Épisode 188 – Quelle place pour les grands-parents aujourd’hui ?

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Dans ce podcast on vous a écouté!  

Vous nous avez demandé ce sujet des dizaines voire des centaines de fois et nous y voila!

Les relations entre enfants et grands-parents ! 

Devenir parents vient bousculer la hiérarchie familiale. 

Certains grands-parents sont trop intrusifs, d’autres trop absents tandis que pour une autre partie, ce changement se passe sans grand soucis.

Myriam Cassen psychologue clinicienne, thérapeute familiale et addictologue mais aussi la fondatrice de l’institut Michel de Montaigne vient nous éclairer sur ce qui fait la spécificité de cette nouvelle donne dans la famille avec l’arrivée d’un petit enfant.

Pourquoi les grands parents sont différents d’avant, qu’est ce qu’il se joue dans cette nouvelle configuration? Pourquoi il y a des tensions? Comment repartir dans un cercle vertueux au sein de la famille ?

Les grands parents et la nouvelle génération de parents peuvent parfois se sentir en grand décalage. Mais pour celles et ceux qui voudraient être présents prendre sa place peut parfois s’avérer difficile.

Je vous souhaite une bonne écoute.

TRANSCRIPTION DE L’ÉPISODE

Clémentine Sarlat : Bonjour Myriam.

Myriam Cassen : Bonjour.

Clémentine Sarlat : Je suis ravie de vous recevoir dans ce podcast. Merci beaucoup d’avoir accepté mon invitation parce que ça fait très longtemps que je veux parler des grands-parents et vous avez fait une conférence ici à Bordeaux sur ça, donc je sais que je suis tombée sur la bonne personne.

Myriam Cassen : Merci en tout cas de m’avoir invitée sur ce thème.

Clémentine Sarlat : Alors, on va parler des grands-parents parce qu’aujourd’hui, c’est un sujet très important dans les familles et c’est un sujet qui a beaucoup évolué depuis plusieurs décennies. Ma première question, elle vous concerne vous d’abord. Pourquoi est-ce que vous avez voulu devenir psychologue et surtout accompagner les familles?

Myriam Cassen : Je pense que j’ai appris très tôt à me préoccuper des autres. Je n’irai pas plus loin.

Clémentine Sarlat : Dans votre histoire personnelle, c’est ça?

Myriam Cassen : Oui, mais je pense que beaucoup de soignants ont appris très tôt à s’occuper des autres, à être sensibles à la détresse des autres.

Clémentine Sarlat : Et donc quand vous êtes devenue psychologue, vous avez tout de suite aussi voulu être tournée vers la famille ou c’est venu après?

Myriam Cassen : Non, pas du tout. Quand je suis devenue psychologue, j’ai été assez vite après addictologue. Je me suis occupée beaucoup, en particulier de femmes, polytoxicomanes. Mais très vite, j’ai compris, malgré les formations que j’avais eues pour faire de la thérapie individuelle, que sans l’entourage, on avait trop de limites dans les soins – n particulier chez les enfants, bien sûr. Mais ça m’a évidemment beaucoup orientée vers la prise en charge des familles, des parents, voire des grands-parents. Parfois, on fait des thérapies familiales à trois générations. Entre temps, j’avais fait une licence d’ethno, donc je me suis beaucoup intéressée aux groupes. Ça a été ça, la motivation.

Clémentine Sarlat : Alors ça fait plusieurs dizaines d’années aujourd’hui que vous exercez ce métier, vous avez vu une évolution depuis que vous avez débuté. Est-ce que votre accompagnement a changé au fil du temps envers les familles? Aujourd’hui on est en 2024, est-ce que c’était la même chose quand vous avez débuté?

Myriam Cassen : Heureusement pas, en tout cas pas à l’Institut Michel Montaigne. On a fait évoluer notre façon de travailler en fonction de connaissances scientifiques. C’est-à-dire qu’à moins, je pense, d’être dans l’idéologie, on ne peut absolument pas travailler, même comme il y a dix ans. Alors qu’est-ce qui est apparu ces trente dernières années, mais surtout depuis dix ans ? Ce sont toutes les connaissances qui nous ont été apportées par les neurosciences sociales et affectives, c’est-à-dire comment fonctionne le cerveau. Et ça, ça nous a beaucoup aidé à voir quel est l’impact d’un certain type de relation sur le développement de l’enfant. Ça a été un grand – comment dire ? – un grand champ de découvertes, en particulier : c’est l’attachement. Donc très difficile aujourd’hui de travailler sans la théorie de l’attachement. Qu’il s’agisse en thérapie familiale, ça va de soi, mais également en thérapie de couple, par exemple.

Et puis l’autre grand champ de développement des neurosciences sociales et affectives, ça a été l’impact des humiliations jusqu’à l’impact du psychotrauma sur l’adaptation du cerveau, et donc l’adaptation des êtres humains. Et chez les enfants et les adolescents qui ont un cerveau qui n’est pas mature, évidemment c’est très lourd de conséquences quand on est dans des domaines très… Dans des champs familiaux très maltraitants. Donc forcément, si vous voulez, ça, ça nous a appris à modifier nos pratiques parce qu’on ne soigne pas les troubles de l’attachement ou les blessures d’attachement et les psychotraumas avec la systémie seulement ou la psychanalyse. Donc, on a dû intégrer un certain nombre de ces connaissances à nos pratiques. Donc, ça a vraiment évolué. Oui, oui. Et nos patients aussi ont évolué beaucoup.

Clémentine Sarlat : Les demandes ont évolué, j’imagine.

Myriam Cassen : Oui, oui, absolument.

Clémentine Sarlat :

Et vous voyez une accélération ces dix dernières années par rapport aux trente premières ou il y a du changement? Sous quelle forme?

Myriam Cassen : Le changement essentiel, c’est l’éclatement des familles.

Clémentine Sarlat : L’éclatement des familles.

Myriam Cassen : Bien sûr, et le fait qu’on ait de plus en plus de familles monoparentales ; d’enfants, de parents séparés, avec des multiples séparations. La séparation en soi n’est pas un problème. Il vaut mieux se séparer que de se disputer, se battre devant les enfants. Mais avec une pérennité des familles qui est beaucoup plus courte, qui n’existe plus aujourd’hui quasiment. Et c’est vrai chez les grands-parents aussi d’ailleurs, on va en parler. Donc ça c’est des perturbations essentielles.

Clémentine Sarlat : Oui, puisque la famille aujourd’hui prend un sens très large, si on prend les familles recomposées. Parce qu’il y a plusieurs grands-parents, il y a l’autre famille de la séparation, c’est vrai que ça peut faire beaucoup de monde à gérer dans les interactions familiales pour les enfants, juste de voir à quoi ça ressemble leur famille.

Myriam Cassen : Absolument. Et ça c’est un des changements essentiels. Si vous voulez, il y a 40 ans ou 50 ans, sans être vraiment passéiste, la plupart des enfants avaient 4 grands-parents. Et les grands-parents avaient 6, 7 petits-enfants. Alors aujourd’hui c’est l’inverse. Vous pouvez vous retrouver dans des familles recomposées où il est fréquent que vous ayez 6 ou 7 grands-parents. Parce que vous avez adopté comme grands-parents, psychiquement, des grands-parents qui ne sont pas vos grands-parents biologiques mais qui sont les parents de quelqu’un qui a vécu avec votre père ou votre mère pendant 15 ans, qui vous a élevés. Et ces grands-parents ont souvent peu de petits-enfants, donc on est dans un rapport inverse. C’est très intéressant.

Clémentine Sarlat : C’est vrai que la base n’est plus la même, on va dans une pyramide inverse.

Myriam Cassen : Pas du tout, du tout. Et la question qui se pose d’ailleurs, c’est le droit des grands-parents non biologiques. C’est une question qui n’est pas encore tranchée du tout. C’est la même question que pour les beaux-parents d’ailleurs. Ça, c’est un grand changement.

Myriam Cassen,  psychologue clinicienne, thérapeute familiale et addictologue, Fondation Michel de Montaigne

Clémentine Sarlat : Oui, donc c’est vrai que la cellule familiale a changé de composition, ne prend plus la même forme. Il n’y a plus de modèles classiques aujourd’hui. Plein de formes peuvent venir et donc ça modifie votre façon de faire de la thérapie en famille. Vous êtes spécialiste de la thérapie familiale intégrative. Vous avez écrit un livre là-dessus. Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce que c’est?

Myriam Cassen : Absolument. La thérapie familiale classique va travailler sur les rôles, les fonctions de chacun, ce qui se transmet sur le plan transgénérationnel, etc. C’est un outil très important pour aider chacun des individus qui composent la famille à aller mieux. Mais comme dans l’équipe de l’Institut Michel Montaigne, on s’est toutes formées à la théorie de l’attachement et au traitement du psychotrauma, (parce qu’on a quand même beaucoup de gens en population générale qui ont des psychotraumas, qui ne sont pas repérés ni traités) notre formation nous a amenés à intégrer ces techniques de traitement des blessures d’attachement ; traitement du psychotrauma à la thérapie familiale. C’est ce qu’on appelle une thérapie familiale intégrative.

