Les violences scolaires sont un phénomène complexe qui touche aussi bien les élèves que les enseignants, et qui a des conséquences profondes sur le climat scolaire et l’apprentissage. Pour mieux comprendre ces violences et envisager des solutions, il est essentiel d’adopter une approche interdisciplinaire.
C’est dans ce cadre que l’on peut aborder l’importance du jeu, qu’il soit physique, numérique ou relationnel, comme un outil permettant de prévenir les conflits et de favoriser l’empathie entre les jeunes.
Pour en parler, j’ai rencontré Éric Dugas, chercheur en sciences humaines et sociales.
Ses travaux portent sur les violences, les discriminations et l’empathie, et il explore notamment comment la mise en jeu corporelle, à travers le sport ou les jeux entre pairs, peut contribuer à désamorcer les tensions scolaires. Il nous explique également l’impact de l’architecture et des aménagements d’espace sur le climat scolaire.
🗣️ AU PROGRAMME
📚 Parcours et formation d’Eric (00:12 – 07:01)
🧩 Place du jeu dans l’éducation (11:02 – 13:47)
⚠️ Violences en milieu scolaire et pratiques dangereuses chez les jeunes (13:47 – 20:32)
🏗️ Facteurs environnementaux (23:19 – 25:52)
🤝 Prévention et solutions (26:19 – 28:40)
🗣️ Gestion des conflits (34:56 – 37:49)
⚽ Sport et jeux comme outils (40:45 – 47:00)
🌍 Inclusivité vs inclusion (56:41 – 58:14)
TRANSCRIPTION
Clémentine
Bonjour Eric
Eric
Bonjour
Clémentine
Je suis ravie de vous recevoir dans mon podcast La Matrescence parce qu’on va parler d’un sujet quand même assez important aujourd’hui à l’école et surtout parce que vous formez encore les professeur.e.s et je pense que ça va intéresser beaucoup mon public, mes auditeurs et mes auditrices. Ma première question, c’est pourquoi est-ce que vous avez voulu devenir enseignant-chercheur et qu’est-ce que ça implique dans votre quotidien ?
Eric
Alors, pourquoi être enseignant-chercheur ? Au départ, je voulais être enseignant. C’était ma volonté professionnelle et il y a des incidences dans la vie qui font qu’à un moment donné, j’avais passé à Paris une maîtrise qui était justement spécifique à des enfants de 3 à 10 ans et qui touchait à l’interdisciplinarité et donc il fallait bien sûr, à l’époque maîtrise, c’est ce qu’on appelle maintenant des masters, et donc il fallait faire un mémoire. Et donc j’ai touché du doigt, on va dire, la recherche, la rigueur méthodologique, mettre à l’épreuve des faits certaines idées, ne pas être sur une vérité d’opinion, celle que l’on ressent, mais une vérité de faits et une vérité scientifique. Et voilà, j’ai baigné dans cette ambiance de recherche et c’est ça qui m’a interpellé.
J’avais soif aussi de lecture, j’avais envie d’aller un peu dans les sphères qui étaient au-delà de certaines frontières, et la recherche permet cela.
Clémentine
Et vous avez découvert quoi, du coup, quand vous êtes intéressé aux 3-10 ans ? Vous étiez sur quoi, sur votre mémoire ?
Eric
C’était sur les transferts d’apprentissage à l’époque, en maîtrise. Et c’était en fait voir l’évolution un petit peu de ces jeunes dans des pratiques, c’était plutôt des pratiques justement sous forme de jeu, des pratiques jouées, et de voir comment ils pouvaient donc s’améliorer dans leur conduite, aussi bien dans leurs habiletés, qu’on dit motrices, mais aussi dans le rapport à autrui, avec leurs camarades, etc. Et donc ce qui est intéressant dans ce type de mémoire ou ce type de cursus, c’est qu’on apprend à comprendre un petit peu le cheminement d’un développement aussi de l’enfant. À l’époque, ça m’avait passionné, le processus du savoir grandir. Il n’y a pas plus dur que de comprendre le cheminement d’une personne qui est en train de grandir.
D’ailleurs, on dit souvent qu’on arrive à la préadolescence, On dit souvent quelqu’un qui grandit petit à petit à l’adolescence, il va s’opposer à autrui, mais c’est s’opposer pour mieux se poser. Quelque part, voilà, c’est un processus qui m’a plu. Et ensuite, après la maîtrise, j’ai eu la chance de rencontrer, il était président du jury, Pierre Parlebas, et Dr Norris Cosa, ancien doyen de la sociologie à Paris Descartes, et qui m’a pris sous son aile pour faire des recherches, aller au doctorat et ainsi de suite. Et après, on continue. On suit le mouvement et on devient chercheur.
Clémentine
Du coup, votre discipline principale, ce serait quoi ?
Eric
Alors, au départ, c’était sociologie. Et puis grâce aussi justement à ce cursus, c’était très interdisciplinaire, donc on touchait à la psychologie sociale, on touchait à la science de la décision, la théorie des jeux. Bref, la compréhension du monde, non pas sur une seule petite lunette, mais plusieurs focales pour mieux comprendre l’autre. Il y avait Adorno, d’ailleurs Edgar Morin, grand chercheur, mais il y a 20 ans, 30 ans, on soupçonnait de dire est-ce que c’est vraiment un chercheur parce qu’il est sur plusieurs disciplines. On demande toujours de rester dans ses frontières, d’être monodisciplinaire pour être accepté comme expert. Et en fait, l’aspect un peu pluridisciplinaire ne m’avait plu. Et dans son premier ouvrage, il avait fait une introduction assez magnifique et il reprenait une citation d’Adorno qui disait « la totalité est une non-vérité ». Mais il faut essayer de s’y rapprocher.
Et donc, il faut avoir la modestie de la recherche. La recherche, c’est le doute. On peut mettre le doute même parfois, mais c’est le doute. Et donc, on va essayer d’aller creuser, d’avoir une rigueur méthodologique pour mettre à l’épreuve des faits. L’administration par la preuve, comme on dit souvent. C’est ça qui m’a passionné, en fait. Et avoir la modestie, bien sûr, de ses résultats. Pas d’interprétation trop hâtive. Ce que je dis actuellement peut être complètement obsolète dans 50 ans. Donc voilà, il faut savoir être modeste aussi. Mais c’est passionnant.
Clémentine
Alors, ici, on enregistre à Bordeaux, dans la rue de l’Ecole Normale. Et donc, juste en face de nous, il y a l’INSPE, qui est l’endroit où on forme les futurs professeur.e.s des écoles. Qu’est-ce que vous enseignez, puisque vous enseignez dans cet endroit, aux futurs professeur.e.s des écoles ?
Eric
Oui, alors on intervient sur plusieurs thématiques. Alors moi, principalement, étant également chargé de mission handicap à l’Université de Bordeaux, j’interviens sur les altérités, sur le climat scolaire, sur les jeux, sur l’empathie. Donc on essaye de travailler un peu sur les compétences psychosociales, de comprendre ce qu’on a en face de nous. Il y a des disciplines, bien entendu, scolaires, mais il y a aussi surtout des individus. Et quand ils sont dans une effervescence groupale, qu’ils sont ensemble, il faut que l’enseignant comprenne à qui il a affaire et comment se comporter. Donc ces interactions, ces intersubjectivités sont très complexes. Et c’est ça qui est intéressant.
Clémentine
Donc c’est sur la dynamique de groupe ?
Eric
Par exemple, oui, entre autres. Mais je vous dis assez interdisciplinaire, donc oui, dynamique de groupe, l’individu dans le groupe, les interactions entre pairs, les interactions avec l’enseignant, bien entendu, mais aussi les interactions avec tous les acteurs de l’école.
Clémentine
Pas seulement les enseignants.
