Une grande part de notre travail en tant que parents est de poser des limites, régi par un cadre. Facile à dire mais difficile à appliquer ou à déterminer.
Si comme moi vous avez été perdu ou êtes perdu, vous avez testé des choses mais ne comprenez plus vraiment comment faire, alors pas de panique, j’ai la personne qu’il vous faut.
Héloïse Junier fait son grand retour dans le podcast, Héloïse est docteure en psychologie, elle est spécialiste de la petite enfance et autrice de nombreux ouvrages pour les parents et les enfants.
Dans l’épisode, Héloïse reprend les bases, vous explique ce qu’est le cadre et à quoi il sert. Elle vous rassure et vous aide à y voir plus clair.
Si cet épisode vous a été envoyé par votre partenaire, alors bienvenue et embarquez avec nous pour une discussion passionnante digne d’une masterclass premium.
Je vous souhaite une très bonne écoute.
🗣️ Au programme :
🎯 Le cadre parental (00:00 – 11:46)
📊 Importance et application du cadre (11:47 – 21:44)
🏠 Gestion du cadre au quotidien (21:45 – 32:45)
👨👩👧👦 Adaptation du cadre selon les situations (32:46 – 41:35)
🔄 Évolution et ajustement du cadre (41:36 – 50:59)
🔑 Règles essentielles et conseils pratiques (51:00 – 60:01)
🔗 Pour en savoir plus, n’oubliez pas de visiter notre nouveau site web !
Merci de votre écoute fidèle, n’hésitez pas à vous abonner pour ne manquer aucun épisode.
LES LIENS UTILES
Épisodes du podcast avec Héloïse Junier
Episode 26 : Apprendre à réagir face aux comportements de nos enfants – Héloise Junier Mon Doudi est parti pour toujours, Héloïse Junier (Auteur), Carole Xénard (Illustrateur) Le manuel de survie des parents : décrypter et accompagner l’enfant de 0 à 6 ans (2e édition), Christophe Besse (Auteur), Héloïse Junier (Auteur)
” target=”_blank” rel=”noreferrer noopener”>Épisode 143 – Les bases du développement des 3-10 ans ! Héloise Junier, docteure en psychologie
Episode 01 HORS SERIE – Q&A par Héloïse Junier, psychologue
https://lamatrescence.fr/episode-02-hors-serie-qa-par-heloise-junier-psychologue-specialiste-de-la-petite-enfance/“>ce
Quelques livres de l’invité
Pour les enfants
Ma colère de feu, Héloïse Junier (Auteur), Carole Xénard (Illustrateur)
Ma chère tétine, Héloïse Junier (Auteur), Carole Xénard (Illustrateur)
Ma grande sensibilité… et moi ! Héloïse Junier (Auteur), Carole Xénard (Illustrateur)
Mon immense petite soeur, Héloïse Junier (Auteur), Carole Xénard (Illustrateur)Pour les parents
Ma vie de bébé : de 0 à 3 ans, les mystères de son petit cerveau en développement, Christophe Besse (Auteur), Héloïse Junier (Auteur)
Pour ou contre ? mes réponses aux questions qui font débat en petite enfance, Héloïse Junier (Auteur)
TRANSCRIPTION DE L’ÉPISODE
Héloïse Junier
Salut Clémentine.
Clémentine Sarlat
Je suis ravie de t’accueillir dans un nouvel endroit, parce qu’on en est à peu près au cinquième épisode, mais je ne t’ai jamais reçu dans un autre endroit que chez moi ou chez toi.
Héloïse Junier
Oui, absolument.
Clémentine Sarlat
Donc, on est dans un endroit neutre, terrain neutre pour ce cinquième épisode ensemble. Aujourd’hui, j’avais envie qu’on parle d’un sujet qui est central, qui est, je pense, un des plus importants dans la parentalité. C’est comment on met un cadre avec nos enfants? Alors déjà, ma première question, c’est quoi un cadre?
Héloïse Junier
Alors, c’est quoi un cadre? Il y a plein de manières de définir le cadre. Moi, je dirais qu’un cadre, c’est un ensemble de règles, de limites, d’interdits que tu poses toi en tant que parent et avec le co-parent, à la maison, avec tes enfants. Pour moi, c’est ça un cadre.
Clémentine Sarlat
Donc ça, c’est ce que tu fais une fois que tes enfants, ils sont grands ou est-ce qu’un cadre, ça se pose très tôt?