C’est-à-dire qu’on a intégré d’autres types de méthodes et on en a aussi créé. Parce que dans le cadre de la thérapie familiale, on a aussi, par exemple moi dans mes pratiques, je peux utiliser des enfants quand ils sont adultes, 20 ans, 22 ans, comme des outils de réparation des blessures d’attachement de leurs propres parents. Ce qui en retour, comment dire ? Solidifie leur lien d’attachement. C’est très technique en fait, dans ce cadre là, mais c’est très riche parce qu’on travaille avec toutes les ressources de chacun des membres de la famille. C’est dangereux aujourd’hui, je pense, vous voyez, de faire des thérapies familiales ou d’autres types de thérapies, sans savoir ce qu’est la théorie de l’attachement, sans avoir en tête qu’un psychotrauma peut être à l’origine d’un isolement social, par exemple.

Et penser qu’à ce moment-là on a une phobie sociale et pas un psychotrauma, c’est une erreur qui est très préjudiciable pour les patients. Voilà, donc c’est ça l’intégratif aussi. On a été amené à développer ce modèle aussi parce qu’on a été un des premiers centres à créer un centre de traitement du traumatisme psychique. Voilà, c’était il y a plus de 15 ans.

Clémentine : On a un peu tendance à imaginer la thérapie familiale avec des parents avec des enfants jeunes, on va dire moins de 12 ans. Parce que dans la hiérarchie de la famille, c’est plus simple. Ça arrive souvent que des enfants adultes soient avec leurs parents qui sont plus vieux ?

Myriam Cassen : En tout cas, ce qui est très fréquent, c’est les thérapies familiales avec des adolescents, donc largement plus de 12 ans.

Clémentine Sarlat : OK, donc ça, c’est plus fréquent.

Myriam Cassen : Ils ont 15 ans, 16 ans, 18 ans. Ils sont déscolarisés. Ils fument beaucoup de cannabis. Ses parents sont très inquiets. C’est fréquent, mais on a aussi beaucoup de thérapie avec des jeunes adultes pour lesquels la relation s’est détériorée avec les parents. Parfois, ils ne vivent plus du tout avec les parents, mais la souffrance des uns et des autres est devenue intolérable et donc ils arrivent en thérapie. Par exemple, actuellement, j’ai une thérapie familiale avec cinq adultes, trois fils majeurs, aucun ne vit à la maison. Ils viennent avec leurs parents parce qu’il y a trop de disputes quand ils se rencontrent.

Clémentine Sarlat : Sur les réunions familiales, c’est trop tendu.

Myriam Cassen : Oui, bien sûr. Et ils ont tous parfaitement compris que : c’est pas le moment même de la rencontre qui est le problème, mais c’est sans doute comment ils ont construit leur lien avant. Donc oui, c’est fréquent aussi.

Clémentine Sarlat : D’accord. Alors aujourd’hui, on veut parler des grands-parents qui font partie de cette cellule familiale et qui peuvent être des acteurs majeurs dans la parentalité, dans l’aide avec les enfants assez petits. Est-ce qu’être grand-parent aujourd’hui, c’est différent d’être grand-parent il y a quelques années?

Myriam Cassen : Oui, je pense vraiment. La première chose qu’il faut dire, c’est que sociologiquement, les choses ont évolué et un certain nombre de grands-parents ne sont plus proches géographiquement de leurs petits-enfants. Parce que les jeunes vont travailler ailleurs, parce qu’on fait plus sa vie forcément dans la région dans laquelle on a grandi. Donc ça c’est un élément qui est quand même très important puisque historiquement les parents et les grands-parents, géographiquement, n’étaient pas très loin les uns des autres. Ça c’est un premier changement sociologique qui va quand même influencer les relations. Ensuite évidemment c’est la révolution éducative qui va le plus modifier le rapport des grands-parents à leurs petits-enfants. C’est qu’aujourd’hui on a une rupture de la transmission.

On a toujours eu, historiquement, si on regarde un peu comment ça s’est passé, ne serait-ce que sur le XXe siècle par exemple, le modèle éducatif était sensiblement le même, du début à la fin, jusqu’à mai 68. On transmettait le même type d’éducation, le respect de l’école, des savoirs, des anciens, des formes de politesse, on ne parle pas à table, etc. Autant de choses dont je ne suis pas du tout passéiste, mais qui facilitaient les relations entre parents et grands-parents. Puisque les parents souvent se “contentaient”, entre guillemets, mais c’était culturellement valorisé, de transmettre ce qu’ils avaient reçu de ce qu’ils sont devenus entre-temps les grands-parents. Aujourd’hui ce n’est plus du tout le cas.

Et alors on a vraiment une espèce de révolution actuelle avec les critères d’éducation bienveillante, donc en l’occurrence d’éducation non violente, ça c’est très important, face à laquelle certains grands-parents ne comprennent rien du tout. Et dans la conférence où on m’avait parlé, pour l’école européenne de grands-parents, j’ai eu beaucoup de questions de grands-parents très émouvants qui se disaient : “bon, mais alors si on ne peut plus leur crier dessus et si on ne peut plus les punir, qu’est-ce qu’il nous reste?” Voilà.

Clémentine Sarlat : C’est qu’à eux, ils leur montrent l’éducation autour de “comment on éduque de manière non violente?”

Myriam Cassen : Absolument.

Clémentine Sarlat : Puisque eux, on leur a transmis cette éducation-là de leurs parents.

Myriam Cassen : Absolument. Et comme beaucoup d’enfants qui ont pu être battus ou un peu maltraités, ils ont cette phrase toujours terrible qui est : “mais pour moi, c’était très bien, je m’en suis sortie”.

Clémentine Sarlat : J’en suis pas morte.

Myriam Cassen : Voilà. Mais j’ai un public de grands-parents qui avait envie de bien faire et de changer. Donc de mon point de vue, c’est ça les deux aspects, voyez. L’éloignement géographique pour certains, et puis en plus, la rupture de la modalité éducative.

Clémentine Sarlat : Oui, parce qu’aujourd’hui, on se tourne moins vers nos parents pour avoir des connaissances, mais on va aller écouter des podcasts, regarder des livres, on va regarder des conférences, on va chercher en dehors de la sphère familiale. Et donc, on bouscule leur posture de “sachant” et de “personnes qu’on respecte”. C’est ça un peu qu’ils ressentent?

Myriam Cassen : Absolument, mais c’est vrai aussi pour les parents avec leurs enfants quand ils sont ados. Ça fait un petit moment déjà que les parents n’apparaissent plus comme des sachants pour les adolescents. Ce sont plutôt les relations horizontales qui fournissent ça.

Clémentine Sarlat : Et donc, le fait d’être bousculé dans cette posture-là fait qu’aujourd’hui, les grands-parents ne savent plus trop où ils se positionnent?

Myriam Cassen : Alors, il y a le fait d’être bousculé, il y a aussi le fait de ne pas être considéré comme une source de transmission. C’est encore deux choses, voyez, parce qu’on peut être bousculé dans sa manière d’élever des enfants, mais je crois que le rôle essentiel des grands-parents, c’est quand même d’inscrire les petits-enfants dans l’affiliation, c’est-à-dire dans une histoire. Et souvent, les grands-parents peuvent parler avec leurs petits-enfants de tas de choses qu’ils n’ont pas évoquées avec leurs propres enfants. Et ça c’est très intéressant. C’est très intéressant. Surtout que lorsqu’on s’intéresse à ce que les enfants vivent avec leurs grands-parents, la plupart du temps, statistiquement, les grands-parents apparaissent comme des îlots de sécurité. Aujourd’hui encore, sur le plan affectif. Donc ça c’est très important.

On a des travaux scientifiques américains qui montrent que les petits-enfants qui ont des relations régulières avec leurs grands-parents sont en meilleure santé mentale. Parce que c’est important pour tous les êtres humains d’avoir plusieurs figures d’attachement, et pour un enfant c’est quand même bien de ne pas avoir que les parents. Qui peuvent être à un moment donné quand même très fatigués, désorientés, voire en difficulté.

Clémentine Sarlat : Pourquoi est-ce que c’est devenu un sujet de préoccupation? Je vous pose cette question parce que si j’ai voulu faire ce podcast, c’est que j’ai reçu des dizaines et des dizaines demandes de parler de cette relation grand-parent à parent-enfant, parent-adulte, parce qu’elle peut être parfois difficile. Pourquoi c’est devenu quelque chose dont on se préoccupe?

Myriam Cassen : Je pense que c’est parce qu’il y a une rupture de la transmission, vraiment. Et parce que le souci des parents aujourd’hui, c’est de faire le mieux possible et qu’ils peuvent être très décontenancés par des grands-parents qui ont tendance à faire un peu différemment. En particulier dans le rapport à la loi et à la limite. Et donc, ça suggère aussi que pour certaines familles, tout cela peut déboucher sur des conflits. Et on a quand même pas mal de conflits entre grands-parents et enfants. Et les petits-enfants peuvent se retrouver otages de ces problèmes. Ce qui évidemment pour les petits-enfants est catastrophique.

