Le premier mai 2024, Amélie et Bastien vivent l’impensable pour des jeunes parents
Leur 2e fils Léo, atteint d’un cancer, décède à l’âge de 16 mois.
Pendant 13 mois, Amélie s’est battue avec son mari pour accompagner Léo, dans son parcours de soin.
Entre ses doutes sur la santé de son bébé, les débuts de vie difficile de Léo et son premier bébé d’à peine 18 mois, Tom, Amélie navigue à travers un postpartum difficile et rempli d’angoisse.
Depuis quasiment le début, Amélie sait que quelque chose ne va pas avec Léo et pourtant le corps médical mettra de longues semaines avant de répondre à ses doutes.
Quand l’annonce du cancer leur tombe dessus, Amélie et Bastien mettent leur vie entre parenthèses.
Grâce aux dons de collègues mais aussi d’association, ils peuvent de manière plus sereine, se consacrer à la survie de leur bébé.
Comment le couple traverse cette épreuve ?
Comment on inclut son premier bébé dans cette aventure médicale ? Comment on survit tout simplement à la perte de son enfant ?
Amélie dégage une force incroyable et une capacité d’analyse très fine pour expliquer l’épreuve qu’elle vient de traverser.
Chaque année 2500 enfants meurent d’un cancer pédiatrique, Septembre en or est l’occasion pour nous de leur rendre hommage
🎗️ Introduction au cancer pédiatrique (00:09 – 09:15)
Présentation du podcast “La Matrescence” sur la parentalité
Introduction au sujet du cancer pédiatrique et du deuil d’un enfant
Amélie partage son expérience avec ses deux fils, Tom et Léo
Léo décède d’un cancer à 16 mois en mai 2024
👶 Grossesse et naissance de Léo (09:15 – 18:42)
Amélie tombe enceinte de Léo en mars 2022
Accouchement difficile avec complications
Premiers signes inquiétants chez Léo : problèmes de vue et strabisme
Amélie s’inquiète mais les médecins minimisent initialement
🏥 Diagnostic et début du traitement (18:42 – 29:41)
Léo passe un scanner qui révèle une tumeur cérébrale
Annonce du diagnostic : rétinoblastome trilatéral rare
Début du traitement intensif : chimiothérapie, radiothérapie
Impact sur la vie familiale, notamment avec le frère aîné Tom
👨👩👦 Vie familiale pendant le traitement (29:41 – 40:20)
Difficultés à gérer Tom et Léo pendant les traitements
Amélie allaite Léo malgré les défis
Adaptation de la vie familiale, alternance des parents à l’hôpital
Soutien psychologique limité pour les parents
😔 Rechute et fin de vie de Léo (40:20 – 49:47)
Signes de rechute après une période d’espoir
Dégradation rapide de l’état de Léo
Hospitalisation d’urgence et annonce de la fin de vie
Derniers moments avec Léo et décision d’arrêter les traitements
💔 Deuil et impact sur la famille (49:47 – 01:00:50)
Annonce du décès imminent à Tom, le grand frère
Derniers moments en famille avec Léo
Décès de Léo et premiers jours de deuil
Réflexions sur l’accompagnement en fin de vie
🗣️ Partage de l’expérience (01:00:50 – 01:10:07)
Importance de parler du deuil d’un enfant
Difficultés rencontrées avec l’entourage
Engagement d’Amélie pour sensibiliser aux cancers pédiatriques
Soutien de l’association Le Point Rose pour les parents endeuillés
🎗️ Sensibilisation au cancer pédiatrique (01:10:07 – 01:21:54)
Explication de l’importance du Septembre en Or
Besoin de financement pour la recherche sur les cancers pédiatriques
Discussion sur les traitements inadaptés pour les enfants
Appel à la sensibilisation et au soutien
👨👩👦 Vie après le deuil (01:21:54 – 01:31:50)
Retour progressif à une vie “normale” pour la famille
Difficultés pour Amélie de reprendre le travail
Gestion de l’inquiétude pour Tom, le fils survivant
Importance du soutien psychologique
❤️ Couple et résilience (01:31:52 – 01:42:09)
Défis pour le couple pendant et après la maladie de Léo
Stratégies pour surmonter le deuil ensemble
Choix de rester unis malgré les difficultés
Message d’espoir et d’amour pour l’avenir
TRANSCRIPTION DE L’ÉPISODE
Clementine Sarlat
Salut Amélie.
Amélie
Bonjour.
Clementine Sarlat
Je suis vraiment très contente que tu m’aies écrit pour pouvoir venir témoigner aujourd’hui parce qu’on est au mois de septembre et c’est le mois de septembre qui est dédié aux cancers pédiatriques. On appelle ça le septembre en or. Je trouve un très joli nom pour parler de la maladie qui peut toucher les enfants aujourd’hui. Et parce que tu as été directement concernée, tu vas nous parler de tes deux fils et notamment de Léo. Mais d’abord, j’aimerais bien que tu nous racontes un petit peu quand tu as voulu devenir mère. Est-ce que c’était quelque chose de facile ? Est-ce que tu l’as toujours envisagé ? Comment c’est arrivé le fait que tu accueilles ton premier petit garçon, Tom ?
Amélie
Alors, moi, je me suis mariée en 2019 avec mon mari, avec qui j’étais depuis un peu plus de cinq ans à l’époque. Le mariage était un peu, je suis assez traditionnelle dans ma vision du déroulé d’une vie. Et donc, une fois que je me suis mariée, j’ai voulu devenir mère, fonder ma famille avec Bastien qui est mon mari. Et donc on s’est lancés dans le projet bébé. Je suis quelqu’un qui maîtrise un petit peu tout le déroulé de ma vie. Et là je m’étais dit bon ben ça va venir quand j’aurai décidé que ça viendrait. Et puis j’ai mis une année à tomber enceinte de Tom, mon premier petit garçon. Que je voulais beaucoup. Pour moi, devenir mère, c’était vraiment l’accomplissement de ma vie de femme. C’était vraiment un rôle que je voulais connaître.
J’avais même un peu la frustration d’avoir attendu autant pour le devenir. Et Tom est arrivé en août… Je suis tombée enceinte en août 2020. Et donc, j’ai accouché de Tom en mai 2021.
Clementine Sarlat
Donc c’est encore un tout petit garçon.
Amélie
Exactement.
Clementine Sarlat
C’est encore jeune.
Amélie
Exactement.
Clementine Sarlat
Et donc, quand tu deviens maman en 2021, est-ce que c’est un énorme chamboulement ou est-ce que c’est une bulle d’amour ? Comment tu ressens ce moment-là ?
Amélie
Alors moi, ça a été une grosse bulle d’amour. J’ai une grossesse qui s’est très bien passée. Tom est arrivé en parfaite santé. Tout se passait très bien. Mon mari, lui, il a fait une dépression postpartum, mais version papa, ce dont je n’avais jamais entendu parler. Parce que lui, il a pris plein fer le gros chamboulement dans la vie, le fait qu’on ne pouvait plus vivre de manière complètement spontanée, qu’on avait besoin d’organiser, prévoir comment faire avec un tout petit. Donc finalement, moi ça a été vraiment, la grossesse a été un cheminement vers un changement de vie. Et quand il est arrivé ce changement de vie, je l’ai trouvé fabuleux, je me suis vraiment accomplie là-dedans. J’étais très carriériste avant et je me suis trouvé une nouvelle raison d’être, entre guillemets, celle d’être maman.
Et donc, tout a été remis en perspective, mais je crois dans les bonnes dimensions. Voilà. Et du coup, ça a été vraiment une très belle, un très bel accomplissement pour moi. Et donc, à tel point que je n’ai pas voulu reprendre de contraception, j’ai dit on enchaîne, j’en veux un autre vite. Et je ne voulais plus revivre l’attente. Tu vois, ce moment où tu te dis bon, mais on veut un bébé. Et où t’attends que la nature fasse son travail. Et j’avais trouvé ça hyper déstabilisant pour moi, pour notre couple, de rentrer dans cette attente-là. Donc je m’étais dit, on laisse les portes ouvertes. Maintenant, on laisse faire la vie comme ça. On n’était pas pressé. Et en même temps, on n’avait pas cette espèce d’épée de Damoclès, on l’a décidé, on veut que ça arrive. Donc je suis tombée enceinte de Léo en mars 2022.
Clem
Donc tu as eu très peu d’écarts entre les deux.
Amélie
Ouais, finalement ils ont eu 19 mois d’écart.
Clementine Sarlat
Je suis passée par là, je trouve que c’est intense à ces moments-là. Donc ça veut dire que t’étais encore en plein dans un postpartum déjà de ton premier petit garçon, ensuite t’as eu ton deuxième. Quand tu vis ton premier postpartum, est-ce que tu rencontres quand même des difficultés ou pas du tout ? Comment est-ce que tu te sens ? Est-ce que tu te sens anxieuse ? Est-ce que tu te sens… Épanouie ?
Amélie
Alors j’ai eu au tout début quelque chose que j’ai nommé bien plus tard qui s’appelle les phobies d’impulsion que je connaissais pas mais je l’ai eu très très tôt genre dans les deux premières semaines de vie de Tom et j’ai un peu paniqué parce que j’en ai… je me souviens ne même pas en avoir parlé à Bastien en me disant “Mais ça va pas, des pensées comme ça.!”. Et plus tard, je l’ai nommé. J’ai eu ça. Et après, honnêtement, le reste, c’était assez fluide. J’ai eu les mêmes galères que toutes les mamans, je pense. Mais c’était OK. Je me disais, c’est normal. J’étais tellement heureuse et tellement bien que ce n’est pas quelque chose qui m’a mise en difficulté. Puis, pour le coup, vu que mon mari, assez rapidement, lui, n’allait pas bien du tout.
J’avoue que je pense que je me disais un peu bon allez faut tenir pour tout le monde là et du coup je me suis pas du tout… En tout cas j’ai pas eu le sentiment de perdre pied.
Clementine Sarlat
Alors je le rappelle juste les phobies d’impulsion c’est ces pensées intrusives qu’on peut avoir où on se dit : “bah là si je prends mon bébé et que je le jette par la fenêtre il peut mourir” ou “si je prends ma voiture et que je fonce dans un mur” c’est très déstabilisant parce qu’on a la sensation qu’on a envie de tuer notre bébé alors que ça n’a rien à voir. C’est juste notre cerveau qui est en train de processer ce qui est en train de se passer. Ça arrive très souvent en fait, plus souvent qu’on ne le croit. Et on n’est pas une mauvaise mère si on a des phobies d’impulsion.
Amélie
Et c’est hyper naturel, en fait. C’est une prise de conscience de la responsabilité d’une vie. Et c’est le moment où on se rend compte que, effectivement, nos choix peuvent impliquer la survie de nos enfants. Enfin, voilà.
Clementine Sarlat
C’est pour ça que notre cerveau, le temps qui processe ces informations, il fait des scénarios.
Amélie
Exactement, il projette les images.
Clementine Sarlat
Moi, je crois que j’avais des phobies où j’étais par l’escalier. Ça faisait…
Amélie
Voilà, moi aussi.
Clementine Sarlat
J’étais tombée dans les escaliers. Je pense que l’escalier, c’est un moment crucial. Les gens qui ont des escaliers chez eux. Ça m’intéresse que tu dises que tout de suite vous avez su que ton mari avait une dépression postpartum, c’est-à-dire qu’il a été pris en charge, vous avez nommé les choses. C’est tellement tabou et ça passe inaperçu chez les hommes.
Amélie
Alors non, on ne l’a pas su tout de suite. Moi, j’ai tout de suite vu que c’était très compliqué pour lui. En fait, il n’arrêtait pas de me répéter : “Mais ça va être ça notre vie maintenant ? On pourra plus jamais rien faire sans avoir à prévoir à l’avance, sans sortir avec trois sacs, une voiture pleine quand on va chez des amis.”. Et puis on avait un peu… Tom, il faisait les cris du soir, tu sais, les petites décharges, là. Et du coup, ça, c’était source d’angoisses aussi, quand même, parce que c’est un moment où tu perds un peu de pied, où tu te dis, mais en fait, je n’arrive pas à calmer mon enfant. Puis c’est systématique, donc tu angoisses un peu du soir qui arrive. À 17h, tu commences à dire, bon, dans une heure, ça va partir dans tous les sens.
Et en fait, je voyais que mon mari allait pas bien, qu’il faisait que me faire des remarques de ce style-là. Mais alors au début, je comprenais pas du tout. Et puis, ça a vraiment créé entre nous des tensions parce que je disais : “Je comprends pas, quoi. On a attendu un an pour avoir Tom. Aujourd’hui, il est là, il va super bien. Qu’est-ce qui ne va pas ?”. Et il me disait : “Mais tout ! Regarde, notre vie, ce n’est plus du tout la vie qu’on a eu jusqu’à maintenant. Moi, je n’avais pas signé pour ça. Je ne savais pas qu’un enfant, ça impliquait tout ça.”. Et donc, si tu veux, il y a eu un grand moment de flottement jusqu’à ce que je tombe enceinte de Léo, c’est-à-dire neuf mois après l’accouchement de Tom.
Et où là, je lui ai dit : “Si on veut ce deuxième enfant, il va falloir que tu te fasses aider. Parce qu’en fait, on ne va pas accueillir un deuxième enfant dans un contexte où toi, tu n’arrives pas à te remettre de l’arrivée du premier.”. Et donc là, il est allé voir quelqu’un qui l’a beaucoup accompagné. Et en fait, la parentalité, que ce soit chez les hommes ou chez les femmes, ça remet beaucoup de choses en perspective. Notre enfance, notre propre relation à nos parents, etc. Et donc, il a réglé tout ça de son côté. Et même pour être honnête, on a commencé par un psy de couple. Qui rapidement a dit : “En fait, il n’y a pas de souci dans votre couple.
Par contre, vous, monsieur, là, ça va mal, donc il faut que vous occupiez de vous et le reste suivra. “. Et du coup, Léo, ça a vraiment été une décision, c’est-à-dire que, oui, on n’avait pas repris de contraception et on s’est dit, cette grossesse-là, on l’accueillera, etc. Mais au moment où c’est arrivé, on a quand même pris le temps de se dire, “est-ce que là, on est prêt par rapport à tout ce qu’on a traversé, par rapport à son état émotionnel ?”. Et donc, on a fait le choix de garder Léo, mais c’était vraiment un choix, comment dire, réfléchi quoi.
Clementine Sarlat
Donc Léo, se niche dans ton ventre. Tu as déjà Tom. Est-ce que toi, tu continues de travailler comment t’envisages en même temps ? Parce que deux enfants rapprochés, enchaîner, c’est pas évident.
Amélie
Alors oui, après Tom, j’ai repris le travail quasiment juste à la fin du congé maternité. Aujourd’hui, je ne referai pas tout à fait de la même manière, mais à l’époque, j’avais un peu cette culpabilité. Je me disais, il faut vite que je retourne au travail, donc j’ai laissé Tom en crèche. Et quand je suis tombée enceinte de Léo, il se trouve que rapidement, on a voulu déménager, changer de ville et on a perdu le mode de garde pour Tom. Donc il fallait qu’on trouve un nouveau mode de garde pour Tom et un futur mode de garde pour Léo. Et là, je me suis dit, en fait, on a commencé les démarches, les places en crèche dans le village où on allait. Il y en a très peu par rapport au nombre de demandes, donc c’était forcément chez des nounous.
Et là, en fait, on a vu le tarif pour deux enfants et on s’est dit, en fait, ça ne vaut pas le coup, parce qu’en plus, moi, j’avais un métier où je me déplaçais beaucoup. Donc, parfois, je prenais la navette Toulouse-Orly à 6 heures le matin et je prenais le retour le soir à 19 heures. À l’époque où j’avais que Tom et je ne le voyais pas de la journée et je me suis dit ça n’a aucun sens en fait. Je vais aller mettre les trois quarts de mon salaire dans un mode de garde pour deux enfants pour finalement ne pas les voir. Donc j’ai décidé d’arrêter de travailler. Je me suis dit que je ferais une pause d’un an. Léo était prévu pour la fin de l’année 2022.
Donc j’ai arrêté grosso modo pour mon congé mat de Léo en me disant que, enfin en prévoyant de ne pas revenir.