Héloïse Junier
Mais en fait, avec les petits, c’est vrai que souvent, on parle plus de maternage ou de parentage avec les tout-petits que vraiment d’éducation. Pour moi, le cadre, c’est subjectif, ce que je te dis, mais pour moi, le cadre, ça renvoie plus de l’ordre de l’éducatif à l’éducation. Et quand avec un nourrisson de six mois, t’es pas à l’éducation, t’es là à essayer de répondre à ses pleurs, essayer de dormir, d’enchaîner des nuits. Mais donc, pour moi, le cadre, ça rapporte plus à l’éducation et c’est quand l’enfant commence un petit peu à grandir. Quand il commence un petit peu à explorer l’environnement, à se mettre en danger, à taper son frère, sa sœur. Donc, je dirais que ça commence vraiment vers 18 mois, entre 12, 24 mois. Là, tu commences vraiment à parler de cadre. C’est plus un nourrisson, en fait, c’est un jeune enfant.
Et là, tu es dans une autre sphère, une autre aventure, que dis-je, qu’est l’éducation.
Clémentine Sarlat
C’est pour ça aussi que peut-être pour les parents, c’est un peu perturbant quand l’enfant arrive vers les 18 mois ou les deux ans qu’il commence à dire non à s’affirmer, parce que d’un coup, on est là, je ne fais plus ce que je veux de toi.
Héloïse Junier
Mais oui, il y en a plein qui déchantent, en fait. C’est la désillusion parentale totale. Au début, ils sont tout mignons, tout sympas. On les pose à un endroit A, on les retrouve dix minutes plus tard au même endroit A. Et au bout d’un moment, en fait, l’enfant, il a sa propre affirmation, sa propre autonomie. Et t’as plein de parents, je pose mes mots, qui sont surpris du fait que leur enfant, c’est un être humain indépendant qui fait sa propre vie, ses propres expériences, qui ne vont pas toujours dans le sens des attentes.
Clémentine Sarlat
C’est vrai que t’as raison. C’est vrai que c’est une désillusion.
Héloïse Junier
Ouais, un peu ça. Au début, tu maîtrises quand même. Bon, tu maîtrises, t’es fatiguée, mais tu maîtrises un peu quand même ce qu’il fait, quoi.
Clémentine Sarlat
Oui, si l’enfant n’a pas un RGO, enfin voilà, pas des pleurs permanents et que c’est pas une expérience difficile d’avoir un bébé. Mais oui, si ça a été très doux et tranquille les premiers mois avec un bébé, c’est sûr que l’arrivée du petit enfant qui s’affirme et qui dit mais en fait, je suis un être humain à part de toi et je vais faire ce que je veux, c’est là où c’est compliqué pour les parents.
Héloïse Junier
Je pense qu’une fois, il y a une entretienne, il y a une maman qui m’a dit, je ne le reconnais pas. Elle m’a dit, en fait, ce n’est pas une partie de moi. Elle dit, en fait, c’est quelqu’un qui n’est pas moi, qui n’est pas ma personnalité. Et en fait, elle était… Je sais pas comment, c’était bizarre. Elle a dit, il sort de moi, mais il n’est pas moi. Et tu vois, elle était surprise de comment il évoluait. Mais en fait, c’est un développement normal, j’ai envie de te dire. Mais c’est quand même, tu vois, un virage à passer en tant que parent, quoi, qui passe plus ou moins bien selon le profil aussi, quoi.
Clémentine Sarlat
Alors, si on repart sur la notion du cadre, en France, ça a été beaucoup débattu dans les médias. Il y a eu énormément de controverses autour de ce terme. Pourquoi est-ce que c’est si sujet à controverse, le cadre?
Héloïse Junier
Bah en fait, t’as plusieurs styles d’éducation qui coexistent dans le monde, en France comme ailleurs. Alors on va les passer en revue parce que c’est vachement important pour voir un peu de quel style on se situe.
T’as le style d’éducation qu’on appelle autoritaire. Tu vois, c’est le style franco-français. C’est le style à la française, quoi. Donc, c’est généralement, quand on dit à la française, c’est pas bon signe. C’est un style d’éducation où t’as un cadre très strict et t’es très peu à l’écoute des besoins de ton enfant. Et donc, souvent, tu assois ton autorité à coup de violence et de domination. C’est vraiment pyramidal. T’as les parents en-dessus, les enfants en-dessous, et beaucoup d’entre nous ont été élevés avec ce style d’éducation autoritaire. Et en France, il est largement majoritaire. C’est culturel, on l’a dans la peau, ce style.
