliqué ? Il y a un exemple que je prends tout le temps mais qui est la réalité, c’est qu’un enfant neurotypique a besoin de 8 à 10 répétitions pour retenir un concept. Un enfant avec des problèmes, 10 à 15. L’enfant haut potentiel, 1 à 2. Si ça l’intéresse. Si ça ne l’intéresse pas, ça c’est une autre affaire.
Béatrice
Mais donc ça veut dire que les enseignants, et c’est le principe de l’instruction dans tous les pays du monde, sont là pour tout le monde, donc vont répéter. Et donc vont répéter minimum 10 fois, ou vous demandez de répéter à la maison, c’est les devoirs justement, pour être sûr que la trace mnésique va être là. Mais si au bout d’une fois ou deux vous avez retenu, c’est pas juste compris, vous avez retenu, tout le reste du temps vous faites quoi ? Donc ça c’est compliqué. La rapidité de traitement de l’information aussi est plus grande chez les hauts potentiels, donc si un enfant neurotypique a besoin de ça pour traiter un sujet et l’enfant haut potentiel ça, tout le reste du temps il fait quoi ? Donc on cumule ça avec la mémoire et ça fait que…
C’est pas qu’il va s’ennuyer, mais il va pas être nourri suffisamment, cet enfant-là. Et donc, à un moment donné, il faut se poser la question, qu’est-ce qu’il fait dans la classe ? Et donc, qu’est-ce qu’il fait ? Bah il regarde par la fenêtre, alors il regarde aussi par la fenêtre, parce que c’est ce qui lui permet de mieux écouter en parallèle son enseignant. Il va gribouiller, il va… Alors moi, les enfants que je reçois, c’est tous les mêmes, leur trousse, on peut… Enfin, je vais pas dire, c’est un critère diagnostique, mais presque, la trousse d’un enfant au potentiel, elle est crayonnée de tous les côtés, la gomme, elle est pleine de trous, les crayons, ils sont coupés, ils sont grands comme ça, parce qu’il faut s’occuper. Donc ils arrivent toujours à s’occuper. Ils vous disent pas quand je les reçois tu t’ennuies ?
Non pas du tout. Je m’occupe. Et voilà, ils s’occupent sur la trousse. Alors les lycéens, eux ils sont crayonnés, ils ont des tatouages aux marqueurs sur tout le bras. Faut s’occuper. Donc voilà pourquoi faut les aider à ce que le temps devienne moins long. Et enrichir un peu leur parcours. En fait les enfants au potentiel ils veulent pas grand chose. Ils veulent des enseignants bienveillants. Voilà. Et ils veulent apprendre des choses. Donc un enseignant qui va être exigeant, ça, ça leur convient parfaitement. Parce qu’ils apprennent, ils sont là, on laisse passer des erreurs. Pour eux, ça n’a aucun sens, finalement. Une maîtresse qui… Moi j’en ai vu des enfants qui venaient avec le cahier de dictée, Et la maîtresse avait mis des fautes là où il n’y en avait pas.
Pour un enfant haut potentiel, enfin déjà pour tout le monde c’est incompréhensible, mais l’enfant haut potentiel dit mais non. Avec le sens de la justice qui est un peu chevillée au corps. Et là vous les perdez. Parce qu’ils sont démotivés pour le coup pour l’année entière.
Clémentine
Ils sont victimes donc, eux, de stigmatisations un petit peu et de clichés. Au final, si dans une école ça se passe bien, c’est un atout. C’est ça que vous dites, d’avoir un enfant comme ça. Ça va être un leader ou un enfant qui va…
Béatrice
Oui, ce sont des enfants qui sont leaders, qui sont moteurs. Ils aiment bien être tuteurs aussi des autres enfants, donc ça c’est chouette, les enseignants ils le savent et ils les prennent comme tuteurs pour un enfant qui a plus de difficultés. Sur des projets, ils sont en force de propositions, ils sont créatifs, ils ont de l’imagination, ils sont capables de, alors ça, ça leur joue des tours aussi, de faire des liens et proposer des idées neuves, ce qui n’est pas forcément ce qu’attend un enseignant, mais oui, ce sont des atouts dans une classe et de toute façon, il y en a au moins un ou deux par classe, donc on ne peut pas faire sans.
Clémentine
Oui, statistiquement, ça voudrait dire qu’il y en a un ou deux par classe. C’est beaucoup quand même.
Béatrice
Oui, c’est beaucoup.
Clémentine
Et donc dans cette state, si on prend la double exceptionnalité, il y en aurait un tous les deux classes, c’est ça ?
Béatrice
Oui, quelque chose comme ça.
Clémentine
Donc là, par contre, on est sur une difficulté différente.
Béatrice
On est sur une difficulté différente parce que Et c’est là aussi où c’est compliqué à accompagner parce que c’est cette image en fait d’une couleur. Vous avez le haut potentiel qui serait bleu et le trouble neurodéveloppemental qui serait jaune, ça fait quelqu’un de vert. Mais c’est pas indissociable. C’est comme si on demandait d’enlever les fibres de couleurs. On ne peut pas, une fois que vous avez fait votre couleur verte, comment vous enlever les pigments ? On ne peut pas, tout est mélangé. Donc tout s’imbrique. Et effectivement, il faut savoir ce qu’on en fait de cette imbrication-là. Et si on accompagne une personne comme si juste elle était autiste, ou juste comme si elle était atteinte d’un trouble de l’attention, eh bien on va passer à côté.
Parce que, par exemple, sur quelqu’un de dyslexique, qui a des difficultés de lecture, on va dire, on va lui donner, traditionnellement, c’est ce que font les enseignants, ils sont outillés pour accompagner les gens qui ont des troubles neurodéveloppementaux. Pour les dyslexiques, on va leur donner par exemple un manuel avec des lettres écrites plus gros, avec moins de lettres et plus d’images. Donc en gros, on va leur donner des mots qui sont, entre guillemets, pas intéressants, pour qu’ils puissent les lire facilement. Et ce qui est vrai, ils peuvent lire le mot. Mais un enfant haut potentiel qui a un vocabulaire plus élevé, même s’il n’arrive pas à lire, il a un vocabulaire, il a une conception du monde, il a une maturité plus importante et il a besoin de sens. On lui donne à lire le poisson rouge.
Il ne va pas rentrer dans l’apprentissage parce que ça ne va pas lui parler, ça ne fait pas sens. Et donc si vous lui donnez par contre des métaphores, une poésie avec des métaphores, le poisson rouge, ce qu’on veut, là il va rentrer parce qu’on va lui demander d’aller chercher plus loin, d’aller chercher du sens, d’aller créer du lien et d’aller réfléchir. Et là, il va pouvoir rentrer dans la lecture. Donc si on fait ça avec un enfant neurotypique, dyslexique, on va le perdre. Si on donne à un enfant haut potentiel et dyslexique juste un petit mot à lire, on va le perdre parce qu’il n’a pas d’intérêt. Donc c’est là où c’est important de prendre les deux en considération. Ce qu’on ne fait pas à l’heure actuelle ou très très peu finalement.
