C’est un sujet que vous m’avez demandé maintes et maintes fois. Un sujet qui vous interpelle, un sujet qui vous préoccupe surtout.
Comment élever des garçons dans le monde d’aujourd’hui ? Comment en faire un allié et non un agresseur ?Je sais le terme est fort mais c’est vraiment une question sous jacente pour beaucoup de parents.
Pour répondre à cette question cruciale, j’ai demandé à Aurélia Blanc, journaliste et autrice, entre autres, du livre Tu seras un homme féministe mon fils, paru en 2018 de nous éclairer.
Aurélia je l’ai interviewé plusieurs fois et j’ai trouvé primordial au vu du contexte actuel, de revenir sur ce livre qui a maintenant 7 ans.
Dans cet épisode on est allées comprendre pourquoi cela inquiète les parents et surtout les mères d’élever un garçon.
On a voulu montrer qu’on a besoin d’avoir à nos côtés des garçons qui sont capables d’exprimer leurs émotions, mais aussi capables de se mettre à la place des autres pour capter cette empathie dont on parle tant.

Existe-il une recette magique? Est-ce qu’on peut vraiment influencer nos garçons ?
La réponse dans cet épisode passionnant.
LIENS UTILES
Tu seras un homme féministe mon fils, Aurélia Blanc
Tu seras une mère féministe ! Manuel d’émancipation pour des maternités décomplexées et libérées, Aurélia Blanc
🗣️ AU PROGRAMME
📚 Contexte et motivation du livre (00:13 – 05:26)
👩👦 Défis et pressions parentales (04:05 – 16:22)
🎨 Stratégies d’éducation non-genrée (17:42 – 21:52)
💖 Éducation émotionnelle et empathie (25:01 – 39:44)
👨👦 Rôle des pères (41:13 – 46:31)
⚠️ Défis contemporains (48:06 – 52:30)
🌈 Message d’espoir et recommandations (58:08 – 59:38)
TRANSCRIPTION
Clémentine Sarlat
Salut Aurélia !
Aurélia Blanc
Salut Clémentine !
Clémentine Sarlat
Merci, je suis ravie de te recevoir pour la deuxième fois et en vrai, ça fait plaisir d’être face à face. C’est quand même vachement mieux. Cette fois, j’avais envie de t’interviewer sur ton premier livre que tu as sorti en 2018. Parce qu’en fait, c’est un sujet qui revient très fortement aujourd’hui. Comment élever un petit garçon de manière féministe ? Il y a une grosse pression autour de cette thématique-là. En tout cas, moi, on me la demande très souvent.
Mais d’abord, est-ce que tu peux nous raconter ce qui t’a poussé à écrire ce livre ? Quel a été ton déclic en 2018?
Aurélia Blanc
Mon déclic, en fait, c’est que c’est quand j’ai été enceinte de mon premier enfant, donc je ne connaissais pas le sexe. Mais au fil de la grossesse, il y a eu un moment où j’ai eu l’intuition très forte que cet enfant allait être un petit garçon. Donc ça s’est révélé le cas à la naissance. Et pendant cette grossesse, en fait, ça m’a beaucoup secoué cette perspective d’élever un garçon. Déjà parce que moi, sur le plan personnel, je ne sais pas, pour tout un tas de raisons, je m’imaginais que j’aurais une fille de manière assez évidente et qu’à cette fille, je sauraiq lui transmettre assez naturellement mes valeurs féministes. Voilà, ça me semblait assez logique et finalement simple, peut-être à tort.
Et tout à coup quand je me suis dit en fait tu vas sans doute devoir élever un garçon, ça m’a fait, ça a provoqué en moi quelque chose d’assez vertigineux. Je dois dire une forme presque d’angoisse un peu de me dire mais comment est-ce qu’on fait pour élever un garçon qui fasse sa part déjà sur les par rapport au sexisme qu’on connaît, un garçon qui ne devienne pas un jour peut-être un agresseur, un sale type. Moi, en tant que journaliste, ça faisait déjà pas mal d’années que je travaillais sur les questions de genre, donc c’est vrai que j’avais une conscience assez claire, en fait, de tous les enjeux du sexisme, de tous les endroits où il vient se nicher. Donc la tâche m’a paru énorme et à ce moment-là, j’avais besoin de réponses.
Donc j’ai cherché à l’époque des réponses et je n’en ai pas trouvé ou presque pas. On était avant Me Too, je pense que ça a quand même son importance. On était en 2016, début 2017. Et en fait, à ce moment-là, on parlait très, très peu de construction de la masculinité, d’éducation des garçons. Et tout ce que j’ai pu trouver sur l’éducation à l’égalité, sur l’éducation féministe, en fait, ça s’adressait soit aux filles, soit aux parents de filles, aux mères de filles même. Souvent mère, très clairement, comme si c’était à nous les mères de faire l’essentiel du boulot. Et puis surtout comme si c’était aux filles de faire le chemin vers l’égalité encore et toujours, de déconstruire les stéréotypes.
Et puis comme si finalement du côté des garçons, Tout allait bien, il n’y avait pas grand chose à interroger et j’ai trouvé ça, ça m’a beaucoup questionné. Et c’est vrai que c’est là que je me suis dit que j’allais écrire le livre dont moi j’avais l’impression d’avoir besoin, avec aussi une dimension un peu pratique pour savoir comment est-ce qu’on fait concrètement.
Clémentine Sarlat
Donc toi t’es mère d’un petit garçon mais d’une petite fille aussi. Est-ce que dans ce contexte là, ça t’a mis plus de pression en étant une mère féministe, avec un regard aiguisé comme tu disais à ces enjeux là, pour pouvoir ensuite une fois qu’il est arrivé, parce qu’il y a la théorie de ce que tu as évidemment écrit et cherché, et la réalité aujourd’hui huit ans plus tard ?
Aurélia Blanc
Oui, en fait, j’ai senti assez vite que ça pouvait générer une forme de pression. D’une part parce que je suis une femme féministe, donc je crois qu’il y a quelque part cette petite idée un peu parfois dans l’entourage de « bah vu que t’es féministe, forcément tes enfants devraient être de parfaits féministes ». Et puis la pression, elle pouvait être un peu plus large aussi du fait que j’avais écrit un livre sur le sujet, que je travaillais sur ces questions. Et c’est vrai que j’ai quand même pris le parti assez vite de mettre ça à distance, dans le sens où d’ailleurs, je l’écris tout au long du livre. Moi, je n’ai pas trouvé de formule magique ou de recette miracle et je ne crois pas quelqu’un en ait trouvé une.
Et puis, en fait, on est loin d’être les seuls à élever nos enfants aussi. On les élève dans une famille, au milieu d’une communauté. Dans une société donnée. Donc oui, bien sûr que j’ai parfois une forme de pression, mais je crois que je me suis refusé assez vite l’idée d’en faire un enjeu de réussite éducative ou pas, en fait. C’est-à-dire que j’élève avec mon conjoint, on élève nos enfants du mieux qu’on peut en essayant, je pense, comme la plupart des parents, de leur inculquer les valeurs qui nous semblent être importantes. Et bonne pour eux aussi. Après, j’ai tout à fait conscience que ce sont des êtres à part entière et qu’ils se construiront à leur façon et ils mèneront leur vie. Donc la pression, elle existe un peu, mais je pense que c’est important de la remettre un petit peu à sa place aussi.
Clémentine Sarlat
Mais n’empêche, dans le titre, Tu sens un homme féministe, mon fils, il y a quand même cette volonté de se dire, il faut que nos garçons soient inclus dans ce combat, dans cette volonté d’une société plus juste, en tout cas. Comment est-ce que tu expliques le fait que c’est essentiel aujourd’hui d’inclure les petits garçons dans cette idée d’une éducation féministe ?