Eric
Non, les parents, par exemple. Qui sont souvent malheureusement qui restent à la porte de l’école. Dans d’autres pays, il y a plus de porosité, il y a moins de séparation entre le dedans et le dehors. Et je pense que cet écosystème doit être important à comprendre et il faut que les parents viennent à l’école non pas pour simplement recevoir des informations ou lorsqu’il y a des problématiques scolaires avec leur enfant, mais qu’ils soient partie prenante. Pas entièrement à part, mais à part entière justement de l’école. C’est ça qui est important.
Clémentine
Ce qui n’est pas le cas vraiment aujourd’hui, c’est ça ?
Eric
Ça dépend aussi des écoles, ça dépend des interactions humaines, justement. Mais globalement, oui, quand je compare, quand je vais justement travailler ou aller dans, par exemple, au Canada, à Québec, on s’aperçoit qu’il n’y a pas le même rapport aux parents. Les acteurs sont sur une trajectoire, une dynamique plus collective. C’est moins descendant.
Clémentine
Oui, en France, on aime bien les pyramides, un petit peu.
Eric
Oui, c’est souvent pyramidal alors que chacun a sa place. En fait, c’est un système. Il faut que chaque entité d’un système soit en interrelation. C’est ça, l’approche systémique. Et si on n’a pas un système, si on n’a pas une majorité des acteurs dans une structure qu’on appelle l’école, ça peut être l’hôpital, ça peut être à l’échelle d’une mairie, par exemple. Eh bien, je pense qu’il n’y aura pas beaucoup de transformation et on restera toujours sur ces acquis que l’on a.
Clémentine
Alors, vous êtes un spécialiste, vous l’avez dit, du jeu, de la théorie du jeu, que vous étudiez, vous enseignez. Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce que ça implique au niveau de l’école ?
Eric
Oui. Alors, attention, la théorie des jeux, c’est aussi une science, la science de la décision. Donc, on retrouve chez des économistes des modèles mathématiques d’interaction stratégique. Et donc, regardez les… On regarde, par exemple, deux personnes qui sont en situation de duel et d’un point de vue économique, ils ont des gains. Des coups et on va regarder, on les met sous forme de dilemme et on va essayer de regarder, mais comment vont-ils se comporter ? Est-ce qu’ils vont maximiser ces coups ? Est-ce qu’ils vont partager certains gains ? Donc c’est étudier les comportements. Ça c’est la théorie des jeux, c’est fondé sur des interactions stratégiques entre des joueurs, entre guillemets. Mais ça peut être aussi les parents avec leurs enfants. Il faut que justement, il y ait une entente, une confrontation, mais qui permette justement que chacun puisse s’écouter et qu’on puisse ensemble maximiser également nos gains qui peuvent être simplement de bien vivre ensemble par exemple. Alors ça, c’est la théorie des jeux. Mais sinon, les jeux en eux-mêmes, ça peut être des jeux comme on peut jouer à des jeux sociétés, ça peut être des jeux plutôt sportifs où là, c’est la mise en jeu corporelle qui est prégnante. Et puis le jeu, est-ce qu’il a sa place à l’école ? Longtemps, le jeu a été dénigré. Longtemps, le jeu a été mis, justement, a été réservé au monde enfantin.
Et le jeu est assez étonnant quand même. Regardez, quand vous travaillez sur des jeux, vous parlez des jeux sérieux. C’est étonnant de dire qu’un jeu, il faut apporter sérieux pour que le jeu sérieux soit reconnu. Jeu sérieux. Il y a des jeux dangereux. Donc, au jeu, on va mettre à côté justement ce terme-là, le dangereux. Alors qu’on pourrait parler plutôt de pratiques dangereuses. Donc, vous voyez, le mot « jeu », les mots, c’est comme le handicap, les mots, au fur et à mesure du temps, ont leurs signifiés, c’est-à-dire leurs connotations. Le sens commun du dictionnaire, c’est ce qu’on lit, ce qu’on peut comprendre d’un mot, mais il y a aussi sa représentation du mot. Et c’est polysémique. Il y a plusieurs signifiés. Vous voyez, le handicap, par exemple, c’est un mot qui, au départ, a une connotation qui était très, très, très positive.
« Hand in cap », la main dans le sac. Et c’était quand on faisait des trocs et qu’on échangeait justement des objets de valeur, s’il y avait un trop grand déséquilibre, quelqu’un piochait dans le sac justement pour rétablir un petit peu le déséquilibre qui existait. Et donc il y a comme ça des mots qui vont avoir une cotation positive ou négative en fonction du temps, des sociétés, de la culture d’appartenance. Et le jeu souvent est laissé aux tous petits, et plus on grandit, et bien le jeu doit s’effacer, alors que le jeu est tellement intéressant. Quand on entre dans le jeu, on se prend au jeu souvent. Et on peut avoir des comportements extraordinaires, enclencher des motivations, qui peuvent être aussi bien intrinsèques, extrinsèques, et on peut jouer vraiment sur cette facette-là.
Clémentine
Donc le jeu, on le sait, c’est primordial pour que les enfants apprennent. Mais en France, on ne l’inclut pas encore assez à l’école. C’est ça que vous dites, qu’il faut que ce soit sérieux pour que ce soit pris en compte dans la volonté de l’inclure dans l’école ?
Eric
Oui, je pense que le jeu, il n’a pas totalement encore sa place. Je pense, en tout cas. Et quand vous dites Le jeu, pourquoi ? Pourquoi jouer ou ne pas jouer ? Le jeu et l’apprentissage, là aussi, il y a des tensions sur cela, c’est-à-dire que jouer, est-ce que le jeu est fait pour justement mieux apprendre ? Non, le jeu est fait pour jouer.
Clémentine
Pour jouer.
Eric
Au départ, déjà.
Clémentine
Pour s’amuser.
Eric
Oui, donc c’est par rapport à un enseignant, plus il s’éloigne, moins didactise, on va dire, sa pratique avec les élèves, plus justement le jeu a sa place. Vous voyez, donc le jeu, il ne sert pas simplement à apprendre, ça dépend des situations. On peut jouer pour le jeu, il a une logique en lui-même, il n’est pas forcément producteur, Et ça permet de travailler justement au travers du jeu, mais ça dépend des situations. On peut l’utiliser de différentes façons. Si le jeu a un but d’apprentissage, on va le façonner de telle façon que le jeu va être petit à petit didactisé à des fins d’apprentissage. Mais le jeu, par essence, n’est pas fait au départ pour apprendre.
Clémentine
Est-ce qu’en revanche, ça apprend pas des notions de compétences ? Sans qu’il y ait un but d’apprendre quelque chose, mais de jouer, de se mettre en situation de jeu, fait qu’on acquiert des compétences.
Eric
Oui, je pense. Eh bien, c’est le sel de ces activités, c’est qu’on se frotte à l’autre dans le jeu. Alors, il y a des jeux aussi en solo, bien entendu. Mais souvent, on joue avec les autres, donc ça socialise. D’ailleurs, c’est Philippe Mérieux, grand pédagogue, qui disait que, justement, le jeu n’infantilise pas parce que le jeu est réglé. Le jeu a un système de règles. Et donc s’il y a un système de règles, c’est-à-dire qu’il y a un rapport à l’environnement, qui peut être humain, qui peut être physique, il peut y avoir un système de score ou pas, et donc c’est très socialisant du fait qu’on doit respecter des règles. Donc le jeu ne peut pas être infantilisant, au contraire, c’est un levier, un ciment d’une socialisation. C’est ça qu’il faut comprendre aussi dans le jeu, le système de contraintes.
Clémentine
Que l’enfant va devoir respecter.