Clémentine
Non parce que là ça demande encore plus d’aménagement. Et de compréhension aussi.
Béatrice
Ça demande de la compréhension. Ça demande regarder les enfants et les enseignants nous disent effectivement on n’a pas le temps de faire un cours particulier à chacun, ce qui est vrai, et ça sera jamais la solution demain de faire un cours particulier en même temps à 30 élèves dans une même classe. Mais par contre l’enseignant il vit avec les enfants donc il les voit. Et s’il voit que l’enfant a des capacités, donc s’il voit à un moment donné qu’on lui donne un truc et qu’il ne le lit pas, on peut se poser la question. D’ailleurs moi j’ai vu des bulletins d’enfants où au premier trimestre il y a écrit acquis, compétence n’importe laquelle acquise, au deuxième trimestre non acquis. Mais comment c’est possible ça ? Si vous savez marcher un moment, lendemain vous savez toujours marcher.
Pourquoi un moment vous marchez, lendemain vous savez plus ? Et c’est pas écrit… Je sais pas quoi… C’est marqué non acquis. Donc on a désacquis. C’est pas possible. C’est juste pas possible. C’est que l’enfant ça lui a tellement cassé les pieds qu’il a arrêté. Par exemple, ça c’est un signe. Mais oui, ça c’est un signe effectivement. Mais je vois pas comment un enseignant peut dire, oui il sait faire et lendemain il sait plus. Ou alors il y a un problème d’évaluation. Mais ça c’est pas possible.
Clémentine
Est-ce que les enfants qui ont une double exceptionnalité peuvent être plus… Faire partie du tiers qui est en difficulté à l’école du coup ?
Béatrice
Oui ça peut.
Clémentine
Ils vont avoir plus de chances d’être dans ce tiers là.
Béatrice
Déjà quand on a un trouble neurodéveloppemental, on a plus de difficultés dans les apprentissages. Et donc quand on n’a pas les bons aménagements, effectivement on peut accentuer la difficulté.
Clémentine
Et à l’inverse, est-ce que les hauts potentiels qui n’ont pas une difficulté en plus sont ceux qu’on a vus dans notre enfance sauter des classes ?
Béatrice
Pas forcément.
Clémentine
Ok, donc ça c’est un cliché qu’on peut avoir ?
Béatrice
Oui, alors c’est vrai que dans les aménagements de l’éducation nationale, le saut de classe est souvent proposé parce que ça marche et c’est facile. Donc on mettait l’enfant dans la classe du dessus, c’est assez facile. Alors ça marche ponctuellement, c’est-à-dire que l’enfant qui a des facilités, vous le mettez dans la classe du dessus, ça va faire émulation, il faut qu’il rattrape un an qu’il n’a pas fait. Donc là, il est à fond dedans, il rattrape. Mais si on n’intervient pas, si on n’explique pas à cet enfant quel est son fonctionnement et si on ne lui donne pas des stratégies pour fonctionner en adéquation avec lui-même, et bien au bout d’un moment, ça s’arrête. Et c’est comme ça qu’on a des enfants qui sautent une classe, deux classes, trois classes, cinq classes. La plus jeune bachelière, je crois, avait 11 ans et demi.
Mais on peut. Là, moi, j’accompagne un petit garçon, il a 5 ans et demi, il est en CE1. Il a sauté deux classes, déjà. Et ça va très très mal, mais pour d’autres raisons. Et moi, j’ai dit à ses parents, j’ai dit mais… Il a ses deux papas, mais… On lui fait passer le bac, là, quand même. Faut s’arrêter. Il va passer le bac, là, tout de suite.
Clémentine
Oui, de votre point de vue, c’est pas nécessaire. Vous ne pouvez plus aménager à l’intérieur de la classe.
Béatrice
Mais qu’est-ce que fait un enfant de 11 ans une fois passé le bac ? J’en ai un compagnon qui était à 14 ans en école de commerce, mais il ne peut pas sortir avec les autres, il n’a pas les mêmes centres d’intérêt, il ne peut pas travailler, il ne peut pas faire des stages, déjà, en entreprise. C’est 16 ans minimum, ou je sais pas, pour un stage je sais plus, mais il ne pouvait pas être en alternance, donc qu’est-ce qu’il fait ? C’est pas si simple, c’est pas si simple comme question. Donc oui ça marche, mais je pense qu’il faut que ça marche avec un projet derrière.
Clémentine
Vous soulevez un point auquel je pense qu’on n’y réfléchit pas.
Béatrice
On n’y pense pas. J’ai vu des enfants qui m’ont dit, moi je ne veux pas sauter de classe, je reste avec mes copains, parce qu’il y a aussi ce lien social qui est important. Certains vous disent, oui je veux sauter des classes parce que je veux m’en débarrasser le plus vite possible de l’école. Et à ce moment-là, on voit avec eux ce qu’il peut y avoir comme projet derrière, c’est-à-dire aussi de faire, pourquoi pas, une année sabbatique à l’étranger, d’aller faire une année, je sais pas quoi, au Japon, un échange, des choses, voilà. Mais de pas aller directement dans le milieu du travail ou à l’université, de voir comment on peut remplir ce temps qui va sauter. Moi, souvent, j’arrête les jeunes, on arrête les jeunes avec… Avec le médecin en disant voilà il fait une sabbatique à la maison.
Il fait deux ans de vacances comme Jules Verne mais au lieu de rester dans sa classe il reste chez lui tranquillement à se reposer pour éviter le burn-out aussi, c’est pas pour n’importe qui on fait ça. Et il repart l’année d’après comme s’il avait sauté une classe par exemple et on évite comme ça le décalage temporel. Mais oui moi j’ai vu des jeunes qui ont refusé de sauter des classes.
Clémentine
Donc rester à la maison un an ça demande aussi de l’aménagement pour les parents.
Béatrice
Ça demande de l’aménagement pour les parents, effectivement. Mais il y en a pour qui ça fonctionne très très bien, ils repartent ensuite et ils vont jusqu’au bac et voilà. Mais c’est vrai que c’est une gageur d’aller jusqu’au bac pour les jeunes haut potentiel, pour une partie des jeunes au potentiel en tout cas. C’est pas évident.
Clémentine
Tout à l’heure vous mentionniez, pardon j’ai du mal à parler ce matin, je suis réveillée tôt, que le haut potentiel c’est une sorte de carapace qui protège, qui fait qu’on s’en sort mieux dans la vie finalement, les études montrent qu’ils vont mieux, c’est-à-dire qu’il y a moins de problèmes de maladie mentale, c’est quoi la réalité derrière ça ?