Clementine Sarlat
Vous avez pris vos dispositions pour ce deuxième enfant pour que ce soit plus en adéquation avec la façon dont vous viviez à ce moment-là. Quand Léo naît, comment est-ce que ça se passe?
Amélie
Alors moi, mes deux enfants ont été déclenchés, toujours. Je ne sais pas pourquoi, je vais toujours trop loin dans la grossesse. Du coup, pour les deux, j’ai eu un déclenchement. Pour Léo, ça s’est passé comme ça, mais bien. C’est-à-dire que j’ai mes rendez-vous de fin de grossesse, puis ça ne vient pas tout seul, donc on décide de mettre en place, en général, je ne sais plus comment ça s’appelle, ces sortes de tampons qui permettent de déclencher… l’ocytocine. Et du coup, Léo est arrivé comme ça. C’était programmé le 28 décembre, il me semble. On a commencé et il est né le 29. Ouais, c’est ça, parce que j’ai eu… On a fait le processus de déclenchement le 28 à partir de l’après-midi et il est arrivé le 29 matin. Voilà, tout s’est très bien passé.
Je me suis juste, à un moment, pas sentie très entendue au niveau de la maternité parce que, si tu veux, pour Tom, j’avais été déclenchée et moi, je fais partie de ces femmes qui, je ne dilate pas bien. Donc, en fait, entre le 1 et le 10, ça part d’un coup, c’est-à-dire pendant longtemps, je reste à 1 et puis d’un coup, je passe de 1 à 10 en genre une heure.
Clementine Sarlat
Tu le dilates bien, c’est normal.
Amélie
Donc pour Tom, je l’avais observé ça et j’avais du coup à 1, j’ai des grosses contractions, tu vois, ça me fait vraiment très mal. Et pourtant, on m’avait dit “mais vous n’êtes qu’à 1, donc vraiment là, il faut attendre.”. Et j’ai souffert pendant des heures et des heures avant qu’ils acceptent de mettre la péri à 2 ou 3, ce qui était très tôt par rapport à la moyenne. Mais en fait, une fois que j’ai la péri, en une heure, j’accouche, même si j’étais à 1 une heure avant. Je pense que je me crispe et que je bloque un peu le travail, je ne sais pas. En tout cas, ça m’aide d’avoir la péri. Donc pour Léo, je suis arrivée à la mater, j’ai dit, “voilà comment je fonctionne. J’ai accouché il y a un an et demi. Vraiment, je suis sûre que ça fera pareil. “.
Et puis toute l’équipe m’a dit, “oui, mais ne vous inquiétez pas, on vous écoutera le moment venu.”. Et en fait, quand la douleur a commencé à être forte, forte, je l’ai signalé et je me souviens d’une sage femme qui me dit, “écoutez, si vous aviez vraiment mal, là, vous ne pourriez pas sourire comme ça.”. Et je me souviens, en plus, j’étais un peu énervée dans ces moments-là, je regarde mon mari quand il ferme la porte, je lui dis, “mais il faut quoi que je l’insulte pour qu’ils me prennent au sérieux ?”. Et en fait, ça a fait exactement pareil. Donc, dès qu’ils m’ont mis la péri, tout est parti et ça a bien fonctionné. Et si, il y a eu un petit truc à la fin, c’est que du coup, j’étais à 10 et j’étais sur la phase de changement d’équipe, tu sais. Le matin.
Et en fait, du coup, je suis restée longtemps à 10 avant que quelqu’un vienne s’occuper de nous. Sauf que ça faisait 12 heures que j’avais rompu la poche des eaux . Et quand tu dépasses les 12 heures, il y a des risques infectieux. Et c’est important à prendre en compte pour la suite de l’histoire.
Clementine Sarlat
Parce que là, à ce moment-là, on ne te donne pas d’antibiotiques ?
Amélie
Non, parce qu’en fait je suis pile poil à 12 heures. Donc ils disent, et peut-être juste avant, tu vois, 11h55, quelque chose comme ça. Et donc ils décident de pas me donner les antibiotiques et de pas, je crois aussi qu’il y a un prélèvement à faire sur le bébé à ce moment-là, si on a dépassé 12 heures et ils ne le font pas. Parce qu’on est vraiment pile poil, quoi. Et d’ailleurs, l’équipe est venue parce qu’on était à ce stade-là. Mais tu vois, moi, ça faisait un moment que j’étais à 10, donc j’aurais pu accoucher depuis un moment. Et là, encore une fois, j’étais là. “. Est-ce quelqu’un peut s’occuper de moi?”. Et donc voilà, ils ont fini par venir. J’ai accouché, l’accouchement s’est très bien passé. Léo est né, il était super. C’était un beau bébé, 3,7 kg, en pleine forme, donc super.
Clementine Sarlat
Et donc là, tu le mets au sein.
Amélie
Et donc là, je le mets au sein et tout se passe bien parce que c’est tout frais pour moi, donc je sais comment ça se passe. Puis pour Léo, ça a l’air super fluide, donc je suis ravie. Et donc, Léo, il est né vers 11h, il me semble, 11h50 si je ne dis pas de bêtises. Et en fait, donc, on rentre en chambre après avoir fait le… Après être resté un peu en salle de travail, fait le peau à peau, etc. Et donc rapidement, ça nous amène au soir. Et le soir, il ne fait que dormir, Léo. Et toute la nuit, il ne fait que dormir. C’est-à-dire que je le réveille parce que je sais qu’il faut essayer de le faire boire, etc. Je le réveille un peu doucement et dès que je le mets au sein, très vite, il dort.
Et donc pendant toute la nuit, tu sais, t’as quand même des visites régulières des équipes et je signale, je dis, j’ai du mal à le faire boire, je trouve qu’il dort beaucoup. Et puis on me dit, vous savez, il vient de naître, il est fatigué ce bébé, il faut le laisser récupérer. Puis je me dis, effectivement, il fait 3,7 kg. Et Tom aussi a fait sa première nuit, il a beaucoup dormi. Et je me souviens, il m’a fait gronder par les équipes le matin, qui m’ont dit, mais vous l’avez pas réveillé. Donc là, je réveillais Léo, mais franchement, il préférait dormir que téter. Bon, toute la nuit on me dit que c’est pas très grave. Et puis l’équipe du matin arrive et me dit comment ça il n’a pas bu de la nuit, c’est pas possible.
Et je dis en fait, je trouve surtout qu’il est, on dirait une poupée de chiffon quoi. Je le trouvais très peu tonique, tu vois. Et là, elle décide de lui faire un dextrose, ça s’appelle, c’est une petite piqûre au bout du doigt comme on fait pour les diabétiques. Et on se rend compte qu’il a un hypoglycémie sévère. Donc là elle me dit, bon ça va pas être possible de poursuivre l’allaitement parce que de toute évidence, ça lui suffit pas. Moi je dis mais c’est pas que ça lui suffit pas, c’est qu’il n’a pas bu en fait. Elle me dit écoutez, je pense que là le combat c’est pas votre allaitement et moi en plus tu sais, tu es culpabiliste, tu dis mais non non.
Evidemment que c’est pas le combat mais c’est juste que je pense que c’est parce qu’il n’a pas bu qu’il est comme ça. Et donc elle me demande d’introduire des biberons de lait pour les prémates, ce que je fais, mais en fait il n’en veut pas du tout, du tout. Et là elle met un ultimatum, je me souviens, elle me dit si à midi il n’a pas bu au moins, je ne sais plus combien c’était, genre 70 ml de lait, il part en néonate. Donc moi, j’essaie de le faire boire comme je peux, mais il ne veut pas en fait, donc je ne sais pas comment faire. J’ai ma maman qu’une puéricultrice est venue essayer de m’aider et elle n’y arrivait pas non plus.
Et une puer justement qui vient nous voir à la matière et qui me dit, là, il faut lui faire un dalle. Je ne sais pas ce que c’est qu’un DAL. Elle me dit, mais moi, je n’ai pas le temps de vous faire ça. Elle me montre vite fait comment on fait un DAL, mais je panique à bord. Et puis, on était dix minutes avant l’échéance de la néonate. Et puis, en fait, j’arrivais à le faire boire. Et à un moment, il boit un peu trop et il vomit tout. Donc là, elle me dit, allez, départ en néonate. On a déjà le sentiment d’échec absolu d’une maman qui est là, elle se dépatouille à faire voir un bébé qui a, de toute évidence, un souci.
Et puis derrière, tu pars en néonate et t’as l’impression que c’est ta faute parce qu’il a vomi et voilà, bref. Donc on part en néonate et ils nous disent qu’il fait des hypoglycémies sévères à répétition, il faut qu’on comprenne pourquoi. Et c’est très dangereux pour son cerveau et c’est très dangereux pour son avenir parce qu’un bébé dont le cerveau n’est pas suffisamment alimenté en sucre notamment, ça peut avoir des conséquences lourdes. Donc là, ils le sondent et ils se rendent compte que la sonde ne suffit pas non plus. Donc, il y a un problème métabolique qui fait qu’il ne fixe pas le sucre, que ce n’est pas juste une question d’ingérer du lait.
Clementine Sarlat
Ton incompétence à toi.
Amélie
Voilà, exactement. Du coup on le sonde, ça ne suffit pas, il le perfuse assez rapidement, et là ça va un peu mieux, on arrive à le stabiliser, mais il est sous perf, sous sonde, et donc là il commence les investigations. Sauf qu’on est le 30 décembre, donc il manque la moitié des effectifs. Ils ont vachement de mal à le prélever, ça tous les parents qui ont un bébé en neonate le savent. Le capital veineux d’un tout petit, c’est très compliqué. Ils n’arrivent jamais à le perfuser. Déjà, là, psychologiquement, c’est un enfer. Moi, je me souviens, j’ai des tranchées à ce moment-là. Je me suis accouchée, en fait. Et je me souviens de la nuit en neonate, où on n’a rien, on est dans une salle où il y a juste la petite couveuse pour les bébés prémates.
Léo dedans, et Léo qui supporte pas de rester comme ça, donc il faut bercer. Et en fait, il se calme que quand il a mon contact. Sauf que moi, déjà je suis en train de me vider de mon sang, puisque je viens juste d’accoucher, et puis j’ai des tranchées dingue, parce que c’est mon deuxième, tu connais sûrement. Et du coup, la nuit de l’enfer, à me dire qu’est-ce qu’on fout là ? Qu’est-ce qui se passe ? Je suis passée d’un bébé qui ne buvait pas. Moi, je me dis, mais peut-être que si on arrive à l’alimenter, ça va aller. Puis en même temps, on me dit, ça peut être tout et rien. Ça peut être juste un problème de démarrage ou alors quelque chose de beaucoup plus grave. Il faut qu’on investit, etc.
Et là ils font tout plein de prélèvements, ils nous disent bon ben on a lancé plein de recherches, on va éliminer les pistes au fur et à mesure. Et on nous parle beaucoup de maladies métaboliques rares, c’est-à-dire au niveau des glandes surrénales ou au niveau de l’hypophyse justement. Et donc moi je dis mais c’est quoi les conséquences pour sa vie, qu’est-ce que ça veut dire ces maladies-là ? Ils nous en disent pas trop, ils nous disent c’est des pistes sur lesquelles on part mais on va pas se… On va pas s’inquiéter plus que de raison maintenant, on va voir ce qu’il en est et on vous expliquera le cas échéant. Et je demande quand même ce que ça implique pour leur vie, pour sa vie, et ils me disent au pire ce serait un traitement à vie mais il peut avoir une vie normale.
Donc moi ça me va en fait, à ce stade je me dis ok, ça ne met pas sa vie en jeu, donc ça va. Et donc on survit comme ça, là en néonat où on reste pendant 15 jours, on nous annonce que ce sera long au niveau des résultats d’analyse parce que justement il y a des labos qui sont fermés, on est en pleine période de fêtes, c’est l’ébullition. Donc on reste en néonate parce que de toute façon le lait ne se nourrit pas autrement que par la sonde et par la perf. Et moi je tire mon lait parce que je me dis, on sait jamais si ça rentre dans l’ordre et qu’à un moment il peut reprendre le sein, ça lui fera tellement de bien d’avoir du lait maternel.
Je rentre dans un truc où ma mission, ma seule mission, parce que c’est la seule chose que je peux faire, c’est de tirer mon lait. Donc je lance l’allaitement avec un tirelait, ce que je pensais même pas possible, tu vois. Je me vois encore tirer mon colostrum, du coup ils le mettaient dans la sonde en fait. Donc c’était top parce que je le perdais pas. Et voilà, je rentre dans ce truc-là et on reste dix jours d’abord en néonatologie. Et en fait, au bout de dix jours, d’un coup, en pleine nuit, du coup il était scopé, toute la nuit il avait des électrodes, etc. Et en pleine nuit, mon mari me dit « il a le cœur qui bat beaucoup trop fort ». Puis je dis « mais non mais qu’est-ce que tu me racontes ?
Il est scopé, elles ont les écrans dans leur chambre, il n’y a pas de… Il n’y a pas de sujet, s’il y avait un problème, elle viendrait. Il me dit, je te jure, je regarde depuis tout à l’heure, ça ne fait que monter, il est quasiment à 200 de battement par minute, ça ne va pas. Et du coup, on appelle, nous, les infirmières qui viennent, qui se rendent compte qu’il est presque à 40 de température, ce qui est énorme pour un nouveau-né. Et en fait, il est en train de faire une septicémie à ce moment-là. Et donc là, on me dit tout de suite qu’on prend en charge très rapidement que c’est grave, qu’il y a 30% de risque de décès, etc. Donc là, t’sais, t’es pas là pour ça, quoi, tu te dis non mais… Comment il peut nous arriver ça maintenant ?
Et donc on m’expliquera plus tard que c’était très probablement une infection materno-fétale. Donc, ça venait d’une piélonephrite. Et la pielonéphrite avait sûrement été induite par le délai entre la rupture de la poche des os et l’accouchement. Tout ça, ça sera remis en question par d’autres médecins plus tard parce qu’on me dit que 10 jours, c’est quand même long pour déclencher une septicémie sur une infection materno-fétale. Bref, ça fera partie des nombreuses choses sur lesquelles je n’aurai pas de réponse. Ce que je sais juste, c’est que ce soir-là, si Bastien n’avait pas alerté l’équipe, en fait, on perdait encore du temps. Et en fait, à partir de ce jour-là, on a commencé à se dire qu’on avait un rôle clé dans la survie de Léo.
Et ça a été une pression monstrueuse, parce qu’on s’est dit, en fait, nous, on sentait un peu protégés, tu vois, d’être là, en neonates. Et là, on s’est rendu compte, bon, les infirmières nous disent, on aurait fini par se rendre compte, mais tu vois, t’as ce truc de se dire, ouais, c’est quand même nous qui avons alerté, et c’était une septicémie, c’est pas rien, donc voilà. Beaucoup, beaucoup de pression sur les épaules. Ils arrivent à traiter la septicémie, ça se passe bien, et Léo se met à reboire. Entre-temps, on a un retour de Paris qui nous dit les échantillons de sang de Léo ont été perdus. Donc on n’aura pas les résultats d’analyse. Mais les médecins de Toulouse nous disent, écoutez, là, les maladies qu’on soupçonnait, si Léo les avait sans traitement, aujourd’hui, il irait mal. Donc ça ne peut pas être ça.
Ça ne peut pas être les maladies métaboliques auxquelles on pensait. Donc Léo, on arrive à le mettre au sein, on arrive à enlever la perf progressivement, à enlever la sonde, et il commence à se nourrir normalement. On soigne la septicémie, et donc là, les médecins nous disent écoutez, c’est un problème de démarrage, ça arrive. Donc là, Léo, il peut rentrer à la maison. Vous pouvez rentrer à la maison, parce qu’entre temps, on avait Tom, qui avait un an et demi, qui était chez mes parents, alors qu’on voyait… À peu près un jour sur deux, mais tu vois, il est tout petit, son frère arrive, il ne nous voit plus, donc nous, on n’a qu’une hâte, en fait, c’est de rentrer à la maison.