Eric
Bien sûr, il faut ce système de contraintes. D’ailleurs, si on a des intérêts partagés, à l’école ou ailleurs, dans la famille, avec les parents, s’il y a un intérêt qui est partagé, alors forcément, il faut un système de contraintes. Vous voyez, quand on oppose jeu à liberté, absence de contraintes, je pense que c’est méconnaître le jeu.
Clémentine
L’Essence même de ce qu’est un jeu. Bien sûr. Vous vous intéressez aussi aux violences qu’il peut y avoir dans le milieu scolaire et vous l’associez avec le jeu, vous avez travaillé autour avec le jeu. Est-ce que vous pouvez nous expliquer en quoi ça consiste ?
Eric
Oui, alors pourquoi travailler sur le jeu et aussi les violences ? Alors on est à Bordeaux, donc forcément je vais convoquer Éric de Barbieux, qui était un spécialiste justement des violences scolaires, et lui-même justement il réfute l’association violences scolaires. Il dit violences en milieu scolaire. Sinon on va réduire l’école à un lieu de violence. Et donc que les acteurs, dont les enseignants, dont la hiérarchie, peuvent être violentes. En effet, mais surtout, c’est en milieu scolaire, mais il faut bien montrer que l’école n’est pas hors sol. Il ne faut pas sacraliser l’école. Il y a l’école dedans, mais aussi la vie à l’extérieur. Justement, Erwin Goffman, un interactionniste bien connu qui a travaillé sur Asile, sur le handicap, sur le stigmate, il parlait des structures, des établissements qui sont justement plutôt totaux.
C’est-à-dire, quand je suis en prison et je suis enfermé longtemps, je reste dans un établissement. Sauf que l’école n’est pas du tout un établissement enfermé totalement. Il y a la vie dehors. Et on sait très bien que la vie dans la famille, la vie à l’extérieur avec ses amis, va impacter la vie de l’école. Il y a un lien de réciprocité. C’est-à-dire que ce qui se passe à l’école va influencer aussi les rapports à autrui, les émotions. Donc c’est pour ça que c’est important de travailler sur les relations à autrui et révéler que les violences à l’école ne datent pas d’hier. Et dans les jeux, moi j’ai étudié à l’époque justement avec Pierre Parlebas, on a étudié beaucoup les jeux. Quand vous regardez les jeux au 16e siècle, 17e siècle, ils étaient justement très violents.
Les jeux dans les cours de récréation, le cheval fondu, le croc en jambe, la punition, etc. Ce sont des jeux qui étaient vraiment violents et pas d’un point de vue que symbolique, aussi d’un point de vue physique. Donc vous voyez quand on dit voilà c’était moins violent avant, c’était mieux avant, non il faut quand même regarder et là la recherche cherche justement et permet de comprendre un peu ce qui se passait. Donc les violences d’antan se retrouvent sous notre forme aujourd’hui, maintenant, mais il existait des violences physiques assez importantes même dans les cours de l’école.
Clémentine
Parce que ce qu’on retrouve comme violence à l’école, souvent elle part, vous disiez, on ne dit pas un jeu mais une pratique, qui va dériver en violence. Comment est-ce que ça se constitue entre les enfants ?
Eric
Pour les jeux ? Ça dépend de quel jeu vous parlez.
Clémentine
On sait qu’il y a eu les jeux du foulard, le jeu de la tomate.
Eric
On parlait des jeux dits dangereux. Donc moi, j’appelle ça plutôt des pratiques dangereuses puisque les jeux, sinon ça, on dénigre et on met une connotation péjorative et négative au jeu. Alors oui, mais ces jeux existaient, je vous dis, des jeux étaient très, très dangereux depuis très longtemps. Et il y a trois formes de jeux qu’il faut comprendre. Il y a des jeux qui sont de non-oxygénation, alors ça c’est important que les enseignants, que les parents, que tous les acteurs qui participent à l’éducation comprennent un peu ces jeux. Il y a des jeux donc de non-oxygénation, c’est-à-dire ce sont des jeux d’asphyxie. Alors il y a le jeu, par exemple le jeu de la tomate, devenir rouge comme une tomate, on va se boucher le nez, on va retenir sa respiration et on peut aller jusqu’à la syncope. Il y a le rêve indien.
Alors il y a des appellations différentes comme ça. Le rêve indien c’est pareil. On va mettre un pouce dans la bouche et on va pareil essayer donc de retenir un maximum sa respiration. Et on peut tomber en syncope mais aussi on peut avoir une sorte d’effervescence. Puis on répète ses jeux, puis on va avoir une sorte d’adrénaline à pratiquer parce qu’on va ressentir des sensations euphorisantes. Donc c’est pour ça que c’est dangereux, la répétition est dangereuse. Donc ça c’est les jeux qui sont de non-oxygénation. Il faut quand même rappeler que quand on est dans les jeux dangereux, chaque année on est à peu près sur entre une dizaine et une quinzaine de jeunes qui décèdent à cause de ces jeux.
Donc là c’est important, on en reviendra tout à l’heure sur le rôle de tout un chacun pour mieux proagir que réagir, car souvent c’est trop tard. Donc vous avez ces premiers jeux. Ensuite vous avez d’autres formes de jeux, Vous avez des jeux d’agression. Alors des jeux d’agression qui sont intentionnels. On sait qu’on va jouer à ce jeu et que les règles du jeu vont amener de la violence physique entre les joueurs. Mais il y a aussi des jeux qui sont malheureusement contraints. C’est-à-dire que la personne va rentrer dans le jeu mais n’est pas du tout au fait. Elle ne le sait pas. Elle peut être prise au hasard, comme vous disiez tout à l’heure sur un autre jeu, prise au hasard et ça sera la cible. Ça peut être le jeu de la couleur. Aujourd’hui, on va prendre une couleur.
premier enfant qui passe les portes, on va dire, de l’école et qui a une couleur, on va dire, allez, violette, eh bien, il sera donc dans ce cas-là battu, etc. Donc il y a des jeux, vous voyez, qui sont d’agression. Et il y a des jeux aussi qu’on retrouve beaucoup plus maintenant avec les réseaux sociaux. Donc ça multiplie, ça amplifie, c’est une caisse de résonance extraordinaire qu’on maîtrise moins. Parce que vous voyez, ces jeux-là, ces jeux en réseau, on ne les retrouve pas à l’école, on les retrouve en dehors de l’école. C’est pour ça que c’est un travail qui est de longue haleine. Et là, ces jeux-là, ce sont des jeux de défis. On va faire des grands défis. Il y a un jeu qui était connu, c’était le jeu de la baleine bleue.
Et en fait, il y avait des jeux des défis, il y avait 50 défis sur 50 jours. Et tout le travail était bien réalisé, c’était presque assez pervers d’ailleurs, dans le sens où au fur et à mesure des jours, on est embrigadé, on perd un peu de sa personnalité, on rentre dans le jeu, et tellement on ne voit pas ce qui arrive, c’est que le dernier jeu du dernier jour, c’est aller jusqu’au suicide. Et il y a eu des suicides. Par Internet aussi, à un moment donné, il y a un parent qui avait porté plainte, il y avait un jeu sur Internet qui s’appelait Momo Challenge. C’était un petit singe, et pareil, qui demandait des défis. Et donc c’est des défis qui peuvent être très dangereux. Le jeu de la planche.
Se prendre en photo, on doit être dans une certaine position, mais dans un moment, dans un temps, ou dans un espace qui peut être très dangereux. Il faut tenir. Bref, donc vous avez trois catégories de jeux et les enseignants, il faut qu’ils comprennent que justement des jeux de défis, le défi c’est de défier aussi peut-être l’institution et représente l’institution. Donc on voit aussi bon nombre de jeux pris avec des téléphones au détriment justement des enseignants qui tournent le dos, c’est là qu’on peut travailler sur l’espace d’ailleurs, qui tournent le dos aux élèves et là il se passe des jeux de défis que l’enseignant ne voit pas lui-même. Vous voyez, et puis les jeux sont protéiformes. Il y a des jeux qui sont… Les jeux, on va dire, les violences, comme les jeux, peuvent avoir plusieurs formes.