Clémentine Sarlat : Qu’est-ce qui se joue quand un parent voit son enfant devenir parent? Qu’est-ce qui bouge? Est-ce que dans le transgénérationnel, il se passe quelque chose?

Myriam Cassen : Mais bien sûr, parce que quand vous devenez parent, la plupart du temps, dans notre mode occidental en tout cas, vous l’avez choisi. Quand vous devenez grand-parent, vous ne l’avez pas du tout choisi. Éventuellement, vos enfants vous y ont préparé. Parfois pas du tout et il y a aussi une modification sociologique chez les grands-parents, parce que l’espérance de vie étant de plus en plus importante, heureusement, les grands-parents qui ont 70 ans aujourd’hui ne ressemblent en rien aux grands-parents que moi j’ai eus quand ils avaient 70 ans. Et pour certains à 60-65 ans, continuent de travailler, de mener leur vie et n’ont pas du tout (ça aussi c’est un des aspects nouveaux) n’ont pas du tout l’intention d’être esclavagisés par leurs petits-enfants. Et donc peuvent se montrer peu disponibles au moment où les jeunes parents ont vraiment besoin de soutien.

Clémentine Sarlat : Oui, donc il y a deux composantes. Il y a ceux qui aimeraient être très impliqués et qui sont tenus à distance par leurs propres enfants et ceux qui n’ont pas envie d’être impliqués, qui ont envie d’avoir leur vie et qui n’ont pas envie, comme vous dites, d’être esclavagisés ou en tout cas être mis à disposition pour aider leurs enfants.

Myriam Cassen : Bien sûr. J’ai employé le terme d’”esclavagisés” parce que c’est le terme qui est employé par certains grands-parents. En thérapie familiale et qui vous disent : “mais je peux être disponible, mais je ne suis pas l’esclave d’eux”. Ce qui peut créer des problèmes dans la relation grand-parents-enfants qu’il n’y a pas eu auparavant. Parce que les parents peuvent s’attendre à ce que leurs propres parents soient disponibles. Ce n’est pas forcément le cas aujourd’hui avec les générations de grands-parents. Ce n’est même pas du tout le cas. Je veux dire que beaucoup de grands-parents, quand ils sont grands-parents à 65, 70 ans, n’ont pas comme statut social que grands-parents. Ils peuvent être encore au travail, ils peuvent être militants dans des associations, et puis ils font aussi beaucoup de sport parce qu’ils ont vu qu’il fallait en faire tous les jours pour garder une bonne santé physique et mentale.

Donc si vous voulez, il y a un certain nombre d’éléments qui se jouent. Mais je pense que plus profondément, ce qui se joue, c’est la qualité de la relation et de la confiance entre grands-parents et parents. Parce que l’enjeu, c’est quand même la captation de l’enfant. C’est-à-dire que certains parents, à juste titre, trouvent que les grands-parents sont trop présents. Prennent trop de place, se mêlent de choses qui ne les regardent pas. Voilà, donc il y a des limites aussi à apporter, pas seulement aux enfants pour leur éducation, mais aux grands-parents, dans la manière dont ils investissent leurs petits-enfants, et également aux parents dans la manière dont ils vont solliciter les grands-parents. Vous voyez, c’est sur plusieurs générations, et de façon réciproque, il faut pouvoir discuter de ce à quoi on s’attend, ce qu’on voudrait que l’autre fasse ou pas. Ce sont des conversations que très peu de familles ont.

Clémentine Sarlat : En devenant parent, c’est vrai qu’on est peu à aller voir nos parents et dire “qu’est-ce que tu aimerais être?”. On va leur demander “comment tu veux être appelé?”, parce qu’aujourd’hui, on ne dit plus “papy et mamie”, on a plein de noms. Mais on ne va pas leur dire : “tu veux faire quoi dans cette relation? À quel point tu es prêt à être disponible? Comment tu veux t’impliquer?”

Myriam Cassen : Absolument. Donc chacun est sur des implicites. Et comme toujours, ces implicites, surtout dans une période de crise des valeurs. Ça ne peut que déboucher sous un certain nombre de conflits. Bon, ceci dit, il y a beaucoup de familles qui fonctionnent très bien. Moi, j’ai un biais de recrutement, je ne vois que les familles où il y a des problèmes. Mais de fait, oui, il faut pouvoir en parler. Il faut pouvoir demander ce que chacun attend de l’autre.

Clémentine Sarlat : Est-ce que nos parents, quand ils nous voient devenir parents, ça les bouscule ou ça les remet dans une hiérarchie, dans une position qu’ils n’ont pas choisie? Vous le disiez, ils ne choisissent pas d’être grands-parents. Il y en a pour qui ça peut être vraiment quelque chose de très difficile parce que ça montre qu’ils vieillissent, que la vie continue.

Myriam Cassen : Pourquoi croyez-vous que beaucoup de grands-parents ne veulent plus être appelés papy et mamie? Ça parle de ça aussi. C’est très choquant pour certains grands-parents de devenir grands-parents. Alors tant qu’ils ont un nom, c’est une illusion, tant qu’ils ont un nom que l’enfant va prononcer et qui n’a rien à voir avec papy ou mamie, ça leur convient. Mais ça pose la question aussi de l’acceptation du vieillissement, du temps qui passe, c’est révélateur de ça. Je pense qu’on a beaucoup de mal dans notre société aujourd’hui à accepter le vieillissement, à accepter de n’être plus ce qu’on a été. Il y a quand même le mythe de la jeunesse dynamique et sportive qui peut miner tout ça. Mais c’est quand même intéressant de ne plus vouloir être appelé papy et mamie, ou pépé et mémé. Vous voyez, il y a des choses traditionnelles. Là aussi, on est dans une rupture totale. Mais c’est insupportable pour la plupart des grands-parents. On se demande si les parents continueront d’accepter d’être appelés papa et maman, je ne sais pas.

Clémentine Sarlat : C’est vrai qu’il y a moins une connotation de vieillesse que dans le papy-mami, pépé-mémé.

Myriam Cassen : Absolument. Absolument. Absolument.

Clémentine Sarlat : Est-ce que aussi pour certains parents, quand ils deviennent grands-parents, voir donc cet enfant être parent, ça veut dire qu’elle a accepté qu’il est un adulte ? Qu’il est autre chose que notre bébé, donc a accepté de le voir grandir et de prendre sa place. Pour certains grands-parents, c’est quelque chose de compliqué.

Myriam Cassen : Bien sûr, j’allais répondre à cette question que vous avez posée juste avant. C’est qu’un, on n’a pas choisi d’être grand-parent. Alors certains l’attendent et d’autres le redoutent. Déjà, vous voyez, pour les généralisations, c’est compliqué. Et puis ensuite, votre enfant n’est plus “que” votre enfant. Il est aussi un parent. Donc ça renvoie à plusieurs éléments, bien sûr. Ça renvoie au temps qui passe, c’est évident puisqu’on change de statut, on devient grand-parent, et puis ça renvoie à une renégociation de notre type de relation avec nos propres enfants quand on devient grand-parent. C’est-à-dire qu’on est forcément poussé, j’ai envie de dire vers le départ un peu, mais en tout cas un peu plus loin puisque la nouvelle cellule familiale, ce sera nos enfants avec leurs conjoints et leurs enfants. Et les grands-parents font toujours partie de cette cellule familiale, mais pas de la même manière, en ayant beaucoup plus de distance.

Clémentine Sarlat : Être en périphérie, ça veut dire.

Myriam Cassen : Ils sont en périphérie. Et puis, bien sûr, comme les personnes… les nouvelles personnes qui arrivent dans la famille, il va falloir négocier aussi avec les valeurs. Du conjoint de nos enfants, ou de la compagne de nos enfants. Vous voyez, ça fait beaucoup de choses qui, psychiquement, doivent être adaptées. Et parfois, certains s’y adaptent de façon remarquable, et d’autres se rigidifient. Il peut y avoir des conflits de culture avec les “pièces rapportées”, entre guillemets, comme on le dit, de façon si affreuse. C’est-à-dire les conjoints. Et cette terminologie de “pièce rapportée” est intéressante parce qu’elle est utilisée par des familles qui ont peu de faculté d’adoption. Vous voyez, alors l’adoption psychique de nos beaux-enfants, elle est évidemment très importante et elle est aussi un marqueur de développement ultérieur positif pour les liens avec les petits-enfants.

Clémentine Sarlat : Pourquoi est-ce que dans les relations familiales comme ça, on caricature très souvent la belle-mère dans cette ingérence qu’elle pourrait avoir sur la vie familiale, sur la place qu’elle prend par rapport au fils notamment? Est-ce que c’est quelque chose que vous voyez dans votre pratique ou c’est une caricature?

Myriam Cassen : Je pense, hélas, que c’est une caricature. C’est-à-dire que c’est aussi un sujet de plaisanterie depuis des décennies. Je pense que c’est un des résultats de la société patriarcale, que dès qu’on peut moquer les femmes ou les réduire au ridicule, les discours dominants ne s’en sont jamais privés. Et c’est la même chose. Et donc j’invite les jeunes femmes qui caricaturent leur belle-mère à réfléchir à la sororité aussi. C’est très important. C’est très important. Je ne les trouve pas plus caricaturales que pourraient être les beaux-pères.