Et en même temps, pas à n’importe quel prix, mais à ce moment-là, les médecins nous disent, voilà, là, Léo va bien, de toute évidence. Problème de démarrage, la septicémie, l’a beaucoup fatigué, donc attention, on est début janvier, on va traverser encore trois mois d’hiver avec plein de virus, etc. Donc, s’il vous plaît, vous restez chez vous fonctionnez un peu comme pendant le confinement, et puis vous présenterez Léo aux familles, tout ça, qu’à partir du printemps, quoi. Donc nous on rentre, super content, avec Léo qui effectivement a tout d’un bébé normal, boit normalement, grossit bien, a les interactions que tu peux attendre à cet âge là. Donc voilà, on rentre à la maison plutôt serein et en même temps bien secoué par tout ce qui vient de se passer.
Et on entame une vie normale où on se retrouve tous les quatre, Bastien bénéficiait d’un congé paternité de moi, donc c’était chouette, on pouvait en profiter encore un peu. Et au bout de quinze jours, puisque ça faisait déjà quinze jours du coup, on était au mois, Bastien retourne au travail, moi je suis à la maison avec les deux, je me fais aider, j’ai pas mal de soutien au niveau de ma mère et tout ça. Et puis assez rapidement, je trouve que les yeux de Léo, ils ont un mouvement bizarre, en fait. Tu sais, tu les mets par terre ou sur un transat quand tu les as pas dans les bras.
Et quand j’étais au-dessus de lui, c’est-à-dire assez souvent quand même, tu es souvent plus haute que lui, et bien j’avais l’impression que quand il voulait me regarder, en gros, ses yeux étaient tirés vers le bas. Puis la première fois que j’ai vu ça, c’était vraiment très léger. Et je l’ai revu assez rapidement. Et plus le temps passait, quand je dis le temps, c’est quelques jours, mais plus je trouvais que c’était longtemps et fort que ces yeux avaient cet espèce de rebond. Donc j’ai filmé et je suis allée voir sa pédiatre à qui j’ai montré ça, qui m’a dit… Il est tout petit, Léo, il a un mois et demi, deux mois. Là, ses yeux ne sont pas fixés, on ne peut pas en tirer des conclusions. Et puis, en parallèle, j’ai contacté plein de gens que je connaissais, qui travaillaient dans la vue, chez l’enfant, etc.
Et tout le monde a eu le même discours en me disant, tu sais… Alors, tout le monde ne s’est jamais vu ça, mais en même temps, ça ne me choque pas. Quand, plus tard, je le montrerai à un neurologue, il me dira, mais ça… C’est un signe de souffrance neurologique.
Clementine Sarlat
J’ai juste une question, ça veut dire que ça m’interpelle ce que tu racontes sur les échantillons de sang qui ont été perdus. À aucun moment on a dit ben on refait ?
Amélie
Non.
Clementine Sarlat
Toi t’es restée en suspens en disant bon ben on a perdu mais on vous rassure tout va bien.
Amélie
Moi je suis partie sereine parce que je me suis dit, si ils en sont au stade de réflexion où ils me disent : “vous pouvez rentrer chez vous, on va même pas refaire”. En fait, ils m’ont dit : “Là, son capital veineux, on l’a vachement abîmé. Il n’y a aucun signe clinique qui montre que Léo souffrirait des maladies qu’on supposait. Donc, il n’a forcément pas ces maladies-là.”.
Clementine Sarlat
Donc une fois que toi, tu montres à ta pédiatre les yeux, ton inquiétude, en sachant qu’il y a eu ça, en sachant qu’il n’y a pas eu les analyses correctement faites, personne là…
Amélie
Là, il n’y a pas de lien qui est fait. Là, il n’y a pas de lien qui est fait. Et pour être honnête, à ce stade-là, moi, je ne fais pas de lien. Ça m’inquiète, mais je ne fais pas de lien entre les deux.
Clementine Sarlat
Tu n’es pas médecin en même temps.
Amélie
Voilà. Mais avec tout le recul et avec l’expérience, je fais carrément lien et je me demande comment on est passé à côté. On s’en reparlera. Du coup, si tu veux, moi je vois qu’il y a ce truc-là qui m’interpelle beaucoup. Mais en fait, quand je suis sortie de la néonate et qu’ils m’ont dit, vous rentrez à la maison avec un bébé qui est en bonne santé, tu vois, tu pars du principe que ce qu’on te dit c’est pas des bêtises et on est resté quand même un moment à l’hôpital. Donc je me dis, s’ils ont décidé de nous laisser sortir comme ça, sans d’autres recherches, ils ont fait une écho transfontanellaire. C’est une échographie qu’on fait via la fontanelle et qui est destinée quand il y a eu notamment la septicémie.
Amélie
Il peut y avoir un risque au niveau des méninges, donc on vérifie que tout est bien en place. Elle était parfaitement normale. Donc voilà, il y a eu ça, on est sortis tranquilles. Et puis il y a ces mouvements des yeux qui arrivent. Je commence à m’inquiéter et en fait, j’avais l’impression d’être la seule, tu vois, à m’inquiéter de ça. C’est-à-dire que tout le monde me disait, j’ai encore des messages de proches qui me disent « arrête de le regarder comme ça, il a eu un souci de démarrage, ça arrive, il a le droit de se mettre en place, c’est un bébé, tu sais, la vue c’est long à se mettre en place ». Et moi, tu vois, j’avais cette ambivalence de me dire, c’est vrai, ils ont raison, je le regarde peut-être trop.
Mais d’un autre côté, j’ai Tom, je suis déjà maman, j’ai déjà vu les différentes étapes de développement d’un enfant. Et même si c’est pas tous les mêmes, ce truc-là, là.
Clementine Sarlat
Et c’est frais, ça fait pas longtemps que t’as eu un bébé.
Amélie
Ouais, c’est ça. Je suis restée dans la maternité, tu vois, j’ai pas eu le temps de lâcher. Et puis, ce truc que tout le monde me dit, on n’a jamais vu ça. C’est pas grave, mais on n’a jamais vu ça. C’est quand même bizarre, non ? Si tous les bébés qui ne fixaient pas leurs yeux faisaient ce mouvement, on saurait que ce mouvement-là fait partie du développement de la vue d’un enfant, bref. Donc, je commence à rentrer dans une espèce de psychose, moi, là, entre ces deux et ces trois mois, où je me dis qu’il y a un problème et où ça me rend dingue de ne pas arriver à le comprendre. Donc, vraiment, je commence à beaucoup me renseigner, à essayer de trouver des éléments de réponse. Et en fait, à ces trois mois, Léo, il commence à loucher, fort, d’un coup.
Et là moi j’ai presque l’impression, tu vois qu’un matin tu te réveilles, ton enfant il est passé d’un regard normal à un strabisme énorme. Donc là je me dis, il y a un souci avec ses yeux, c’est pas possible. Il y a eu ses mouvements, maintenant il louche. Et donc je prends rendez-vous chez ma pédiatre. Et puis tu vois, je sais pas, il y a quelques jours de délai et dans l’intervalle je sonde parce que je vois que le strabisme ça peut être héréditaire. Je sonde autour de nous, est-ce qu’il y en a qui ont eu des strabismes dans la famille ? Personne. J’envoie encore des vidéos à des gens qui s’y connaissent mieux que moi. Tout le monde me dit, écoute, c’est le strabisme du nourrisson. Mais tu vois, c’était le vrai strabisme, où tu as presque l’œil qui rentre sous le nez.
Et en fait, là, on voit la pédiatre de nouveau. Qui nous dit qu’on va prendre rendez-vous chez un ophtalmopédiatre. Et en fait, elle fait une vidéo, elle, qu’elle envoie à l’ophtalmopédiatre parce que le rendez-vous est dans trois semaines. Et l’ophtalmopédiatre, quand elle voit ça, on est vendredi ce jour-là, c’est le lundi de Pâques qui suit, donc tout est fermé. Et elle nous dit, mardi, scanner. Et la pédiatre nous rassure en disant : “C’est ce qu’on appelle un examen d’élimination, c’est-à-dire qu’on va aller éliminer des hypothèses peu probables, mais qui seraient quand même inquiétantes, voilà, donc on préfère les éliminer.”. Donc si tu veux, nous, on se dit, c’est le début de l’investigation, on va aller éliminer des hypothèses, mais franchement, je sais qu’il y a un problème, mais j’imagine jamais un truc gravissime.
Tu vois, je me dis, il y a un truc, j’avais lu des syndromes qui pouvaient provoquer ça, différentes choses, mais pas des choses qui remettaient la vie de mon bébé en question.
Clementine Sarlat
Et enfin t’es écoutée.
Amélie
Et en fait je suis pas écoutée, là on est face à un bébé qui présente de toute évidence. Tu vois, c’est même pas moi qu’on écoute, celle-là c’est…
Clementine Sarlat
C’est les faits.
Amélie
C’est lui, c’est le symptôme quoi.
Clementine Sarlat
Et pendant toute cette période là, qui dure un mois et demi, où tu t’inquiètes beaucoup, tu lis des thèses, vraiment tu fais un vrai travail de recherche, comme on dit, sur les conditions médicales de ton bébé. Avec ton mari, comment est-ce que ça se passe ?
Amélie
C’est compliqué. Parce que lui, si tu veux, il me dit, en fait, on a vu des médecins. Tu as montré ses yeux à plein de gens dont c’est le métier. Fais leur confiance. Et puis lui, il se dit un peu, comme se disent les médecins, que je suis un peu traumatisée par ce qu’on a traversé. Et puis, si tu veux, il a repris le travail, il passe moins de temps avec lui. Il n’a pas vraiment vu ce truc-là. Et donc je lui montre, mais tu vois, c’est un peu furtif, c’est… « Viens vite voir ! » Et puis tu sais, le temps qu’il vienne, il le fait plus, ou il voit deux secondes alors que ça fait dix secondes qu’il le fait. Du coup, il n’a pas autant cette… Il n’est pas aussi alerte que moi sur ce qui est en train de se passer.
Amélie
Et donc pour lui, je suis rentrée un peu dans une psychose et il faut vraiment que je me détende. Tu vois, c’est même un sujet, je me souviens d’une soirée où je passe quatre heures sur l’ordi à lire justement toute une thèse qui explique les différentes causes de strabisme des bébés. Et j’ai mon mari qui est dans la cuisine et qui me regarde et qui me dit : “ça va pas, ça va pas du tout, il faut que tu te fasses aider, tu te rends compte comme tu bloques là-dessus.”. Et je lui dis il y a un problème, c’est pas normal, les yeux c’est quand même un indicateur hyper important. Je vois bien que c’est pas normal, on dirait qu’il veut me regarder, il y arrive pas, on dirait qu’il y a quelque chose qui l’empêche.
J’imagine tout et à la fois je lis plein de causes possibles. Et je suis dans un déni de la cause la plus probable et la plus grave, en fait. Parce que je le lis partout, que ça peut être une tumeur cérébrale qui fait ça, mais à aucun moment, vraiment à aucun moment, je me dis qu’il y a peut-être une tumeur dans le cerveau de Léo. Tu vois, j’envisage plein de choses, beaucoup plus, finalement, compliquées, qu’on connaît moins. Je me dis, c’est peut-être ça, etc. Et puis je commence à essayer de comprendre le lien avec…
Avec les démarrages, c’était un souci de fixation du cortisol en fait au démarrage et donc je commence à chercher et puis tout ça me ramène beaucoup autour de l’hypophyse mais tu vois donc je me dis un problème d’hypophyse je sais pas et donc on va faire ce scanner le mardi matin, on passe Pâques en famille et là on vit un grand moment de solitude parce que… Là, à ce stade, mon mari, du moment où il y a eu le strabisme, il a été inquiet aussi quand même. Et à ce stade, on est tous les deux très inquiets. Et quand même, ce scanner sur un bébé, tu vois, on sait que, OK, c’est un examen d’élimination, mais c’est un examen qu’on va imposer à un bébé qui n’est pas des moindres. Donc, on sait qu’on cherche quelque chose quand même.
Donc on est tous les deux inquiets, on se retrouve dans un repas de famille et où tout le monde nous dit non mais regardez-le quoi, il va bien, ok il a un strabisme mais regardez c’est un bébé en bonne santé. Et je me souviens de quelqu’un dans notre famille qui est médecin et qui nous dit, Amélie Bastien je vous le dis, demain au scanner il n’y aura rien. Avec une certitude tu vois qui te… Et puis t’as tellement envie d’y croire, tu te dis mais oui non mais… Bien sûr qu’il a raison, le médecin le sait, il ne nous dirait pas ça s’il avait le moindre doute.
Et donc on va passer ce scanner le mardi et en fait, un scanner sur un tout petit bébé, tu le mets sur un espèce de coussin qui vient se gonfler pour faire une coque autour de lui et qui ne bouge pas. Parce que c’est très rapide, donc on ne les endort pas, mais par contre on les coque pour ne pas qu’ils bougent. Et en fait, moi, je le pose sur ce truc et là, je craque complètement. Je ne suis pas quelqu’un de très émotif, etc. Mais là, je m’effondre. Et le Manip Radio me dit « Madame, ça ne lui fait pas mal ». Là, je lui dis « Non, mais c’est ce qu’on va apprendre là qui me fait très peur ». Parce que tu vois, d’un coup, comme si…
Clementine Sarlat
Tu sais, ton corps, il sait en fait.
Amélie
Là, je dis, je savais qu’on était en train… À la fois, je n’aurais pas été capable de dire ce qu’on allait trouver, Mais en même temps, j’ai eu un espèce d’instinct de… Il s’est passé un truc gravissime. Et je ne suis pas restée pendant le scanner, c’est Bastien qui est resté parce que je ne me sentais pas… J’étais d’une aide pour personne. Donc je suis sortie et ça a duré peut-être cinq minutes. Et pendant cinq minutes, j’avais le cerveau en ébullition. J’avais l’impression que j’étais en train de me voir. Tu sors un peu de ton corps et tu te dis qu’est-ce qui est en train de se passer.
Et Bastien sort, il me rassure, il me dit tout s’est bien passé, le scanner s’est bien passé, regarde Léo va bien, Léo me sourit, et tu sais, ton enfant re sourit et tu repars et tu dis allez ça va aller, ça va aller, ça va aller. Et en fait on avait rendez-vous, c’est quelque chose que j’ai pas évoqué depuis le début, c’est que depuis sa naissance, Léo, dans ses selles, il y avait du sang. Depuis sa naissance. Et ça, on nous a toujours dit, C’est comme ça, on a cherché, on a fait plein d’analyses, etc. Il n’y a jamais rien eu. Donc les médecins ont fini par nous dire qu’on ne sait pas d’où ça vient. Et on est resté là-dessus.
Clementine Sarlat
Il y a beaucoup d’incertitudes notamment autour de tout son dossier médical. On ne sait pas mais c’est comme ça.
Amélie
En fait, c’est ça. Et d’ailleurs, depuis, j’ai l’habitude de dire quand il y a plein de petits soucis cumulés, souvent ça cache un gros truc. Et tu vois, ce truc des couches, on nous a dit une intolérance au lait de vache, on a essayé plein de choses et en fait, c’est resté. Ça restait tout le temps. C’était un problème de fond et tu vois, je t’en parle même pas parce que c’était devenu quelque chose de normal que Léo ait du sang dans ses couches. Avec du recul, c’est absolument pas normal. C’est un des trucs où on te dit tu vas aux urgences quand il t’arrive ça. Enfin, il a été à l’hôpital pour ces raisons-là, mais voilà, on trouvait rien, donc on attend de voir comment ça évolue.
Et donc, on attend, et juste après, on avait un rendez-vous dans un autre hôpital pour aller voir un gastropédiatre qui, justement, devait parler de tout ça. Et tu sais, on était dans cette salle d’attente, là, et on avait rendez-vous genre une heure après à 10 minutes. Et il y a une dame qui sort et qui nous dit, parce qu’on leur avait dit au départ, on a un autre rendez-vous après, est-ce que ça va passer ? Ils nous avaient dit que ça devrait passer. Elle sort et elle nous dit peut-être que ce serait bien de décaler votre rendez-vous de tout à l’heure. On dit non mais ça passe, ça passe large, c’est dans une heure, c’est à dix minutes. Puis elle insiste un peu, tu vois. On dit non mais vraiment, on va s’en occuper.