Les violences peuvent être verbales, bien entendu, physiques, des violences individuelles, des violences collectives, des violences contre l’institution, et des violences contre soi. Donc voyez, c’est protéiforme, c’est complexe. Il faut bien comprendre que ce n’est pas simplement des jeux qu’on retrouve qu’à l’école. Ils peuvent aussi se greffer dans la vie de tous les jours. Et souvent, l’école, justement, n’est pas dans un réceptacle complètement enfermé. L’école est souvent le reflet de la société. Quand on voit la société sa violence, même parfois verbale, politique, on peut comprendre après ce qui se passe. Mais globalement, ce qu’on peut dire, c’est que les jeux dangereux, oui, il y a une certaine augmentation, mais ils existent depuis très très longtemps. Mais c’est surtout la visibilité par Internet, par les réseaux sociaux, par le téléphone, qui change complètement les paradigmes vis-à-vis de ces jeux dangereux.
Clémentine
Qu’est-ce qui fait que ces jeux arrivent dans une cour d’école, dans ces pratiques dangereuses ? Qu’est-ce qui fait qu’une école va être touchée et pas une autre ? Est-ce qu’il y a des critères que vous retrouvez un peu partout ?
Eric
Les jeux sont pratiqués dans les écoles. Alors en effet, ça peut dépendre des lieux, des moments, de l’encadrement aussi, de l’équipe d’encadrement, de l’architecture. En psychologie justement de l’environnement, c’était Fischer qui disait les espaces ne sont pas des simples décors et ils participent justement à nos conduites. Cherchy avait dit une phrase magnifique que je vais paraphraser, il avait dit les hommes construisent les maisons, peu ou prou. Les hommes construisent les maisons, à leur tour les maisons façonnent ceux qui habitent un petit peu. C’est un peu le principe, c’est-à-dire qu’il y a aussi des écoles qui sont mal conçues ou qui laissent certains espaces qui vont favoriser l’expression de ces jeux. Vous voyez, quand on parle, par exemple, de la cour de récréation, en fonction des cours de récréation, vous aurez des jeux qui seront plus favorables à être exploités ou pratiqués par les élèves.
Vous voyez, les cours de récréation, souvent on dit, ça va être un espace de respiration entre les cours d’apprentissage. Eh bien, c’est souvent un espace, en fait, de tension plus que de respiration. Les espaces interstitiels qui permettent aussi d’aller d’un lieu dans un autre, les toilettes. Il y a un magnifique ouvrage qui est sorti par des collègues sur l’espace des toilettes vécu par des enfants de maternelle jusqu’au lycée. Et on voit comment cet espace est utilisé différemment en fonction du genre, en fonction de l’âge. Et la cour de récréation, là aussi, c’était une de mes collègues Julie Delalande, d’anthropologie, qui avait fait à l’époque, début des années 2000, un magnifique ouvrage sur la cour de récréation. Et la cour de récréation, elle est genrée. On voit très bien que les garçons, les plus grands, les plus forts, sont plutôt au centre de la cour.
Les autres, les plus vulnérables, sont à la périphérie. Donc vous voyez, et moi quand j’étudie les jeunes en situation de handicap, là aussi on voit que l’espace a une identité vis-à-vis des différentes personnes. Donc vous voyez, je pense qu’une école, ça dépend des lieux. Est-ce que je suis en milieu urbain ? Est-ce que je suis à la campagne ? Est-ce que l’école a été pensée pour la pédagogie ou pensée pour l’écologie ? Est-ce qu’elle a été pensée plutôt pour sa fermeture, c’est-à-dire la sécurité, ou l’ouverture ? Et très peu d’écoles sont pensées, d’un point de vue de leur architecture, des configurations spatiales, des cours de récréation, pour justement exprimer le vivre-ensemble. Et plus que le vivre-ensemble, il faut viser le faire-ensemble. Et ça, c’est plus complexe. Donc je pense qu’il n’y a pas vraiment de réponse, ça dépend. En fait, c’est écosystémique, vous voyez.
Ça dépend de l’espace de l’école, où cette école est également placée dans son environnement ? Est-ce que c’est l’école, comme disait Éric de Barbieux, l’école dans le quartier ou l’école du quartier ? Est-ce qu’il y a ce sentiment d’appartenance ? Est-ce que c’est une école qui est renfermée sur elle-même ? Regardez ce qui se passe quand une école est renfermée sur elle-même. En ce moment, il y a des procès sur certaines écoles privées, etc. Vous voyez, ça pose toutes ces problématiques-là. Et donc les violences scolaires, les violences en milieu scolaire, sinon s’il m’écoute, mais les violences en milieu scolaire sont souvent le reflet de ce qui se passe également dehors.
Clémentine
Ce que vous disiez, l’école n’est pas hermétique à la vie à l’extérieur, donc ça se transpose.
Eric
L’inverse est vrai, oui.
Clémentine
Est-ce qu’on a quand même des pistes pour, un, apaiser le climat à l’école et, deux, prévenir, ce dont vous parliez, des violences qui peuvent arriver en milieu scolaire ?
Eric
Oui, il vaut mieux prévenir que guérir, il vaut mieux proagir que réagir, bien entendu, mais on peut mal aussi anticiper. Mais je pense que c’est en fait un travail d’équipe. Je vais prendre l’exemple. Un enseignant débute, il est dans sa classe. S’il n’y a pas une équipe pédagogique, S’il n’y a pas une équipe de direction qui met un cap, un sens, un travail coopératif, bien souvent il peut se retrouver un peu dans un isolat, un peu seul. Je dis souvent que travailler en silo amène le silence. C’est pareil pour les enfants. S’ils n’osent pas justement déclarer ce qu’ils ressentent, s’ils n’arrivent pas à mettre des mots sur leurs émotions, sur leurs ressentis, si l’enseignant sent aussi comme ça canassé, eh bien il y a des difficultés. Donc il faut travailler sur le climat scolaire, bien entendu, et il faut travailler sur l’écosystème.
En management ou dans le cadre de l’intelligence collective, il y a Goleman, à ne pas confondre avec le chanteur, Goleman qui avait écrit un magnifique ouvrage à l’époque sur l’intelligence en général, l’intelligence collective, l’intelligence émotionnelle, mais est-ce qu’on peut parler d’intelligence émotionnelle ? Ce sera un autre débat. Mais sur l’intelligence collective, il avait dit ce qui est intéressant, il a dit que plus la majorité, grosso modo, d’une structure adhère à un projet, adhère au sens donné, plus forte sera la transformation. Et donc quand on est une minorité, si on est seul, si on n’est pas dans une structure d’un écosystème qui travaille ensemble, je pense que malheureusement on arrivera, on aura du mal à transformer, à trouver des solutions.
Il faut qu’il y ait une équipe, dans le bon sens du terme, une équipe, une solidarité, un projet commun, un sentiment d’appartenance, sinon le reste c’est que des écrits et des paroles. Et donc, Dans les faits, il faut à tout prix travailler sur cet esprit d’équipe, travailler ensemble. Et je vous l’avais dit en introduction, c’est travailler avec tous les partenaires, la famille, l’équipe de direction, qui doit aussi apporter une bonne impulsion. Il faut une certaine verticalité, mais qu’elle soit adoucie. L’horizontalité, non, on n’y croit pas, mais une verticalité adoucie. Celui qui parle, il est véritablement écouté. Vous voyez, les enfants, les parents, les enseignants. Donc, je pense que c’est une micro société qui doit travailler ensemble. Et donc, il faut les moyens humains, les moyens financiers et les moyens interactionnels de travailler ensemble dans un cap, donner du sens et que la majorité adhère.