Béatrice
Une meilleure santé physique aussi et moins de problèmes de santé mentale. Oui, c’est ce que les publications nous disent, effectivement. Contrairement à l’idée reçue, qui est que tous les hauts potentiels vont mal. Donc, effectivement, ça n’empêche pas de faire une dépression, ça n’empêche pas… De la même façon, les dépressions chez une personne haut potentiel vont être plutôt existentielles, plus qu’une accumulation de choses. On n’est pas dans le même registre non plus que… Enfin, c’est pas systématique, mais qu’une personne neurotypique, par exemple. Donc…
Clémentine
On n’est plus sur une crise d’identité, c’est ça ?
Béatrice
Oui.
Clémentine
C’est bien, c’est l’objet de mon podcast.
Béatrice
C’est ça, c’est plus une crise d’identité. C’est plus ça. Ce qu’on sait c’est que, contrairement aussi à ce qu’on pense, les personnes de potentiel sont moins anxieuses. Alors à chaque fois que je dis ça, on me dit non pas du tout, vous ne connaissez absolument rien, le petit vélo qui s’arrête jamais dans la tête, c’est anxiogène. Et pourquoi d’avoir des pensées, ce serait anxiogène ? Il dépend de ce qu’on en fait ces pensées. Non mais on peut avoir des pensées anxiogènes comme on peut avoir des pensées créatrices. Donc simplement décrire j’ai des pensées donc je suis anxieux, ce n’est pas la réalité. Donc il faut voir aussi ce qui se place derrière, ce qui se joue. Pareil, moi je me souviens un jeune, les enseignants avaient écrit il est anxieux parce qu’il pose des questions. Non mais il pose des questions.
Et un autre enseignant avait dit mais non, il pose des questions parce qu’il s’implique, il est curieux, il est intéressé et il veut bien faire son boulot. Donc ce n’est pas de l’anxiété. Je ne veux pas me tromper, si je veux faire bien, ce n’est pas pareil. Voilà aussi comment on place le curseur de l’anxiété. Statistiquement aussi, les hauts potentiels ont moins d’anxiété qu’une personne neurotypique. Et ça, ça fait hurler les gens quand je le dis, mais c’est la réalité, ce n’est pas juste moi qui le dis.
Clémentine
Est-ce que les personnes qui ont un haut potentiel, avec une double exceptionnalité, ont plus de mal dans la gestion des émotions ?
Béatrice
Alors, effectivement, quand on parle de haut potentiel, c’est un débat qu’on a aujourd’hui et qui n’est pas complètement tranché scientifiquement, mais il semblerait que les personnes haut potentiel… En fait, d’être haut potentiel, ce n’est pas juste une plus grande quantité d’intelligence. C’est des plus grandes intelligences. Ce sont des gens effectivement plus intelligents, tels que mesurés au test de QI, parce qu’après, définir l’intelligence, c’est compliqué.
Mais ce sont des gens plus intelligents, avec une plus grande mémoire, une plus grande rapidité de traitement de l’information, qui sont plus à l’aise dans la complexité que dans les choses simples, qui vont faire des liens entre des choses qui ne sont pas forcément connexes, mais qui ont aussi une plus grande intelligence émotionnelle, qui ont une plus grande intelligence sociale, qui ont une plus grande intelligence écologique, qui ont des plus grandes intelligences si on va dans cette direction-là. Il n’y a pas de raison que ça soit limité à un seul type d’intelligence finalement. Et donc y compris la plus grande intelligence émotionnelle. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que ce sont des gens qui ont un plus grand registre de langage en ce qui concerne les émotions, qui ont un plus grand vocabulaire pour parler des émotions.
Ils savent mieux, alors aussi quand je dis ça, ils savent mieux identifier leurs émotions, plus ou moins. Et alors quand je dis ça aussi, pareil, les gens me disent mais vous n’y connaissez absolument rien. Une meilleure gestion de leurs émotions, paradoxalement. Pourquoi ? Parce que ça veut dire que ce sont des gens, en fait, ils sont intenses finalement, en émotion. Donc devant un brin d’herbe, baf, ils ont l’enthousiasme qui grimpe tout là-haut. Le neurotypique, ou un brin d’herbe, bon. Eux, ils sont grimpés tout là-haut. Donc, ils peuvent aussi descendre très bas. Mais ils descendent très bas, mais ils savent aussi que lendemain, ils vont remonter. Ils vont se coucher sous la couette toute une journée, lendemain, c’est fini, c’est passé. Et moi, je pense à une jeune fille qui était venue avec ses parents, parce qu’elle faisait le yo-yo émotionnel.
Je lui ai dit, mais de toute façon, tu sais bien, demain, c’est fini. Donc je sais, il n’y a pas de sujet. Et quand ils sont là-haut, en émotion, ils vont quand même faire ce qu’il y a à faire dans la situation donnée. Moi j’ai des gens, j’en ai tout le temps, je me souviens une femme qui est venue me voir et elle me racontait avec une amie infirmière, elle était au square et il y a un enfant qui tombe. L’enfant de l’infirmière, elle s’est figée, elle n’a pas su quoi faire. C’était son petit-neveu, mais peu importe. Donc elle s’est figée. Et le dame, qui n’était pas du tout infirmière, elle a fait les premiers sons et elle est partie. Elle a fait ce qu’il fallait. Donc ça veut dire une personne au potentiel elle-même a là-haut dans son émotion.
Là, ça devient le guerrier qui dépote. Les émotions, on les tient à distance, il n’y en a plus. Et on fait ce qu’il y a à faire. Et donc paradoxalement, c’est ça, quand on parle de meilleure gestion des émotions, un neurotypique au même seuil d’émotions, il ne sait pas faire, ce qu’il n’a pas non plus l’habitude de faire avec cette quantité d’émotions. Le potentiel, il a l’habitude, il vit dans sa peau, il est sujet toute la journée des hauts, des bas, le brun d’herbe, le machin… La remarque sur Internet qui tue et on peut aller se mettre dans la poubelle parce qu’on n’en peut plus. Mais voilà, c’est toute la journée. Mais au fil du temps, ils ont appris à faire avec, finalement.
Et donc, paradoxalement, la sensibilité, on n’a pas dit, mais l’hypersensibilité, l’empathie, les valeurs, ça fait partie de cette intelligence émotionnelle, finalement.
Clémentine
La capacité de réagir dans des moments de grand stress et d’être très efficace, ça fait aussi partie du TDAH, de ce que j’avais lu, ou c’est lié qu’au HPI ?
Béatrice
Pas forcément. Alors ça peut être lié à plein de personnalités finalement, mais on constate ça fréquemment chez les hauts potentiels, effectivement.