Clémentine Sarlat : Oui, dans leur…

Myriam Cassen : De mon point de vue, ça n’a pas de vérité clinique du tout.

Clémentine Sarlat : C’est ça, parce que la caricature dans la famille, c’est la belle-mère qui est trop présente et le beau-père qui fait rien, qui lit son journal sur le canapé et qui ne s’occupe pas de la vie familiale.

Myriam Cassen : Alors ça, il n’y a pas que chez les beaux-parents. Vous savez que pendant le Covid, les femmes ont quand même assuré 70 % (et les jeunes mamans) de ce qu’il fallait faire pour les enfants. Donc, on n’a pas besoin d’aller chercher les beaux-parents pour ça. On peut regarder les jeunes couples aujourd’hui, hélas. Même si ça change, c’est encore une réalité.

Clémentine Sarlat : Est-ce qu’on demande plus ou est-ce qu’on demande moins aux grands-parents qu’avant?

Myriam Cassen : Je pense qu’on leur demande différemment. Quand ils existent. Parce que beaucoup de grands-parents sont tenus à distance par les distances géographiques. Ça, c’est la première chose. Donc, on essaie de maintenir un lien par vidéo. Là, c’est assez simple. On a les grands-parents une fois par mois, on peut gérer la relation avec eux. Ensuite, statistiquement et sociologiquement, les grands-parents qui sont le plus sollicités en France sont les grands-parents de familles monoparentales. Et comme les familles monoparentales sont en explosion, je pense qu’on va avoir un phénomène où les grands-parents vont être de plus en plus sollicités, sans le vouloir, sans que ce soit un choix. Mais de fait, les statistiques le montrent. La plupart du temps, ce sont des mamans. Des mamans en famille monoparentale, les grands-parents maternels vont être beaucoup plus sollicités. Il faut quand même souligner qu’on a une explosion des familles monoparentales.

Pas par choix. Si c’est un choix, il n’y a rien à en dire. Mais par contexte où le père a pris des distances ou n’est pas là, ou s’occupe très peu des enfants. Et donc, ce sont des familles qui sont plus vulnérables que d’autres. Non pas par l’état de santé mentale supposé des mamans, mais parce qu’élever toute seule un enfant, c’est très difficile. On a vraiment besoin de tout un village pour élever les enfants. C’est clair. On a besoin d’avoir d’autres recours et là souvent, actuellement, dans une société qui n’est pas très… On n’est pas forcément solidaires entre voisins, parfois on ne se connaît pas, alors que ça fait dix ans qu’on vit côte à côte, les grands-parents vont réoccuper une place très très importante.

Clémentine Sarlat : Oui, vous faites une différence dans les parents monoparentaux de ceux qui sont en garde partagée, par exemple. Où le père et la mère font chacun leur part et c’est un choix commun. Et donc, il y a un soutien, en fait. Et les femmes, majoritairement, qui vont se retrouver seules parce que le père est démissionnaire.

Myriam Cassen : Bien sûr. C’est un peu la définition de la famille monoparentale, c’est que le père n’est plus là.

Clémentine Sarlat : Sinon c’est une famille séparée.

Myriam Cassen : Voilà, ça c’est autre chose. Oui, bien sûr. Là on parle des familles monoparentales et là les grands-parents deviennent une ressource, bien sûr. Il faut quand même souligner que pour beaucoup de petits-enfants qui ont des grands-parents, les grands-parents sont une ressource affective très importante. Parce qu’aux grands-parents, on peut dire des choses qu’on ne va pas dire aux parents.

Clémentine Sarlat : On peut manger des bonbons, regarder la télé aussi, on peut faire des choses, on transige les règles avec eux.

Myriam Cassen : Heureusement.

Clémentine Sarlat : Oui, c’est vrai.

Myriam Cassen : Et je crois que pour les parents, il faut qu’ils soient tolérants vis-à-vis de ça. Et qu’ils se rappellent eux-mêmes, s’ils ont eu des grands-parents, tout ce qu’ils pouvaient faire, je souhaite en tout cas qu’ils l’aient vécu, avec leurs grands-parents et qui était interdit chez leurs parents. Et ça, c’est une des caractéristiques de la relation entre petits-enfants et grands-parents. C’est qu’on va faire des choses qu’on ne peut pas faire avec les parents.

Clémentine Sarlat : Se coucher plus tard,…

Myriam Cassen : Bien sûr. Mais il y a une limite aussi. Il faut que les grands-parents veillent à ne pas faire vivre aux enfants des expériences que les parents auraient aimé initier.

Clémentine Sarlat : C’est une bonne remarque.

Myriam Cassen : Ça, c’est très important.

Clémentine Sarlat : Ce que vous disiez au départ, c’est la communication. Qu’est-ce qu’on laisse faire ou pas? Qu’est-ce qu’on donne aux grands-parents à vivre? Et ce qui est réservé pour les parents.

Myriam Cassen : Les grands-parents qui, par exemple, disent: “écoute, après Noël, mes petits-enfants étant en vacances, je les amène tous en Guadeloupe”. Mais pas les parents, et que les parents n’ont encore jamais pris l’avion avec leurs propres enfants, c’est sujet à dispute. Et de mon point de vue, je pense que là, les grands-parents en font trop, et qu’il faut laisser aux parents l’essentiel des découvertes fondamentales. Alors dans les découvertes fondamentales, il n’y a pas que le voyage, évidemment, mais il peut y avoir des initiations. Vous voyez, un certain nombre de mondes qui doivent être discutés avec les parents.

Clémentine Sarlat : Est-ce que vous voyez souvent dans votre pratique des parents qui ne peuvent pas faire confiance à leurs parents pour prendre soin de leurs enfants parce qu’il y a eu trop de traumas dans leur enfance à eux et que, du coup, les grands-parents ne comprennent pas cette difficulté de leurs enfants de laisser leurs propres enfants? Comment on fait dans les familles où il y a eu ça, il y a eu cette enfance qui a été traumatisante et où il y a un mur qui s’est érigé entre les deux?

Myriam Cassen : Vous savez, le pire est l’inverse. C’est-à-dire, c’est de confier ses enfants à des parents qui ont été violents et traumatisants. Et ça, c’est plus courant.

Clémentine Sarlat : Ah donc des enfants qui vont sciemment confier leurs enfants …

Myriam Cassen : Alors sciemment, non, mais qui ont une histoire pathologique dans le lien, qui ont eu des violences …

Clémentine Sarlat : Et qui ne protègent pas.

Myriam Cassen : Et qui ne protègent pas. Et ça, c’est plus fréquent.

Clémentine Sarlat : D’accord.

Myriam Cassen : Enfin, dans ce que je vois, c’est toujours pareil. Moi, j’ai un biais de recrutement. Mais même pour beaucoup de familles que je ne vois pas, mais dans des groupes avec lesquels je travaille, le problème est celui-ci : c’est que l’on confie des petits-enfants aux grands-parents qui, eux-mêmes, ont beaucoup de difficultés. Alors ça c’est un cadre. Il y a d’autres cadres où parfois les parents n’ont pas du tout été adaptés et seront des grands-parents très adaptés. Donc la généralisation est très compliquée.

Clémentine Sarlat : Ça, ça arrive très souvent.

Myriam Cassen : Bien sûr, on voit des grands-parents qui se rattrapent.

Clémentine Sarlat : Exactement. Des gens qui disent : “je comprends pas, mes parents, ils sont pas du tout pareils en tant que grands-parents.”

Myriam Cassen : Tu ne les reconnais pas.

Clémentine Sarlat : Voilà. Ça, c’est très fréquent ?

Myriam Cassen : Ça peut arriver. Mais ceux-là, on les voit pas forcément en thérapie, mais bien sûr, ça existe. Parce que c’est une manière de réparer le lien pour les grands-parents avec leurs propres enfants. Et de faire, d’une certaine manière, ce qu’ils n’ont jamais fait pour leurs enfants.

Clémentine Sarlat : Donc quand on a des grands-parents qui prennent leur rôle à cœur, qui s’améliorent, ils le font avec, consciemment ou pas j’imagine, l’idée de montrer à leurs enfants qu’ils auraient aimé faire mieux et qu’ils vont pouvoir le faire.

Myriam Cassen : Je ne sais pas s’ils sont dans la démonstration, je pense que c’est affectif pour eux. Et qu’une fois que les enfants sont élevés et que finalement ils ne s’en sont pas si mal tirés, et qu’on fait un peu le bilan, pour certains parents le bilan s’avère violent. C’est-à-dire ils se rendent compte qu’ils ont été trop violents. Entre temps, nos valeurs ont beaucoup évolué, bien sûr. Donc les grands-parents d’aujourd’hui, s’ils ont été des parents un peu violents, ne peuvent que faire ce constat par rapport aux critères actuels, de toute façon.

Clémentine Sarlat : Aux normes.