Que chacun ne travaille pas en silo, comme j’ai dit tout à l’heure.
Clémentine
Vous travaillez aussi sur la notion de l’empathie. En quoi cultiver l’empathie à l’intérieur de l’école peut aider à faire baisser les tensions ? Et en tout cas, est-ce qu’il n’y a pas cette agressivité qu’on peut parfois retrouver ?
Eric
Alors, baisser les tensions, il faut faire des expériences, c’est ce qu’on essaye de faire nous en tant que chercheurs. Attention aux termes d’empathie, au concept d’empathie. Il y en a certains qui diraient, est-ce qu’on cultive l’empathie ? C’est peut-être obsolète de dire ça. En fait, l’empathie, on est tous avec de l’empathie, on a tous un capital empathique. Donc ça, là-dessus, il n’y a pas de souci. Par contre c’est pas tellement cultivé, c’est que l’empathie c’est un phénomène qui est assez intéressant dans le sens où ça permet de se soucier de l’autre, qu’on a envie qu’il soit dans un mieux-être. Donc on veut le bien-être d’autrui. C’est une sorte de motivation à. Donc là c’est intéressant. Mais plutôt que parler d’empathie, je dirais les empathies. Parce que l’empathie est protéiforme, a plusieurs dimensions, et ça fait que souvent on s’y perd en donnant une définition.
Jean Decety disait souvent, c’est un mot fourre-tout un peu. C’est un spécialiste de l’empathie. Donc il faut avoir beaucoup de précautions et surtout éviter, comme dans certains articles que j’ai écrits, comme pour le bien-être, il faut éviter les injonctions au bonheur, au bien-être, à l’empathie. Il faut faire attention, ça peut être culpabilisant. Vous voyez, si à un moment donné vous interrogez une famille, des parents, votre enfant a été violent, qu’on vous fait culpabiliser, vous deviez être plus empathique quand même un peu avec votre enfant, lui donner plus de règles, alors que chacun fait avec ses moyens. On en reparlera peut-être après sur le concept d’inclusivité. Et donc l’empathie, je dirais plutôt les empathies, elles sont d’ordre émotionnel, d’ordre cognitive, c’est aussi une dimension pour réguler ses émotions, c’est aussi savoir être en prise de perspective vis-à-vis d’autrui, vis-à-vis des choses, d’une situation.
Donc c’est être en capacité, en fait, de se mettre, entre guillemets, on se met jamais à la place, comme si en fait, de se mettre à place, avoir la capacité de se mettre à la place d’autrui, tout en sachant que autrui n’est pas soi, la distinction entre soi et autrui, bien sûr, ça c’est important le côté identitaire, et pour essayer de comprendre ce qu’il ressent, ce qu’il éprouve, et voir ce qu’il pense. Donc là on est vraiment dans, vous voyez, les différentes dimensions de l’empathie. Mais l’empathie, et ça Jean Decety le dit bien, l’empathie a aussi un coût. Et le coût peut être cognitif, peut être émotionnel, il a aussi un coût très énergivore. Donc, ça demande de l’énergie, ça demande des coûts, justement, émotionnels.
Et donc, c’est complexe, l’empathie, à tel point que certains aidants, s’ils n’ont pas toute l’équipe autour d’eux, eh bien, ils ont parfois le sentiment de perdre un peu, justement, d’avoir moins d’empathie que le capital empathie qu’ils ont s’amenuise, s’épuise petit à petit. Donc voyez, l’empathie à ses défauts également. Ça je fais exprès de bien montrer que les empathies c’est complexe et ça dépend de l’environnement. Je reviens toujours sur l’écosystème et ça sera vraiment pour moi mon fil conducteur pour essayer de d’avoir des meilleures réponses empathiques, mettre des situations qui favorisent une meilleure réponse empathique, ce qu’il faut viser vraiment, c’est vraiment ce que je pense, c’est de se dire mais attention, l’empathie c’est aussi être plus proche empathiquement de ceux qui me ressemblent. Donc l’empathie est partielle.
Donc vous voyez que parfois quand on essaye d’avoir un bon raisonnement ou d’être sur, on va dire, une attitude, une morale exemplaire, attention, quand je suis empathique, je sais que l’empathie est partielle, c’est-à-dire que je vais être plus motivé à aider l’autre, à me soucier de l’autre, qu’il me ressemble. Donc en fait, plus il y a de distance sociale avec autrui, eh bien moins je peux être empathique. Vous voyez, donc c’est partiel. Je peux me faire dominer par mes émotions, c’est ce qu’on appelle la confusion émotionnelle. Et donc petit à petit, cette confusion émotionnelle, je suis surabondé par mes émotions, et ça peut aller jusqu’à l’épuisement de soi, l’épuisement professionnel. Vous voyez, il y a tous, entre guillemets, ces défauts de l’empathie.
Clémentine
Mais là, ma question, ça englobait surtout quand on est dans une classe ou quand on est ou même quand on est les parents face à ce type de violence. Qu’est-ce qu’on peut mettre en place, du coup, pour pouvoir aider à faire baisser l’agressivité, baisser les tensions qui peuvent avoir lieu au sein de l’école ou qui se manifestent en tout cas à l’école ?
Eric
Il faut l’école de la confiance. Il faut sentir en confiance et légitimer aussi la parole de leurs enfants. Je reprendrais à Éric de Barbieux quand il partait justement au Canada. Au Canada, il disait « A toute situation complexe, s’il y a une seule solution simple, c’est forcément la mauvaise ». Donc il n’y a pas de recette, ça dépend de la situation, c’est comme une grosse pelote de laine et vous devez tirer les bons fils. Mais comment tirer les bons fils ? Ça on demande beaucoup de choses parfois aux parents, alors c’est tellement complexe. Donc, si je reprends un proverbe qu’en ce moment tout le monde utilise, je suis étonné, sur justement il faut tout un village pour élever un enfant, c’est ce même principe-là. C’est-à-dire que ce n’est pas les parents qui vont avoir une seule réponse, c’est les parents et l’écosystème.
Il faut que chacun puisse travailler. Par contre, pour les parents, oui, il faut légitimer la parole de leurs enfants. Ça, c’est important. Respecter leur libre arbitre tout en les mettant dans un système de contraintes. Ça aussi, c’est important. Mais il faut savoir, il faut que les personnes puissent oser justement en parler, qu’ils ne sentent pas derrière les préjudices qu’il peut y avoir en libérant la parole. Donc il faut qu’ils soient à l’aise, il faut que les parents soient de concert avec les enseignants d’un point de vue pédagogique, avec les différents acteurs. Il y a des rôles clés à l’école. Vous avez des CPE dans les collèges et lycées, vous avez des infirmières scolaires, vous avez des psychologues également scolaires. Et je pense que c’est toutes ces compétences qui ont tous des besoins et qui vont travailler justement sur ce devenir d’un enfant.
Donc il n’y a pas vraiment de recette, il faut simplement que les parents légitiment la parole, comme on légitime ses peurs, comme on peut légitimer un traumatisme. Vous voyez, il y a un traumatisme, un affreux, disait, il y a deux coups. Le premier coup, c’est ce qu’on vit. Alors ça peut être le manque, une violence que j’ai subie. Et le deuxième coup, c’est la représentation de ce réel, mais tel qu’il est écouté ou dit devant les autres. Et comment les autres vont le ressentir ? C’est pour ça que parfois on a besoin d’être légitimé quand on a eu des violences par la justice, qui permet de nous réparer aussi. Il faut sentir légitimé. Et ça, c’est important. Le premier miroir, c’est l’autre. Il peut être déformant ce miroir aussi.