Clémentine
Est-ce qu’il y a un cliché aussi qui me vient en tête des hauts potentiels chez les enfants ? Ce sont des enfants qui sont passionnés par les dinosaures, par ce monde-là. Est-ce que c’est un cliché ou il y a une réalité derrière ça ?
Béatrice
Alors les dinosaures pas forcément mais ce sont des enfants qui s’intéressent à plein de choses effectivement et qui posent des questions et qui se posent des questions. Donc il y a les dinosaures, dans les clichés, les dinosaures, la préhistoire, les planètes. Et on va ajouter la métaphysique avec la mort, parce que souvent à 4 ans il y met la mort, les questionnements au moment de se coucher évidemment, sinon c’est pas drôle, pour les parents c’est pas drôle. Donc ce sont des sujets, et contrairement aux troubles du spectre autistique, ce sont des sujets qui vont évoluer. Ils vont pas rester sur un seul sujet figé, ils vont passer de l’un à l’autre, ils en ont pas que 1 ou 2 ou 3.
Et à un moment ça va être peut-être les dinosaures, à un moment ça va être les animaux de la ferme, à un moment ça va être la préhistoire, ça va être les planètes, ça va être un peu la mort des Égyptiens, etc. En fonction de ce qu’ils découvrent autour d’eux finalement.
Clémentine
De quoi ils se nourrissent en fait.
Béatrice
Et ce sont vraiment des enfants qui ont cette curiosité, cette ouverture d’esprit plus que de la curiosité et qui s’intéressent à tout finalement.
Clémentine
Et c’est différent donc, vous le disiez, d’enfants qui sont sur le spectre autistique. Est-ce que vous pouvez définir déjà pour que tout le monde comprenne bien et quelles sont les caractéristiques ?
Béatrice
Alors dans le spectre de l’autisme, on a en fait deux critères diagnostiques principaux qui sont les troubles des interactions sociales et les intérêts spécifiques. Alors souvent on nous parle de sensorialité, c’est pas un critère obligatoire. Donc les deux critères obligatoires sont les troubles des interactions sociales et, encore une fois, les intérêts spécifiques. Mais, chez les personnes haut potentiel, on peut se dire qu’ils ont des intérêts spécifiques: les dinosaures. Sauf que, de manière très caricaturale et un peu réductrice, et je m’en excuse pour les gens dans le spectre de l’autisme, mais réductrice, les personnes au potentiel vont aller au fond des choses, ils ne vont jamais s’arrêter. La personne autiste va plutôt, entre guillemets, tourner en boucle, finalement. En évoluant aussi. Donc on n’est pas sur le même registre.
J’avais un petit garçon comme ça que j’accompagnais, qui était double exception dans le spectre autistique, et il était fan de foot. Mais pas les cartes des joueurs qui s’échangeaient et ils pouvaient pas en parler avec les copains parce que lui, il avait un livre de scores de matchs de foot. Et son livre, il le tournait en boucle. Les scores des matchs de tous les pays. Il pouvait vous dire en 2022, en Australie, tel jour, telle heure. Et ça, les copains, ça les intéressait absolument pas, ils voulaient échanger les cartes. Et lui, les joueurs, la tête, les cartes, machin, ça l’intéresse pas du tout. C’était vraiment tourné en boucle sur son livre. C’était son livre de chevet, le score de foot. Donc sur les intérêts spécifiques, on n’est pas exactement sur le même registre. Et sur la communication non plus.
Donc comme je disais tout à l’heure, les personnes haut potentiel ont beaucoup de mal avec les petites conversations fatigues. C’est pas très intéressant. Parce que c’est pas enrichissant, ça apporte pas des connaissances. On parle d’une métaphysique, de dinosaures, de n’importe quoi, d’un sujet que vous connaissez pas. Ça d’accord. Parler de qu’est-ce que t’as fait aujourd’hui ? Oh mais il pleut, j’ai mangé ça, et puis les couches du petit dernier… Ça apporte rien, donc pour eux c’est compliqué. Mais ils peuvent le faire parce que c’est intéressant dans le sens où ça a un intérêt pour la personne avec qui ils interagissent.
Clémentine
Sur la relation.
Béatrice
Sur la relation, exactement. Alors que moi je recevais à un moment donné une personne dans le spectre autistique qui connaissait les anniversaires des gens, voilà. Il vous dit je sais pas quoi, ton anniversaire c’est le 1er février. Et le 1er février, ton anniversaire, c’est le 1er février. Il ne va pas vous dire bon anniversaire. Parce que le bon anniversaire ensemble, ça ne veut rien dire. Et si on réfléchit systématiquement, ça ne veut rien dire. Un bon anniversaire, bonne date de naissance, ça ne veut rien dire. Et donc vous avez beau lui expliquer, oui mais c’est police, machin, ça ne veut rien dire. Donc t’es né aujourd’hui, pauvre, c’est tout. T’es né le 2 février et… Et ça s’arrête. Même pas l’idée que c’est… C’est pas un jour spécial, finalement.
Et donc c’est plus de ce registre-là des interactions sociales pour qui les codes n’ont pas de sens, finalement. Ou ont trop de sens, on pourrait dire, peut-être.
Clémentine
Sans compréhension de l’enjeu de nourrir une relations.
Béatrice
Oui, de l’enjeu social. J’accompagne une jeune femme, elle est au potentiel des troubles de spectre autistique, et quand elle va au restaurant, donc elle a des problèmes aussi avec l’alimentation, c’est très compliqué, c’est souvent quelque chose qu’on voit. Dans le spectre autistique mais qui n’est pas un critère mais qu’on voit régulièrement. Et donc manger pour elle c’est très compliqué parce que elle mange la même chose, le lundi c’est tel truc, le mardi c’est tel truc, il faut que le couvercle soit comme ça, qu’il y ait tant de quantités, ça s’approche un peu du toc aussi, c’est obsessionnel compulsif. Et donc aller au restaurant pour elle c’est compliqué. Mais elle veut bien y aller ! À condition de ne pas manger. Et ses amis ne comprennent pas. Et elle ne comprend pas pourquoi ses amis ne comprennent pas.
Et donc ça crée des dissensions parce qu’elle a perdu ses amis en disant « mais tu es au restaurant et tu nous regardes manger, ça se fait pas ». Mais pourquoi ça se fait pas ? Pourquoi ça se fait pas ? Moi je peux pas manger, mais j’aime bien passer des moments avec toi même si c’est compliqué, donc pourquoi ça se fait pas ? On n’est pas sur le même registre.
Clémentine
En fait, nous, on n’est pas très ouverts, au final.