Aurélia Blanc
Ça me paraît essentiel parce qu’en fait on élève des filles en se disant je veux qu’elles puissent être libres, respectées, les égales en fait des garçons et que tout simplement on ne vit pas dans une société entre filles et entre femmes. Et que la moitié d’entre nous, ce sont des garçons et des hommes. Et en fait, à un moment donné, on a beau inculquer tout un tas de valeurs d’émancipation à nos filles, si elles se retrouvent finalement harcelées dans la rue à la préadolescence par des hommes, qu’elles se retrouvent plus tard en couple avec des hommes qui ne font pas leur part du travail domestique ou parental et qu’elles en payent le prix. En fait, il y a toute une part de cette lutte contre les inégalités, les violences sexistes.
On a beau être très informée, très consciente de ça, il y a une part malgré tout qui n’est pas entre nos mains et je pense qu’on n’en sortira pas si on n’a pas des hommes alliés, notamment dans leurs actes. C’est vrai qu’on en reparlera peut-être après, mais il y a toujours cette question : « Les hommes peuvent-ils être féministes ? Doivent-ils se dire féministes ? » Moi, ça m’importe assez peu, en fait, l’étiquette que les hommes vont se coller. Par contre, ça me semble important d’avoir, en effet, des hommes ou des garçons, des jeunes garçons qui fassent leur part.
Moi, je parle vraiment de faire sa part, c’est-à-dire qu’ils vont avoir conscience d’un certain nombre de se rendre compte, tout simplement, quand quelque chose est sexiste, pour déjà ne pas le reproduire.
Et peut-être même, mon idéal, s’élever contre, en fait, dire à leurs potes, non, ça, c’est pas possible. Dire à leurs frères, écoute, là, peut-être que voilà, il y a des choses à changer, etc., etc.
Donc, oui, pour moi, ça me paraît évident qu’il y a une part du travail, si on veut vivre et avancer vers plus d’égalité, qui revient aux garçons et aux hommes, très clairement.
Clémentine Sarlat
Parce que tu dis, c’est tellement important. J’avais interviewé Mathieu Palin, je pense que tu connais, qui a écrit un livre sur la violence masculine. Et à la fin de l’interview, je dis, mais est-ce que toi, dans ton cercle privé, Mathieu qui est journaliste, qui est très, très éduqué au mécanisme de violence masculine, est-ce que toi, dans ton entourage, tu dis à tes potes quand ils font de la merde, est-ce que tu… Vous vous interposez entre vous, est-ce que vous soutenez de manière positive ? Et il me dit, si j’y réfléchis, c’est vrai que nous, dans nos cercles privés, on se dit qu’on n’est pas mieux que les autres et qu’on n’a pas la voix pour pouvoir s’élever et dire stop. Et il me dit, je vois bien que c’est un problème en fait.
Aurélia Blanc
Ça, c’est un vrai sujet, je trouve, cette complicité, c’est-à-dire que tous les hommes et les garçons ne sont pas d’affreux machos ou affreux sexistes. Mais il y a plutôt, moi, ce qui m’intéresse aussi, c’est cette zone grise, en fait, cet endroit où on ne va pas, voilà, typiquement, quand un pote ou des potes vont faire des remarques ou des blagues vraiment sexistes, ne serait-ce que de ne pas le relever, le faire remarquer. En fait, c’est très fréquent. On n’a pas envie d’être le rabat-joie. Et en fait, ça commence là, je pense, aussi, le problème, tout simplement, quoi.
Clémentine Sarlat
Oui, de rappeler à l’ordre un pote qui ne paye pas sa pension alimentaire, de dire, bah non, tu te comportes correctement, là, c’est pas OK, t’as des responsabilités, tu vas pas sortir tous les soirs. C’est vrai qu’il n’y a pas ce, je te retiens par le col, ce boys club qui pourrait être vertueux et qu’il n’est pas encore aujourd’hui dans notre société, c’est ce qui manque.
Aurélia Blanc
Oui, il me semble que ce boys club Après, il faut poser aussi la question à des hommes, mais pour ce qu’on en voit, c’est vrai que le Boys Club va plutôt protéger finalement des comportements qui sont plus ou moins problématiques. Et c’est ça, en fait, je crois quelque part, on a un certain nombre à essayer de faire changer. C’est-à-dire, c’est là où la question d’éduquer aussi les jeunes garçons là-dessus pour que peut-être ils ne reproduisent pas ça, ou en tout cas, ils commencent à dire non, ça, ce n’est pas possible. Mais bon, il me semble que c’est un travail de très longue haleine et il ne faut pas sous-estimer, je crois, la pression des pairs P-A-I-R-S qui, en fait, va passer bien souvent au premier plan.
Et en fait, on ne va pas vouloir se désolidariser ou prendre le risque d’être un peu exclu du groupe. D’être montré du doigt comme le rabat-joie justement, dont finalement on permet le statu quo et tout un tas de trucs sexistes.
Clémentine Sarlat
Auxquels on n’adhère pas forcément.
Aurélia Blanc
Mais il y a ce côté, moi je ne suis pas trop d’accord avec lui, mais bon, c’est pas grave, il est comme ça. Si en fait, quand même, c’est important qu’on ait des hommes qui s’élèvent parce qu’il ne faut pas oublier je crois que Si c’est une femme qui fait la remarque, en fait, elle a très peu de chances d’être entendue par les autres hommes. Donc c’est là où les hommes, je pense, ils ont un rôle, les hommes éclairés, les hommes alliés. Je crois que c’est là où on a besoin d’eux, c’est qu’ils s’adressent aux autres hommes, en fait, parce qu’ils seront davantage écoutés que nous, très clairement.
Clémentine Sarlat
Justement tu vois cette question de comment on élève un petit garçon féministe ou en tout cas qui est au fait de cette structuration dans laquelle on vit où il y a des inégalités. La question moi qui revient tout le temps pour les mères surtout qui écoutent nos podcasts et qui me demandent est-ce que tu peux faire un épisode sur comment on fait pour que notre petit garçon ne devienne pas un homme, ce que tu disais la peur que tu as eue, violent, parce que j’ai très peur ? Tu réponds quoi ? Parce que j’imagine que tu l’as 100 fois cette question par jour. Tu réponds quoi, toi, à ces mères-là ? J’ai jamais des pères qui me posent cette question, mais des mères, oui.
Aurélia Blanc
Qui ont peur que leur fils devienne un homme violent d’une manière ou d’une autre. Je crois qu’en fait, il n’y a pas une chose à faire. Je pense qu’on peut faire quand même des choses. Il me semble que l’éducation, c’est quand même un chemin assez long. Tout n’est pas joué, et heureusement, et loin de là, à 6 ans, ou à 10 ans, ou même à 15 ans, en fait. Donc je crois que c’est quelque chose qu’on travaille. Moi, ce qui me semble important, c’est de toujours maintenir une discussion sur ces sujets en fait. Et ça veut dire aussi d’accepter d’entendre que nos enfants nous disent des choses qui nous dérangent, avec lesquelles on n’est pas d’accord, mais on ne va pas lâcher le fil de la discussion et on y reviendra.
Ça c’est une chose, ce que je trouve intéressant dans ce que tu dis et ce que moi aussi je constate dans mon travail, c’est que ce sont beaucoup les mères qui se posent ces questions. Et peut-être que là, la limite à laquelle on est confronté malheureusement, c’est qu’on a besoin d’avoir des hommes, là aussi, pas forcément des pères, mais tout simplement des hommes adultes qui font partie de l’entourage de l’enfant, qui vont être des modèles positifs en fait. Là aussi, si c’est toujours que maman qui s’empare de ces questions, Il me semble qu’à un moment donné, on risque un jour d’être envoyé un petit peu dans les cordes. Nos apports, il y a la théorie, il y a ce qu’on monte, ce qu’on véhicule.