Il y a tout ça sur le moment, t’es là, qu’est-ce que là, c’est bizarre, ça va, ça passe. Et donc elle décale elle notre rendez-vous d’après, elle appelle elle-même l’autre hôpital, etc. Et puis d’un coup, il y a quelqu’un qui vient nous chercher, une dame qu’on n’avait pas vue jusque-là, et elle nous met dans une petite pièce toute nulle, un endroit où tu fais des auscultations rapides avant les scans, etc. Et on rentre dans cette pièce qui est minuscule, tu vois, qui doit faire deux fois la taille du bureau en longueur, comme ça. Et elle nous demande de nous asseoir, il y a deux mini-tabourets, donc moi je m’assois, et puis mon mari dit : “Non ça va, on est assis depuis tout à l’heure”. Puis tu vois, elle insiste. Et j’ai l’impression que ce moment il dure une heure.
J’ai l’impression que pendant une heure, elle lui dit : “Monsieur, asseyez-vous” et qu’il lui répond : “Non ça va, merci”. Et moi je suis observatrice de ça et je me dis qu’elle va nous annoncer un truc de fou. Pour qu’elle insiste comme ça, pour qu’il s’assoie, elle va nous annoncer un truc de fou. Donc il finit par s’asseoir et elle nous dit : “On a compris pourquoi Léo…”. Non, pardon. Elle nous dit : “Est-ce que vous pouvez me raconter l’histoire de Léo depuis le début ?”. Donc là, on raconte tout, tu vois, tout ce que je viens de te raconter, la néonate, le sang dans les couches, la septicémie, les mouvements des yeux, le fait qu’il louche…
Et en fait, si tu veux, je pense que c’est probablement une méthode d’annonce qui permet que ton cerveau, entre guillemets, chemine jusqu’à ce qu’on va t’annoncer plutôt qu’on te l’annonce un peu comme ça. Et donc en fait j’arrive à la fin de l’histoire et puis elle finit par me dire qu’en fait on a compris ce qui fait que Léo a eu ces mouvements des yeux et ce qui fait qu’aujourd’hui il a un strabisme c’est parce qu’il y a une masse dans le cerveau de Léo. Très rapidement on appelle ça une tumeur. Elle fait 4 centimètres et demi et elle est en plein milieu de sa tête, posée sur ses nerfs optiques, contre son hypophyse. Donc en fait ça appuie sur ses nerfs optiques, ça fait une pression qui fait qu’il louche.
Et elle nous dit, normalement à ce stade, on ne peut pas dire si c’est bénin ou malin, mais l’os sur lequel est posée la tumeur est abîmé par la tumeur, donc on a la quasi-certitude que c’est malin. Et toi t’es là, c’est fou ce moment là, il est hors de ton corps parce que c’est pas entendable ce qu’on est en train de te dire, tu comprends entre les lignes que c’est gravissime, et en même temps tu vois elle te parle pas de cancer, elle te parle pas de pronostic vital à ce stade, donc elle nous dit il va falloir aller vite, aujourd’hui vous allez vous laisser porter par le process, on va vous amener voir les spécialistes qu’il faut voir, et on en saura plus ce soir.
Et en fait, tu as cette info là, et tu sors, et c’est dans les couleurs de l’hôpital, avec ton bébé. Et tu te dis, il se passe quoi maintenant ? Enfin, on fait quoi là ? Et je me souviens, j’allais télé-haut, et donc je sors et je la lettre parce qu’il avait faim. Et il y a une dame, au milieu de Monsieur et Madame Tout-le-Monde, qui vient pour faire sa radio du pied parce qu’elle est tombée dans ses escaliers, qui vient pour une bronquio… Et t’as l’impression que tu sais comme si toi t’étais figée et que tout le monde continue, et ce sentiment on va l’avoir très longtemps, que ton monde entier s’est arrêté, mais que tout continue autour de toi comme si de rien n’était.
Et je me souviens à l’été Léo dans les couloirs de l’hôpital et qu’une dame passe et me dit vous êtes en train de vivre les plus beaux moments de votre vie. Parce qu’elle me voit à l’été, et en soi c’est hyper bienveillant, je partage complètement quand l’allaitement est normal, mais tu vois, toi t’es là, mais si elle savait, tu vois, moi je tiens la tête de mon bébé et je me dis qu’au milieu de sa tête, là, il y a une tumeur de 4 centimètres et demi et que je sais pas ce qu’on va faire de ça. Et puis très rapidement aussi, l’oncologue nous a dit que c’était pas opérable, donc si tu veux, t’as l’impression qu’en fait, tu sors de ce rendez-vous avec un dessin de tous les problèmes, mais aucune solution.
Clementine Sarlat
Quand on vous annonce cette masse qui est présente qu’on vient de découvrir, il est avec toi, Léo, sur toi ?
Amélie
Non.
Clementine Sarlat
Vous lui parlez ?
Amélie
Non, pendant l’annonce, justement, il y a une oxy qui est venue s’occuper de lui.
Clementine Sarlat
D’accord.
Amélie
Ça aussi, ça fait partie des choses qui m’ont fait comprendre qu’il y allait y avoir des annonces pas terribles. Il te propose de s’occuper de lui le temps que tu prennes la nouvelle, ce qui est très bien d’ailleurs.
Clementine Sarlat
Et toi ensuite, tu vas lui parler ?
Amélie
Et moi, quand je le récupère, non, je lui parle pas là. Tu sais, c’est bête, mais à ce moment-là, je me dis, tu peux pas lui dire ça, quoi. Et puis pour lui dire quoi ? Je pouvais pas le rassurer, je pouvais pas lui dire tout va bien se passer. Moi j’étais, tu vois, aucun de nos proches n’était au courant à ce stade. Et en fait, on s’est même dit à ce moment-là, est-ce qu’on n’a pas les gens, on n’a rien à leur dire à part leur dire ça ? Et on n’a rien à leur donner comme info concrète de ce qui allait se passer. Et on a quand même appelé nos plus proches pour qu’ils aient l’info parce que tout le monde savait quand même qu’on avait ce scanner le matin et que donc tout le monde était en attente de nouvelles.
Mais je me souviens, j’ai appelé ma mère. Non, j’ai appelé mon frère qui allait l’annoncer à mes parents parce que je ne voulais pas leur annoncer par téléphone. Et j’ai dit à mon frère, dès qu’ils le sauront, quand ils sentiront capables, dis-leur de m’appeler. Et ma mère m’a appelé et je me souviens qu’elle m’a dit « En fait, quoi que ce soit, je te jure qu’on lâchera rien, qu’on va se battre comme des fous. » Et tu vois, elle a tenu parole jusqu’au bout. Et en fait, je crois que j’avais besoin d’entendre ça. Tu sais, tu as besoin d’entendre des gens qui sont sûrs. Qu’on va y arriver, même si en fait on n’est sûr de rien, t’as besoin d’entendre des gens qui te disent ça va aller. Et c’est bête.
Et tu vois les gens souvent plus tard même dans le parcours te disent je peux pas te dire que ça va aller, je peux pas te dire. En fait dis-le moi, même si tu crois pas, dis-le moi parce que moi j’ai besoin d’un espoir quoi, sinon tu vois comment t’avances, tu peux pas. Donc après les rendez-vous se sont enchaînés, neurochirurgien, etc. Donc là on est le 11 avril 2023, ta vie change, la vie.
Clementine Sarlat
De ta famille prend une trajectoire complètement différente de tes deux enfants, parce qu’il y a aussi Tom dans cette histoire. À partir de ce moment-là, toute ta vie tu la passes à l’intérieur de l’hôpital, c’est des soins, comment est-ce que ça s’enchaîne ?
Amélie
Alors là, on a une grosse période d’hospitalisation, déjà parce que Léo, il a besoin de soins. En deux, trois jours, il a une chambre implantable qui est posée. Et en fait, on nous dit, il faut faire une biopsie. Déjà, la biopsie, elle est hyper délicate. Il a trois mois, il est tout petit. La tumeur, elle est située, si on faisait une croix au milieu de la tête, elle est en plein milieu. En fait, il faut passer par des zones super délicates pour y arriver. C’est ce qu’on appelle les opérations à ciel ouvert. Qui sont déjà très délicates sur un adulte, mais alors sur un nourrisson, c’est encore pire. Le risque d’avoir des conséquences long terme, il est hyper lourd. Mais on nous dit sans cette biopsie, on ne pourra rien faire. Donc il faut la faire, il faut y aller.
Donc je me souviens, on voit le neurochirurgien qui est un très bon neurochirurgien de Toulouse et qui nous a répété pendant une heure la même phrase, il nous a dit il est tout petit. Donc à chaque question qu’on lui posait, il nous répondait il est tout petit.
Clementine Sarlat
Même lui, tu sentais que ça le…
Amélie
Lui, il nous a dit, il est tout petit. Tu lui dis, ça va bien se passer. Il est tout petit. OK. Et donc, on a fait cette biopsie qui s’est bien passée. Mais déjà, rien que ça, c’est super traumatisant parce qu’en fait, moi, on m’avait annoncé une petite cicatrice d’un centimètre ici sur la tête. Donc bon, je me prépare à ça. Je me dis, ça va aller. Et puis, il m’avait dit, il sortira avec une… J’ai perdu le nom, mais c’est, tu sais, un gros bandage autour de la tête qui vient compresser pour éviter les oedèmes. Donc il est sorti avec ça. Et en fait, on va en réa, parce que c’est le process après une opération comme ça, tu passes un petit peu de temps en réanimation. Ce qui est déjà, je dis toujours, c’est l’enfer sur terre, la réa.
C’est l’endroit où tu es. La réa pédiatrique, c’est… C’est juste l’endroit où t’as jamais envie d’aller de ta vie, quoi. Et donc on est là, et Léo, il va bien, tu vois, assez rapidement, il se réveille bien, je sens qu’il est alerte, qu’on arrive à avoir des interactions, donc je suis assez rassurée sur son état. Et à un moment, tu sais, il bouge pas mal, et tout ça, lendemain de l’opération, et en fait, son petit bandage, j’y recule un peu, et je vois une cicatrice ici. Je dis, bah c’est marrant, ils ont pas du tout ouvert là où ils avaient dit. Et puis il bouge beaucoup, donc au bout d’un moment, je vois une cicatrice ici. Et j’ai dit, c’est marrant, ils ont ouvert à deux endroits. Et mon mari me dit, je crois qu’ils ont…
Je crois que c’est ouvert comme ça, en fait. Je me dis, mais non, ils m’ont parlé d’un truc deux centimètres, fin… Et en fait, tu vois, il m’avait pas dit le neurochir, qu’il avait pas du tout fait l’incision qu’il avait prévue, qu’effectivement, les hauts, ils étaient ouverts comme ça, quoi.
Clementine Sarlat
Pour ceux qui nous écoutent, c’est vraiment…
Amélie
Ça part du front jusqu’au… Ouais, c’est 29 points de suture sur la tête d’un bébé. Et ça revient vers l’oreille. Exactement. Ça fait vraiment…
Clementine Sarlat
Un arc de cercle.
Amélie
C’est juste derrière l’implantation des cheveux. Sauf qu’à ce moment-là, il n’a pas de cheveux. Et c’est tout le long derrière l’oreille jusqu’au front. Donc c’est énorme. Ça n’a rien à voir avec le 2 cm qu’on m’avait décrit.
Clementine Sarlat
C’est un premier choc.
Amélie
C’est un énorme choc. Tu vois, parce qu’à ce stade, l’aspect de ton enfant compte beaucoup.
Clementine Sarlat
Bien sûr.
Amélie
Tu vois, plus tard ça change, mais à ce moment-là tu te dis, non mais qu’est-ce qu’on lui a fait quoi? On me l’a défiguré et puis alors ça gonfle énormément. Et à un moment il a les yeux tellement gonflés qu’il y voit plus. Et tu sais, on te dit ça va se remettre, ne t’inquiète pas, mais toi t’es à l’instant T, tu viens d’encaisser que ton enfant avait une tumeur inopérable, qui était probablement maligne. On lui fait cette biopsie, il sort, il est défiguré. Et tu te dis, ça s’arrête quand le cauchemar en fait, tu vois ? On était qu’au début. Et donc ça c’est quelques jours après, et puis on nous dit bon mais il y a dix jours de délai avant les résultats de la biopsie. Sauf que là on ne peut pas attendre dix jours.
L’oncologue elle nous dit on ne peut pas attendre dix jours sans traitement, c’est trop dangereux pour Léo. Donc on va attaquer une chimiothérapie, ce qu’on appelle une chimio un peu générique, où on sait que, parce qu’on avait une première idée de la typologie de la tumeur, c’est une tumeur qui s’appelle le type embryonnaire, c’est une certaine catégorie de tumeur, et donc on sait qu’il y a des chimios qui fonctionnent plus sur celle-ci que sur d’autres, donc elle nous dit on attaque avec cette chimio-là, dès là. Tu vois, c’était le mardi, le vendredi il est sous chimio.
Et donc on commence cette chimio, moi je me dis mais on peut pas faire une chimio sur un bébé, enfin tu sais la chimio pour moi c’est le truc qu’on faisait au papy, mamie qui avait des cancers, enfin j’imaginais pas ce traitement-là sur un bébé, je me dis ça va le tuer et puis l’oncologue, je me souviens, elle me dit vous savez, est-ce que vous souvenez quand vous preniez des cuites et que vous aviez 20 ans ? Oui, elle me dit vous récupérez bien, vous pouvez ressortir lendemain, etc. Elle me dit maintenant à 30 ans c’est un peu plus difficile. Elle me dit en fait c’est pareil, c’est que vos organes ont une capacité à drainer qui est très bonne, quand vous êtes petits, et qui en vieillissant est moins efficace.
Donc elle me dit, les bébés souvent, tolèrent bien mieux la chimiothérapie que les adultes, finalement. Donc bon, on verra comment ça se passe, mais ça peut bien se passer. Donc elle me rassure et effectivement la première chimio se passe et Léo il va super bien. Et en l’espace d’une semaine, ses yeux se remettent. Il arrête de loucher. Donc on se dit qu’il y a forcément un impact sur la tumeur.
Clementine Sarlat
Qui a peut-être rétréci, c’est ça ?
Amélie
Qui a rétréci puisque la pression sur les nerfs optiques n’est plus celle qu’elle était a priori. Et donc ça, ça se passe et tu vois, on a un petit regain d’espoir. Tu te dis bon, mais il nous avait dit qu’on était vraiment pas sûr que la chimio fonctionne et a priori elle a l’air de fonctionner. Bon. Et en fait, entre temps, on rencontre les parents dans le couloir, parce que là, on est hospitalisés en continu à l’hôpital des enfants de Toulouse, et on rencontre d’autres parents qui ont des enfants hospitalisés pour des cancers et qui nous disent, vous verrez là, c’est compliqué parce que c’est le flou du démarrage et que vous n’avez pas de feuilles de route. Mais vous savez, les cancers pédiatriques, c’est 85% de guérison. On a beaucoup avancé.
Et puis, quand vous aurez les résultats de la biopsie, on va vous donner un protocole de traitement et vous saurez où vous allez. Donc, même si c’est long, vous saurez où vous allez, il y aura des étapes, etc. Donc, tu vois, on s’accroche à ça. Et je me souviens, on arrive à retrouver un peu de joie de vivre, on fait rire Léo, on arrive nous à… Et je me souviens même d’une maman qui me dit, je sais pas, vous venez juste de l’apprendre et ça a l’air d’aller, quoi. Et tu sais, on s’accroche au truc, on dit mais oui, ça va aller, ça va aller. Parce que tu vois, c’était dramatique au démarrage, mais les nouvelles étaient plutôt dans le bon sens à ce stade.
Et en fait, on a les résultats biopsies qui arrivent, donc limite tu vas à ce rendez-vous content de te dire, on va enfin savoir et avancer. Et en fait, on arrive au rendez-vous et les oncologues sortent une feuille blanche. Et ils nous font un dessin. Tac, tac, deux yeux, les nerfs optiques, tac, une grosse masse au milieu. Et ils me disent, ben ça en fait, donc c’est la tumeur de Léo, là c’est ses yeux. Et ce qu’on a trouvé dans cette tumeur, c’est la trace de ce qu’on appelle un rétinoblastome. Un rétinoblastome, c’est un cancer des rétines. C’est un cancer qui se soigne très bien en France. 99% de guérison. Mieux traité de tous les cancers pédiatriques. Super ! Sauf que, cette tumeur-là, elle a rien à faire là. Elle n’a rien à faire au milieu de sa tête, elle doit être sur ses yeux.