Béatrice
Non, on n’est pas… C’est vrai que les autistes sont des gens très, très… Enfin, comme je disais tout à l’heure, il y a trop de sens, peut-être, ce sont des gens qui sont…
Clémentine
Ils n’ont pas de normes, ils s’en fichent.
Béatrice
Non, ils s’en fichent. Pour eux, la norme n’a pas de sens. Donc, c’est là où c’est compliqué. Donc, ils sont ouverts, au final.
Clémentine
Ils acceptent la différence.
Béatrice
Exactement.
Clémentine
Contrairement à nous qui sommes enfermés…
Béatrice
Plus enfermés, oui. C’est vrai.
Clémentine
Et donc, dans le spectre, vous disiez tout à l’heure, Ça va de quel point à quel point ?
Béatrice
Ça va d’un point où à la plus grande difficulté on a des personnes qui ont des troubles psychomoteurs et des handicaps physiques et qui sont défiscientes intellectuelles et à l’autre extrémité on a des gens pour qui de l’extérieur on ne voit pas grand chose finalement et c’est là où ça devient compliqué à poser un diagnostic d’ailleurs. Il faut bien voir quand on parle aujourd’hui du spectre autistique, on en parle beaucoup, Il y a des gens qui disent, oui mais en fait moi je suis autiste mais je suis mal diagnostiqué, les gens ne savent pas dire. Oui mais les gens ne savent pas dire parce que comme la majorité des personnes dans le spectre autistique sont à la limite de la déficience intellectuelle ou en tout cas en dessous de la moyenne.
Et quand on parlait avant d’Asperger qui est une terminologie qui n’existe plus, On disait autiste de haut niveau, ça voulait dire autiste qui n’avait pas de déficience intellectuelle, c’est-à-dire autiste avec un QI de plus de 70. Donc la norme du QI c’est 100, déficience intellectuelle c’est en dessous de 60, et haut potentiel c’est au-dessus de 130 en France. Donc on disait autiste de haut niveau à QI de plus de 70. Et ça a été confondu avec des personnes haut potentiel finalement, ce qui n’est pas du tout la même chose. Et donc la majorité des personnes dans le spectre autistique sont plutôt dans la moyenne ou la moyenne basse de l’intelligence finalement.
Et donc on a aujourd’hui trois catégories, enfin trois degrés d’autisme finalement dans le spectre, des gens qui ont, c’est écrit comme ça dans les critères diagnostiques, besoin de beaucoup d’aide, critère 3, moyennement d’aide et un peu d’aide. Mais il n’y a nulle part écrit, et c’est là où personnellement ça me pose problème quand on parle de l’autisme, il n’y a pas écrit personne qui n’a pas besoin d’aide. Et donc quand on voit aujourd’hui tous ces diagnostics qui fleurissent, Il faut savoir que dans le spectre de l’autisme, on est parti d’une prévalence de 1 sur 1000, 1 personne sur 1000. Aujourd’hui, on est à 1 sur 50. Oui.
Clémentine
1 sur 50 ?
Béatrice
1 sur 50. Et honnêtement, moi, je connais, je peux faire les pré-diagnostics, les pré-bilans. J’adresse systématiquement aux consultations spécialisées, les centres de diagnostic d’autisme, parce que c’est trop complexe. C’est trop complexe. Je ne sais pas comment… Je ne saurais pas repérer tous ces gens-là. Donc effectivement, il y a des critères. Ce sont des gens qui peuvent être très fatigués parce qu’ils masquent toute la journée. Ce sont des gens qui ont beaucoup d’anxiété, qui ont besoin de beaucoup de rituels. Mais tout ça, ce n’est pas les critères diagnostiques purs et durs finalement. Donc une personne sur 50 aujourd’hui.
Clémentine
Pourquoi ça a baissé ? Il y a eu…
Béatrice
Il y a eu une meilleure connaissance du trouble. C’est un trouble qui a beaucoup été étudié dans les dernières décennies, donc on a une meilleure connaissance. Il y a une meilleure connaissance aussi du milieu médical. Aujourd’hui, il faut savoir que chaque médecin généraliste, dans le plan TND 2024 du gouvernement, troubles neurodéveloppementaux du gouvernement, doit passer des bilans. Je ne sais plus les âges, mais ça doit être 6 mois, 9 mois, 1 an, 3 ans, 5 ans… Régulièrement dans les visites de contrôle, ils doivent faire ces bilans-là, donc ils ont des cahiers à remplir pour adresser ensuite aux plateformes d’orientation des taux neurodéveloppementaux le cas échéant. Ce qui n’était pas le cas jusque très récemment. Donc aujourd’hui les médecins généralistes et médecins tout court, pédiatres, sont mieux formés et donc ont une meilleure connaissance des critères diagnostiques pour orienter ensuite vers les bonnes personnes.
Donc je pense qu’il y a ça aussi. Après, honnêtement, moi je suis un peu perplexe.
Clémentine
Sur le chiffre ?
Béatrice
Le chiffre, il est celui-là dans le monde entier. Mais moi je ne saurais pas définir la personne chez qui on ne voit rien. Je trouve que c’est très très compliqué. Parce que ce télescope, encore une fois, avec des critères, des signes de haut potentiel, Il faut bien voir quand on est à cette extrémité-là, on a souvent des personnes qui ont cette double exceptionnalité et qui vous disent, moi je suis… Déjà ils me disent, moi je suis haut potentiel, je suis dans le spectre autistique, je suis trouble de l’attention et je suis multi-dys.
Clémentine
Donc là c’est plus des 2 E, c’est sur 4-5 E.
Béatrice
Mais qui fonctionnent très bien, qui sont entreprise, avec des postes à responsabilité, qui sont avec des familles, qui sont… Il y a un des critères qui est notifié dans le manuel diagnostic qu’on a, c’est qu’une personne dans le spectre de l’autisme, normalement, avec des bémols et des guillemets, ne peut pas tisser de liens sociaux. Et donc quand vous êtes, ça pose la question, quand vous avez plein d’amis, même si on vous dit que c’est difficile avec les amis, ça me demande des efforts.
Clémentine
Si vous avez une famille ?
Béatrice
Oui, moi je ne sais plus trop comment me situer entre les critères purs et durs, la réalité de l’expérience et la réalité clinique. C’est très très compliqué.
Clémentine
D’accord. Et les autistes, ceux qui sont sur le spectre autistique avec un QI bas, souvent il y a l’incapacité de parler, de communiquer. Ça va ensemble ?