Clémentine
Quand il y a des conflits à l’école, au sein de l’école, c’est important que l’équipe de direction, l’instituteur ou l’institutrice, plus les parents, ensemble trouvent une solution, ensemble écoutent les enfants. Est-ce qu’il y a des directives de la part des chercheurs sur comment régler ces conflits-là ?
Eric
Alors des directives, il n’y a pas vraiment…
Clémentine
C’est chaque directeur ou directrice ?
Eric
Non, il y a des conseils. Il faut déjà arriver justement à que l’enfant sente à l’aise, donc le mettre dans une situation. Je parlais d’espace tout à l’heure. La parole ne va pas se libérer de la même façon si je suis assis dans une classe face au bureau du professeur que dans un petit espace cocooning comme ici, qui est très sympathique, où là, je vais être plus favorable à libérer ma parole. Le statut aussi de l’autre. Est-ce que c’est une blouse blanche ? Est-ce que c’est quelqu’un comme vous et moi ? Donc il y a tout un contexte qui va jouer pour qu’on puisse exprimer. Grosso modo, qu’est-ce qu’on peut donner surtout comme conseil ? C’est aborder l’enfant pour qu’il sente à l’aise, comme j’ai dit. C’est l’écouter.
Une véritable écoute, ce qu’on appelle l’écoute active, le laisser parler, essayer de bien comprendre ce qu’il nous dit, pas parler à sa place, pas lui couper la parole, donc une véritable écoute active. Il faut savoir après lui dire qu’il y a des solutions. On peut aller voir telle personne, il existe tel type d’association, etc. Donc il faut savoir aussi travailler un petit peu sur les réseaux qui existent, et puis lui dire aussi la réalité, la vérité. Vous voyez, c’est un travail qui est vraiment collectif, qui donne du sens, mais c’est surtout arriver à bien approcher l’autre, pour que le miroir justement ne soit pas déformé et déformant, Il faut qu’ensuite on puisse bien l’écouter. Une fois qu’on l’a écouté, il faut le légitimer dans ses peurs. Dans les violences, s’il a reçu des violences, il faut le légitimer. Surtout ça, c’est très important.
Et après, essayer de l’accompagner et de lui dire que ce soit un enfant, un adolescent ou un jeune adulte et lui dire qu’il existe des numéros, il existe des associations, il existe des partenaires à l’école, en dehors de l’école, tu n’es pas seul. Il faut tout un village pour le protéger, tout un écosystème. Et c’est comme ça qu’il arrivera justement à petit à petit prendre le chemin de l’avenir qui se dégagera devant lui. Ça, c’est important, vous voyez ? Donc voilà les quatre éléments clés qu’on doit respecter.
Clémentine
Est-ce que vous étudiez le jeu sous toutes ses formes ? Est-ce que le jeu physique sportif peut aussi être une solution pour faire baisser des tensions, régler des conflits à l’intérieur de l’école ?
Eric
Oui et pas toujours. Alors en fait, pourquoi ? Parce qu’il y a différentes formes de jeux. Si vous prenez le sport, alors vous me dites si je suis trop compliqué quand je vais m’exprimer. Si je reprends la science de la décision, la théorie des jeux, on dit qu’il y a trois formes de jeux. C’est pour ça que ça peut être des jeux entre pays ou autres. Je ne parle pas que du jeu physique. Il y a des jeux à somme nulle. Somme nulle, ça veut dire moins 1 plus 1 égale 0. Nul. C’est-à-dire que ce que l’un gagne, l’autre le perd. Prenez un match de tennis, voilà, tout le monde va comprendre. Un match de tennis, eh bien, il y a un gagnant, il y a un perdant. Donc tout ce qu’a gagné un, l’autre le perd.
Donc ça, c’est des jeux à somme nulle. Une guerre, malheureusement, si c’est un jeu à somme nulle, on voit ce qui peut apparaître. Donc le sport, génère aussi des jeux à somme nulle, c’est-à-dire génère des jeux où il y aura un perdant et un gagnant. Et quand je prends l’ensemble des sports, il y a plus parfois de perdants que de gagnants. Si je prends le tennis, c’est un contre un, mais si je prends une course automobile, de cycliste, il y a un vainqueur. Bref, il y a donc beaucoup plus de perdants. Donc le sport peut être intéressant, car il peut aussi nous amener à apprendre à gagner. À se vaincre, à vaincre l’autre, à être dominant. Donc c’est intéressant. On prend l’école qui est fondée plutôt sur la méritocratie, sur l’évaluation. C’est bien pour un enfant qui est un petit peu timide.
C’est un de mes collègues qui avait écrit justement un ouvrage là-dessus. Votre enfant est timide et pas bien, faites-lui faire du sport. Il va apprendre à vaincre, à dominer, à gagner. Donc c’est intéressant aussi. Mais il y a la limite aussi, le fait que c’est un jeu où on s’affronte à l’autre, on s’oppose. La vraie solidarité, c’est quand on est ensemble, avec un but commun. Vous prenez un manager, vous prenez une entreprise, ils ne vont pas faire du football ou de la gymnastique au sol. Ils vont plutôt aller en milieu incertain, en pleine nature, et puis faire de la cordée pour amener une solidarité. Donc là, on essaye de vaincre l’environnement physique et non pas l’environnement humain. Donc vous voyez, c’est pour ça que c’est intéressant de voir qu’il y a beaucoup d’activités qui sont riches pour amener la solidarité, la coopération.
Donc le sport est très intéressant parce qu’il est cadré. Aussi dans une institution, mais ça dépend de ceux qui sont là. Quel type d’entraîneur ? Comment est le club ? On a vu certains scandales. Donc c’est un supervivier de l’école, on va dire, de la vie, le sport, du fait que c’est un système de contraintes. Mais il y a aussi des sports où on va se frotter à l’autre et on va s’opposer.
Les premières expériences sur les conflits ont été faites par Sherif et son équipe. C’était dans les années 50. On est en psychologie sociale. Ils avaient amené des enfants qui ne se connaissaient pas dans une sorte de colonie, mais qui était une véritable expérimentation. Ils étaient dans une maison forestière, côté des États-Unis, et à un moment donné, ils essaient de regarder quelles sont les amitiés premières entre enfants.
Alors on voit ceux qui s’apprécient ou pas les premiers jours. Vous voyez les amitiés spontanées comme ça. Et puis à un moment donné, ils scindent en deux le groupe. Le groupe de 24 enfants, donc imaginons ils sont 12 et 12, et ils s’en vont faire des activités de coopération. Alors ce qui est intéressant, c’est que les enfants, alors qu’il n’y a aucune contrainte, il n’y a pas d’enseignants, il n’y a pas de parents, ils se mettent eux-mêmes des contraintes, des punitions. Un leader apparaît, des lieutenants, ils se donnent un nom. Vous voyez, ça devient du Koh Lanta. Ils se mettent un nom, ils ont une effigie, etc. Et quand ils reviennent, on voit que les premières amitiés ont assez diminué. Les premiers groupes qui se sont créés, les groupes qui se sont créés, d’autres amitiés se sont forgées.
Et quand ils sont rentrés, alors c’est une expérience ça, sous couvert d’une sorte de colonie de vacances, et quand ils sont rentrés ensemble, eh bien ils ont décidé, les deux groupes, de s’opposer par des sports. Et là, les perdants ont été revanchards, ça s’est terminé par une guerre des boutons, c’était la bataille. Parce qu’il y a eu beaucoup d’affrontements. Donc vous voyez quelque part, l’impact d’une société, l’impact maintenant d’une école, l’impact d’une famille, vous pouvez changer, si vous changez les pratiques, les règles d’un jeu par exemple, vous pouvez changer les comportements. Et donc c’était une belle expérience pour révéler qu’une sorte de solidarité qu’il peut y avoir ou des amitiés premières peuvent être très très vite défaites par justement des tâches réalisées.