Et en même temps, si on n’a que autour de soi des hommes qui sont franchement sexistes, c’est vrai que voilà, comment est-ce qu’on en sort ? Je ne sais pas. Mais ce qu’on sait aussi, c’est qu’il y a tout un tas d’hommes aujourd’hui qui quand même essayent d’être qui essayent d’être des alliés, plus ou moins bien, mais sur ces questions, et qui viennent de familles avec des pères complètement machos. Moi, c’est quelque chose qui me donne quand même beaucoup d’espoir où je me dis bon, il n’y a pas une reproduction non plus systématique loin de là. On peut se construire contre.
Après, moi, c’est vrai qu’à part le dialogue permanent à travers aussi des supports, des lectures, des podcasts, des films, vraiment en faire un sujet dont on parle, Je n’ai pas de miracles, je suis navrée pour tes auditrices et tes auditeurs, mais je crois que c’est vraiment un travail au long cours et que ça se joue aussi beaucoup dans les cours de récré, dans les clubs sportifs.
Qu’est-ce qu’on apprend à nos petits garçons ? Comment on règle ses problèmes ? Est-ce que ça passe forcément par taper et gagner la bagarre ou pas ? C’est quand même une question assez complexe.
Clémentine Sarlat
Je pense que c’est un des premiers livres que j’ai lus sur la parentalité, alors pourtant j’avais une petite fille à l’époque parce que nos enfants ont le même âge. Et c’est vrai que d’entrée, tu dis quelque chose qui m’avait frappée, c’est qu’on est plus sexiste qu’on ne le croit, nous-mêmes. Et qu’en fait, déjà de prendre conscience de ça, c’est un premier pas pour pouvoir déconstruire aussi l’éducation qu’on donne à nos enfants. Comment ça se fait qu’on est plus sexiste qu’on ne le croit ?
Aurélia Blanc
Je pense qu’on a, comme sur tout un tas d’autres sujets, c’est valable aussi je pense par exemple peut-être pour le racisme ou l’homophobie, on a toujours l’impression finalement que c’est les autres les méchants, en fait ceux qui transmettent les mauvaises choses à nos enfants. Moi, en travaillant sur ce livre, du coup, c’est vrai que ça m’a amené à creuser et à prendre conscience, en fait, aussi de nos propres et de mes propres représentations sexistes. Je pense que c’est très ancré, en fait, tout simplement parce qu’on vit dans une société qui est ultra-genrée. Et ce, avant même la naissance, ces représentations-là, on se les trimballe depuis des siècles et des siècles.
Et puis ça passe par beaucoup de choses aussi, c’est-à-dire que ce qu’on appelle aussi l’habitus en sociologie, c’est-à-dire on a vu nos parents, les adultes autour de nous faire un certain nombre de choses pendant des années et des années. Et en fait, on reproduit malgré nous. Et c’est comme ça qu’un beau jour, on se retrouve à la maison où on est, nous, tous les jours en train de cuisiner et son conjoint en train de sortir les poubelles et de s’occuper de la voiture. Et on se dit mais comment, en fait, c’est possible alors qu’on est hyper conscient de ces trucs-là. Donc il y a à la fois les représentations qu’on se trimballe qui sont omniprésentes. Il y a l’organisation sociale de la société qui nous pousse aussi dans notre parentalité à endosser des rôles très genrés.
Et puis oui, je crois que le poids des représentations, moi, ça m’a frappée. C’est-à-dire que quand je me suis dit « ben j’attends un garçon », sont venus avec ça tout un tas de représentations, finalement, sur ce que ça allait être un garçon. Au départ, je me suis dit « mais c’est vrai ».
Mais bon, par exemple, j’avais cette idée que les garçons, en grandissant, ils sont moins famille, ils vont moins voir leurs parents.
Je me disais avoir une fille finalement c’est peut-être avoir l’assurance qu’on aura un lien plus fort et puis en fait après j’ai voilà en travaillant sur le sujet j’ai déconstruit tout ça voilà mais il y a vraiment une fabrique du genre qui est très très forte et il me semble un peu illusoire d’espérer y avoir échappé enfin je vois pas très bien comment on grandit tous dans la même société en fait.
Clémentine Sarlat
Si on est parent d’un petit garçon et qu’on veut quand même pouvoir, tu dis qu’il n’y a pas de recette miracle mais il y a quand même des choses qu’on peut faire, ça passe par quoi par exemple dans les jeux, les livres ? Est-ce que tu peux nous donner des exemples concrets pour qu’on puisse avoir une petite influence quand même ?
Aurélia Blanc
Déjà, c’est vrai que dans ce que moi, j’appellerais la consommation culturelle, que ce soit les livres ou les dessins animés, on peut quand même déjà veiller un petit peu à ce qu’ils ont entre les mains, surtout quand ils sont plus petits et même après en grandissant.
Donc, ne pas donner que du contenu stéréotypé où les héros sont toujours des garçons. Où les garçons sont toujours forts, où papa part au travail et maman reste à la maison.
Donc ça, c’est déjà tout un tas de représentations qui vont structurer la vie de nos tout-petits très vite. Donc la chance qu’on a quand même aujourd’hui, c’est qu’on a des maisons d’édition qui proposent vraiment des trucs superbes. Je peux en citer quelques-unes, mais Talents Hauts qui a été la pionnière. Il y a Bonbon Citron par exemple, La Ville Brûle, il y en a plusieurs, Goethe aussi qui fait des choses très bien, y compris pour des ados. Donc je pense que déjà leur mettre entre les mains d’autres représentations que peut-être celles avec lesquelles nous on a grandi et celles qui inondent encore beaucoup les productions culturelles.
Aussi, ce que je vais dire est très basique, mais ce n’est pas encore nécessairement la norme de ne pas genrer les activités pour les enfants, c’est-à-dire de partir du principe qu’une activité, un sport, un jouet, il est pour un enfant avant d’être pour un garçon ou pour une fille. Oui, un petit garçon peut aimer se bagarrer, mais aussi jouer avec des perles, par exemple. Et ce n’est pas un truc de fille. Donc, il y a ça.
Ce qui m’amène quand même à peut-être une des choses qui me semblent la plus importante. Vraiment, vraiment d’enlever de notre vocabulaire cette phrase.
« Ça, c’est pour les filles. »
Parce que ça, c’est vraiment quelque chose qu’on entend encore beaucoup. Ça, c’est un truc de fille. On dirait une fille. Et ça, c’est ce qui va vraiment sceller très fort et très profondément une représentation à la fois sexiste et aussi très hiérarchisée. C’est-à-dire que les filles, c’est moins bien que les garçons. Ce qu’aiment les filles, c’est moins bien que ce qu’aiment les garçons. Et donc, il ne faut pas s’en approcher. Ça, les petits garçons l’entendent souvent, très tôt. Et ça, ça va vraiment contribuer à forger dans leurs esprits, mais comme dans ceux des filles aussi. Que finalement tout l’univers, que les choses même girly, c’est naze, que les trucs qui aiment les filles, c’est naze. Donc ça vraiment s’en défaire et arrêter de dire aux petits garçons : « ça c’est pour les filles ».
Clémentine Sarlat
Tu le vois encore aujourd’hui qu’on a beaucoup de mal à offrir un poupon à un petit garçon ou une cuisine.
Aurélia Blanc
Alors les cuisines, il me semble que ça a un peu évolué parce qu’on a pris conscience du besoin d’imitation, d’autonomie des enfants. Donc ça, ça passe. Le poupon, Ça progresse. Au début, quand je faisais mes premières interventions, des conférences ou des rencontres, je demandais toujours aux gens qui a déjà offert un poupon à un petit garçon. Ça levait un peu la main. Et après, je demandais qui a offert un poupon à un petit garçon qui n’est pas son enfant. Alors, il n’y avait personne. Les gens disaient j’ose pas. J’ai peur que les parents le prennent mal.