Et donc ça, on sait que c’est un style qui n’est pas fou pour l’épanouissement de l’individu à venir.
Et après, deuxième style, c’est le style qu’on appelle désengagé. Alors ça, c’est hors sujet parce que tu vas me dire qu’il y a très peu de parents qui écoutent ce podcast qui sont désengagés. C’est des parents où il y a très peu de cadres et aussi très peu à l’écoute des besoins de l’enfant. Donc là, tu as ni l’un ni l’autre. C’est souvent des parents qui peuvent être soit en band-out, soit en grosse dépression, soit avec des grandes fratries. Dans la ASE, par exemple, la Société à l’enfance, tu retrouves pas mal de parents désengagés, mais c’est généralement une minorité. Et donc ça, c’est un style dont on ne parlera pas aujourd’hui parce que clairement, on est hors sujet.
Le troisième style, alors là, c’est le style, j’ai envie de dire touchy en France. C’est le style qu’on appelle permissif, où tu as très peu de cadre, mais tu es très à l’écoute des envies de ton enfant, plus que de ses besoins. Par exemple, s’il veut se faire un Peppa pig à minuit avec un babybel, limite le parent, pour éviter le rapport de force et pour faire plaisir à son enfant, il accédera à sa demande. Donc, tu as vraiment très peu de cadre, peu de respect du rythme de l’enfant. On sait que ce n’est pas un style qui est terrible non plus. Du coup, ce n’est pas adapté.
Et en fait, le quatrième style dont on parle très peu dans les médias, ou en tout cas, je ne pense pas correctement et qui est sujet à beaucoup d’incompréhensions, c’est le style démocratique.
C’est-à-dire, tu as un cadre, ton cadre, il est là et tu as l’écoute des besoins de ton enfant et pas que de ses envies. Et en fait, il y a beaucoup de professionnels en France, on en a connu, j’en ai rencontré, notamment dans les médias, qui font cette confusion volontaire, je pense, entre le style permissif et le style démocratique, qu’on appelle rien d’autre qu’éducation positive dans le langage populaire, ou parentalité bienveillante, appelle-le comme tu veux. Donc, tu as un cadre, mais tu ne l’appliques pas avec violence, tu l’appliques avec respect de ton enfant. Mais il y a des vraies confusions qui s’opèrent. En tout cas, c’est vraiment des styles qui sont différents.
Clémentine Sarlat
Donc, c’est vraiment la controverse, elle naît de la confusion, en fait.
Héloïse Junier
Eh bien, elle nait de cette confusion, puisqu’il n’y a pas que des psy qui disent ça, t’as aussi des médecins, t’as des enseignants, t’as beaucoup de parents eux-mêmes qui se disent qu’il n’y a plus de cadre aujourd’hui. Aujourd’hui, les enfants n’ont plus de limites. Enfin, beaucoup disent ça. Et en fait, je pense que ces personnes-là, qui assistent des fois à des scènes où les parents manquent de cadre dans une situation, t’as plein de biais possibles. Parce que déjà, est-ce que le parent, il est le même quand on observe la scène qu’à la maison? Et souvent, les parents sont plus cools en présence d’un spectateur et ils sont plus durs à la maison. Et puis, surtout, il se trouve que les parents, quand on regarde un peu les stats, on dit « ouais, les Français sont laxistes et nanana ».
Mais en fait, les stats, elles montrent quoi? Le dernier sondage de 2024 de la Fondation pour l’enfance montre que 81% des parents pratiquent des violences éducatives ordinaires. Donc, on est loin d’être un pays laxiste. On est un pays, on sait qu’on est un pays violent et on est réputé pour être comme ça avec nos enfants. Donc, cette manière de dire « oui, les parents sont laxistes, ils manquent de limites », je pense que les stats ne le confirment pas. Et en plus, je pense que beaucoup de parents savent qu’il ne faut pas poser un cadre avec violence auprès de leur enfant. Donc, beaucoup de parents laissent faire. Je pense que c’est vrai. Et des fois, ils se retrouvent tellement débordés qu’ils tombent sur leur enfant avec violence, tu vois, aussi entre le permissif et l’autoritaire.
Moi, je le vois comme ça dans les familles que j’accompagne. C’est beaucoup de souffrance et beaucoup de parents sont paumés. Et moi-même, tu vois, des fois, je ne sais même plus comment faire en tant que psy. Tu vois, c’est tellement compliqué de poser un cadre.