C’est pour ça qu’un enseignant comme un parent, ils ont des responsabilités extraordinaires en fonction de la manière dont vous allez faire évoluer vos enfants. Qu’ils soient des élèves ou vos propres enfants, eh bien vous pouvez les amener plutôt vers l’égocentrisme, vers le repli sur soi ou plutôt la solidarité, être ensemble, etc. Donc vous voyez, le sport a ces facettes qui sont très très intéressantes, très riches, et puis aussi attention à ne pas systématiser toujours le côté opposition, battre l’autre, etc. Donc en fait, il faut jouer sur toutes les facettes et vous parliez qu’il y avait différentes formes de jeux. Ce qui est intéressant, c’est qu’il existe des jeux dans leur règlement où je change d’équipe, par exemple. Vous voyez où à chaque péripétie gagnante ou perdante, les règles du jeu me disent que je vais changer, je vais inverser les rôles.
Et donc, en fait, là, je commence à rentrer dans l’empathie, c’est-à-dire que je vais mettre à la place de l’autre. Il y a des jeux où, justement, il y a des violences symboliques qui se jouent dans certains jeux et qui permettent justement de mieux comprendre, car j’éprouve les choses, Et en les éprouvant, une fois que j’ai mis les mots sur ce que j’ai éprouvé par le jeu, eh bien je peux mieux comprendre ce qui se passe. Vous voyez, on inverse ses rôles. Jamais dans un match de football ou de rugby, les joueurs vont changer comme ça de rôle. Mais dans la vie n’est pas un sport. La vie c’est justement, j’ai des amitiés avec certaines personnes, après parfois je peux avoir des petites fâcheries. Bref, c’est une effervescence relationnelle qui bouge. Avec du côté négatif, positif.
Et donc voilà pourquoi jouer dans l’éducation sur différentes formes de jeux est intéressant. Sur trois points, le premier, se confronter à l’autre, éprouver l’autre par le corps. Vous voyez, je réduis la distance sociale que j’avais énoncée tout à l’heure. Je me frotte à l’autre. Souvent, on fait appel à ses fantasmes, à ses représentations, à ses biais cognitifs, parce que je ne connais pas l’autre. Quand je ne le connais pas, eh bien je fais appel à mes croyances, à mes mythes. Voilà, donc il faut rapprocher les uns des autres. Alors ça, je travaille beaucoup sur le handicap. C’est la méconnaissance du handicap qui fait qu’on ne reconnaît pas l’individu handicapé.
C’est pareil pour un enfant qui est un peu plus timide, qui est un peu plus différent des autres, qui va être un peu le bouc-émissaire de certains de ses élèves parce qu’on ne le connaît pas, on ne le comprend pas. Le manque de méconnaissance amène un manque de reconnaissance. Donc c’est là-dessus qu’il faut jouer, c’est pour ça que je travaille sur différents jeux, dont là en ce moment pour l’université, des jeux justement, des serious games. Je suis obligé d’employer le mot serious game, alors des pratiques sérieuses, des serious games et des escape games, pour justement sensibiliser le personnel, comme les étudiants, à l’altérité, au handicap, et je le fais au prisme justement des empathies.
Donc le jeu est fondé au prisme des empathies pour mieux comprendre, éprouver et ensuite je mets des mots, des briefings, je mets des mots sur ce que j’ai vécu et ça me permettra petit à petit peut-être de changer mes conduites vis-à-vis de l’autre et mon miroir souvent déformé, qu’il devienne un véritable miroir.
Clémentine
Parce que du coup, pour les enfants, par exemple, c’est plus efficace de passer par des pratiques telles que le jeu que d’avoir une leçon de morale pour dire c’est pas bien de taper, c’est pas bien d’être en conflit ou c’est pas bien d’être agressif, peu importe ce qui s’est passé dans une cour de récré. Enlever un peu la pression de la honte et de la stigmatisation et de faire tourner les enfants dans des situations diverses, ça a plus d’impact pour eux.
Eric
Oui, je pense. Je pense qu’il faut vraiment, quand je parlais tout à l’heure d’éprouver les choses, il faut vraiment les vivre. Il faut que toutes nos émotions, tous nos sens soient alertés. Et ça nous permet après de mieux poser les choses, de mieux les comprendre. Donc j’aime bien cette démarche plutôt ascendante. On part du concret pour mieux réfléchir après tous ensemble, vous voyez ? Donc plutôt du concret à l’abstrait. Donc c’est intéressant de vivre ces situations. Je crois beaucoup à la force, en tout cas c’est ce que j’ai fait dans mes recherches modestement, mais depuis quand même un an, pas mal d’années, le fait d’éprouver les choses, de les vivre. D’ailleurs, regardez, je vous fais une petite parenthèse, mais Camille Étienne, qui a écrit un ouvrage qui est très féministe, mais qui se bat aussi par rapport à l’écologie, le climat.
Dans son ouvrage qu’elle a écrit, justement, elle parle à un moment donné qu’intellectuellement, elle avait compris la fonte des glaces, etc. Elle le voyait même quand elle était petite. Mais à un moment donné, elle a été voir des chercheurs, justement. Dans les pays, je crois que c’était en Islande, de mémoire, j’en suis pas sûr, mais elle a été voir, et à un moment donné, il lui a fait comprendre, il a pris la voiture, il lui parle de « tiens, mais je crois que t’es né en 1998 » c’est dans son ouvrage , et oui, ok, ben il s’arrête là, il dit « ben tu vois, j’aurais pu faire mes prélèvements de glace en 98 à cet endroit-là, et là, on va continuer et continuer ».
Et en fait, elle a éprouvé les choses, et c’est là que ça a été le déclic, justement, de se battre pour, intelligemment d’ailleurs, ça va voir aussi les politiques, de se battre pour le climat. Vous voyez, le principe est le même, c’est éprouver les choses, ressentir, mais il faut maîtriser aussi l’ensemble. Il ne suffit pas de jouer pour mieux apprendre à vivre avec autrui. Alors là aussi, ça demande une équipe, une maîtrise. Du contexte. J’ai vu des cas inverses. Oui, un encadrement. J’ai vu l’inverse. J’ai vu des jeux mis en place où les élèves n’ont pas compris du tout les codes qui étaient donnés par rapport à ces jeux et ça a amplifié leur comportement qui était déjà, entre guillemets, pas trop scolaire. Vous voyez, il faut faire très attention.
Il ne suffit pas de dire ou de mettre les enfants dans un jeu pour qu’ils puissent changer les comportements, en tout cas qu’ils puissent changer les comportements qu’on a envie qu’ils aient. Pas du tout. Ça demande du temps. Il faut du temps. Le pouvoir du temps, le rapport au temps est hyper important. Il faut du temps. Il faut maîtriser. Il faut une équipe qui maîtrise. Et ensuite, le répéter dans le temps, que ce soit durable pour qu’on puisse avoir des effets. Une expérience qui a été faite, petite parenthèse, sur le handicap, où dans une entreprise on avait mis des managers et des responsables d’entreprise en situation de malvoyants. Tellement le jeu était mal conçu, trop complexe.
Ils se sont dit, en sortant de ce jeu, mais moi j’emploierai jamais dans mon entreprise, de personnes qui sont en situation d’handicap malvoyante, ils seront incapables de faire ce que je leur demande. Donc l’effet a été inverse. Vous voyez, il ne suffit pas de dire on va jouer, on va faire ceci, on va faire cela. Ça demande un écosystème raisonné et raisonnable, durable dans le temps et maîtrisé. Et là, la recherche sert à cela. C’est-à-dire qu’on puisse pas faire n’importe quoi, moi je disais pas d’injonction au bonheur, au bien-être, à l’empathie, tout ça ça veut rien dire, il faut mettre à l’épreuve des faits, il faut maîtriser un protocole, il faut savoir l’évaluer et pour l’évaluer il faut une bonne méthodologie et il n’y a pas de recherche sans méthodologie rigoureuse. Donc c’est une conscience scientifique qu’il faut amener.