Aujourd’hui, je trouve que c’est moins vrai que quand même. Alors, il y a un biais. Les gens qui viennent à des rencontres autour de mon livre sont quand même un petit peu intéressés par ces questions.
Il me semble que ça change un peu, mais ça va se jouer par exemple sur des choses, des vêtements, des accessoires. Par exemple, moi je vois en âge de maternelle, il y a plein de petits garçons qui adorent des trucs à paillettes, une petite sacoche qui va briller.
Et là, par contre, on sent qu’il y a un blocage parce que vraiment, là c’est trop.
Donc je dirais qu’on a avancé sur un certain nombre de jeux, mais pas sur tous.
Et moi, je suis très frappée de voir dans le champ, par exemple, de toutes les activités créatives, à quel point c’est genré. C’est-à-dire que quand on a un garçon, un enfant qui aime les activités créatives, en grandissant, il se rend compte que quand même, ce n’est pas censé s’adresser à lui.
Si on aime faire des bougies colorées ou ce genre de choses, il y a toujours des filles sur le dessin. C’est rose, parfois c’est dans le rayon fille. Donc après le travail d’après c’est d’expliquer que quand même dans ce magasin ils n’ont pas compris grand chose et que nous on sait très bien qu’il n’y a pas des trucs pour les filles et pour les garçons et que c’est pas grave s’il n’y a que des filles sur la boîte. Mais voilà, il y a encore du travail à faire et il est clair qu’il y a un certain nombre de parents ou d’adultes qui vont être frileux quand ils vont voir un marketing, un packaging très genré.
Ils ne vont pas trop oser sortir du truc, surtout si c’est pour offrir à d’autres enfants que les siens, en se disant on ne sait pas comment les parents pourraient le prendre. Et donc on retourne dans le chemin rose ou bleu.
Clémentine Sarlat
Tu le vois, toi, parce que tu as un garçon et une fille. Même en ayant cette éducation consciente des enjeux, comme tu le disais, nous ne les élevons pas seuls et ils sont très influencés par le cadre extérieur, surtout après trois ans. Comment ça s’est manifesté, toi, chez tes enfants ? Tu vois une différence qui t’a un peu interloqué ou ils sont passés au travers de ça ?
Aurélia Blanc
Non, ils ne sont pas du tout passés au travers. Il y a des choses qui sont partagées. Ils ont trois ans d’écart, mes enfants, donc il y a quand même des activités qu’ils aiment faire tous les deux, des choses qui ne sont pas trop genrées. Mais finalement, moi, c’est avec ma plus petite. En fait, peut-être j’ai été prise aussi par à mon propre jeu, c’est-à-dire que comme ça fait aussi des années qu’à la maison, on dit le rose c’est super, les paillettes, c’est super, les robes de princesse, c’est super, c’est génial. Et bien évidemment, la numéro deux est arrivée. Mais oui, c’est sûr que je veux ça. Donc, du coup, c’est vrai que moi, je n’avais pas non plus envie de venir dire. Je ne suis pas là non plus pour obliger mes enfants à aller…
Donc, c’est vrai que j’observe des différences qui ne sont pas totales, mais dans leur goût. En même temps, ils ne sont pas les mêmes personnes non plus.
Et puis, je crois que ce qui est très différent, c’est qu’ils ne s’identifient pas aux mêmes adultes, aux mêmes modèles. Voilà, mon fils va plus s’identifier à des référents masculins et ma fille à des référents féminins. Et comme tout ça est quand même très codifié, très stéréotypé dans un certain nombre de livres, dessins animés ou même dans nos vies, il y a quand même un certain nombre de choses qui passent.Mais ça n’empêche pas qu’on en parle quand même. Et des fois, c’est le plus grand qui va expliquer à la plus petite que quand même, ce que tu dis, c’est super sexiste. Voilà, mais non, on n’est passés au travers.
Il y a des choses où on est content et puis des fois, on se dit bon, là, on n’a pas du tout échappé aux stéréotypes. Pas du tout.
Clémentine Sarlat
Comment est-ce que tu expliques à ton petit garçon, que plus il est petit d’ailleurs, cette injonction dans les cours de récré, de dire que si un garçon embête une fille, c’est parce qu’il l’aime bien ? Tu sais, on a malheureusement cette mauvaise identification de l’amour. Comment tu déconstruis ça avec un petit garçon pour lui expliquer qu’un n’embête pas les autres petites filles et que c’est pas du tout de l’amour ?
Aurélia Blanc
Alors, c’est vrai qu’il ne m’a pas trop rapporté ça, donc je n’ai pas eu avec lui spécifiquement cette discussion. Mais ce qui est certain, c’est qu’on parle beaucoup et avec mon fils et avec ma fille de c’est quoi l’amour ? Qu’est ce qu’on fait si on est amoureux ou pas amoureux ?
Et en fait, ça passe beaucoup justement par le fait que l’autre doit toujours être d’accord. Je dois dire qu’à la maison, on matraque un peu ce message. C’est vrai qu’il y a cette idée que quand on aime bien quelqu’un ou qu’on aime bien une fille, on pourrait l’embêter. Et en fait, c’est vrai que chez nous, c’est niet. C’est-à-dire, si on aime bien quelqu’un, on ne va pas l’embêter.
Il y a un livre que j’avais bien aimé de Tiffany Cooper, qu’on a fait deux, notamment « Patatouille : Solal est amoureux » et ça nous a permis un peu d’aborder cette question sur en fait c’est quoi être amoureux et puis qu’est-ce qu’on est censé faire alors si on est amoureux et qu’est-ce qu’on n’est pas censé faire. Donc là aussi c’est quelque chose qui revient un peu par petite touche autour parfois de lecture. Ou parfois aussi, tout simplement, même si on essaye de les protéger des infos, il se trouve que des fois, on entend des choses à la radio, quand il est question de violence conjugale, par exemple, et ça, mon grand sait quelque chose, il va tout de suite tendre l’oreille pour me dire…
Donc on a déjà eu ces discussions sur le fait que la violence, le contrôle, ça pouvait jamais être de l’amour et que… Et on travaille aussi beaucoup sur le fait qu’on n’est pas obligé d’être amoureux. Et puis d’ailleurs, moi je fais très attention, c’est toujours, s’il y a la question qui se pose, c’est si tu as un amoureux ou une amoureuse. C’est toujours posé comme ça. C’est vrai que… Voilà, j’espère leur montrer qu’on n’est pas obligé d’être amoureux et on n’est pas obligé d’être amoureux de quelqu’un de l’autre sexe non plus.
Clémentine Sarlat
Tu expliques tout au long de ce livre que l’éducation féministe, en fait, pour les garçons, c’est avant tout aussi une libération pour eux. C’est un angle qu’on n’aborde pas assez encore. On est tout le temps dans l’oppression. Mais en fait, les hommes, ils ont besoin de se libérer de cette injonction. Comment on fait pour les libérer justement de ça et les ramener à la connexion aux sentiments, à eux-mêmes ? Et pas en faire des robots.
Aurélia Blanc
C’est vrai que c’est un angle d’approche qui est parfois critiqué et légitimement critiquable, y compris dans certains milieux féministes où on va dire mais en fait, on n’est pas là pour libérer les hommes. C’est du développement personnel, ce que j’entends tout à fait. Après, moi, quand j’ai écrit ce livre, je l’ai écrit depuis ma position de femme et de mère. Et c’est vrai que je ne voyais pas comment on pouvait transmettre une vision aussi positive et émancipatrice du féminisme. Je ne me voyais pas élever un petit garçon en ne montrant que les aspects problématiques aujourd’hui de la masculinité dans notre société et des rapports de genre.