Béatrice
Alors certains arrivent à parler ou à parler minimalement, certains sont non-verbaux effectivement. Mais moi j’ai une amie qui dirige un centre de jour pour les autistes et quand elle voit tout ce dont on parle aujourd’hui, elle ne reconnaît pas les gens qu’elle accueille. Et quand on dit qu’il faut qu’ils puissent travailler, oui effectivement, il faut qu’ils puissent travailler s’ils en ont la capacité pour elles. Elle me dit, moi dans toute ma carrière j’ai eu une seule jeune fille qui était capable d’aller travailler. Donc on parle pas des mêmes, quand on vulgarise aujourd’hui, quand on en parle un peu, voilà, on parle pas peut-être de la majorité de ces personnes qui n’ont pas la capacité d’aller travailler. Ou d’être dans un milieu général finalement.
Clémentine
Ces personnes-là qui sont sur le spectre, d’un côté en tout cas, eux ne sont pas dans une double exceptionnalité aussi ? Ils peuvent aussi avoir…
Béatrice
Non, non, ils ne sont pas dans une double exceptionnalité. Oui, le trouble de l’autisme, ça s’accompagne souvent. De comorbidité, de dyslexie, troubles de l’attention, anxiété, dépression, d’autres pathologies, oui. C’est rarement…
Clémentine
Mais pas associé au haut potentiel ?
Béatrice
Non, non, pas associé au haut potentiel mais associé à d’autres pathologies, oui.
Clémentine
Du coup c’est quoi les troubles dys ? Pour ceux qui connaissent pas du tout.
Béatrice
Alors les troubles dys ça va être la dyslexie, la dysgraphie, la dysorthographie, la dyscalculie… Ce sont des difficultés. Alors schématiquement un enfant dyslexique va confondre les B et les D, les P et les Q. On peut dire que tous les enfants à un moment donné confondent ça.
Clémentine
Les T et les D ou non ?
Béatrice
C’est pas celui-là ? C’est surtout les B et les D. C’est les lettres qui se ressemblent un peu. Le 5 ils vont le faire dans l’autre sens. Mais ça, à priori, tous les enfants font ça à un moment donné dans leur scolarité, dans leur apprentissage. Donc c’est pour ça que souvent on dit qu’on ne pose pas de diagnostic de dyslexie avant au moins le CE2 quand même. Bon, pour être sûre qu’on est… Alors voilà, plus ou moins. Donc ce sont des enfants pour qui les lettres vont se mélanger. Même s’ils connaissent les lettres, ils lisent un texte et c’est un peu comme si tout s’envolait. Et puis toutes les lettres sont éparpillées devant d’eux. Qu’est-ce que je fais ? Ça devient mouvant. Donc c’est compliqué de lire quand tout est mouvant, finalement. Donc c’est pas une question de capacité intellectuelle, c’est une question de… De voix neurologiques qui traitent la lecture et qui ne vont pas traiter les lettres de la même façon finalement. Donc ça nécessite une prise en charge orthophonique principalement pour arriver à… Mais on y arrive très très bien.
Clémentine
Donc ça c’est être dyslexique.
Béatrice
Alors dysgraphie, c’est pareil, c’est les lettres qui vont se mélanger. Dysorthographie, les lettres quand on écrit, ça va être compliqué de…
Clémentine
Les mettre dans le bon sens, dans le bon ordre.
Béatrice
La dysorthographie, c’est que l’orthographe, vous avez beau apprendre les règles d’orthographe, ça ne rentrera jamais.
Clémentine
Et ça vient ensemble avec la dyslexie ?
Béatrice
C’est pas forcé, pas forcément. Et puis la dyscalculie, pareil, c’est les chiffres qui vont se promener, qui n’ont pas de sens. Mais ça, avec les prises en charge orthophoniques, ça marche très très bien. On a des belles rééducations.
Clémentine
C’est un trouble qui se… Oui, alors.
Béatrice
Il faut savoir que quand on parle de troubles neurodéveloppementaux, ce sont des neurodéveloppementaux, il y a un neuro dedans, ça veut dire que c’est neurologique finalement. Ça veut dire que le cerveau va avoir un développement différent de celui des neurotypiques. Et c’est bien pour ça que quand on pose des diagnostics, il faut vérifier que c’est présent depuis l’enfance. On ne devient pas trouble de l’attention, on ne devient pas dyslexique, on ne devient pas haut potentiel. Ce n’est pas un trouble neurodéveloppemental, mais c’est un développement neurologique différent aussi. On ne le devient pas, on vient au monde comme ça, un peu comme si vous venez au monde avec un bras en moins. Votre bras, il n’est pas en moins à l’école, il est là à la maison. Si vous n’avez pas de bras, vous n’avez pas de bras. C’est simple ce que je dis là, mais parce que souvent on nous dit oui mais… Où c’est apparu plus tard ? Non, c’est pas apparu plus tard, c’est neurodéveloppemental, c’est là depuis toujours. Alors effectivement, quand on a la double exception, c’est masqué et les diagnostics sont posés plus tard parce que souvent les deux s’interpénètrent et qu’on a du mal à séparer l’un de l’autre justement, comme je disais tout à l’heure. Donc le diagnostic est souvent posé plus tard, mais de toute façon c’est présent dès l’enfance. Ça ne peut pas ne pas l’être.
Clémentine
Est-ce que ça amène en revanche vraiment des soucis très concrets d’avoir un HPI, un TDAH ou d’avoir… Des problèmes neurodéveloppementaux ou est-ce que parce que justement il y a un haut potentiel on peut s’en sortir sans souci ?
Béatrice
Non, non, on peut s’en sortir sans souci d’abord parce qu’encore une fois le haut potentiel c’est quelque chose qui dépasse une pathologie d’une part et ça veut dire que les personnes qui ont un trouble neurodéveloppemental et qui sont haut potentiel on va s’appuyer sur les forces du haut potentiel pour diminuer justement les problématiques liées au trouble. Et ça marche très très bien. Donc il n’y a vraiment pas de raison de ne pas y arriver, de ne pas s’en sortir, de faire des études si les gens le veulent, ça il n’y a aucun souci là-dessus. Par contre on va mettre en place des stratégies qui vont peut-être être un peu différentes. Une personne qui a un trouble de l’attention par exemple a besoin de bouger, de faire des trucs. Donc pourquoi aussi on va lui donner une balle anti-stress par exemple ?
Parce que ça lui permet de… Comment dire ça ? Le trouble de l’attention, ce sont des personnes qui finalement, avant, il y a longtemps, quand on n’avait pas encore cette grande connaissance, on disait on donne un petit peu de café le matin, une petite cuillère de café aux enfants.
Clémentine
Ah ouais ?
Béatrice
Oui. Parce qu’en fait, c’est comme s’ils n’avaient pas assez dormi, ils étaient un peu en sous-régime. Et vous savez, quand on n’a pas dormi, on est sur les nerfs tellement on est fatigué. Et donc on prend une petite caféine pour se… Paradoxalement, on est sur les nerfs, on est comme ça quand on n’a pas dormi, on n’est pas bien. On prend une petite caféine et ça apaise. Donc c’était un peu ce principe-là.