Myriam Cassen : Et puis, les familles, heureusement, se sont démocratisées. Donc on a quand même un certain nombre de parents qui peuvent dire à leurs propres parents qu’ils ont souffert des humiliations, de la violence, etc. Beaucoup plus qu’avant, bien sûr. Beaucoup plus qu’avant.Je ne crois pas que ce soit vraiment du côté de la démonstration de ce qu’on peut faire une fois qu’on a compris ça. Je pense que c’est plutôt du côté de la compensation pour soi. Parce que c’est difficile aussi et c’est pas très gratifiant d’avoir des relations violentes avec ses enfants. Et les petits-enfants peuvent humaniser les grands-parents. De même que les enfants humanisent les parents.

Clémentine Sarlat : Est-ce que les grands-parents peuvent sentir aussi libérés de la pression d’être le premier, la figure d’attachement et de se dire : “bon là c’est pas moi le premier.”

Myriam Cassen : Mais bien sûr. C’est génial.

Clémentine Sarlat : Donc ils ont une liberté qu’ils n’avaient pas.

Myriam Cassen : Absolument. Vous ne pouvez, en tant que grands-parents, avoir que le plaisir de faire ce que votre petit-fils ou votre petite-fille a envie de faire. Et donc ça peut se “réduire” entre guillemets à des espaces de partage seulement. Et ça, c’est merveilleux pour les grands-parents, mais c’est merveilleux pour les petits-enfants. Et vraiment, j’invite les parents à avoir un peu de souplesse aussi. Ce n’est pas grave, même si les écrans sont interdits, que les grands-parents regardent un film le week-end où ils gardent les petits-enfants, par exemple. Il ne faut pas en faire des enjeux trop forts pour la relation, je ne crois pas.

Clémentine Sarlat : Vous disiez que certains grands-parents peuvent s’autoriser en prenant conscience qu’ils ont peut-être été trop loin dans la violence, dans l’humiliation. Il y a pas longtemps, j’ai eu une discussion avec mon père qui, lui, me disait que c’était surtout le temps. Il a beaucoup travaillé (les hommes à cette époque, c’était leur rôle de ramener l’argent) et qu’aujourd’hui, il regrette de ne pas avoir passé ce temps avec nous, ses filles. Et que je vois qu’il veut passer ce temps-là avec mes enfants. Vous le voyez aussi, ces générations-là qui ont beaucoup travaillé chez les hommes, prennent du recul et se disent : “mince, j’ai peut-être raté.”

Myriam Cassen : Mais bien sûr, on est déterminé par sa propre histoire, c’est évident, individuellement. Mais aussi par l’histoire culturelle à laquelle on appartient. Donc la génération de votre père avait comme valeur essentielle, en tant que père, de pouvoir subvenir aux besoins de la famille, être quelqu’un sur qui on peut compter, et lui-même n’avait peut-être pas vraiment été très proche de son propre père, etc. Aujourd’hui c’est en train de changer, c’est vraiment très bien. C’est très très bien.

Clémentine Sarlat : Il y a ça aussi vous dites qui a changé depuis les 30 dernières années, c’est l’implication des deux parents, des pères.

Myriam Cassen : La coparentalité, ça c’est très très bien. D’abord parce que ça va soulager les mères et ensuite parce que les enfants ont besoin de deux parents. Voilà, en tout cas, quand ils les ont à la maison, c’est bien que les deux s’impliquent.

Clémentine Sarlat : Oui, c’est sûr que c’est toujours mieux. Et on est d’accord que ça nous soulage, ça fait du bien.

Myriam Cassen : C’est clair.

Clémentine Sarlat : Est-ce que, justement, les grands-pères font plus leur part aujourd’hui? Sont plus impliqués que les grands-pères d’avant?

Myriam Cassen : On n’a pas d’enquête qui puisse montrer ça, mais de fait, dans la conférence de l’association européenne des grands-parents, il y avait autant de grands-pères que de grands-mères. Mais je pense qu’historiquement, dans la littérature ou dans le souvenir des gens, les grands-pères ont toujours compté aussi, d’une certaine manière. Il n’y a pas que les grands-mères qui ont compté. Quand vous écoutez les récits familiaux, vous avez des figures grand-parentales qui comptent aussi du côté des grands-pères.

Clémentine Sarlat : Ceux qui racontent les histoires, qui transmettent.

Myriam Cassen : Qui sont les héros.

Clémentine Sarlat : Qui emmènent les enfants faire des activités. C’est vrai.

Myriam Cassen : Non, je pense qu’on ne peut pas généraliser, mais que de fait, grand-père comme grand-mère, quand ils sont présents, les deux le sont.

Clémentine Sarlat : Est-ce que c’est difficile d’avoir une relation saine et équilibrée aujourd’hui entre les différentes générations? Dans le contexte actuel, vous le disiez, les valeurs sont remises en question. Ça bouge beaucoup.

Myriam Cassen : Écoutez, il y a des familles qui fonctionnent très bien. Très, très bien. Et qui ont des liens de solidarité. Et ces liens de solidarité, d’ailleurs, peuvent se – on revient à la première question du début du podcast – peuvent se créer avec des gens avec lesquels on n’a plus aucun lien biologique.

Clémentine Sarlat : C’est vrai.

Myriam Cassen : Parce qu’entre temps, on a divorcé, mais on est resté en contact avec les beaux-parents du conjoint qu’on a laissé, etc. Donc les familles recomposées, elles peuvent être très très riches. Ça peut être une ressource pour chacune des générations également. Et donc il y a pas mal de familles qui se débrouillent bien de ça. Mais c’est toujours la même chose, quand vous avez une partie de la population qui est vulnérable, les changements rapides peuvent être ceux qui vont les plus les affecter, bien sûr. Et puis, il faut aussi reconnaître quand même que la précarité sociale et économique est un facteur de risque pour toutes les relations.

Ce qui ne veut pas dire que quand on a un précaire social ou économique, on ne puisse pas être dans une famille qui fonctionne bien, ce n’est pas du tout ce que je suis en train de dire, mais je dis juste que c’est plus simple quand on est issu d’une classe sociale favorisée, de faire des repas familiaux, tout le monde à sa place, dans un lieu qui est beau et agréable, d’avoir du temps pour s’occuper de ses enfants et de ses petits-enfants. C’est pas la même chose, le même discours, le même ressenti quand on est dans la précarité. Donc on est en survie psychique par exemple. Parce que pour avoir la disponibilité psychique pour s’occuper de ces enfants qui sont devenus parents et de ces petits-enfants, soi-même il faut aller plutôt bien.

Clémentine Sarlat : C’est sûr. Déjà en tant que parent c’est la base pour pouvoir être dispo pour nos enfants, donc c’est vrai. Est-ce que les grands-parents aujourd’hui sont un peu déstabilisés aussi par ce monde qui va vite et donc par les relations qui changent et ce qu’on disait de nous en tant que jeunes parents : on va s’informer via les réseaux sociaux, via d’autres médias et que parfois les grands-parents n’ont pas pris le rythme qu’est la vie de nos jours et ça, ça a créé un peu une distance entre les générations?

Myriam Cassen : Je ne sais pas si ça peut créer une distance mais ça peut créer en tout cas des difficultés. Ce n’est pas la même chose que la distance si vous voulez quand même, heureusement, mais ça peut créer des incompréhensions et en particulier l’effraction du numérique dans la vie privée. Sans doute que les plus touchés sont les plus âgés, parce qu’ils ne sont pas toujours, encore qu’il ne faille pas généraliser non plus, ils ne sont pas toujours branchés écran. Mais de fait tout temps d’écran est un temps qui n’est passé dans la relation.

Et ça c’est très très compliqué pour les grands-parents, mais ça le devient aussi pour les parents – heureusement pour la santé mentale de leurs enfants – ça devient un problème d’avoir à table des gens qui sont vissés sur leur écran et ça pour les grands-parents souvent c’est insupportable. Il y a pas mal de grands-parents et dans la conférence j’ai eu beaucoup de… Je leur ai demandé d’abord d’écrire de façon anonyme la principale difficulté qu’ils avaient comme grands-parents après j’ai recueilli tout ça j’en ai fait un petit digest rapidement. Mais un des problèmes, c’est : comment faire que nos petits-enfants ne soient pas sur leur écran.

Clémentine Sarlat : Oh !

Myriam Cassen : Mais c’est évident. Enfin, c’est évident. Mais c’est un déni de l’altérité. Et au lieu de profiter d’un monde différent, on se déplace avec le même monde. On a le même écran, on regarde la même chose. Ça, c’est un problème. C’est vraiment un problème dans la relation. Et souvent, les grands-parents sont démunis parce que quand les enfants ont l’habitude d’être sur leur écran (sur le plan du cerveau d’ailleurs, une fois qu’on arrête l’écran, les enfants souvent sont très énervés, les écrans ne calment pas), c’est l’inverse.

Quand on enlève l’écran, en général, on a des crises de colère. Donc c’est très compliqué de gérer ça. Mais ça le devient pour les parents aussi aujourd’hui. Il y a actuellement une discussion en cours pour qu’il y ait des lois et heureusement parce que c’est le trop d’écran dans les relations nuits aux relations. C’est terrifiant de voir, quand vous êtes au restaurant, une famille où chacun est sur son écran. Alors pourquoi c’est terrifiant?