Enfin, je vais le dire de manière très triviale, mais pour moi, il me semblait logique qu’il fallait que mon petit garçon en grandissant, il comprenne que, j’étais pas en train de lui dire, si on est un homme, on est forcément oppresseur tout le temps, on est condamné à l’être. Et puis finalement, que le féminisme, ce soit quelque chose de super enkikinant, dont on n’a surtout pas envie de s’approcher. C’est là où je trouvais intéressant aussi d’aborder, en tout cas quand on élève des jeunes garçons, la chose avec un prisme aussi d’émancipation pour eux. Et quand on regarde chez les hommes adultes, il y a des enjeux de santé mentale.
Aujourd’hui, on sait très bien… Et l’Association américaine de psychologie en parle depuis les années 2018-2019.
Du coup, en termes de santé mentale, pour les hommes adultes, de s’être construits et d’être enfermés dans une vision très rigide de la masculinité, très traditionnelle. Donc ça, il me semble que c’est un travail qu’on a amené en fait très tôt, la question des émotions, on en parle quand même beaucoup plus aujourd’hui. C’est un tout en fait, ça va aussi avec les droits de l’enfant quelque part, donc on sort d’une époque où l’éducation c’était aussi beaucoup mater les enfants quoi. Et les garçons d’ailleurs, je pense que ça a été particulièrement vrai, se prendre des coups, ne pas pleurer, ne pas être faible. Donc oui, ils ont quelque chose à y gagner. Par contre, je crois que c’est des choses qui se construisent progressivement, lentement, dès l’enfance.
D’avoir le droit d’être vulnérable, d’avoir le droit d’exprimer ses émotions, de ne pas être obligé de s’enfermer dans une carapace.
Mais ça aussi, c’est un peu tout un ensemble. Le gouvernement, il y a un an, parlait de cours d’empathie. Pourquoi pas ? En tout cas, ça me semble… Voilà, c’est éduquer des enfants. Avec le respect d’eux-mêmes et sans qu’ils soient obligés de se conformer à une image, pour ce qui est des petits garçons, très dure, très viriliste, au détriment d’eux-mêmes en fait.
Clémentine Sarlat
Est-ce que t’as l’impression que dans les parcs ou les retours que t’as de parents, on s’autorise plus à dire aux petits garçons tu peux pleurer c’est ok ?
Aurélia Blanc
Alors, j’ai envie de dire oui, mais je crois que ça dépend vraiment des milieux, des endroits. En fait, il se trouve qu’il y a environ un mois, j’étais dans la rue et j’ai croisé un petit garçon qui devait avoir à peu près six ans, qui pleurait, mais vraiment à chaudes larmes. Il avait un très gros chagrin. Je ne sais pas pourquoi. Et sa maman était très fâchée contre lui et j’ai entendu cette mère qui lui a dit plusieurs fois « arrête de pleurer, on dirait une fille, tu me fais honte ». Donc j’imagine que bien sûr, elle a son bagage à elle et puis voilà, pour elle, ça lui semblait logique et je ne veux pas la juger. Mais en tout cas, ça m’a vraiment remis en pleine face le fait qu’on n’était pas sortis quand même de cette injonction où les garçons ça pleure pas, ceux qui pleurent c’est des pleureuses. Et donc je pense qu’on avance mais que c’est un long travail et qu’on n’y est pas encore.
Clémentine Sarlat
Et puis je pense que toi et moi on évolue dans des bulles un peu donc c’est difficile parfois d’avoir le recul de se dire, nous ça nous paraît évident et c’est clairement pas la norme encore aujourd’hui. Même si tu parlais des représentations, dessins animés, je trouve qu’il y a dessins animés qui sont formidables aujourd’hui. Je pense à Bluey il y a des petits dessins animés pour les enfants où on s’en fiche en fait, les garçons et les filles ils ont des émotions, c’est ok.
Aurélia Blanc
Là-dessus on progresse quand même et il me semble qu’en une dizaine d’années on a quand même fait un grand pas que ce soit sur les dessins animés, les livres ou même les podcasts qui sont arrivés. Pour les enfants, où je trouve quand même qu’ils ont accès à des choses. Moi, quand j’ai commencé à travailler, j’ai fait mon premier livre, j’ai commencé à faire des recherches, on était, oui, fin 2016, et notamment les enquêtes sociologiques ou les travaux qui existaient sur la littérature jeunesse. Bon, là, il y a encore du chemin à faire, mais plus encore, les dessins animés on partait quand même d’hyper loin. Et je trouve qu’en dix ans, Tout n’est pas parfait, mais ça s’est quand même bien élargi et beaucoup de choses nouvelles et positives sont apparues, c’est clair.
Clémentine Sarlat
En fait, on a accès à des choses. Peut-être qu’il y a encore des programmes qui ne sont pas du tout OK, mais on a le choix de dire, si on a une plateforme, d’avoir des représentations plus équilibrées, plus saines, plus actuelles, on va dire, et que ce soit même pour les filles.
Aurélia Blanc
Oui, pour les deux en fait.
Clémentine Sarlat
Et les petits garçons peuvent regarder des filles être des héroïnes et avoir ce rôle.
Aurélia Blanc
Et c’est important que les petites filles aussi, elles voient des héros masculins qui pleurent, qui ont peur et qui font la cuisine aussi. Ça va dans les deux sens en fait.
Clémentine Sarlat
Donc c’est vrai que sur ça, on peut se dire qu’on a une marge de manœuvre, en tout cas un pouvoir de leur montrer ce que tu disais, une représentation qui vient dans leur imaginaire.
Aurélia Blanc
Ça fait pas tout, mais ça fait quand même une partie du travail. Et puis ça peut être aussi sujet après à discussion. C’est là où ça devient aussi intéressant.
Clémentine Sarlat
Et puis on va dire les Disney aujourd’hui sont beaucoup plus inclusifs et dans une tendance où on donne du pouvoir aux filles déjà, elles n’attendent pas leur sauveur et elles ont un premier rôle et où les petits garçons ne sont pas cet être un peu bizarre. Je ne sais pas si je pense à tous les princes qu’on a vus, toi et moi, petite. Aujourd’hui, ce n’est plus du tout la norme de Disney. Je pense qu’il y a Coco, ce genre de films qui sont géniaux.
Aurélia Blanc
Moi, je suis en plein dedans avec mes enfants et notamment ma deuxième, qui est vraiment en amour avec l’univers Disney. Et il se trouve que chez mes parents, il y a encore les Cendrillon, c’est vraiment l’enfer sur les représentations, sauf qu’elle les a trouvées. On repart aussi de ça. Elle a vu ou lu les récents et effectivement, là, on voit qu’il y a une évolution. Mais on vient de très, très loin. Les princesses des années 50 à 90, c’est quand même la catastrophe, ce qui fait du coup une très bonne base de discussion sur la vie totalement triste de Cendrillon et qu’il faut arrêter de rêver au prince charmant. Là-dessus, c’est clair qu’il y a eu, je pense que Disney a très bien compris l’enjeu. À faire évoluer ses représentations, mais tant mieux.
Clémentine Sarlat
D’ailleurs, je dis juste que j’ai la plateforme Disney aujourd’hui, quand tu regardes les vieux Disney, ils ont un message et un avertissement en disant voilà, ça ne représente pas aujourd’hui les valeurs de Disney, c’est dans son époque. Tu vois, ils essayent de montrer qu’il y a eu une petite évolution.
Aurélia Blanc
Moi, je trouve ça intéressant parce que c’est vrai qu’il y a une question des fois qui revient, c’est alors du coup, est-ce qu’il faut empêcher nos enfants de voir tous ces trucs stéréotypés, sexistes, les contes de fées à l’ancienne et tout ? Je pense que chacun fait absolument comme il l’entend. C’est vrai que moi, personnellement, je ne suis pas hyper favorable au fait de censurer parce que je pense que de toute façon, tout ça nourrit toute une culture commune et qu’en fait, ça arrivera à un moment donné. Mais ce que je trouve intéressant, donc mes enfants ont pu et notamment mon grand a pu voir des Disney un peu anciens. Et lui, vu qu’il sait lire, il a lu le petit panneau au début et du coup, ça donne lieu à des discussions intéressantes. Mais pourquoi ?