Amélie
Et donc là, le fait qu’elle soit là, ça change tout, parce qu’on ne peut pas du tout faire les traitements qu’on fait sur des yeux. Et puis surtout, on n’a jamais vu ça. Donc on va contacter Paris déjà. Enfin, on a déjà, ils avaient déjà contacté Paris. On va contacter New York et Toronto, où il y a des centres spécialisés dans la tumeur cérébrale et spécialisés dans les rétinoblastomes. Et puis à nous tous, on va essayer de comprendre ce qui se passe chez Léo et pourquoi ça se passe comme ça. Et les examens partent à Paris et là on retrouve cinq tumeurs sur les yeux de Léo. Et là ils disent ok, c’est donc ce qu’on appelle un rétinoblastome trilatéral avec une atteinte oculaire d’un côté, de l’autre côté et au cerveau. Ce qui est rarissime, mais surtout c’est jamais placé là.
C’est toujours placé sur la glande pinéale, c’est une autre zone du cerveau. Mais bon, ils nous disent que ça ne change pas grand chose au problème. Dans tous les cas, c’est grave parce que le fait qu’il y ait une atteinte cérébrale, c’est un organe noble qui est touché et donc ça complexifie tout le traitement. Tous ces médecins-là vont élaborer un traitement spécifique pour Léo en nous disant voilà ce qu’on va faire et donc là on est en mai et que la fin du traitement est annoncée pour mars prochain. Donc presque une année de traitement. Par contre, il n’y aura qu’une chance, c’est à dire que si ça ne fonctionne pas, on n’y arrivera pas.
Et puis, si entre temps, on va faire des ponctions lombaires, notamment, s’il y a une ponction lombaire qui revient positive avec des traces de cellules tumorales dedans, cellules cancéreuses pardon, alors on arrêtera tous les traitements parce que ça voudrait dire que le cancer va trop vite. Donc tu rentres dans un truc où toutes les 3 semaines t’as une chimiothérapie, qui se fait sur Paris, qui se fait pas sur Toulouse, avec un traitement laser au niveau des yeux pour enlever les tumeurs au niveau des yeux, et tu vois faut jongler avec ça les hospitalisations sur Toulouse, et puis Tom. Tom qui est beaucoup chez mes parents et qui comprend rien quoi, parce qu’on lui explique que Léo est malade mais… Tu vois, jusqu’à maintenant, quand on disait à Tom qu’il était malade, c’est parce qu’il avait un rhume. Donc, c’est quoi cette maladie ?
Donc, tu lui expliques un petit peu la différence entre une maladie grave et puis une maladie bénigne qu’il peut avoir lui au quotidien. Mais on le voit très peu. Au début, moi j’allaite encore. J’ai allaité 15 mois, allez-vous. Donc, je suis restée beaucoup auprès de lui. Du moment où il a eu sa première opération, il n’a plus voulu prendre de seins. Il était trop fatigué. Donc, j’ai tiré mon lait. J’ai fait un petit tiralaitement pendant 15 mois. Mais ce qui me demandait, moi, d’être continuellement… Et puis avec les chocs émotionnels, j’avais des arrêts de lactation qui étaient hyper fréquents. Alors moi, j’ai plein de conseils à donner aux femmes qui ont des arrêts de lactation parce que j’ai bien appris une chose, c’est que tu peux relancer tout le temps.
Alors, ça demande beaucoup d’efforts et d’énergie, mais en fait, les femmes, on a des corps qui sont des machines à sauver nos bébés. Et tu vois, moi, vraiment, il y a des moments où j’ai arrêté de m’alimenter. Et si t’arrêtes de t’alimenter et de boire, évidemment, t’as plus de lait. Ou alors le choc émotionnel tellement fort que tout s’arrête et où je me suis dit bah je peux même plus faire ça tu vois en plus c’était un peu la double peine et finalement j’ai réussi à chaque fois à relancer et mais du coup ça m’a demandé d’être tout le temps près de Léo.
Clementine Sarlat
Donc il n’y avait pas d’alternance avec Bastien, il était beaucoup avec Tom.
Amélie
Et Bastien était tout le temps avec nous au début, c’est vrai, avec Léo et moi, parce que moi, j’étais hyper faible psychologiquement. Et là-bas, dans ce service, je me sentais super seule, c’était dur, donc il venait avec moi beaucoup. On avait trouvé une halte garderie qui prenait temps en journée, ce qui lui permettait d’avoir aussi un semblant de normalité, tu vois, et de rythme d’enfant normal, parce qu’à tout le temps, j’ai papi et mamie, c’est pas la vie d’un enfant deux ans, voilà. Et en fait, à un moment, c’est devenu compliqué. Un jour, Tom m’a parlé de ma mère en l’appelant maman. Et tu vois, je me suis dit, c’est pas possible. C’est pas possible. C’est normal, ce qu’il est en train de faire.
C’est-à-dire que là, ma mère prend le rôle d’une maman parce qu’il faut une maman à Tom et que je ne suis pas là. Mais du coup, il faut qu’on trouve une solution. Et donc là, on a mis en place, c’était à la fin de l’été, tu vois, donc on avait fait deux mois à peu près en étant beaucoup avec Léo et en voyant Tom, tu vois, on le voyait en journée, tout ça, mais il dormait tout le temps chez mes parents, etc. Et après on rentrait entre deux hospites, mais 3-4 jours et on repartait parce qu’en fait entre les chimios t’as des phases qu’on appelle d’aplasie, c’est-à-dire où le système immunitaire de l’enfant il est à zéro, et là il est sensible à tout.
Non mais il chope tout, tu chopes une gastro t’en as pour 3 semaines, sous morphine à l’hôpital, enfin tu vois, tout est gravissime. Donc quand on rentre à la maison on était obligé de mettre un peu de distance entre eux parce que y’avait un risque que Tom contamine Léo de tout et n’importe quoi, des choses qui faisaient rien du tout sur nous pouvaient être sur Léo catastrophiques.
Et en fait fin été on s’est dit bon maintenant on change de mode de fonctionnement à partir de septembre on s’est dit on va alterner nous donc en fait Tom a retrouvé sa maison et nous on a commencé à faire de l’alternance à la maison c’est à dire que Bastien faisait par exemple journée nuit à la maison puis je rentrais je faisais journée nuit à la maison etc et on faisait comme ça et donc là on a sauvé notre famille on a fait du mal à notre couple parce que par contre bah tu te croises et puis tu te croises dans des états, enfin… Je dis toujours que je connais pas beaucoup de couples qui seraient pas… Enfin j’en connais zéro.
Tu ne peux pas ne pas être atteint par tout ça parce qu’en fait déjà tu te vois dans des conditions dans lesquelles tu pensais jamais te voir. Et puis tu vas tellement mal que t’as plus d’énergie pour aider l’autre. Donc en fait c’est chacun se survit comme il peut. Tu donnes tout auprès de tes enfants parce que ce soit Tom ou Léo, ils avaient le droit d’avoir une vie normale. Il fallait donner le change. On le faisait rire à longueur de journée. J’ai des heures d’enregistrement de vidéos de Léo qui se marre. Et pareil pour Tom, quand on était avec lui, on n’avait qu’une envie, c’est qu’il ait une vie normale, qu’il profite, on faisait des choses, on l’a amené là où on pouvait, etc. Mais nous, là, on était l’ombre de nous-mêmes.
C’est-à-dire qu’en fait, tu mets ton masque pour aller t’occuper de tes enfants et faire un peu les clowns de l’hôpital, version quotidienne. Et puis, tu te couches le soir, tu te dis non.
Clementine Sarlat
Est-ce que tu as un suivi psychologique, toi ?
Amélie
Alors là, tu as plein de monde qui t’en propose, sauf qu’en fait, tu n’as pas le temps, enfin, prendre du temps pour toi à ce moment-là, ça suppose qu’à un moment, un de tes deux enfants est seul, tu vois. Donc moi, j’ai fait un petit peu, Bastien aussi, mais plus moi avec la psychologue de l’hôpital des enfants. Parce que moi, c’était sur place, tu vois, je le faisais quand justement on faisait le changement avec Bastien, il restait un peu… Avec Léo pendant que moi j’allais voir la psy et ça me permettait, tu vois, j’ai mis en place une fois toutes les semaines, tous les quinze jours pour un peu vider mon sac et parler de choses dont tu peux pas parler à l’autre parce que t’as aussi ce truc de dire qu’il y a des pensées terribles que t’as.
Tu vois, moi par exemple pendant longtemps, au tout début, tous les soirs je me couchais et j’imaginais les obsèques de Léo. Tous les soirs. Et tu vois, j’imaginais un cercueil de bébés, je savais pas comment c’était, comment t’habilles un bébé. Et tu vois, je sais pas pourquoi je pense à ça, parce qu’à ce moment-là, on nous disait pas que le pronostic vital de Léo à court terme était engagé. On était dans une démarche de traitement, on allait voir comment ça se passait, mais a priori, on n’était pas là. Et je focussais là-dessus. Je me disais, et puis qui est-ce que t’invites aux obsèques de ton bébé ? Et puis les gens, c’est terrible. Et en fait, je chassais ces idées en permanence, mais elles revenaient comme un boomerang.
Et un jour je suis allée voir la psy, je lui ai dit il faut m’aider, c’est horrible de me coucher toute la nuit avec cette idée-là. Et elle m’a dit est-ce que vous êtes déjà autorisé à aller au bout de cette pensée ? Une bonne fois pour toutes. Et je lui ai dit mais non mais c’est horrible de penser ça et puis j’ai l’impression de condamner mon enfant alors que c’est tout sauf ce que je veux. Et elle m’a dit faites-le juste une fois, allez au bout du truc, écoutez-vous et voyez où ça vous mène. Donc il y a un soir où je me suis laissée et où j’ai imaginé les obsèques de Léo dans leur ensemble, tu vois, tout tout tout tout tout. Et puis j’ai plus jamais repensé. Plus jamais.
En fait, je pense que, tu vois, vu que je suis quelqu’un qui aime bien contrôler, etc., j’avais besoin de me dire de quoi on se parle si ça doit arriver. Et même si ça ne te prépare à rien, au moins tu y as pensé une fois et puis voilà. Et après je passe à autre chose. Donc oui, la psy nous a donné des petites billes comme ça pour nous aider, puis pour aussi mieux comprendre l’autre parce que des fois, Tu sais c’est très paradoxal, t’as des hauts et des bas et souvent ils sont pas coordonnés. Ce qui est bien en fait parce que tu te sauves. Quand il y en a un qui est très bas, l’autre il tien la route et puis l’autre est très bas.
Mais du coup quand l’autre est très bas et que toi ça va, des fois tu te dis mais pourquoi là ça va pas, je comprends pas. Ou alors tu sors d’un rendez-vous, il y en a un qui dit c’est plutôt des bonnes nouvelles, l’autre il dit mais pas du tout. Tu vois, et tu te dis, mais enfin, on est au même rendez-vous, comment c’est possible ? Et tu vois, par exemple, dans tous les rendez-vous importants, t’as une infirmière d’annonce.
Ça, c’est un métier que je ne connaissais pas, que j’aurais aimé ne pas connaître, mais quand tu prends des grosses annonces médicales, t’as toujours, en tout cas en pédiatrie, je sais pas chez l’adulte, mais une infirmière qui est là pour prendre note de ce qui se dit et pour pouvoir, de manière factuelle, te rappeler ce que tu as dit ou ce qui t’a été dit à ce moment-là.
Clementine Sarlat
Parce que souvent, comme c’est un choc, t’oublies beaucoup de choses.
Amélie
Ouais, t’interprètes. En fonction du mood dans lequel tu es. Si tu rentres dans le rendez-vous et que tu es plutôt dans un mood positif avec de l’espoir, tu vas avoir tendance à tirer des conclusions positives alors qu’il n’y en avait pas. Ou au contraire, ça ne va pas et là tu vas tout voir en noir alors que dans l’absolu il n’y avait pas de mauvaise nouvelle.
Clementine Sarlat
C’est plutôt bien, c’est un garde-fou utile pendant des moments de détresse. Donc là ça dure 16 mois ?
Amélie
La chimio ça a été 6 mois à peu près. Et après on a fait ce qu’on appelle une autogreffe de cellules souches. Donc ça en fait c’est quand on fait une chimio hot dose, c’est des chimios très très très intensifs qui vont détruire absolument toutes les cellules de la moelle osseuse de l’enfant. Et en fait, si tu ne fais pas un prélèvement de cellules souches, c’est-à-dire que tu prélèves pas avant les cellules souches de l’enfant, tu les congèles, puis tu les réinjectes après la chimio, dans ce cas-là, ils ne survivraient pas au traitement. Donc en fait, là, tu fais un protocole où tu prélèves les cellules, ensuite on fait la chimio et ensuite on les réinjecte. Et t’as à peu près six semaines d’hospitalisation pour faire tout ça en chambre stérile.
Donc là, c’est aussi un truc dingue à vivre, c’est-à-dire que c’est des chambres où tout doit être, on ne peut pas vraiment dire stérile, mais en tout cas le plus propre possible. Donc tu vis avec masque, charlotte, gants, surchaussures, blouse H24 avec ton bébé. Moi je ne pouvais plus tirer mon lait dans la chambre, donc j’avais une pièce qui avait été aménagée, c’était la salle de bain toilette, tu vas pouvoir aller tirer mon lait. Sinon, tu es tout le temps équipé, donc quand il tire sur ton masque, il faut faire attention. Tu rentres ton téléphone, il faut les inspecter systématiquement. Chaque personne qui rentre, il y a un sas d’entrée. C’est un truc costaud.
Clementine Sarlat
Est-ce que pendant toute cette période, tu as la sensation que Léo souffre ?
Amélie
Non. Léo, alors il y a eu des moments où il a souffert, il y a eu des moments où on peut pas nier que les chimiothérapies ont eu des effets secondaires lourds, des nausées, il a eu des soucis d’oralité, parce que forcément quand tu fais ingérer à un enfant qui n’a jamais eu que du lait maternel, les seules choses que tu lui mets d’autre c’est des médicaments pas bons, et ça il faudra qu’on s’en reparle, mais aujourd’hui les traitements pour les enfants ne sont pas adaptés aux enfants, donc on leur fait avaler des trucs qui sont juste infâme. Et donc, le souci, c’est que ces enfants-là, ils n’ont plus envie de mettre quoi que ce soit dans leur bouche après, tu vois.
Donc, moi, Léo, c’est un bébé qui a vécu avec du lait toute sa vie, qui n’a pas été nourri autrement jusqu’à 16 mois. Donc, voilà, il y a eu des choses comme ça, mais dans l’ensemble, c’est un bébé qui a été, je crois, très heureux parce que, déjà, on ne l’a jamais lâché, qu’on lui a renvoyé toutes les ondes positives possibles. C’est-à-dire que moi, la règle d’or, c’était que personne ne pleure devant Léo, personne. Il ne doit pas avoir de larmes, il ne doit pas avoir d’inquiétudes parce que Si les tout-petits ont un seul avantage à être si petits au moment de la maladie, c’est qu’ils n’ont pas conscience de ce qui se passe et ils n’ont pas d’appréhension.
Tu vois, par exemple, tu as des ados qui passent la porte du service oncologie, ils vomissent alors qu’ils arrivent, ils n’ont rien eu, mais tu sais, de peur de ce qui les attend. Un bébé, il passe la porte, il y a une salle de jeu, il est content d’arriver, les infirmières sont gentilles, voilà.
Clementine Sarlat
Tes parents, ils sont là…
Amélie
Voilà, il a ses repères et tout va bien.
Clementine Sarlat
À quel moment est-ce que l’ambiance elle change et tu comprends que là pour Léo ça va être très compliqué ?
Amélie
Jamais quasiment en fait. Donc si tu veux après cette grève de cellules souches on part pour Paris parce qu’il y a de la radiothérapie qui est prévue, ça s’appelle la protonthérapie, c’est destiné aux bébés, c’est une forme de radiothérapie mais qui est beaucoup plus ciblée. C’est une chance qu’on a en France, on a deux centres qui le font sur Nice et Paris et qui permet de faire le moins de séquelles possible en ayant recours au traitement par radiothérapie. Quand on fait ça pendant six semaines, ça se passe très bien. C’est quand même une anesthésie générale chaque matin sur ton bébé. On fait la radiothérapie et voilà. Donc là, on a amené Tom avec nous. On a pris un appartement. On était sur Orsay. Et là, l’idée, c’était d’avoir la vie la plus normale possible.