Clémentine
Ça marche pas, non ?
Béatrice
Si, ça marche.
Clémentine
Ouais, je bois pas de café, donc je pourrais pas vous dire.
Béatrice
Ça marche. C’était ce qu’on disait, ce que disait le professionnel de santé il y a 20 ans. Et si, ça avait des résultats. Et donc le principe, c’est de redonner de l’activité quand on est en sous-activité, par exemple. Donc vous tripotez votre balle et ça vous permet de reconcentrer votre cerveau, finalement, par exemple.
Clémentine
C’est les fidgets.
Béatrice
Ouais, les fidgets.
Clémentine
Ça marche bien.
Béatrice
On a les fidget, les choui fidget, les machins à mâchouiller, ce qui permet de… Donc ça c’est facile de mettre en place dans une classe. Et les enseignants sont assez partisans de ça, ça ne dérange pas beaucoup. Finalement le crayon qui fait comme ça toute la journée, il préfère la balle à… On peut mettre aussi un élastique, comme l’élastique a sauté autour des barreaux d’une chaise et comme ça l’enfant il peut bouger les pieds dessus. Donc il y a des choses assez faciles à faire. Alors ce qui est vrai quand on est aussi haut potentiel, par exemple un jeune qui a un trouble de l’attention va réussir à mieux se concentrer s’il met un bruit blanc. Le bruit blanc c’est la radio qui est déglinguée. Donc ça pour le jeune TDAH ça marche bien.
En général le jeune haut potentiel ça le fait sauter dans les murs et ça le crispe. Par contre le jeune haut potentiel il met de la musique et ça l’aide. Et donc c’est là où il faut trouver l’équilibre entre les deux. Pourquoi ça aide le jeune haut potentiel ? Souvent on dit que les hauts potentiels ont un trouble de l’attention, mais en fait pas du tout. Ce qui va avec le haut potentiel aussi, je disais tout à l’heure, c’est une plus grande intelligence émotionnelle et aussi une plus grande sensorialité. On parle souvent d’hypersensorialité. Ça veut dire que leurs sens, on dit c’est œil de linx, c’est mémoire d’éléphant, mais ils ont les sens en permanence aux aguets. Et donc ce qui fait qu’ils voient en vision périphérique. Donc là ils voient en vision périphérique passer, je sais pas quoi, une voiture.
Mais dessus, il va se greffer un flux de pensées. Et donc, oui, une voiture, il faut peut-être que je change de voiture. Mais la voiture électrique, c’est peut-être pas mal. Oui, mais alors les batteries faites par les petits Chinois, non, c’est pas terrible. Mais alors le vélo, mais quand il pleut. Et comment on recycle ? Oui, mais le bus, mais ça sent pas bon. Et le métro, mais c’est tout le temps en panne ce trucs là. Et donc, quand vous faites ça, vous avez créé un flux de pensée. C’est la pensée aussi par association d’idées qui fait que vous avez oublié votre dossier. Maintenant, et moi quand je dis ça les gens savent, mais ça marche à tous les coups, vous mettez votre téléphone à côté, avec vos oreillettes, et vous avez un film que vous connaissez par cœur. Voilà.
Quand vous êtes en train de traiter votre dossier, à un moment le cerveau il a besoin de s’arrêter, il fait une pause. Donc soit il va regarder ce qui se passe dans la rue et là il est parti, parce que c’est intéressant, en même temps ça pose des questions, soit, un peu les œillères du cheval, je suis dans mon dossier, je sais que je vais faire une pause, j’y vais là. Ça je le connais par cœur. Donc je reste dessus, c’est pas intéressant, et bam, je reviens.
Clémentine
C’est une stratégie pour pas partir dans une pensée…
Béatrice
Exactement, c’est une stratégie pour pas partir, et la musique de la même façon. Et c’est ce qui permet de rester concentrée sur son dossier. Un neurotypique, s’il fait ça à lui, il regarde son film, et ça marchera pas. Une personne qui a un trouble de l’attention risque aussi de rester dispersée dessus. Donc quand on a les deux, faut jongler entre…
Clémentine
Trouver la bonne stratégie.
Béatrice
Trouver la bonne stratégie, effectivement. Qui correspond à cette personne donnée, et pas à toute. Mais effectivement, quand je dis ça, moi j’ai des gens, ils sont au boulot, ils regardent, moi j’ai une jeune femme, elle est chercheure, elle regarde Tintin ou Astérix, elle connait par cœur.
Clémentine
Et après, hop, elle re-switch sur son travail.
Béatrice
Oui, ça marche super bien.
Clémentine
A tester chez vous si vous écoutez, si vous avez besoin de stratégie. Est-ce que le haut potentiel est héréditaire ?
Béatrice
Il y a une composante. Il y a une composante héréditaire, il y a une composante environnementale. Donc ça veut dire que, comme le trouble neurodéveloppemental, il y a une composante héréditaire, génétique, et une composante pour le potentiel environnemental, ça veut dire que si vous êtes dans un environnement favorisant où vos parents vont répondre à vos questions, vont vous parler des planètes, vous emmènent au planétarium, si vous parlez de je sais pas quoi, vous montrent à une pièce de théâtre, vous emmènent voir une expo, même virtuellement, si on n’a pas beaucoup de sous pour aller au théâtre tous les jours, voilà, vont un peu nourrir votre curiosité. Là, votre potentiel va s’exprimer.
Si vous êtes dans un environnement où il n’y a pas tout ça, pour mille raisons, pour des raisons d’éducation, de parents qui n’ont pas compris ce que c’était, qui ne veulent pas, qui n’ont pas de sous, tout ce qu’on veut, le potentiel ne va pas s’exprimer. Et donc on sait que, entre guillemets, le gène de l’intelligence peut être bridé jusqu’à 60% par l’environnement.
Clémentine
Oui ! C’est un sacré chiffre quand même.
Béatrice
C’est beaucoup.
Clémentine
Oui, c’est beaucoup.
Béatrice
Mais moi je reçois beaucoup de gens qui sont non pas bridés mais qui sont, moi je dis toujours, à l’envers d’eux-mêmes. Parce que le fonctionnement haut potentiel c’est très différent, c’est l’intuition aussi, c’est cette intelligence intuitive, j’en ai pas parlé mais c’est beaucoup l’intelligence intuitive et notamment pour les jeunes certains à l’intuition mathématique qui ont le résultat, ils savent pas par quel chemin… Ils font leurs calculs d’une façon qui n’est pas tout à fait académique, mais ça marche. Et ça marche, moi j’en ai vu qui était en école d’ingénieur, et voilà, ils avaient les équations triple degré, triple intégrale, et ce que vous voulez, ils regardent, et baf, ils ont le résultat. Ils arrivent au milieu. Voilà, c’est pas la boule de cristal, c’est qu’il y a les connaissances dans le cerveau va les assembler autrement, et ça donne le résultat.