Et en fait, ce qui est intéressant, c’est que je pense, je vois que de lui-même, il y a des choses où il va dire mais là, je trouve que c’est complètement sexiste. Donc quand même, je pense qu’il y a un œil qui s’aiguise quand même petit à petit, pas surtout, loin de là, mais des choses de notre génération qui leur semblent quand même à eux vraiment craignos.
Clémentine Sarlat
C’est cringe.
Aurélia Blanc
C’est gênant.
Clémentine Sarlat
Tu parlais des cours d’empathie pour les petits garçons, en tout cas pour les enfants en général. Ça c’est aussi une grosse dimension dans l’éducation très genrée, c’est qu’on a, on en parlait, déconnecté la gente masculine des émotions, mais du coup de leur capacité à se mettre à la place d’autrui, à voir les conséquences de leurs actes sur les autres. Comment on fait de la base de l’éducation pour que nos enfants et nos garçons aient conscience d’un, de leur posture un peu plus privilégiée que les filles dans cette société et surtout de mon comportement et des conséquences et je ne traverse pas la vie comme si rien n’atteignait les autres, tu vois.
Aurélia Blanc
C’est vrai qu’il me semble qu’il y a un enjeu vraiment important sur ce sujet d’apprendre aux garçons à se mettre à la place des autres. Parce que pour tout un tas de raisons et de facteurs, il se trouve que les petites filles, la façon dont on les éduque, dont elles sont socialisées, vont apprendre très vite et parfois même un peu trop à se mettre à la place des autres, à faire attention à ce qu’ils ressentent.
Moi, un truc qui est vachement ressorti dans les rencontres que j’ai fait ces dernières années, c’est un truc qui revient tout le temps chez les libraires ou les bibliothécaires qui ont affaire à des parents qui cherchent des livres pour leurs garçons, littérature jeunesse, plutôt une dizaine d’années. Et quand les libraires ou bibliothécaires proposent des séries de livres où c’est une héroïne, beaucoup de parents disent « non, je ne préfère pas parce que là, l’héroïne est une fille, il ne va pas savoir s’identifier ». Et moi, c’est quelque chose qui m’interroge beaucoup parce qu’il se trouve que, si on en revient à la littérature jeunesse, la plupart des héros encore sont masculins et que donc nos filles, depuis le plus jeune âge, apprennent à s’identifier, à se mettre à la place d’un héros-personnage masculin. Là, il y a vraiment là encore quelque chose sur la représentation et pas partir du principe qu’un garçon ne pourrait pas s’identifier à une fille. Au contraire, peut-être mettre un peu le paquet sur le fait que c’est bien aussi de pouvoir leur apprendre à s’identifier à des personnages différents d’eux-mêmes.
Voilà, ça, c’est une première chose.
Je crois qu’il y a toute la question autour du care aussi, prendre soin.
On voit bien qu’aujourd’hui encore, et ça toutes les études le montrent, y compris les plus récentes, les filles vont dans la maison, dans l’espace scolaire, être amenées à plus prendre soin des autres. Et il me semble que ça, si on veut développer l’empathie, il y a quelque chose aussi à développer, c’est-à-dire que c’est un peu comme les stéréotypes, on a l’impression que chez nous tout va bien et que ça va, nos enfants, ils font les choses à égalité. Et en fait, toutes les études sociologiques montrent que non. Donc manifestement, il y a des choses qu’on ne voit pas, même en étant hyper alerte sur ces questions. Donc il me semble qu’être là aussi, mettre le paquet, être proactif, en confiant des responsabilités à nos garçons par rapport à la maison, aux soins des plus petits, aux soins des animaux, aux soins des plantes. C’est quand même un terrain sur lequel on peut travailler et qui, je crois, peut leur permettre de développer leur empathie.
Après, il y a d’autres choses.
On parle beaucoup aussi de favoriser les activités coopératives plutôt que compétitives puisque les garçons particulièrement sont amenés à se construire en tant que futurs hommes dans la compétition quand même beaucoup. Là aussi il n’y a pas qu’un seul chemin mais plutôt différents leviers. Et puis peut-être on peut parler des papas dans les cas de figure des couples hétéros.
C’est important que les pères, en fait, fassent, montrent l’exemple, c’est-à-dire en étant investis, y compris affectivement, il me semble que c’est de plus en plus le cas, avec leurs enfants, en prenant soin des autres, et que les activités de soins aux autres, même d’attention émotionnelle, ne soient pas que le job des mères.
Clémentine Sarlat
Ils ont quel rôle les pères par rapport aux petits garçons ? Parce que tu vois, on disait dans le tout début de ce podcast, ce sont les mères qui se renseignent sur comment éduquer leur petit garçon pour qu’il soit le moins violent possible. Je sais qu’il est dur ce mot, mais dans une société qui est violente envers les femmes, ils sont où les pères là-dedans ?
Aurélia Blanc
Les pères, c’est vrai que globalement, ce n’est pas eux qui vont le plus s’intéresser à ces questions. Ça ne veut pas dire que ça ne les intéresse pas du tout, mais c’est vrai qu’on sait que ce soit les personnes, toi tu as les chiffres de ton podcast et je crois que ça recoupe d’autres… D’autres podcasts, les gens qui viennent aux conférences. Mais de toute façon, les parents qui viennent dans les espaces dédiés à la parentalité, que ce soit sur les questions de genre ou les autres questions, globalement, ce sont des mères très majoritairement. Donc là, il y a quelque chose aussi. Et du coup, ce sont les mères qui ramènent à la maison un certain nombre d’infos, de choses à questionner, de pratiques en disant tiens, tu devrais écouter ça, tu devrais lire ça, peut-être qu’on devrait faire ça.
Mais ça, ça correspond vraiment à la répartition genrée de la parentalité où nous, les mères, on est dans une mise aussi dans une position de prescriptrice, de décideuse finalement : on est censée savoir.
On est censée savoir et comme si les pères, ce sont des assistants. Et on doit se débrouiller avec ça.
Et très concrètement, en fait, les pères, ils ont un rôle hyper important à jouer, que ce soit dans l’éducation affective de leurs enfants, y compris de leurs garçons. Parce qu’on veut que les garçons et indirectement les fils construisent en ayant l’idée que les hommes aussi en fait ils ont des émotions, ils peuvent être fragiles, mais il faut aussi que les pères puissent laisser cette part-là s’exprimer en fait à un moment donné. Donc parler aussi de leurs émotions avec leurs enfants, parler peut-être de l’éducation qu’ils ont reçue, c’est important.
Après, je vais dire des choses très basiques, mais le partage des tâches domestiques et parentales, il y a une étude qui est parue en fin d’année sur les tâches domestiques chez les enfants. Et en fait, chez les enfants de 10 ans, ça a été mené sur une très grande cohorte par l’INED. Et en fait, il ressort qu’à 10 ans, il y a déjà des différences et que globalement, les filles font plus de tâches domestiques à la maison que les garçons. Peu importe le milieu social, la configuration familiale, il y a juste un cas de figure où on voit une différence, c’est quand les pères font plus de tâches ménagères, que ce sont eux qui en font le plus. L’étude dit que ce sont les rares cas où les pères prennent en charge la majeure partie des tâches ménagères. Là, ça a un effet.
Et ces effets, dit l’étude, se répercutent à l’adolescence, où on a des garçons qui font autant de tâches ménagères que leurs sœurs. C’est le seul cas de figure.
Donc je crois que ça montre bien qu’on a besoin que les pères s’engagent très concrètement sur ces questions, fassent leur part, si on veut que nos fils, à leur tour, fassent leur part.
Et sinon, on voit que le déséquilibre, encore en 2025, tend à se reproduire.