Et honnêtement, on a réussi parce que justement, on avait recréé un cocoon. On était tous les quatre. Et finalement, notre vie était beaucoup plus normale comme ça qu’elle ne l’était pendant les mois précédents. Et donc ça, ça s’est terminé le 16 mars 2024. Et en fait, là on nous dit, on ne nous prononce jamais le mot rémission, c’est pas un mot qu’on a eu la chance d’entendre, mais les médecins nous disent, bon là c’est en bonne voie, la tumeur il en restait un petit bout mais elle était nécrosée, donc ça veut dire qu’on voyait plus de cellules actives depuis un bon moment. Ils nous disent, on se laisse du temps, mais on a 3 à 6 mois de tranquillité où vous pouvez profiter de la vie. Et voilà.
Donc nous, si tu veux, on rentre de Paris en se disant, ouf, à nous la vie. On réserve un séjour, tu vois, en famille pour mai. On se dit, enfin, enfin, on va pouvoir revivre. Tom et Léo sont ensemble. Ils commencent à développer une belle complicité parce que, justement, sur Paris, on a été ensemble, etc. Et en fait, tout se passe bien. Et mi-avril, on tombe tous un peu malade, tu vois. C’est les beaux jours qui arrivent et en même temps, ça a alterné froid, chaud, froid, chaud. On a tous une espèce de gros rhume, là. Donc Léo chope le gros rhume. Ok. Puis tout le monde, ça passe chez tout le monde. Puis Léo, ça traîne un peu, tu vois. Alors je l’amène voir les médecins qui me disent, Madame, Léo, il a eu un rhume.
C’est quand même un enfant qui sort de… Enfin, qui est encore immunodéprimé et qui l’a été pendant longtemps. Donc, il va falloir qu’il ait le temps de se remettre, quoi. Et donc, ce rhume traîne, et tu sais, il commence, je me souviens toujours, un jour, il sort de la sieste, on va dehors, il fait beau, on est en train de déjeuner, il vient. Et c’est un bébé quand même qui a un développement parfaitement normal, j’en ai pas parlé, mais au niveau moteur, psychologique, il était parfaitement normal. Et en fait, il commence à se mettre les mains à la tête, tu vois. Et puis moi, je me souviens, mon mari n’était pas là ce week-end-là, j’étais avec de la famille. Et je dis, oh là là, j’aime pas ça, c’est bête, mais quand il se met les mains à la tête, ça me stresse.
Et puis tout le monde me dit, tranquille, il y a beaucoup de soleil, il sort de la sieste, s’il faut, ça le gêne. Enfin, on rentre et effectivement, ça va mieux. Et en fait, à partir de ce jour-là, il a commencé à montrer des… Des signes de… Pas de douleur, mais de mal-être, tu vois, des moments où je sentais qu’il était grognon, ou que… Je sais pas, c’était un bébé, si tu veux, avant, il rigolait de son lever jusqu’à son coucher sans s’arrêter, quoi, presque, tu vois. Les médecins venaient dans la chambre écouter les rires de Léo, tu vois. Donc c’était vraiment un bébé bonheur. Et là, je sentais qu’il y a des moments un peu durs. Et en même temps, je me disais, c’est peut-être aussi son caractère qui commence à se dessiner, enfin, j’en sais rien.
Donc je le montre à plein de médecins. Et la dernière semaine, on avait une IRM de contrôle qui était prévue, le lundi. Donc là, on est le lundi, je crois que c’était le 22 avril ou quelque chose comme ça. Et en fait, Léo, il n’est vraiment pas en forme et il se trouve que cette semaine-là, il a une autre anesthésie générale qui est prévue pour aller contrôler ses yeux. Parce que tous les mois, on montait sur Paris pour contrôler les yeux et ça, c’était prévu pour les cinq années à venir. Et moi je dis bon, là on va privilégier entre-temps, il avait fait une petite rechute sur un oeil, mais ça c’était un truc, on nous avait dit les yeux ça reviendra facilement parce qu’on les a moins traités fort, on n’a pas fait de proton thérapie dessus etc.
Donc en fait ça reviendra mais on le traitera au laser, il n’y aura pas de chimio etc. Donc là il y avait un petit traitement laser qui était prévu. Donc j’avais deux anesthésies générales pour les hauts prévus, une le lundi et une le mercredi. Et moi le dimanche, je me dis il est vraiment pas en forme. Et tu sais les AG, on te dit les anesthésies générales, on te dit il faut quand même les faire quand ça va, parce qu’il y a des risques de désaturation, tout ça. Donc j’appelle l’hôpital de Toulouse, et je dis écoutez on a deux anesthésies générales prévues cette semaine, moi les hauts je le trouve pas en forme. Je pense qu’on va privilégier le curatif et puis on fera les contrôles un peu plus tard. Ils me disent ok, vous avez raison.
Cette décision-là, je vais la regretter pendant longtemps. Donc on fait sauter l’IRM. On part à Paris et en allant sur Paris dans le train, on faisait toujours les voyages en train, ce n’était pas évident avec Léo qui était un peu malade et tout ça. Et en fait, il fait une crise de pleurs énorme, énorme, de sortir nulle part. Il se réveille, il fait une sieste dans le train, il se réveille, il hurle. Et il se touche la tête comme ça, tu vois. Et moi, j’ai dit à Bastien, il va mourir. J’envoie un message à une amie à moi, je dis, il va mourir. Je dis, là, il est en train de rechuter, c’est sûr, c’est sûr, c’est sûr. Je voulais arrêter le train, puis mon mari me dit, ça sert à quoi d’arrêter le train ?
Enfin, tu vois, il se met à vomir en hurlant, enfin… Tu vois, c’était tout le tableau clinique d’un enfant qui a une tumeur cérébrale. Et puis c’est la première fois qu’il faisait ça. Donc j’appelle Paris, l’Institut Curie où on est suivi, qu’ils me disent écoutez, on vous attend, on lui fait une IRM de contrôle ce soir, d’accord ? On vérifie, vous venez et on lui fait ça. Donc nous, le train arrive vite de Montparnasse à Curie, on connaissait le trajet par cœur, on arrive et puis là, Léo allait beaucoup mieux. Donc les médecins le voient et puis ils me disent, madame, ça va, vous nous avez décrit un truc là.
Nous, on a eu peur, on a failli faire une IRM d’urgence, mais là, on ne va pas la faire parce que vous savez, il y a beaucoup d’autres cas qui ont besoin d’une IRM en urgence. Et là, Léo, ce n’est pas prioritaire. Donc, on ne fait pas l’IRM. Donc moi, quelque part, tu vois, ça me rassure. Je me dis, bon, s’ils ne font pas l’IRM, c’est qu’ils ne sont quand même pas trop inquiets. Puis ils me disent, franchement, il a un état clinique, il n’a pas l’état clinique d’un enfant qui est en train de faire une rechute de ce genre de cancer. OK, donc on est mercredi. Le jeudi, on rentre et je sens que ça va pas, je l’amène chez le pédiatre. Et je dis voilà, il a fait cette crise hier.
Entre temps, on est rentré sur Toulouse parce qu’on partait le mardi. Le mercredi, il se faisait traiter. Le jeudi, on rentrait. Même le mercredi soir, on rentrait. Le jeudi, je l’amène chez le pédiatre. Je vois sa pédiatre habituelle qui me dit, il a une grosse otite. On le voit, il a de la pression au niveau des tympans. C’est une otite, une double otite. Elle me donne des antibiotiques. Elle me dit, d’ici 48 heures, ça va pas mieux. Vous me rappelez. Et en fait lendemain, donc il a fait deux prises d’antibiotiques, j’ai une petite idée maintenant de ce que ça fait un antibiotique, normalement très rapidement quand même ça décongestionne un peu et ça va mieux quoi. Et j’ai l’impression que c’est pire. Et du coup elle me dit mais attendez un peu, je me sens pas d’attendre, est-ce que je peux revenir ?
Et puis elle me dit ben moi je peux pas, j’ai une remplaçante qui va vous recevoir donc je vais voir la remplaçante et puis je me dis très bien deux avis c’est bien. Et en fait pendant l’auscultation on les vomit. Et puis elle me dit, vous voyez ça c’est une otite, une grosse otite, ça les fait vomir, vous savez c’est vraiment douloureux. Et puis il a le droit d’être malade ce petit, c’est pas parce qu’il a ce parcours là qu’il a pas le droit d’avoir des maladies normales, ne paniquez pas. Donc on est vendredi, moi je prends l’info, ok, samedi ça va pas mieux. Et dimanche matin je dis maintenant je l’amène au service oncologie parce qu’il y a vraiment un problème. Je vois, il pleure, j’arrive pas à le calmer, je vois bien qu’il souffre toute la journée tu vois.
Et je vais au service onco et là je vois son oncologue qui le suit depuis toujours, en qui j’ai extrêmement confiance, celle qui nous a fait l’annonce un an plus tôt, et qui me dit bon écoutez là quand même cliniquement Léo… Et puis tu sais il pleure toute la matinée puis on arrive là-bas ça va, tu vois. Et elle me dit là cliniquement quand même Léo il va bien, vous voyez voilà il n’y a pas de… Ça va quoi. Donc elle me dit on va augmenter le traitement pour la douleur parce qu’il a sûrement très mal par contre, puis on va cesser un peu de temps. Et la semaine prochaine on fera un IRM. Donc je dis d’accord, on repart et en fait sur le trajet il fait que vomir, que vomir. On rentre à la maison et il est épuisé.
Il dorme et d’une façon tu vois, poupée de chiffon quoi, pas le sommeil normal. Il se met vraiment les bras en croix, il bouge plus, il est tout pâle. D’ailleurs j’appelle le service et ça va pas, ça va pas, c’est de pire en pire, vous lui avez donné un antidouleur hyper fort, c’est du tramadol tu vois, c’est quand même un truc… Et ça va pas quoi. Puis elle me dit je pense que c’est un effet secondaire du tramadol. Et en fait, plus ça va, moins ça va y réagir, plus quand je bouge… En fait, c’est en une journée, quand tu disais quand est-ce que j’ai compris, en une journée. Et donc, j’appelle cinq fois dans l’après-midi ce service.
Et en fait, l’infirmière finit par me dire, je vais pas vous passer le médecin, parce qu’en fait, on vous avait répété trois fois que Léo avait une otite. Donc, je vais pas vous répéter la même chose. Le médecin a des patients à voir, etc. Et en fait, en fin de journée avec mon mari, on se rend compte que Léo, il voit plus. Il est aveugle et qu’il entend plus qu’il est sourd. Et là, je hurle dans la maison, je dis il va mourir. Je sentais, tu vois, que là vraiment, que le truc s’était dégradé à un vitesse monstre. On serait, putain, t’as passé l’après-midi. J’ai fini par faire un mail à l’oncologue en lui disant je suis désolée de passer par cette voie-là, mais je n’arrive pas à vous avoir, je suis très inquiète.
J’ai un mail énorme avec des photos de Léo dans un état pas possible, tu vois. Et là, elle me dit, vous venez aux urgences. Et en fait, il y a une règle d’or quand tu as un enfant qui a un cancer, c’est que tu ne passes jamais par les urgences. Parce qu’en fait, aux urgences, il y a toutes sortes de microbes. Donc l’idée, c’est que tout est traité en onco. Et là, pour la première fois en un an, elle me dit, vous allez aux urgences maintenant. Donc on va aux urgences. Il se trouve que la veille, vu que Léo allait pas bien, j’avais confié Tom à ma mère et j’avais une très bonne idée parce que du coup, on est parti dans tous nos états avec un bébé qu’il voyait plus, qu’on entendait plus, qu’il faisait que vomir, tu vois.
Et en fait, là, ça allait très vite aux urgences. Au début, on a cru que c’était une réaction au tramadol. Donc ils ont voulu appeler le centre antipoison qui leur a dit ça peut pas faire ça et puis plus le temps passerait plus mieux il irait. Et là c’est pas le cas. Il avait sa fréquence cardiaque à 50, ce qui pour un bébé est extrêmement bas. Il respirait très mal, il avait une mauvaise saturation, il n’y a rien qu’à aller. Donc ils nous ont dit on va faire un scanner mais on pense que c’est une rechute. Et donc on s’est retrouvés dans la même salle. Que le 11 avril, on était le 28, on était dans la même salle de scanner, au même endroit.
Clementine Sarlat
On était le 28 avril, un an après.
Amélie
Exactement. Et donc on a fait ce scanner et quand ils sont sortis, on est descendus et ils nous ont dit bon, on a de très bonnes raisons de penser parce que le scanner c’est pas hyper fiable mais t’as une première vision. Ils nous disent qu’on voit des ombres qui ne nous plaisent pas au niveau de son ancien tumeur mais dans d’autres endroits, au niveau des méninges. Donc on va le mettre dans le coma artificiel pour le soulager. On va l’opérer, lui poser une DVP, une voie de dérivation parce qu’en fait il y a sa pression intracrânienne qui augmente et ce qu’on voyait c’était pas une otite, c’était du liquide céphalo-rachidien qui était sous pression derrière ses oreilles. Et donc, on va l’opérer cette nuit. Donc là, en pleine nuit, ils l’opèrent d’urgence.
Ils nous disent, demain, on fera une IRM et on pourra vous dire ce qui se passe. Et en fait, à ce moment-là, on ne voit que des médecins qu’on ne connaît pas. On est en réa et le médecin de garde n’est pas un médecin qu’on connaît. Et lendemain, il y a le médecin qu’on connaît qui vient, alors qu’il était en congé, et qui vient nous dire, donc on fait l’IRM le soir. Tu as une journée entière où tu es là. Après, ils nous ont dit direct, ils nous ont dit, Quoi qu’il arrive, la vie de Léo, les jours de Léo sont comptés. Ce qu’on ne sait pas, c’est si on se parle de quelques heures, de quelques jours ou de quelques semaines.
Donc évidemment, en fait, à la fois on avait été entre guillemets préparé au fait que cette maladie-là pouvait l’emporter, et en même temps on était dans une phase du traitement et de tout le protocole où il n’y avait pas de raison. On l’a pris quand même, ça a été un énorme choc parce qu’on ne l’a pas vu venir sur ce coup-là. Donc tu passes la journée du lundi à te dire que là ton enfant va mourir, tu sais pas quand.
Il font l’IRM lundi soir et ils nous disent qu’ils pourront nous dire que le mardi matin, les résultats, parce que le soir il n’y a personne, donc c’est le mardi pardon que l’oncologue revient et qu’elle nous annonce qu’en fait il est en train de faire ce qu’on appelle une méningite carcinomateuse, donc c’est le cancer qui s’attaque à ses ménages et que c’est incurable et c’est foudroyant et que donc pour son bien-être on ne le réveillera pas. À moins que les médecins nous recommandaient pas à le réveiller. Et là, ils te disent, du coup, on va aller vers la fin de vie de Léo et vous nous direz quand vous voudrez arrêter. Parce qu’en fait, il est sous respirateur.
Donc, tu vois, en fait, quand tu me demandes à quel moment tu as su, j’ai su le dimanche soir pour un décès le mercredi matin. Donc en fait, en l’espace deux jours et demi, et ça a été un truc, enfin on a pris ça, c’est fou quoi. C’était une météorite qui t’arrive dessus parce que c’était le seul moment depuis justement un an où on avait un peu levé notre vigilance entre guillemets, on s’était dit bon allez, un peu de répit là, un tout petit peu de répit, et en fait, t’as ça qui t’arrive, voilà.
Clementine Sarlat
Tu peux pas lui dire au revoir. En fait, t’as pas eu l’occasion de l’avoir réveillé.