Et donc si on ne vous accompagne pas dans cette direction-là non plus, dans cette singularité-là, à un moment donné, vous fonctionnez comme un neurotypique, et c’est là où ça devient lourd et ça devient pesant, et l’environnement il a aussi ce rôle à jouer, et ce rôle éducatif, je pense, de prendre en considération les singularités en termes de raisonnement. Et souvent, quand on parle de haut potentielle, On parle de plus grande intelligence, on dit bah c’est des enfants plus intelligents, mais ils sont comme tout le monde, ils sont juste plus intelligents. Non, ils sont intelligents autrement.
Clémentine
J’aime bien cette phrase, ils sont intelligents autrement. Vous terminez le livre en disant que vous espérez surtout qu’un jour on n’ait plus besoin de mettre des étiquettes comme ça, parce que évidemment ça aide d’être diagnostiqué, ça donne une feuille… Une feuille de route, un point de départ en tout cas, mais que vous espérez un monde où la différence n’a pas son importance au final.
Béatrice
Oui, tout à fait. Tout à fait, parce qu’on sait par exemple entreprise qu’une équipe qui est neurodiverse, qui comporte des membres de toutes sortes, va être beaucoup plus efficace, jusqu’à 150% d’efficacité. Donc la neurodiversité elle a toute sa place, ou la diversité tout court a toute sa place. Pourquoi je dis ça ? Parce que les étiquettes, aujourd’hui, on fonctionne avec une étiquette et c’est important. Un enfant qui n’a pas une étiquette, on ne va pas lui proposer d’aménagement, ce qui est un peu légitime pour les enseignants, pour légitimer aussi les accompagnements qu’ils vont proposer. Mais dans le fond, c’est juste l’ouverture, l’étiquette. Et quand je reçois des personnes haut potentiel, notamment, ils me disent mais pourquoi vous voulez que je fasse le test ? Moi je ne veux rien du tout, moi je n’ai pas besoin du test pour vous accompagner.
Ce qui est important c’est votre fonctionnement, vos singularités. Vous expliquez dans un premier temps que vous avez de l’intuition, comment ça marche l’intuition ? Comment on peut s’appuyer dessus, c’est super efficace l’intuition quand on l’écoute vraiment. Comment on peut produire un raisonnement de cette façon-là ? Pourquoi, en tant qu’haut potentiel, vous faites tout au dernier moment et c’est super efficace plutôt que de vous y coller trois mois d’avance ? Pourquoi, si vous n’avez pas de motivation ni d’idée géante, vous aurez du mal à faire les choses ? Et ça, ça permet de se l’approprier et ensuite de fonctionner à sa façon. Donc si on n’a pas, aujourd’hui en tout cas, l’étiquette, ça ne nous permet pas de dire aux gens, vous êtes ci, vous êtes ça, ou ça leur permet pas.
Moi personnellement, si les gens me disent, bah j’ai de l’intuition, bah d’accord, on va dans cette direction-là. J’ai pas besoin d’avoir un tampon pour ça. Et à un moment donné, simplement de regarder les gens tels qu’ils sont, moi ça me semble… Si dans une entreprise, vous voyez quelqu’un qui effectivement arrive en réunion, les mains dans les poches, mais il déroule sa présentation parce qu’il connaît tout par cœur, il a pas son machin qui suit, bah c’est pas grave, ça marche. S’il vous donne une stratégie, au début vous dites, mais comment tu fais ça ? Bah je sais pas. Oui mais c’est vrai, déjà la dernière fois ça a marché, donc on va essayer de te faire confiance. Par contre, si tu peux s’il nous serait quelques petits éléments pour nous dire pourquoi il faut aller là.
Voilà, on le sait, ça marche, les gens ils sont pas neuneux, ça se voit quand même. Et ça se voit si on accepte de regarder. Mais on regarde aujourd’hui majoritairement, alors ça change en fonction de cette norme neurotypique, même si elle n’existe pas. Et on dit, bah quelqu’un qui est en train d’écouter de la musique dans son travail, Si vous mettez votre film en même temps que vous travaillez, on dirait que celui-là, il tire au flanc. Alors que maintenant, il est beaucoup plus efficace. Et ça se voit qu’il est plus efficace, finalement. Il ne faut pas demander à tout le monde de faire pareil, il faut simplement laisser les gens être dans leur domaine d’efficacité, tout simplement. Et c’est pour ça que j’aimerais qu’un jour, on ait plus besoin de ces étiquettes et que chacun puisse être à sa place.
Une personne qui a un trouble de l’attention, les études nous disent qu’ils sont plus créatifs, les gens disent lexique, tous les troubles neurodéveloppementaux sont en général plus créatifs. La personne dans le spectre d’autisme, c’est merveilleux, les autistes, parce qu’ils n’ont aucune restriction. Alors effectivement des fois ça peut paraître un peu chiffonnant s’ils baissent leurs pantalons il y a de la rue, ce qui peut arriver parce que bon il n’y a pas de… Voilà. Mais ça ils peuvent l’apprendre quand même. Mais ce sont des gens, ils posent les bonnes questions finalement, à quoi ça sert de dire ça, pourquoi on va faire ci, pourquoi je peux pas aller au restaurant si je veux pas manger dans le fond. Effectivement dans le fond pourquoi ? C’est l’autre que ça gêne, c’est pas soi finalement.
Donc c’est tout ça et je pense que c’est une grande richesse et encore une fois les entreprises y gagnent et tout le monde y gagne finalement parce que…
Clémentine
Quand on bouleverse les normes, ça enrichit, vous avez raison.
Béatrice
Je sais pas si je bouleverserais les normes mais je trouve que la richesse c’est plus riche tout simplement.
Clémentine
Merci beaucoup.
Béatrice
Merci à vous.
Clémentine
Pour ce long entretien où j’ai appris plein de choses, j’ai compris plein de choses. J’espère que ça vous a aidé en tant que parent ou même vous-même en tant qu’adulte parce on diagnostique encore tard.
Béatrice
Mais tout à fait.
Clémentine
Il n’est jamais trop tard pour avoir une autre feuille de route et pouvoir suivre son intuition. J’aime vraiment ce que vous dites sur ça parce que ça redonne le pouvoir aussi à la personne. Oui, tout à fait.
Béatrice
Ce qui est important, c’est d’être en phase avec soi-même, c’est d’être aligné avec son fonctionnement, avec ses valeurs. Il faut s’autoriser à être soi-même et s’enfermer dans une étiquette, ça ne permet pas. Donc les étiquettes, c’est pour s’en abstraire finalement qu’on les pose.
Clémentine
Merci Béatrice.
Béatrice
Merci à vous.