Clémentine Sarlat
Et puis les pères aussi restent beaucoup dans les activités genrées. On va au foot, au rugby, au tennis. En tout cas, l’activité sportive, le fun dad, comme on dit, mais ne va pas emmener… On va faire de la poterie, on va faire du découpage. Il n’y a pas encore assez de croisements dans les activités qui font qu’on peut faire du sport et du découpage, les deux sont OK.
Aurélia Blanc
Oui, et puis ça rejoint aussi le fait, là aussi qui est très documenté et encore très récemment, sur le fait que même si les pères sont plus investis d’une certaine manière, enfin différemment que les pères d’avant, là où ils vont passer du temps, c’est surtout dans les activités, en premier lieu de loisirs, là où les mères vont être beaucoup dans la logistique du quotidien. Mais en fait, la logistique du quotidien, elle recoupe le prendre soin, s’occuper d’eux, penser à. Donc là aussi, il y a une vraie marge de progression possible, je pense, chez beaucoup de pères. C’est-à-dire, c’est super de prendre du temps pour jouer avec ses enfants.
Mais il y a aussi toute la part plus ingrate, plus pénible, plus invisible, où il est important aussi que les enfants voient que les pères les emmènent chez le médecin, sont au courant du traitement, vont aux réunions parents-profs.
Et comme tu le dis, en effet, tout simplement de se demander, tiens, quelles sont les activités que je partage avec mes enfants ? Et ici, en l’occurrence, avec mon fils. Et l’idée, ce n’est pas de s’interdire de jouer au foot ou d’emmener ses enfants au rugby, par exemple, mais peut-être d’essayer de laisser la place aussi à autre chose. Voilà, parce qu’il y a de la place pour tout ça, en fait.
Clémentine Sarlat
Tu parlais des rendez-vous médicaux, il y a une étude de Doctolib qui montrait que 84% des rendez-vous sont pris par les mères pour leurs enfants. Alors maintenant ils ont une petite option, je le dis, mettez-la, de pouvoir prévenir le conjoint ou la conjointe dès que vous prenez rendez-vous, donc c’est dans le calendrier de l’autre. Mais là il y a un vrai travail de fond à faire pour la santé qui est en gros un poste dédié aux mères. On ne sait pas pourquoi. Mais le départ c’est… Alors que ça prend du temps, c’est pas fun d’aller chez le pédiatre ou à emmener chez l’orthoptiste ou peu importe ce que l’enfant a besoin. Donc ça aussi ça montrerait que le care c’est des trucs qui paraissent bêtes comme tu dis à chaque fois mais ‘est une représentation.
Aurélia Blanc
En fait, c’est ça. Et puis, si on pense à plus long terme, nos fils deviendront peut-être pères un jour. Donc, en fait, tout ça, ça pose aussi des représentations sur c’est quoi être un père, c’est quoi être un homme. Et en fait, on peut être un homme, un vrai et tout à fait, je ne sais pas, moi, oui, comme tu disais, faire de la poterie avec ses enfants, les emmener chez le pédiatre.
Ça ne vient pas remettre en question une virilité quelle qu’elle soit.
Clémentine Sarlat
Non, c’est clair.
Alors, tu as écrit ce livre, on le disait, en 2018. On est en 2025.
Les dernières enquêtes sur le point de vue des jeunes sur les rôles genrés, sur la place de la femme, ne sont pas hyper encourageantes, même un peu flippantes, puisqu’aujourd’hui on est en train de voir qu’il y a un petit basculement et qu’il y a de plus en plus de polarisation. Les femmes sont plus ouvertes à la tolérance et les hommes sont plus conservateurs. Et notamment les jeunes adolescents et garçons, enfin hommes, à quoi c’est dû déjà ? C’est une grosse question. Et qu’est-ce que ça t’inspire ?
Aurélia Blanc
Je pense que ça s’inscrit vraiment dans ce phénomène très connu et récurrent du backlash, du retour du bâton, c’est-à-dire qu’après chaque période d’avancée féministe, en l’occurrence le mouvement MeToo, on a vu ces dernières années énormément de sujets féministes arriver dans le débat public. On a derrière une crispation aussi d’une partie de la société. Je pense qu’il y a clairement aussi, même si ce n’est pas formulé comme ça, mais c’est l’expression d’une peur de perdre ses privilèges en fait. Parce que oui, il y a quelque chose à perdre dans cette histoire. Si derrière, je ne peux pas me comporter comme j’ai envie, je dois faire attention aux autres. Quoi, ma copine, je ne peux pas coucher avec elle quand j’ai envie. Ben oui, il y a peut-être quelque chose à perdre dans cette histoire, donc je pense qu’il y a une crispation.
Clémentine Sarlat
Le salaire aussi.
Aurélia Blanc
Le salaire et comment ça ? On va promouvoir des femmes en priorité, donc à mon détriment.
D’ailleurs, on le voit chez une partie de l’électorat de Trump qui s’exprime sur ces questions. Enfin, on pourrait avoir vu ou entendu des reportages là-dessus. Il y a des hommes qui le disent très clairement en ces termes : « On veut m’enlever mon job pour le donner à des femmes ». Donc il y a vraiment une sorte de lutte des places, en fait, aussi. Et sans doute qu’il y a une peur. Et tout ça s’inscrit aussi dans un climat… Voilà, on voit qu’il y a une poussée, des poussées conservatrices un peu de partout. Et donc, oui, il y a une partie des jeunes garçons qui se… Comment dire ? Qui se raccroche, qui se replie sur une idée très traditionnelle des hommes, des femmes, du couple, de la société.
Il y a un excellent livre-enquête de la journaliste Pauline Ferrari sur l’influence auprès des adolescents, des influenceurs masculinistes. Ce livre s’appelle « Former à la haine des femmes », Pauline Ferrari. C’est vraiment une très bonne enquête et elle montre très clairement aussi comment ces contenus, d’une part, sont mis en avant par les plateformes, notamment TikTok et Instagram, et aussi comment ils arrivent à convaincre, à rallier à leur cause, des jeunes garçons, des adolescents dans des moments de vulnérabilité qui est notamment celui de la rupture amoureuse en fait. Et donc des jeunes garçons qui se traînent sur les réseaux, qui sont tristes en fait, sont malheureux parce qu’ils ont un chagrin d’amour et en fait ils se font très vite alpaguer. Et ce qu’elle montre, elle a fait le test, il faut moins de dix minutes pour qu’ils arrivent dans leur fil des contenus masculinistes.
Donc tout ça, je pense qu’il y a vraiment une sorte de bataille, pour ne pas dire de guerre, de l’information sur ces questions.
Clémentine Sarlat
Et là, c’est difficile parce que nous, en tant que parents, on n’a pas vraiment la main. Les réseaux sociaux, c’est un vrai sujet à part entière et l’influence que ça a sur l’image mineure qui se façonne des relations amoureuses, comme tu disais, ou de la femme. Et ce qui est particulier, c’est qu’à contrario, on a des filles et des jeunes filles qui vont être beaucoup plus ouvertes, progressistes et qui ne se replient pas du tout sur elles-mêmes dans ce terme-là, en fait. Donc, il y a une scission aujourd’hui chez les jeunes alors que nous on a eu la sensation de notre génération qu’on était en train de réduire l’écart et c’est pas ça qui se passe.
Aurélia Blanc
Oui c’est clair que ce gender gap là on le voit dans les urnes, on le voit en fait et pas qu’en France.
Alors après faudrait voir sur la durée. Je lisais ce matin, il y a une chercheuse qui s’appelle Marie Bergstrom qui a coordonné une grande enquête. Et quand même, dedans, elle explique qu’effectivement, les jeunes femmes, donc je crois que l’étude porte, je sais plus, c’est 15 ou 18 ans jusqu’à 29 ans, donc plus de 70% des jeunes femmes se disent féministes. Et elle note quand même 54% chez les jeunes hommes. Et elle, dans en tout cas l’entretien qu’elle donnait dans ce journal, elle disait quand même que du coup ça permettait aussi de mettre un peu en perspective tout ce qu’on voit et ces jeunes hommes hyper virulents, hyper masculinistes.