Clémentine Sarlat
Et tu dis toi en tant que psy, en tant que maman ? Parfois, c’est difficile.
Héloïse Junier
Oui, en tant que psy, ça va, pas de problème de cadre. En tant que maman, ouais. Oui, en tant que maman, en fait. Après, il y a aussi une autre réalité, c’est que tu sais, on sait la théorie, on sait… Enfin, moi, je dis souvent, c’est le monde de la recherche. T’as le monde de la recherche, t’as un monde merveilleux où t’as plein de bonnes idées, t’as plein de connaissances qui sont fiables, ou plus ou moins d’ailleurs, et t’as la vraie vie. Et à chaque début de conférence ou formation, je dis toujours aux familles et aux pros, il y a un gap mais de fou entre la théorie et la pratique, entre la recherche et la vraie vie.
Et moi-même, j’ai beau connaître tout ça sur le bout des doigts, c’est mon domaine d’expertise, je plonge dedans depuis ça fait 15 ans que je suis dedans, je n’arrive pas à appliquer tous ces conseils plus de 60, 70 % du temps. Pas plus, quoi. C’est trop dur. Donc, la parentalité, je pense que c’est une énorme aventure compliquée.
Clémentine Sarlat
Alors, pourquoi est-ce que c’est important de poser un cadre? Qu’est-ce que ça implique pour l’enfant?
Héloïse Junier
En fait, déjà, le cadre, c’est vraiment la base. Je dirais déjà, c’est une base de sécurité. En fait, le cadre, je l’explique toujours, c’est comme un peu le toit d’une maison ou un peu l’édifice dans lequel l’enfant, il évolue. Que le cadre soit un peu strict ou pas strict, c’est quand même quelque chose de sécurisant pour l’enfant. Et puis, c’est aussi un environnement de construction. C’est vrai que si, imaginons, on va prendre un cas extrême, tu vis dans une parentalité, un environnement qui est permissif. Si tu as envie de faire quelque chose, même si ça va à l’encontre de tes besoins fondamentaux, de ton besoin de sommeil, ton besoin de manger correctement, on accède à ta demande. Je ne sais pas combien de familles sont vraiment permissives 100% du temps. N’empêche que c’est un côté non sécurisant.
Déjà, tes besoins fondamentaux ne sont pas satisfaits. T’as besoin de sommeil, t’as besoin de sommeil de nombre d’heures par nuit, sinon c’est compliqué. Besoin de manger, c’est pareil. Besoin de manger des choses saines. Ta santé est en péril. Ta construction est en péril. Et puis, ton bien-être est en péril aussi. Donc, t’as quand même pas mal de choses qui sont… Qui peuvent être mises à mal si le cadre est absent. Après, un cadre fluctuant, pourquoi pas? Dans les recherches, on voit que les meilleurs cadres, c’est pas les cadres rigides qui ne bougent jamais. C’est des cadres qui peuvent évoluer selon les circonstances.
On allait en parler de ça ensemble, je crois, avec les Babybel. Donc, voilà, un peu de variabilité, un peu de flexibilité, mais pas de rigidité, ni dans un sens, ni dans l’autre.
Clémentine Sarlat
Oui, l’exemple que tu donnes, c’est il y a cinq ans, tu disais que ta fille, elle demandait des Babybel toute la journée.
Héloïse Junier
Elle n’aime plus maintenant, c’est fou.
Clémentine Sarlat
Que tu disais que c’était insupportable, mais que tu disais OK pour un, mais pas trois.
Héloïse Junier
Ouais, c’est ça.
Clémentine Sarlat
Et donc, t’étais souple.
Héloïse Junier
Et puis, quand c’est l’anniversaire, OK pour deux. Tu vas être flexible, en fait.
Clémentine Sarlat
Donc, ce qu’on comprend, c’est qu’avoir un cadre, ça sécurise l’enfant. Ça le rassure et ça le protège.
Héloïse Junier
Ouais, c’est une protection énorme aussi. Effectivement, complètement.
Clémentine Sarlat
Pourquoi est-ce que pour nous, en tant que parents, c’est quelque chose d’hyper flou, le cadre?