C’est pas le point de vue d’une passéiste ou d’une réactionnaire, mais c’est parce qu’on est essentiellement des êtres sociaux. Que notre cerveau, depuis 300 000 ans, homo sapiens, s’est développé grâce à la relation. Je vous parle, je vous regarde, j’ai préféré d’ailleurs me déplacer, parce que c’est plus agréable. Et quand le cerveau social qui est le nôtre n’est plus en relation, on a des mécanismes qui dépriment l’individu. Vous savez que le danger le plus grand pour la santé mentale c’est la solitude, mais le défaut d’altérité est aussi un problème. Et donc c’est un vrai problème, oui. Mais pour les grands-parents beaucoup plus peut-être que pour les parents.

Clémentine Sarlat : Oui, parce qu’eux n’ont pas du tout connu une enfance basée là-dessus.

Myriam Cassen : Et puis eux-mêmes ne sont pas dépendants des écrans.

Clémentine Sarlat : Quoique, il y en a certains.

Myriam Cassen : Certains grands-parents. Mais les parents le sont de plus en plus.

Clémentine Sarlat : Oui, bien sûr.

Myriam Cassen : Une des premières conférences que j’ai faites dans le cadre de mes compétences d’addictologue, on m’avait demandé de parler d’addiction aux écrans chez les enfants et j’ai souhaité parler d’addiction des parents. Ce qui a été très surprenant, et j’ai pu faire ma conférence quand même, mais c’est terrifiant de voir les parents addicts aux écrans, parce que c’est un temps qu’ils ne donnent pas aux enfants. Quand ils sont avec leurs enfants, on voit des mamans qui nourrissent, ou des papas, leurs enfants au biberon tout en regardant les réseaux sociaux. Or, ce que l’on sait, là c’est les neurosciences qui nous l’apprennent, c’est que quand vous nourrissez un enfant, au sein ou au biberon, et que vous avez un échange oculaire, vous avez une efflorescence d’échanges neuronaux et de contacts neuronaux. On le sait par IRM, si vous n’avez pas ce contact oculaire, c’est l’électroencéphalogramme plat.

Myriam Cassen : Donc vous voyez, ce ne sont pas des idéologies rances, c’est une réalité. Avant que le cerveau social d’homo sapiens change, il va falloir un peu plus que 20 ou 30 ans.

Clémentine Sarlat : Ce qui est les changements qui ont été opérés via les écrans depuis …

Myriam Cassen : Absolument. Et qui là sont presque tout ou rien.

Clémentine Sarlat : Dans la relation des grands-parents, quand ils divorcent – parce que ça, ça existe aujourd’hui …

Myriam Cassen : De plus en plus

Clémentine Sarlat : … des grands-parents qui divorcent, ça a quel impact sur les petits-enfants?

Myriam Cassen : Alors, tout dépend de la manière dont le divorce se fait. Je suis allée voir ce week-end un film, qui n’est pas un très grand film, mais qui traite de ce sujet, qui s’appelle « N’avoue jamais ». Et où on a un couple de grands-parents qui souhaitent divorcer. On voit que les parents adultes vont tout faire pour qu’ils ne divorcent pas. Parce que c’est leur maison de famille, parce qu’il y a cinq ou six petits-enfants, etc.

Donc, 1, c’est de plus en plus fréquent. L’âge n’est plus une limite pour le divorce et on voit des gens qui ont élevé leurs enfants et qui, à 65-70 ans, divorcent. Je rappelle que dans plus de 70% des cas, ce sont les femmes qui demandent le divorce. Ensuite, comme pour les parents, tout dépend de la manière dont le divorce va se passer. Si ça se passe sans violence, les enfants peuvent s’y faire. Si ça se passe dans la violence, non pas le conflit, c’est encore différent, personne n’en sortira indemne.

Donc évidemment pour les enfants, les petits-enfants qui ont eu l’habitude d’aller chez papy et mamie, ou peu importe les noms qu’on s’est trouvé pour éviter de comprendre qu’on est grands-parents et qu’on va passer nos étés dans la maison familiale ça peut devenir compliqué, bien sûr. Mais c’est une étape c’est une épreuve pour les enfants, bien sûr que c’est une épreuve. Mais c’est une épreuve qui est moins préjudiciable que si on a comme modèle des grands-parents qui se disputent, qui s’humilient et qui se maltraitent. Il ne faut pas sous-estimer le fait que les enfants peuvent être souvent rassurés, parfois ils le souhaitent, par les séparations quand il y a trop de violences et de conflits dans la relation.

Clémentine Sarlat : C’est la même chose qu’avec les parents au final.

Myriam Cassen : C’est exactement la même chose. Sauf que, même si les parents se montrent très souples par rapport à beaucoup d’innovations aujourd’hui. Pour ce qui est de cette espèce d’”innovation”, entre guillemets, sociologique qu’est le divorce des grands-parents, pour certains c’est compliqué à entendre quand même. Dans les représentations, une fois qu’on est grands-parents, on ne divorce pas, notre vie est fichue, quelle idée! Il faut encore faire évoluer les représentations sociales. Il y a une vie après 65 ans.

Clémentine Sarlat : Heureusement.

Myriam Cassen : En dehors de celle de grands-parents.

Clémentine Sarlat : Et c’est aussi pour ça, comme vous dites, que certains ne veulent pas être “impliqués” de grands-parents parce qu’ils ont envie de pouvoir vivre leur vie une fois que le travail est terminé et qu’ils ont cette liberté.

Myriam Cassen : Mais je pense, mais ça c’est plutôt personnel, qu’on peut aussi revendiquer d’être grand-mère ou grand-père et avoir une forme de modernité. C’est une manière de faire évoluer le statut au lieu de le dénier. Aujourd’hui on est plutôt dans un déni avec ces appellations plus ou moins farfelues je trouve.

Clémentine Sarlat : Donc il faut essayer de combiner les deux, dire que les grands-parents ne sont plus les grands-parents d’avant, en couple à la maison, à pas beaucoup bougé d’ailleurs. Aujourd’hui on a plein de grands-parents qui voyagent énormément, qui font beaucoup de sport, sont investis dans plein de choses, mais qui peuvent garder ce lien avec leurs petits-enfants parce que c’est très important pour les petits-enfants.

Myriam Cassen : Mais bien sûr, et pour eux aussi. Bien sûr. C’est pas incompatible.

Clémentine Sarlat : Je ne sais pas si cette étude est vraie, mais j’avais lu une étude qui disait que les grands-mères qui s’occupent de leurs petits-enfants ont une espérance de vie plus longue dans ce rôle-là. Je ne sais pas si…

Myriam Cassen : Ah je ne connais pas les travaux dont vous parlez. En tout cas, ce que l’on sait, c’est que l’espérance de vie, le critère essentiel d’espérance de vie aujourd’hui, c’est la capacité à avoir eu de bonnes relations avec ses entourages. Et vous avez une recherche de Harvard qui remonte à 80 ans, qui vient de sortir, qui s’appelle The Good Life.

Clémentine Sarlat : J’en ai parlé déjà.

Myriam Cassen : Le titre est resté anglais, mais le livre a été traduit. Les gens ont été suivis sur plusieurs générations, depuis avant la Deuxième Guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui, donc on a 2, 3, 4 générations. Avec des gens qui sont restés pauvres, des pauvres qui sont devenus riches, des riches qui sont devenus encore plus riches, et tous disent que le facteur essentiel de qu’est-ce que c’est une “good life”, qu’est-ce que c’est avoir réussi ma vie, c’est d’être entouré de liens solides et de confiance. Donc bien sûr c’est un facteur, d’abord c’est un facteur de résilience, puis c’est un facteur de soutien moral aussi. Moi, je vois des grands-mères, que je vois en … des femmes, que j’ai en thérapie individuelle, pour un certain nombre de difficultés, qui sont grands-mères par ailleurs, et les moments passés avec leurs petits-enfants sont des vrais moments de soutien psychologique.

Non pas que les enfants remplacent leur psychothérapeute, par exemple, mais pas du tout. Mais parce qu’elles ont un plaisir à s’occuper des petits-enfants, qui est en fait s’apparente à de la résilience. Ça leur donne beaucoup d’énergie, ça donne du sens à ce qu’elles font, Et ça leur permet, je pense à une patiente en particulier, ça lui permet d’affronter sa maladie, la maladie de son mari, etc.

Clémentine Sarlat : Puis les enfants c’est la vie, c’est ça, ça les maintient dans cette vivacité aussi.

Myriam Cassen : Absolument.

Clémentine Sarlat : Pour pas se laisser aussi plonger dans la solitude pour celles qui le sont.

Myriam Cassen : Oui absolument, bien sûr. Même si je vois, je sais pas si j’ai raison, je vois ce point de … c’est une tendance qui actuellement c’est plutôt les grands-parents qui bougent beaucoup et les petits-enfants qui restent sur le canapé. Et on est là encore dans une inversion. Je pense que tous ceux qui vont écouter le podcast ont des exemples autour d’eux. Je parle des grands-parents qui ont 65-70 ans aujourd’hui et qui sont consternés de voir que leurs enfants, leurs petits-enfants, restent vissés sur le canapé avec un écran.