Elle disait que peut-être il y avait un décalage aussi entre la place qu’ils prenaient médiatiquement et sur les réseaux et la réalité de ce qu’ils représentaient en termes idéologiques réellement chez les jeunes hommes aujourd’hui. Mais oui, je pense que qu’on efface à ce moment où il y a le retour de bâton.
Donc il va quand même falloir s’y préparer et peut-être d’où l’importance d’avoir des garçons à qui on va aussi donner une image positive et concernante du féminisme et pas qu’il soit vu uniquement comme quelque chose pour eux qui vient en fait les critiquer ou les empêcher d’eux à longueur de temps, mais que ce soit un espace aussi où eux-mêmes y trouvent du positif.
Clémentine Sarlat
Ça, c’est hyper dur, je trouve. Je me faisais moi cette réflexion il n’y a pas longtemps de dire, je trouve que c’est dur d’être féministe aujourd’hui parce qu’on a conscience absolument, une conscience aiguisée d’en parler des inégalités, des injustices dans lesquelles on vit nous-mêmes et auxquelles parfois on participe sans le vouloir. Et en même temps, on voit que les hommes, ils sont dans une posture un peu attentiste. Et donc, c’est à nous de faire leur éducation pour leur montrer. C’est hyper fatigant. Et en même temps, tu dis si on ne fait pas ça, mais personne ne le fait. Et on se dévoue un peu pour les générations d’après. Et je trouve que c’est difficile de sortir et d’aller dans un cercle vertueux et pas de s’enfoncer un peu dans le découragement.
Et encore, j’ai pas de petits garçons, tu vois, j’imagine même pas quand t’as en plus des petits garçons.
Aurélia Blanc
Non, mais c’est vrai que… Parfois, il y a des moments, je pense chez nous tous, parents féministes, de découragement et tout. Après, moi, pourtant, je ne suis pas d’un naturel très optimiste, mais quand même, je me dis, on est quand même une génération de parents et de mères, notamment, voilà, au fait des questions féministes, alors qu’on a grandi dans une époque et souvent dans des familles bien plus sexistes qu’aujourd’hui. Donc je me dis, bon, en fait, malgré tout, on progresse. Mais c’est vrai qu’il y a le risque un peu de s’épuiser. Et puis il y a cette pression, enfin je crois qu’on se met beaucoup de pression aussi en tant que mère. Et le féminisme peut en être une de plus, de se dire il faut que j’arrive à élever mes enfants, mon ou mes fils de manière féministe.
Et je pense qu’il faut aussi être un peu indulgente avec nous-mêmes.
Et moi, je suis frappée de voir que des fois, quand on va parler d’un homme qui se comporte mal ou qui est macho, on dit « olala ». On entend encore beaucoup « sa mère aurait pu mieux l’éduquer » ou « sa mère n’a pas fait le job ». Mais moi, ça me révolte cette phrase, parce que même un père absent est un modèle de père en soi, en fait.
Et donc, les pères sont tout aussi responsables que les mères de l’éducation donnée aux enfants.
Tout ça pour dire que quand même je crois qu’on a aussi besoin que des hommes s’emparent de ces sujets et il y en a quand même quelques-uns, même si ce n’est pas une majorité, mais qui se passent le relais de ces questionnements dans le champ de la parentalité, pour que ce ne soit pas qu’aux mères et aux femmes. D’éduquer tout le monde, en fait.
Clémentine Sarlat
Et c’est vrai que là, on parle de ceux qui ne font pas, mais on en connaît plein dans nos entourages. Il y en a aussi sur les réseaux sociaux qui prennent la parole. Et je vois à quel point ils prennent des remarques hallucinantes de la part de femmes et d’hommes, des deux. Et tu dis, oui, si quand eux prennent la parole et sont nos alliés, alors il y a double tranchant et des fois on les montre au nu et on trouve que c’est incroyable. Et à juste titre, c’est génial qu’ils le fassent. Mais il y a aussi toute une partie de la population qui ne supporte pas qu’un homme dévie de la trajectoire qu’on lui aurait donnée et qu’il puisse être de notre côté, si je parle de cette manière-là.
Aurélia Blanc
Il serait finalement un traître à son genre, à sa classe de genre. Effectivement, ça apparaît insupportable pour un certain nombre de gens. Et comme tu le dis, le corollaire, l’autre revers de la médaille, c’est que parfois il y a quelque chose de frappant de voir qu’un homme qui va s’emparer de ces sujets va être peut-être très vite porté au nu, médiatisé, etc. Ce qui peut être très agaçant quand on est… Parfois il y a des personnes qui travaillent sur ces sujets depuis 20 ans, qui portent ces sujets, etc. Malheureusement, je crois que c’est un peu une étape par laquelle on doit passer aujourd’hui si on veut que ces sujets soient entendus. Et il se trouve que la voix des hommes porte quand même davantage que celle des femmes.
Et puis, je pense qu’il y a un certain nombre d’hommes, de pères qui commenceront à tendre l’oreille quand ce sera un homme qui leur parlera de père à père ou d’homme à homme. Il me semble qu’on a quand même besoin de ces alliés, aussi imparfaits soient-ils comme nous.
Clémentine Sarlat
C’est sûr. Est-ce que tu as quelque chose que tu aimerais rajouter pour tous ces parents qui vont élever des petits garçons et qui sont un peu déboussolés face à l’ampleur de la tâche ?
Aurélia Blanc
Je crois qu’effectivement la tâche n’est pas facile et qu’on va avoir à faire à des défis assez importants dans les années à venir, notamment sous le coup de tous ces influenceurs masculinistes et de ce contexte global et politique qui risque d’appeler, on va dire, on sent qu’il y a une volonté d’une partie conservatrice de la société, que chaque chose retourne bien à sa place et que et qu’on revienne un peu au code d’avant. Mais ceci étant, il me semble qu’on est quand même un certain nombre aujourd’hui à essayer d’élever nos enfants en leur donnant quand même la liberté d’être eux-mêmes, de ne pas s’enfermer dans les questions de genre.
Aurélia Blanc
Et encore une fois, j’ai envie d’appeler les parents et particulièrement les mères à l’indulgence envers elles-mêmes sur le fait que On ne pourra pas, nous, toutes seules, avec nos petits bras, révolutionner complètement la société. Mais je crois quand même qu’on sème des graines et il y a des moments où ces graines, on les voit germer dans ce que nous dessoufrons nos enfants. Et c’est déjà pas mal.
Clémentine Sarlat
C’est déjà pas mal. J’aime bien ton message d’être indulgente parce que c’est vrai que parfois, on prend toute cette responsabilité sur nos épaules. Et en fait, non, nous ne sommes pas seuls et on ne pourra pas être toutes seules.
Aurélia Blanc
Oui, c’est ça. Et puis quelque part, c’est même pour nos enfants, c’est une charge, une injonction qui vient se rajouter. Pour moi, c’est quelque chose qui doit être émancipateur pour tout le monde et pour nos enfants aussi, surtout. Et en fait, nous, en tant que parents aujourd’hui, c’est vrai qu’on a en tête d’éduquer des enfants féministes, écolos, bienveillants, empathiques, autonomes, tout ça dans une société post-industrielle, hyper sexiste, en plein chaos climatique à venir. Et donc, du coup, Je pense que voilà, on fait du mieux qu’on peut et c’est pas mal. Et quand même, moi, j’ai assez confiance dans les futures générations pour faire mieux que nous.
Clémentine Sarlat
C’est clair. Il faut qu’on leur donne confiance, d’ailleurs. Merci beaucoup. Merci beaucoup.