Amélie
Non, mais un de mes regrets c’est qu’en fait j’étais tellement paniquée quand on est arrivé aux urgences. Que j’ai pas pris du temps avec lui. J’étais dans tous mes états. J’avais envie de tuer le monde entier. J’en voulais à tout le monde. Je comprenais pas. Mais malgré tout, quand il est endormi, je lui ai dit qu’on allait prendre soin de lui, etc. Donc, si tu veux, je l’ai pas dit au revoir, mais je lui ai dit au revoir comme je lui aurais souhaité bonne nuit, tu vois, parce que je savais qu’on allait l’endormir et je savais que ce qui était en train de se passer, c’était gravissime. Donc, si tu veux, je… J’avais quand même…
J’aurais pas été capable de dire ce qu’il allait exactement se passer, mais j’avais quand même une bonne idée de ce qu’il allait se passer. Et puis, en fait, du coup, il se trouve que ma belle-sœur est sur Paris et qu’on voulait quand même que les gens les plus proches puissent venir lui dire au revoir, puisqu’il était en réa, il était endormi, sous respirateur. Mais donc, il était encore parmi nous quand même. Tu vois, normalement, ils entendent dans ces moments-là. Donc les gens, nos parents sont venus le voir, frères et sœurs, et ma belle-sœur pouvait arriver que le mardi soir, donc on a dit on arrêtera les machines le mercredi matin pour qu’on ait une nuit avec lui avant, nous, et puis comme ça qu’elle puisse lui dire au revoir aussi.
Et en fait là, tu sais c’est l’univers, t’es en réa, t’as toute ta famille qui vient dire au revoir à ton bébé, et puis là elle surtout se pose la question de comment, voilà, qu’est-ce qu’on fait avec Tom quoi ? Qu’est-ce qu’on fait avec Tom ? Et ça cette question je me la suis posée dès le dimanche soir. Comment on gère ça ? Comment on gère de lui annoncer un truc pareil ? Et en fait les médecins, on s’est fait accompagner par les psychologues, évidemment les médecins de l’hôpital, qui nous ont dit, il n’avait pas encore 3 ans, ils nous ont dit il va falloir qu’il comprenne tout. Parce que si on laisse des trous, des zones de flou, il va interpréter.
Et l’imaginaire des enfants, ça peut être une grosse source de traumatisme, d’angoisse, parce qu’en fait, s’il ne sait pas, il va inventer, et s’il y a un moment où on ne sait pas ce qu’il va inventer, il peut se créer des peurs. Donc ils me disent le mieux serait que vous le fassiez venir à l’hôpital et qu’on lui annonce ce qui se passe, que ce ne soit pas vous qui soyez porteur de cette nouvelle. Et tu vois sur le moment je me suis dit non mais c’est hyper impersonnel de le faire comme ça. Et avec du recul je me dis mais évidemment que c’est pas les parents qui doivent annoncer ça. Tu te rends compte ? Mes parents viennent m’apporter cette nouvelle là. Et puis en plus on était incapable de le faire avec le sang froid qu’il faut pour que le message passe bien.
Donc on a fait venir Tom et puis je me souviens toujours, il arrive devant le couloir de la Réa là, en disant je veux voir Léo, je veux voir Léo. Parce que j’avais dit à mes parents, à qui j’avais même pas pu l’annoncer, c’est encore une fois mon frère qui a fait la démarche. Mais j’avais dit à mes parents, vous lui dites que Léo ça va pas, mais vous lui parlez pas de mort, etc. Vous lui dites juste que ça va pas. Donc il est arrivé en disant je veux voir Léo, lui en plus il était habitué aux hôpitaux, enfin… C’était que Léo aille pas bien, c’était pas quelque chose de fou quoi.
Et donc je lui dis on va aller voir Léo, mais avant on va aller voir les médecins parce qu’il faut qu’ils t’expliquent quelque chose, donc on y va tous les trois là. Lui il court partout, il saute, tu te dis en fait, nous notre monde il s’est arrêté il y a 24 heures, lui c’est maintenant quoi que ça va s’arrêter. Et donc on arrive dans une petite salle avec l’oncologue, la psychologue, et la psy observe et l’oncologue explique. Mais il explique avec les vrais mots, tu vois. Pour la première fois elle lui dit que Léo il a un cancer, ça s’appelle un rétinoblastome trilatéral, que c’est très rare, que c’est une maladie très grave, qu’on a essayé de le soigner et qu’on n’a pas réussi.
Et en fait Tom il rentre dans cette pièce et tu sais il y a des jeux pour les enfants et il joue et il fait un bruit monstrueux avec ses jeux. Donc moi au début je lui dis « Tom, s’il te plaît, écoute » et tout ça. Et la psy me dit « Laissez-le faire ». Je lui dis « Il n’écoute rien ». Puis elle me dit « Si, il écoute ». Je lui dis « Mais non, regardez, il n’entend rien, il fait du bruit ». Elle me dit parce qu’il n’a pas envie d’entendre ce qui va se passer, mais il sait. Et en fait, au moment où le médecin dit « On ne va pas réussir à soigner Léo », Tom s’arrête de jouer, il lève la tête, il dit « Mais moi je vais le soigner ».
Donc on se dit « Ok, il écoute et il comprend ». Et donc là, elle lui annonce que Léo, il va mourir. Et tu vois, il se redresse et il dit, mais je l’aime, moi, mon petit frère. Et tu vois, tu te dis, putain, il a… Pardon. Tu te dis, il n’a pas 3 ans. Et à entendre que son frère va mourir, il nous répond qu’il l’aime. Et tu te dis, on a réussi quelque chose quand même. Tu vois, en tant que parent, on a réussi à créer cet amour fraternel qui fait que, même si c’est même parce que c’est que la mort, le fait qu’on lui annonce comme ça, il comprend la gravité et sa réponse, c’est qu’il l’aime. Donc, c’est qu’il n’a pas envie qu’il lui arrive quelque chose.
Et tu vois c’était à la fois très dur et très touchant et quand je te dis en y allant je me suis dit son monde va s’arrêter mais la différence entre lui et nous c’est que non son monde il s’est pas arrêté tu vois il a pris cette nouvelle comme quelque chose de… un fait tu vois tu sais quand t’as trois ans en fait on passe notre temps nous les adultes à donner des faits sans forcément donner de grandes explications aux enfants donc il prend cette nouvelle et puis il me dit maintenant est-ce que je peux voir Léo quoi et moi je me dis il va rentrer dans ce service, c’est quand même pas le service dans lequel il a l’habitude d’aller, Léo il est intubé, c’est quand même impressionnant.
Mais oui, bien sûr qu’il faut qu’il aille le voir, et donc il vient dans la chambre, et puis alors lui ça lui fait ni chaud ni froid de voir ses machines, parce qu’en fait la seule chose qu’il voit c’est son frère. Et en fait, à ce moment-là, ça faisait 48 heures que Léo était endormi, et il avait monté, aucun signe de… Enfin son cœur était stable. Et quand Tom est arrivé, son cœur il faisait que monter, et il faisait que se réveiller, Léo il avait des réveils du coma, tu vois, alors qu’il était sédaté.
De dingue et c’était magnifique parce qu’en fait Tom il lui a chanté des chansons, il lui a lis un livre, il s’est couché auprès de lui et tu vois on s’est dit du haut de ses pas tout à fait trois ans on lui offre l’opportunité de dire au revoir à son frère et peut-être qu’il se souviendra pas de ce moment mais nous on s’en souviendra tu vois j’ai pris des photos parce que moi c’est important que Tom il sache et tu vois c’est aussi pour ça que je suis là aujourd’hui parce que je veux que Tom il l’entende et qu’il sache toute sa vie qu’il a été complètement impliqué dans tout ça qu’il a été un grand frère fou tu vois il nous a bluffé ce jour là parce qu’en fait il a fait tout ça il avait quand même compris la gravité même s’il n’avait pas compris le côté irréversible de la mort parce que ça a trois ans tu peux pas le comprendre Et tu vois quand on lui a dit maintenant il faut que tu dises au revoir il est resté une bonne heure avec Léo et quand on lui a dit faut que tu dises au revoir à ton frère je le portais tu sais pour sortir de la pièce et en fait il a fait un truc fou c’est qu’il a dit au revoir à Léo et il a tendu les bras vers Bastien et en fait il nous a regroupé tu vois il nous a serré ce qu’il fait jamais c’est pas un bébé qui est très câlin et là je me suis dit c’est fou il a tout compris il a compris qu’il allait falloir qu’on soit une équipe qu’on serre les coudes qu’on soit là les uns pour les autres et que voilà on restait ensemble quoi et après, il y a eu cette nuit, le truc où tu te dis, je ne vais pas survivre à ça parce que demain, on arrête tout.
Comment je passe cette nuit ? Les infirmières, elles ont été adorables. Avec ma belle-soeur, elles nous ont fait un petit cocon d’amour pour la nuit. Normalement, dans une chambre de réa, tu as un fauteuil pour le parent. Et nous, on dormait à deux dans ce fauteuil depuis deux jours quand on arrivait à dormir. Et là, elle nous avait mis un grand lit dans lequel il y avait Léo et dans lequel j’ai pu aller avec lui et un grand lit à côté avec mon mari. Donc, on a dormi tous les trois. Et en fait, on a passé un moment plein de douceur parce qu’on a pu lui dire plein de choses, lui dire à quel point on était fiers de lui, à quel point il nous avait appris, tu vois, parce que c’est…
Enfin moi, en un an de combat, j’ai appris plus qu’en 30 ans de vie. Et on a pu vraiment lui dire au revoir et lendemain, on a arrêté les machines. Et tu vois, on est sorti de cette pièce, je m’étais dit, je ne vais même pas arriver à franchir la porte de cette pièce. Et en fait, je l’ai franchi avec un sentiment d’apaisement parce que je savais que son départ, on l’avait fait en douceur, on l’avait accompagné vraiment jusqu’au bout. On l’a rassuré sur nous, sur la suite, sur lui, sur tout. Et du coup, voilà, ça s’est passé comme ça.
Clementine Sarlat
C’était il y a six mois. Comment tu vas aujourd’hui ?
Amélie
Je trouve que ça va parce que je suis là, tu vois, je parle de lui. C’est important pour moi de raconter cette histoire, à la fois pour le faire connaître parce qu’il a passé beaucoup trop de temps dans les hôpitaux et qu’il aurait mérité d’être beaucoup plus connu qu’il l’a été. Donc ça me fait du bien de pouvoir faire connaître Léo. Sa personne et aussi toute son histoire. Et tu vois, je suis contente, six mois après, ça fait pas tout à fait six mois, ça va faire cinq mois là, d’arriver à engager ces premières démarches, de parler, de sensibiliser autour des cancers pédiatriques. On a beaucoup de proches, mais tu vois, il y en a peu qui ont su trouver leur place dans ce combat.
Parce que c’est dur, parce que tu te dis, mais qu’est-ce que je peux faire pour eux ? Je sais pas quoi leur dire, j’ai peur d’être maladroit, j’ai peur… Et moi j’ai envie au moins qu’on arrive à dire un peu à tout le monde que quand on a des proches qui traversent ça, je crois que la maladresse est préférable au silence. Et qu’il n’y a rien de pire que de sentir seul, parce qu’on sent déjà très seul, il y a une forme d’injustice profonde que tu ressens et qu’on retrouve dans le deuil. Après, en fait, tout ça, c’est des choses qui terrifient. On en parle aujourd’hui, il n’y a pas longtemps. Il y a un podcast qui a traité d’un sujet où il y avait un enfant qui était décédé. Je ne sais pas si je peux parler de ça.
Mais en fait, dans les commentaires, il y a beaucoup de gens qui ont dit ce genre d’histoire. Moi, je suis là pour me divertir. Je ne veux pas entendre parler de ça. Et moi, tu vois, quand j’ai lu ça, je me suis dit, Tu vois, je m’étais toujours dit, si les gens sont pas là ou qu’ils veulent pas en parler, c’est pour nous protéger. Et en fait, j’ai pris conscience que c’était aussi pour se protéger. Parce que ces histoires-là, elles sont dures à entendre, qu’elles sont d’autant plus dures qu’on a des enfants, qu’on se projette et qu’on prend conscience que ça n’arrive pas qu’aux autres. Et en même temps, tu vois, je trouve que ne pas en parler, c’est créer une espèce d’omerta. Et en fait, c’est la double peine pour les parents comme nous.
Et moi, tu vois, depuis que Léo est décédé, j’ai des gens qui ne me parlent pas du tout, qui ne veulent pas me demander. Et j’ai quelques personnes qui osent me demander comment je vais, qui osent me demander comment je me sens. Parce qu’en fait, oui, évidemment, la réponse n’a pas à être « je vais super bien », mais j’ai plein de choses à te raconter de comment je chemine. Et du coup, je trouve qu’il faut libérer la parole autour de ça. Et c’est un peu le truc que j’essaye moi de mettre en place. Moi, j’ai dit à mes copines, juste après que Léo soit décédé, je leur ai dit. Montrez-moi ce que c’est que la vie. Quand vous avez des soirées, des anniversaires, des événements, invitez-moi, ne vous dites jamais que ce n’est pas le moment pour moi.
Parce qu’en fait, c’est tout sauf le moment de dépérir chez moi seule. Donc au pire, je vais dire non neuf fois, mais si je viens une fois, ça aura valu le coup de me proposer dix fois. Et ça, c’est quelque chose que je voudrais que tout le monde comprenne. Je crois que quand quelqu’un va mal, de manière générale, au pire, il dira non. Voilà, un nombre incalculable de fois jusqu’au jour où il ira mieux, mais où on lui tendra toujours cette main. Plutôt que de se dire, bon, je le laisse et quand ça ira mieux, il reviendra. Mais surtout dans une deuil d’un enfant, en fait, il n’y a pas un moment où on peut dire, on sort la tête de l’eau et on se dit, ça y est, ça va mieux. C’est progressif, ça prend du temps.
Il y a une notion d’acceptation, de résilience qui est énorme et ce n’est pas évident. Et nous, on est accompagnés, j’ai trouvé une association qui s’appelle Le Point Rose, qui a été montée il y a plus d’une dizaine d’années par une maman qui elle-même avait perdu sa fille d’une tumeur cérébrale. Et qui s’occupe d’accompagner les parents endeuillés. Le parrain c’est Zidane, on a vu plusieurs vidéos sur les réseaux sur cet assaut et moi en cherchant je l’ai trouvé, c’est une association qui est sur Marseille et qui accompagne les parents dans le cheminement du deuil de plein de manières, par le sport, par l’art, par des sorties, par des moments de partage ensemble pour aussi pouvoir échanger avec des gens qui ont vécu ça parce qu’il y a quand même un truc de qui peut nous comprendre à part des gens qui l’ont vécu.
Et cette ASSO, elle fait un travail extraordinaire pour accompagner les parents. Elle accompagne aussi les parents. Moi, j’ai deux enfants que je connais du parcours de Léo, à qui on a annoncé qu’il n’y aurait pas de traitement. Et donc des familles qui sont dans cette phase où tu sais qu’on va vers la fin de vie de ton enfant, mais tu ne sais pas quand. Tu sais juste qu’on est à bout de traitement. Et ça, c’est un truc qui est hyper dur à entendre. Et c’est pour ça aussi que le mois de septembre d’or, il est important. Parce qu’en fait, on a besoin de financement. Les cancers pédiatriques, c’est 1% des cancers. C’est très peu, Dieu merci. Mais ça reste 1%. Ça fait 2500 enfants qui sont malades chaque année.
Donc là, en 2025, il y aura 2500 enfants chez qui on va diagnostiquer un cancer. Ça peut être tous les enfants. Ça peut être le mien, ça peut être celui de ma voisine, ça peut être celui d’une amie, tu vois. C’est pas que chez les autres. Et parmi ces 2500, il y en a 80% qu’on va guérir. Mais il y en a 20% qui vont décéder, ça fait 500 enfants, tu vois. 500 enfants, tu te rends compte du nombre de classes que c’est ? Et moi je me dis c’est beaucoup trop. Tu vois, il y a une phrase qui dit les enfants d’abord, toujours, quoi qu’il arrive. Et pourquoi dans la santé, dans le cancer, on ne fait pas ça ? Parce que c’est une trop faible population par rapport au global. Et Septembre d’Or, ça a été mis en place par l’institut Gustave Roussy.
Pour justement aller chercher des financements, pour à la fois trouver de nouveaux traitements, mais aussi travailler sur l’impact des traitements sur la vie des enfants. Parce qu’aujourd’hui, il y a beaucoup de traitements qu’on utilise pour les enfants qui sont en fait des traitements d’adultes, dont on adapte juste la posologie. Et ça, c’est dramatique parce que du coup, les conséquences sont lourdes. Quand on te dit à 50 ans que du coup, avec ce traitement, tu vas être stérile. Mais quand on te dit ça à 6 mois, tu vois… C’est compliqué. Voilà, c’est ça.