Clémentine Sarlat : Il y a plus de sédentarité, on le sait.

Myriam Cassen : On le sait. C’est une des raisons de l’augmentation, vous savez, de l’obésité en France chez les enfants. En population générale, mais chez les enfants aussi.

Clémentine Sarlat : Alors si on est jeune parent, on va devenir … ou enfin on va devenir parent, qu’est-ce qu’on peut mettre en place avec les grands-parents pour qu’il y ait une relation qui soit bénéfique à tout le monde?

Myriam Cassen : Bien sûr, faire un peu de prévention, c’est ça la question ? La première chose c’est si on a un projet d’enfant, si les relations sont bonnes, il faut déjà en parler à ses propres parents, ce qui n’est pas toujours le cas, dans ce que je vois. Et puis c’est pouvoir échanger avec eux, qu’est-ce que ça va te faire devenir grand-mère ou grand-père? Comment tu vois les choses? Qu’est-ce que tu aimerais faire? Et moi, j’imagine que : je vais avoir besoin de toi pour ça. Je vais aussi avoir besoin que tu sois là, peut-être les quelques jours après l’accouchement, peut-être même le premier mois, enfin il faut pouvoir discuter en fonction de chaque culture familiale, de “qu’est-ce qu’on a tant de l’autre, qu’est-ce qu’on va pouvoir donner.”

 Mais c’est très important. On voit des jeunes couples, on ne le dira jamais assez, la maternité, l’arrivée d’un enfant, c’est quelque chose de merveilleux, mais c’est aussi difficile. Et on est aujourd’hui sensible à la question de la dépression du postpartum, et la dépression aussi périnatale, et vous savez qu’on a plus de 12% des mamans qui ont une dépression dans ce cadre-là, et on en reperd 7 à 8%. Et la cause de mortalité des jeunes femmes est devenue la première cause de mortalité, c’est la dépression en périnatalité. Donc c’est assez catastrophique. Ce qui ne veut pas dire que la solution soit l’investissement des parents. Mais souvent, il y a quand même des déficits de soutien, des déficits de cadres soutenants, affectifs autour …

Donc il faut pouvoir discuter vraiment et pouvoir dire aux parents que oui, c’est une belle aventure, mais que comme toutes les aventures, il y a des moments où on a peur, des moments où on pense qu’on ne va pas y arriver, il y a des moments merveilleux, bien sûr. Mais c’est aussi du stress de devenir parent. Il faut que, dans la mesure du possible, pouvoir en parler avec ses propres parents. Et puis ne pas hésiter à imaginer que nos parents ont vécu ça aussi. Comment ils ont fait avec ça? Eux aussi ont eu peur quand on est arrivé. Comment ils ont géré ça?

Et l’autre aspect important, je crois, de la discussion, c’est qu’au fur et à mesure du développement de l’enfant, les besoins changent. On ne va pas prévoir un programme d’intervention des grands-parents avant même que l’enfant ne soit là.

Parce qu’on ne sait pas dans quelle étape psychologique on sera. Il y a des moments où on peut avoir vraiment besoin de parents, des moments où on en aura un peu moins besoin. Ce qui est difficile à prescrire, si vous voulez, c’est la souplesse psychique et affective dans les familles. Plus les familles sont rigides, moins elles sont évidemment prêtes à remettre en cause des manifestations et des comportements.

Donc il n’y a pas une solution, mais ce qui est quand même très préventif de beaucoup de pathologies, c’est de pouvoir essayer de dire le plus gentiment possible, sans attendre que ça devienne une crise, où là on lâche tout et avec un ton et parfois un contenu qu’on va regretter, mais c’est de pouvoir au fur et à mesure dire à la fois combien on a besoin de grands-parents, donc de ses propres parents, dans quel contexte et sous quelle forme?

Et ça c’est très important de discuter de ce qui pourrait être vécu comme une infraction dans l’intimité des uns ou des autres. Mais ça c’est réciproque. Les grands-parents qui sont sollicités sans arrêt par leurs enfants peuvent sentir réfractés et n’osent pas dire “non” parfois. 

Clémentine Sarlat : Et puis c’est difficile aussi, tant que l’enfant n’est pas là, qu’on ne sait pas ce que c’est de devenir parent. On n’a pas vraiment la conscience de ce dont on va vraiment avoir besoin.

Myriam Cassen :  Bien sûr, ca va être une conversation en long cours.

Clémentine Sarlat : À toujours remettre au goût du jour. Comment est-ce qu’on peut faire quand on est vraiment à l’opposé sur l’éducation qu’on veut donner à nos enfants, par rapport à, soit ce qu’on a reçu, soit ce que donnent les parents du conjoint ou de la conjointe. Quelle discussion on peut avoir pour essayer de trouver un terrain d’entente quand vraiment il y a trop de disparités?

Myriam Cassen : Je pense que tout dépend de la qualité du lien affectif. Parce que si le lien est solide et respectueux, même si vous êtes en désaccord, vous serez en conflit. Mais le conflit n’est pas la violence. Si le lien au futur grand-parent n’est pas bon, n’est pas un lien de confiance, ça va très vite tourner à la rupture. Et de fait on voit beaucoup de ruptures. Alors ce qu’on peut faire évidemment, c’est aussi une thérapie familiale, mais je ne le dis pas parce que seulement je suis thérapeute familiale, mais parce que souvent nous on voit arriver des familles au moment où les violences et les ruptures se sont enquistées. Et ont laissé des traces. Et malgré la psychothérapie familiale, ces traces vont rester.

Elles seront un peu moins profondes, elles seront un peu plus cicatrisées, mais elles ont été entre temps vécues, y compris par les petits-enfants. Donc quand on voit qu’on n’y arrive pas, il faut consulter, il faut se faire aider. C’est très intéressant de pouvoir discuter de tout ça avec un tiers qui va apaiser les choses, qui va permettre à chacun de dire ce qui derrière l’apparent conflit se joue. Finalement, qu’est-ce qui se joue? Parfois ce sont des règlements de compte qui n’ont rien à voir avec la façon dont les grands-parents s’occupent des petits-enfants. Mais peut-être avec la manière qu’on a eu de penser que nos parents étaient toujours trop présents, trop intrusifs, et c’est une manière de régler ses comptes ou de prendre de la distance. Mais ça n’a rien à voir avec ce qui se passe aujourd’hui, ici et maintenant avec les petits-enfants.

Donc parfois quand ça devient vraiment trop douloureux, il faut pouvoir aller consulter, ça c’est clair. Parce que la thérapie va permettre aux deux générations de comprendre qu’elles sont aussi agies par l’histoire de leur propre famille. Pas que, mais un peu.

Clémentine Sarlat : De faire un peu de transgénérationnelle.

Myriam Cassen : Bien sûr, et ça, ça permet d’apaiser quand même pas mal de choses.

Clémentine Sarlat : Je ne sais pas si c’est commun : moi, quand je suis tombée enceinte de ma première fille, j’ai eu besoin de connaître toute l’histoire familiale de mon mari. Je suis allée voir les grands-parents de mes filles, leur poser plein de questions parce que je voulais comprendre d’où venait ce que c’était l’histoire familiale. C’est un bon moyen, quand on devient parent, d’aller interroger les aînés, de leur donner part à cette famille qui se construit ?

Myriam Cassen : C’est très intéressant, mais ce n’est pas toujours le cas. Mais c’est très bien sûr. Je vois beaucoup d’adultes aujourd’hui qui regrettent de ne pas avoir interrogé leurs grands-parents.

Clémentine Sarlat : C’est vrai.

Myriam Cassen : Et franchement, qui se disent : “mais tout ce que je n’ai pas demandé, il est trop tard, je n’aurai pas la réponse”. Et donc ça, c’est très important, bien sûr. Oui, elle a dû beaucoup intéresser ses grands-parents, votre démarche.

Clémentine Sarlat : Oui, oui, c’était ses parents à lui. Bien sûr, on a sorti plein de photos et c’était tout un pan de l’histoire que … de ma fille que je ne connaissais pas, donc ça m’intéressait vraiment.

Myriam Cassen : Bien sûr, bien sûr.

Clémentine Sarlat : Puisque j’avais la sensation de connaître plutôt bien la mienne. Mais c’est vrai que ce n’est pas le cas dans toutes les familles, on ne connaît pas toujours son histoire familiale.

Myriam Cassen : Et puis on aime tous bien raconter notre histoire familiale.

Clémentine Sarlat : Ça c’est sûr.

Myriam Cassen : Sauf quand on est dans des psychotraumas et que ça devient un tabou. Mais parfois ça peut permettre aussi pour des générations qui ont souffert de raconter des choses qu’ils n’ont pas racontées. Et donc je pense aux grands-parents maintenant qui sont en train de disparaître, mais tous ceux qui ont été issus de la Deuxième Guerre mondiale, bien sûr. Tous ceux qui ont connu la guerre d’Indochine ou la guerre d’Algérie. Et c’est intéressant pour eux d’en parler, bien sûr. C’est une manière d’être reconnu aussi.