Voilà en quoi modestement la recherche peut amener aussi à comprendre plus que résoudre, mais à comprendre certaines problématiques.
Clémentine
J’ai une dernière question. Vous l’avez un peu dit, mais pourriez-vous m’expliquer ? Est-ce qu’il y a plus de violence aujourd’hui au sein de l’école qu’il n’y a eu avant ?
Eric
Non, je pense que c’est des violences qui se transforment. On a vu l’apparition d’Internet, des réseaux sociaux qui n’existaient pas avant. Donc il y a d’autres formes de violences. Je l’ai dit tout à l’heure, c’est protéiforme, ce n’est pas que physique. Donc il y a d’autres formes de violences. Et malheureusement, quand on vit en ce moment des perspectives que l’on voit nationales, internationales, par les images, par des mots qui peuvent être choquants, à un moment donné on commence à banaliser ce type de comportement et cette banalisation n’est pas bonne. Alors autant pour l’handicap, je dis il faut banaliser le handicap pour éviter de le mettre dans l’exception, autant là c’est le reflet un petit peu d’une société.
Ce qui est inquiétant c’est plus les dérives un petit peu que l’on a dans la société et ce système de contraintes où la morale, l’éthique, le respect d’autrui se voient pas à un certain niveau, je dirais politique ou autre, et on demande après aux parents, aux enseignants, de combattre un petit peu, de réduire tous les maux de la terre, c’est pas possible. Et là, l’écosystème, je l’amène à un niveau beaucoup plus large qui peut être international, bien entendu. Donc c’est ça qui est vraiment complexe.
Clémentine
En fait, ce que vous expliquez, c’est qu’il y a un lien entre ce que les politiques ou les gens qui nous représentent montrent et comment ils se comportent, qui après va se retrouver à un moment ou un autre dans notre vie de tous les jours et donc potentiellement dans une cour d’école. Et on ne peut pas demander ni aux élèves ni aux parents d’être exemplaires quand au-dessus de nous, ça l’est pas..
Eric
Oui, alors je vais vous parler des fameux Trois « i », ça me fait penser à un ouvrage, Repensez la pauvreté d’Esther Duflo, d’ailleurs grande économiste et qui a eu un prix Nobel, magnifique française et justement, souvent, elle parlait des fameux Trois « i », par exemple. Les Trois « i », vous connaissez les Trois « i » ? Alors les Troisi, c’est d’abord l’idéologie. C’est-à-dire que, faute de preuves ou autre, on fait appel à ses croyances, à ses mythes. Donc l’idéologie, ça c’est le premier « i ». Le deuxième « i », c’est l’ignorance. Souvent, parfois, les politiques ou d’autres personnes vont donner des impulsions, des ajustements, sans connaître vraiment ce qui se passe, sans connaître le terrain. C’est pour ça qu’il faut écouter les jeunes, il faut écouter les parents, il faut écouter les enseignants, il faut écouter ceux qui sont sur le terrain. Ça c’est important, ça c’est l’ignorance.
Et ensuite, après, il y a l’inertie. Souvent, quand on a décidé de faire quelque chose, très difficile en psychologie sociale, très difficile de changer d’avis. On reste sur ses positions. Et donc, dans Le Monde à l’époque, en 2012, j’avais écrit un petit pamphlet là-dessus, un petit article en disant, si on a ces trois « i » là, ça creuse le quatrième « i », celui des inégalités, qu’on peut retrouver également à l’école. Donc oui, il faut que les personnes qui dirigent adoucissent un peu la pente, c’est pour ça que moi pour le handicap, mais pour toute forme de vulnérabilité, de personnes minorisées ou ceux qui sont en minorité, si je prends par exemple les femmes qui peuvent être non pas en minorité, mais minorisé. Voilà, c’est important.
Et quand moi je travaille sur le care, par exemple, sur le souci de l’autre, on voit qu’il y a plus de maman, de femme que de papa. Et souvent dans ces problématiques-là, on doit essayer de comprendre. C’est pour ça que j’emploie l’inclusivité plus que l’inclusion. C’est-à-dire qu’on est passé sur des stades, différentes périodes, et quand on a commencé ensemble notre interview sur les mots, je reprendrai Pierre Bourdieu mais d’autres auteurs qui ont dit « les mots font les choses ». Et quand les mots rentrent dans le langage commun, quand les mots sont banalisés également et employés par nos politiques, ils peuvent transformer, les mots peuvent servir à transformer les choses. Et si je prends le mot inclusion, vous voyez au départ c’était plutôt l’exclusion, après on s’est dit quand même qu’il faut que les personnes puissent s’intégrer, handicapées, immigrées ou autres, l’intégration.
Mais donc l’effort était demandé aux personnes de s’intégrer, mais l’effort était de leur propre ressort. Il fallait qu’il se plie à la majorité, entre guillemets, dite la norme. Et après, on est passé, je ne vais pas raconter toutes les lois ou autres, mais à un moment donné, on a changé de paradigme. Parce que le mot inclusion, le mot intégration a amené les politiques, les personnes, les structures, l’école à ne pas faire un effort eux-mêmes. C’était à eux de s’intégrer.
Clémentine
Et donc, on est passé à l’inclusion.
Eric
Mais l’inclusion c’est l’extrême inverse presque, c’est-à-dire qu’on a oublié de reconnaître dans l’inclusion qu’il faut la participation de tous. On a retenu de ce mot inclusion que c’est à l’école, aux politiques de s’ajuster, à l’école, à l’hôpital, à la société, à une ville, d’inclure les personnes. Donc l’effort doit être fait par les structures. Et donc, regardez tout ce qui se passe dans les réseaux et partout, on voit que les familles, les parents sont très déçus quand on leur promet de l’inclusion et qu’in fine, forte désillusion. Il y a encore plus forte désillusion quand l’inclusion n’est pas avérée. Et donc, vous voyez, quand ça devient un but comme ça, l’inclusion qu’on affiche et que les prescriptions ne sont pas suivies dans les faits, qu’il n’y a pas de concrétisation, la chute est encore plus dure.
Vous voyez, c’est pour ça que moi, je prône une ère qui dépasse l’inclusion, où je vais vers une nouvelle ère qui s’appelle l’inclusivité, qui est un effort partagé et partageant où là justement il y a une forme non pas d’égalité ni de rosalité, mais où tout le monde puisse participer. Vous voyez, j’ai donné cette définition, certains penseront à la définition de la sécurité sociale, mais en fait je l’ai déformée et je l’ai appliquée à l’inclusivité, c’est chacun s’intègre, je reprends intégré, selon ses moyens, et la société, la structure, l’école, la vie, les politiques nous incluent selon nos besoins. Vous voyez, c’est un effort partagé, partageant, et c’est un processus. Ce n’est pas une illusion de ce qui va se passer, mais c’est plutôt dire c’est un processus qu’on va faire ensemble. Pas une fin, mais un processus inclusif.
Clémentine
Commun.
Eric
Et commun, bien sûr. Oui, voilà, exactement.
Clémentine
Merci beaucoup, Eric.
Eric
Mais de rien. Merci à vous.
Clémentine
Pour toutes ces précisions, j’espère que s’il y a des professeurs ou des directeurs, directrices ou parents qui sont confrontés à ça, à cette violence, qu’ils puissent avoir un tout petit peu plus de clarté sur ce qui se joue aussi à l’école, quel type de violence il y a, ce qu’on peut mettre en place avec un cadre, avec vraiment des directives et une capacité à penser ensemble pour le bien-être des enfants, parce que c’est quand même de ça dont on parle à la base. Merci, Eric.
Eric
Mais de rien.