Clementine Sarlat
Est-ce que tu as repris le travail ? Comment est-ce qu’aujourd’hui tu vis ta vie. Avec Tom, avec ton mari ?
Amélie
Jusqu’à la rentrée, on s’était dit qu’on se laissait un peu tranquille cet été. En fait on se laisse tranquille tout court dans le sens où on ne se met pas de pression et on a la chance d’être en France et d’avoir beaucoup d’accompagnement au niveau de… Il y a quelque chose par exemple dont on parle très peu mais les assurances prêts permettent quand on traverse des crises comme ça de nous accompagner sur le financement de nos maisons pour pas avoir…
Clémentine Sarlat
De décaler…
Amélie
Voilà exactement, de mettre des choses en place en tout cas pour pas avoir de trop lourdes charges financières Donc l’aspect financier grâce à tout ça et grâce aux assos qui peuvent aider si besoin etc. Est plutôt géré donc on se dit on se fout un peu la paix, le temps de sortir la tête de l’eau.
Et tu vois moi fin août là j’ai dit bon Tom il va rentrer à l’école qu’est-ce que je fais ? Et j’ai commencé à regarder un petit peu les offres d’emploi, moi j’étais compte-clés donc je faisais de la négociation dans l’agroalimentaire, je me suis un peu retournée vers ça. J’ai passé un premier entretien sur un poste qui correspondait à tous mes critères. J’ai mis un petit encart en haut de mon CV avec le petit logo des cancers pédiatriques et le petit nœud or. Où je marque que j’ai passé les deux dernières années à accompagner mon fils dans sa maladie. Et puis après, je me suis dit, oui, mais ils vont se dire qu’ils vont jamais m’embaucher parce que ça veut dire qu’à tout moment, je peux repartir. C’est une réalité.
Il y a cinq ans de rémission pendant lesquels on sait qu’on a l’épée d’Amoclès au-dessus de la tête. Donc, dans mes lettres de motivation, j’ai pris le parti de dire à la fin que mon fils était décédé. Ce qui est dur, tu vois, parce que tu dis, ça n’a rien à foutre ici. Et en même temps, tu dis, je m’évite aussi des questions un peu compliquées au moment des entretiens qui peuvent me déstabiliser. Et puis, je donne du sens. Voilà. Donc, en fait, j’ai fait ça. J’ai été appelée par une grosse société et j’ai passé l’entretien. Et au bout deux minutes d’entretien, elle m’a demandé ce qui se passerait si mon fils rechutait. Donc déjà, ça m’a fait penser qu’elle n’avait pas lu ma lettre. Et puis surtout, j’ai été hyper déstabilisée.
Je lui en ai reparlé ensuite, je lui ai dit, qu’est-ce que c’est que cette question ? Qu’est-ce que vous attendez comme réponse ? Admettons, mon fils n’est pas décédé. Qu’attendez-vous de moi ? Que je vous dise, vous inquiétez pas, s’il rechute, la nounou l’amènera un chimio ? Le travail d’abord. En plus, on vit avec ça, les parents qui ont des enfants malades. J’ai une amie que je me suis fait pendant ce parcours qui est en plein dedans. Sa fille est en rémission. Pour le moment, tout va bien et on espère que tout ira bien pendant longtemps. Mais en attendant, elle peut garantir à personne et surtout pas à elle-même que les prochains mois seront tranquilles. Et tu vois cette question-là d’un employeur, tu te dis… Et je me suis dit, tu vois j’en ai parlé à ma psy puisque évidemment je suis suivie par une psy maintenant.
Elle m’a dit en fait, vous pourrez retourner dans le monde du travail le jour où vous serez prêt à affronter tout ça parce que personne ne prendra soin de vous. C’est à vous de prendre soin de vous et de savoir d’être suffisamment forte pour encaisser tout ça. Et tu vois ça aussi je trouve ça dur, je me dis, c’est dur parce que tout le monde s’accorde à dire que ce qu’on traverse c’est la pire chose qui puisse arriver dans une vie. Mais dans des… Je pense que la personne qui m’a posé cette question, elle avait peut-être un enfant, tu vois, c’était une femme, et tu te dis…
Et bon, je lui ai dit après, on s’est reparlé, elle s’est excusée, elle m’a dit c’était maladroit, effectivement, j’avais pas lu la lettre, je me suis pas rendu compte, mais tu vois, moi, ça m’a fait prendre conscience qu’un gros groupe, là, maintenant, tout de suite, non, et j’ai un ami qui a monté une société, qui m’a proposé de prendre la direction commerciale, donc… Là je suis doucement en train de me mettre sur les rails, mais quand tu sors de la vie active à ce point-là, et que tu vas dans un monde parallèle comme ça, t’as l’impression que le travail ça devient un espèce de TGV qui te passe devant et qu’il faut te raccrocher.
Et tu vois, moi j’ai toujours après mes études, j’ai enchaîné les boulots, j’ai jamais eu de pause, puis j’étais dans une dynamique d’évolution assez standard, tu vois, tous les trois ans je prenais une promotion, tout allait bien. Et là, d’un coup, tu te dis, il faut retrouver du sens à ce que tu fais. Je ne retourne pas, finalement, vers l’agroalimentaire parce que c’est trop loin de tout ce que j’ai vécu. Là, ces derniers temps, je ne me vois plus aller négocier une référence d’un produit laitier pour un rayon, tu vois, aujourd’hui, même si ça sert, l’un dans l’autre, quand t’y pense, c’est aussi eux qui fournissent la nourriture des hôpitaux et tout, mais c’est trop abstrait pour moi. Donc je m’étais dit, soit je vais dans le médical, mais ça c’était avant que Léo décède.
Maintenant que Léo est décédée, je me dis, je ne peux pas psychologiquement, pas maintenant en tout cas. Soit je vais dans le plaisir et je travaille soit dans l’événementiel, soit dans tout ce qui est hôtellerie, vacances, etc. Pour, tu sais, être dans le plaisir des gens et voilà. C’est plutôt vers ça pour le moment.
Clementine Sarlat
Une de mes meilleures amies a perdu son bébé pendant la grossesse et elle m’a dit qu’après elle ne veut que du beau. J’ai besoin de choses qui ne font que du bien. Elle sait à quel point c’est précieux la vie, qu’il faut en profiter. Ton rapport avec Tom aujourd’hui, est-ce que tu es très inquiète ? Est-ce que c’est difficile de souffler ? Comment tu le vis ?
Amélie
Pas autant que ce que je pensais. Tu vois, ça m’a fait très peur. Je me suis dit, je vais plus… En fait, non seulement tu as ton histoire, mais tu es aussi confrontée à toutes les autres dans ces milieux-là. Tu vois, tu passes un an quasiment à vivre dans un service d’oncologie pédiatrique. Je n’ai eu que des histoires de mamans qui se sont fortement inquiétées, que personne n’a cru, jusqu’à ce qu’on se rende compte que c’était gravissime et qu’il fallait passer par les mêmes parcours que nous, avec parfois la même issue. Du coup, je me suis dit, mais moi, dès qu’il va me dire qu’il a mal aux jambes, je vais penser qu’il a une leucémie. S’il a un truc qui gonfle, je vais penser qu’il a un sarcome. S’il a mal à la tête, je vais penser qu’il a une tumeur cérébrale.
Et puis t’es dans l’hôpital des enfants, donc tu vois aussi les grands brûlés, tu vois aussi les traumas. Donc effectivement, en fait, tu perds complètement ta naïveté, tu l’as plus jamais. C’est-à-dire celle de croire que parce que c’est tes enfants, parce qu’ils sont plus petits que toi et parce que c’est dans l’ordre des choses, il leur arrivera rien de grave, ce sera à toi et pas à eux. Aujourd’hui, je sais que c’est faux. Et c’est aussi pour ça que je dis toujours… Une amie qui me dit aujourd’hui, mon enfant il a de la fièvre depuis une semaine à 40 et tout le monde me dit que c’est rien parce qu’on trouve pas.
Mais je lui dis en fait tu vas chercher et tu vas aller le faire bilanter et tu lâches rien et si lui il te dit qu’il trouve pas ce médecin là tu vas avoir un autre jusqu’à ce quelqu’un creuse vraiment et qu’on donne une explication parce qu’il y en a une tu vois on n’a pas voilà rien il n’y a pas de fumée sans feu je pense que dans le médical quand même ça a souvent du sens donc j’avais très peur de mon inquiétude et finalement… Ça va. Ça va parce que je crois que j’ai aussi appris à profiter de l’instant présent, tu vois, et à me dire en fait là tout va bien.
Donc j’ai à la fois ce truc de savoir qu’il peut arriver quelque chose à temps, mais puis alors moi la politique de la foudre ne tape pas deux fois au même endroit, j’y crois pas non plus du tout, parce que j’ai vu des foudres taper plusieurs fois au même endroit et fort. Donc si tu veux, j’ai cette hyper vigilance, Tom en ce moment il grandit, à chaque fois qu’il monte les escaliers il me dit qu’il a mal aux jambes, mais à chaque fois ça résonne en moi. Et en même temps, c’est un enfant de 3 ans, s’il voit que ça a trop d’impact sur moi, il va aussi servir de ça.
C’est un enfant de 3 ans, donc faut pas non plus lui donner des billes sur les inquiétudes que tu peux avoir, sinon il peut aussi en jouer pour attirer ton attention et tout ça. Donc, non, ça va. Dans l’ensemble, disons que dès qu’il y a quelque chose qui me paraît bizarre, là où avant je disais j’attends un peu, maintenant rapidement je vais consulter, et puis rapidement on me fait une place parce que c’est le pédiatre qui suivait Léo, qui suit Tom, et qu’ils savent que je suis inquiète. Et que ça fait aussi partie de leur métier de rassurer des parents, alors on n’est pas chez le pédiatre toutes les semaines, mais tu vois, là on a dû y aller deux fois depuis le décès de Léo, alors qu’avant on n’y allait une fois par an.
Mais ça va quand même, c’est pas obsessionnel, je ne me couche pas inquiète pour Tom.
Clementine Sarlat
Et j’ai une dernière question. Tu as beaucoup évoqué le fait qu’avec ton mari, Bastien, ça a été complexe. Au début, vous n’étiez pas en face parce qu’il ne te croyait pas. Après, il a dû bien accepter que ton intuition était forte. Ensuite, vous êtes rentré dans ce rouleau compresseur de vous croiser. Ensuite, vous avez dû affronter ensemble le deuil de votre enfant. Comment est-ce que vous survivez ensemble ?
Amélie
Alors, tu vois, notre médecin généraliste, il nous a dit, quand Léo est décédé, on allait le voir comme ça, tu sais, t’es face à lui. On fait quoi, maintenant ? Il nous a dit, en fait, là, votre navire familial, il s’est complètement renversé. Vous êtes tous tombés à l’eau. Léo est décédé, Tom est dans l’eau, vous êtes dans l’eau. Il va falloir que vous acceptiez que chacun trouve le moyen de rejoindre le rivage, à sa manière. Donc il y en a un, il va partir en crawl, mais après il va se fatiguer, il va nager un peu plus doucement. Il y en a un, il va mettre longtemps à se construire un radeau, par contre quand il va partir, il va y aller vraiment.
Et puis il y en a un autre, il va décider de partir tout doucement et il va y aller tout progressivement. Et en fait, l’essentiel, c’est de vous retrouver sur le même rivage à la fin. Et ce truc-là, quand il me l’a dit, ça m’a paru super clair. Effectivement, je crois que, et c’était déjà le cas pendant la maladie, mais encore plus pendant le deuil, il faut sortir du jugement de comment fait l’autre par rapport à toi, et sortir de ce truc de… Mais tu fais pas de la bonne manière, parce qu’on croit toujours qu’on fait mieux, ou qu’on a plus réfléchi à la façon dont on s’est fait. En fait, chacun fait comme il peut.
Et il faut accepter ça, il faut se foutre la paix mutuellement et se dire aussi qu’on ne peut pas réparer un couple tant que les deux individus ne sont pas réparés. Un couple c’est deux personnes et si il y en a un des deux qui va super mal, tu pourras faire tous les efforts que tu veux, il faut que les deux aillent bien pour faire un couple. Donc, c’est ce qu’on a fait. On s’est foutu la paix. Tu vois, Bastien, il s’est mis dans le sport au taquet. Là, il prépare le marathon de Toulouse et il a toujours été sportif. Donc, ça lui fait aussi du bien de retrouver ça qu’il avait perdu. Moi, je me suis mise un peu dans tout ce qui était associatif, à essayer de trouver un peu ma place pour aider. J’ai aussi retrouvé ma place auprès de Tom.
J’ai passé beaucoup de temps avec lui. Là, aujourd’hui, je retrouve un peu le chemin d’emploi parce que j’en sens le besoin. Bastien, il n’est pas encore à ce stade-là. Et tu vois, on s’est laissé un peu tranquille. Et puis aussi, faut pas oublier, quand on était à l’hôpital, on était enfermés pendant un an quasiment dans une chambre, tous les deux, avec un enfant malade, tu vois. T’as quoi à te raconter à la fin de la journée quand t’as passé ta journée à essayer de mettre ton masque de clown et de faire du bien à ton enfant. Et en fait, t’es lessivé et puis t’as plus rien à te raconter. Et puis, tu sais, cette admiration que tu peux avoir pour l’autre, tout ça, dans la vie normale, tout s’aplatit un peu. Et là, tu vois, c’était ce week-end.
On a fait notre premier week-end à deux depuis très longtemps, puisque ça faisait cinq ans qu’on était mariés. Et tu vois, c’est la première fois qu’on se retourne et qu’on se dit quand même, quand on s’est promis qu’on serait ensemble pour le meilleur et pour le pire. Dans la santé comme dans la maladie. Je peux t’assurer qu’il y a cinq ans, quand on s’est promis ça, on ne mesurait pas. On ne mesurait pas qu’on pouvait traverser tout ça. Et aujourd’hui, on est abîmés. C’est clair que, tu vois, rester ensemble, c’est un choix. C’est-à-dire que là, plus que jamais, c’est un vrai choix avec ses conséquences de se dire OK, on reste ensemble, on ne se lâche pas. Parce que ça veut dire pardonner, accepter, aller au-delà, patienter.
Alors qu’il y a des moments où tu te dis, c’est encore compliqué, on va encore se compliquer la vie à essayer de rester ensemble. Et en même temps, on a fait une telle équipe jusqu’à maintenant. Qui a fonctionné. Je veux dire, nos enfants, ils ont été heureux. Même Léo, il a été heureux pendant 16 mois. Tom, pendant tout ça, il s’est resté un enfant qui était heureux. Il l’est encore aujourd’hui. Et tu vois, lui, en plus, il a grandi dans ce mode où ses parents ne travaillaient pas, étaient que là pour leurs enfants. Et du coup, pour lui, la famille, ça ne fait qu’un bloc pourtant, mais c’est essentiel. Et donc, on se dit, on doit être au niveau maintenant. Il faut continuer, on doit être au niveau de Léo, on doit être au niveau de Tom.
Et puis, ça veut dire quoi de se séparer suite à la maladie de Léo ? Comme s’il avait été responsable, ce qui était arrivé était responsable ? Et la maladie, elle nous a pas pris assez, tu vois, un enfant ? On va aussi lui laisser notre couple, notre famille ? Donc non, là, pour le moment, on se bat et on s’aime. Et même si c’est dur, on a envie, en tout cas, d’avancer ensemble.
Clementine Sarlat
Merci beaucoup Amélie. Je t’en prie. Je crois que je le sais que c’est très important qu’on puisse parler des petits-enfants qui sont décédés, de dire leur prénom à haute voix. Tu l’as bien expliqué aux familles qui entourent, si vous êtes dans cette situation-là, dites les prénoms.
Amélie
C’est ça.
Clementine Sarlat
Parlez de Léo, si c’est le prénom. Je sais que je fais toujours, moi, avec mon ami Lucie et avec Tennessee, qu’on ne réalise pas, nous les parents, à quel point juste dire le prénom, c’est déjà énorme.
Amélie
Les faire exister en fait.
Clémentine Sarlat
Merci beaucoup Amélie.
Amélie
Je t’en prie, merci à toi.