Clémentine Sarlat : Oui c’est ça, j’ai eu la sensation qu’en faisant cette démarche aussi, je leur montrais qu’ils faisaient partie de la famille qu’on construisait et que ça m’intéressait vraiment de comprendre. Et peut-être que parfois on est maladroit en tant qu’enfant, on n’inclut pas assez cette histoire familiale qui nous… Avec laquelle on est tous liés en fait.

Myriam Cassen : Absolument. On pense, je crois, qu’on a toujours le temps de savoir ou d’apprendre. C’est le rôle des grands-parents aussi, de transmettre cette filiation et cette histoire, bien sûr, pour peu qu’on leur en donne l’occasion.

Clémentine Sarlat : Je n’ai pas rebondi tout à l’heure, vous me disiez que les grands-parents parfois disent des choses aux petits-enfants qu’ils ne disent pas aux enfants. Pourquoi? Pourquoi on saute une génération? Pourquoi on s’autorise?

Myriam Cassen : On a des exemples. Parmi les exemples magnifiques de témoignages, on a celui de Simone Veil. Dans “Une vie”, elle raconte qu’elle a pu discuter avec ses… En particulier avec une de ses petites-filles, de ce qu’elle avait vécu, même si ce qu’elle avait vécu dans les camps, elle ne pouvait vraiment l’échanger qu’avec les personnes qui étaient dans le camp avec elle. Et ses fils, j’ai lu des témoignages de ses fils qui disaient “on n’osait pas interroger maman”. Et elle raconte, c’est un de ses fils qui dit “elle raconte à ma fille des choses qu’elle ne m’a jamais racontées et parfois ça a été difficile pour moi”. C’est vrai, indépendamment d’une histoire aussi dramatique. Je pense qu’il faut un certain temps, on l’a compris avec le trauma, mais c’est la même chose avec la honte.

Il faut un certain temps, un temps très long, parfois presque toute une vie, pour pouvoir raconter à nos petits-enfants ce qu’on n’a pas à raconter à nos enfants. Alors il y a le temps de l’élaboration psychique, c’est évident, et puis il y a aussi le fait que quand on est parent, on n’a pas forcément envie de faire porter ce poids à nos enfants. Parce qu’on est en responsabilité. Puis une fois que nos enfants sont en responsabilité de nos petits-enfants, peut-être qu’on a envie de transmettre l’histoire. Mais il faut faire attention aussi de l’âge auquel on transmet. Selon l’âge, les petits-enfants peuvent être très traumatisés par l’histoire. Selon l’âge et aussi selon, ça c’est la transmission du traumatisme, selon l’émotion avec laquelle vous le racontez.

C’est-à-dire que si vous pouvez raconter une histoire qui a été dramatique, sans être totalement désorganisé émotionnellement, vous n’allez pas transmettre le trauma. Vous allez transmettre l’histoire. Mais si vous êtes désorganisé, vous êtes la grand-mère par exemple, vous avez votre petit-fils de 16 ans, puis vous racontez ce que vous avez vécu enfant, ça a été affreux, et vous vous désorganisez, vous vous mettez à sangloter, il est obligé de vous prendre dans les bras, de vous rassurer, de vous consoler, vous êtes inconsolable, qu’est-ce qui va se passer? Ce qui va être transmis d’abord, c’est l’émotion, qui va désorganiser aussi, ou en tout cas bouleverser le petit-fils. Donc dans les transmissions des traumas transgénérationnels, c’est pas tant, au moment de la narration en tout cas, c’est pas tant le contenu que la manière dont on le raconte émotionnellement.

Et de fait, sans doute, on n’est plus, enfin je pense que c’est vrai un peu pour tout le monde dans notre monde occidental, on n’est plus tranquille avec quelques décennies de plus pour raconter nos avenies d’enfants ou d’adolescents qu’on ne l’aurait été à 30 ans ou 35 ans.

Clémentine Sarlat : Il nous faut un peu d’expérience et de maturité pour arriver à avoir de la distance.

Myriam Cassen : En tout cas, il faut être moins ému. Je ne sais pas si c’est une question d’expérience ou de maturité. Je pense qu’il faut être moins ému par ce que nous avons déjà vécu. Il faut d’abord métaboliser nous-mêmes pour pouvoir en parler sans perturber les autres. Et je comprends que si ces autres en plus sont nos enfants, on veille à les protéger de ça. Tout en n’étant pas dans un secret qui va perturber le développement de la famille. C’est des exercices difficiles.

Clémentine Sarlat : Pour terminer, dans la conférence que vous avez donnée, qu’est-ce qui vous a le plus touché de la part des grands-parents aujourd’hui?

Myriam Cassen : Beaucoup de choses. Leur volonté de bien faire. Et ce qui m’a le plus touché, c’est le sentiment que certains avaient de ne pas être reconnus. Et je pense que c’est un sentiment qui est extrêmement humiliant pour n’importe quel être humain, quel que soit son statut. Et l’impression qu’ils étaient “has-been”. Vous voyez? C’est terrible. Surtout si ça vous donne l’idée que vous n’êtes plus utile dans la relation. Mais la relation ne passe pas par la technologie. C’est ce qui m’a le plus émue chez eux. Parce qu’en plus dans cette conférence, sans doute aussi là encore un biais de recrutement, c’est pas n’importe quel grand-parent qui s’intéresse, qui fait partie de l’association Grands Parents Européens, qui vont voir des conférences de psy. Ils ont parfois autre chose à faire et là ils étaient assez nombreux. Donc ils ont vraiment envie de bien faire.

Donc là on a un biais de recrutement, si vous voulez, de gens qui se posent déjà beaucoup de questions et qui sont déjà, dans ce qu’ils disaient tous là, ils sont déjà très présents auprès de leurs petits-enfants. Mais ils se sentent souvent pas reconnus.

Et un dernier mot que je voudrais ajouter, parce que les conflits peuvent aller jusque là. Il y a des grands-parents qui ont perdu le contact avec leurs petits-enfants. Et la loi existe aujourd’hui pour leur donner les droits de visite auprès des petits-enfants. J’aurais envie de dire quels que soient les conflits entre les grands-parents et les parents, les enfants ne doivent pas devenir une monnaie d’échange. Ou de contention, de chantage. Les petits-enfants ont le droit d’avoir des grands-parents. Sauf si ceux-là sont très maltraitants, bien sûr, ou dangereux. Ça va de soi.

Clémentine Sarlat : Bien sûr. Et même au-delà de ça, c’est-à-dire que dans une situation de séparation des parents, où il y aurait utilisation justement de… D’empêcher les grands-parents de voir les petits-enfants, légalement, ce n’est pas possible?

Myriam Cassen : Légalement, c’est impossible. Mais il faut faire une procédure. En général, ce sont des procédures qui sont très difficiles émotionnellement. Et en plus, ce qui va être l’enjeu, c’est que la procédure est faite par les grands-parents, bien sûr. Elle n’est pas faite par les parents, la plupart du temps. Et les parents disqualifient les grands-parents. Donc pour l’enfant c’est tout sauf facile. Quand vous arrivez à la procédure, c’est que les parents n’ont pas reconnu le droit à leurs enfants d’avoir des grands-parents. Donc même si la procédure l’exige, il y a hélas beaucoup de risques que les parents disqualifient les grands-parents. Donc ce sont des histoires très douloureuses et qui abîment tout le monde, les trois générations. Et qui surtout abîment le futur des petits-enfants.

Clémentine Sarlat : Mais au moins de savoir que les grands-parents ont des droits, c’est important.

Myriam Cassen : Absolument, c’est très important. Et pour certains enfants, c’est important que les grands-parents fassent la démarche parce que parfois les parents sont maltraitants. La ressource, c’est les grands-parents et c’est important pour eux que les grands-parents le fassent. C’est une manière de ne pas les abandonner.

Clémentine Sarlat : C’est vrai. Merci beaucoup Myriam, c’était passionnant.

Myriam Cassen : Je vous en prie, merci.

Clémentine Sarlat : Avec grand plaisir un jour pour reparler d’addiction.

Myriam Cassen : Avec plaisir aussi.

Clémentine Sarlat : Tout ce dont vous êtes spécialiste. Et j’espère que ça aura donné des petites idées aux parents, aux grands-parents, en tout cas d’essayer de faire en sorte que la relation soit la plus bénéfique… la plus adéquate possible pour les enfants, les petits-enfants.

Myriam Cassen : Oui, bien sûr. Ça peut être tellement riche d’avoir des grands-parents.

Clémentine Sarlat : C’est vrai. C’est chouette d’avoir des grands-parents.

Myriam Cassen : Oui. Moi j’ai eu des grands-parents extraordinaires.

Clémentine Sarlat : C’est vrai que c’est chouette. Et je vous rejoins sur le fait que j’ai perdu tous mes grands-parents, de dire “j’aurais dû poser des questions”. J’ai pas posé assez de questions. C’est dur de se réveiller adulte et de se dire mince.

Myriam Cassen : Oui, mais vous n’êtes pas la seule.

Clémentine Sarlat : Oui, je sais. Merci beaucoup.

Myriam Cassen : Merci à vous.

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