Héloïse Junier
Ce que je pense, c’est qu’on ne le voit pas. Déjà, on ne le voit pas, c’est pas visible à l’œil nu. C’est un truc hyper abstrait. En plus, si t’es fatigué, genre tu vas être au style autoritaire lundi matin, dimanche soir, tu vas être au style désengagé. Après-demain, tu seras en style permissif. En plus, c’est fluctuant selon à un moment de la semaine, en fonction de ton état. Et en plus, l’autre gros bazar, c’est que tu as une interférence sans arrêt entre le cadre que tu as reçu toi-même en tant qu’enfant et le cadre qu’applique ton conjoint ou ton coparent. Alors là, tu te dis, tu as tellement de variabilité, de flottement, qu’en fait, si tu te poses pas avec ton coparent pour te dire, OK, ça, on autorise, ça n’autorise pas, ça n’autorise, ça n’autorise pas.
Peu de personnes se posent pour faire ça, en fait, tu vois, t’as pas le temps. Donc, du coup, ça peut être ça peut être plus dur de l’appréhender.
Clémentine Sarlat
Alors, si on prend un exemple, on est un couple, on a projet d’avoir un enfant, on n’a pas encore d’enfant, mais on s’intéresse, tu vois, à cette question de cadre. Voilà, on y réfléchit. Il y a quand même aujourd’hui des parents qui anticipent et qui réfléchissent en amont d’avoir des enfants à ce qu’ils veulent pour l’éducation. Qu’est-ce que tu leur conseillerais pour établir un cadre?
Héloïse Junier
Peut-être de voir qu’est-ce qui leur a plu dans ce qu’ils ont connu, étant enfant, et qu’est-ce qui ne leur a pas plu? Je pense que la base, en tant que parent, c’est de prendre du recul par rapport à notre propre éducation. Elle est rarement dénuée de traumas, de difficultés. C’est rare d’avoir une enfance 100% épanouie. Si on raconte ça, c’est du fake quand même. Donc, du coup, voir ce qui t’a plu en tant qu’enfant, ce qui t’a fait souffrir, ce qui t’a blessé, et voir ce que tu as envie de reproduire ou pas avec tes enfants. Il y en a qui disent, voilà, moi, ça, je n’ai pas aimé et j’ai envie de faire mieux. Ça, j’adorais ce que mon père faisait avec moi. J’adorais, je veux faire pareil avec mon enfant.
Et donc, confronter, c’est un peu, ses deux enfants un peu à l’intérieur, tu les confrontes dans une même, je ne sais pas, dans un même, j’allais dire meeting, c’est pas meeting, c’est rencontre dans les deux parents. Tu confrontes ces deux enfants à l’intérieur et tu vois qu’est-ce qu’on choisit. D’accord, mais d’accord, pour notre enfant. À venir. C’est vraiment un espèce d’état des lieux où on débroussaille un petit peu, on fait le ménage sur nos paliers respectifs avant d’avoir un enfant. Ça, c’est hyper utile parce que quand l’enfant est arrivé, après, on est tellement fatigué, en tension. Le couple, forcément, il est fébrile. Ce n’est pas ces moments-là où tu es vraiment plus constructif avec ton conjoint.
Clémentine Sarlat
Qu’est-ce qui est le plus important à avoir en tête quand on veut faire fonctionner un cadre? Tu sais, on parlait de la sécurité, de protéger. Sur quoi on doit être intransigeant?
Héloïse Junier
Alors, c’est vrai que ça, c’est une très bonne question parce que souvent, les parents disent mais qu’est-ce que j’autorise et qu’est-ce que j’autorise pas? En fait, chacun fait ce qu’il veut. Chacun a sa tambouille, mais t’as vraiment des incontournables.
Tout ce qui touche à la santé. Enfin, je veux dire que quand ça touche à la santé, tu vois, si ton enfant refuse un lavage de nez, c’est de la santé. Si ton enfant refuse des médicaments, c’est de la santé. Donc, tu ne peux pas transiger avec tout ce qui touche à la santé de ton enfant.
Deuxième point, c’est le respect des autres. Je me dis toujours que du moment où ça n’impacte pas la liberté de l’autre ou le respect de l’autre, où ça ne blesse pas l’autre, c’est OK. Et l’interdit universel, ce serait de ne jamais faire mal à l’autre.
Ce serait un peu interdit universel, c’est un peu intransigeant.
Et le troisième aussi, c’est tout ce qui est lié aussi à la… J’ai oublié.
Clémentine Sarlat
On a fait la santé.
Héloïse Junier
Juste avant, j’avais. La santé, le respect. Oui, la sécurité.
La sécurité, mais alors la sécurité réelle et pas la sécurité estimée. Toi, par exemple, en crèche, on a des débats de fous qui peuvent durer deux heures en réunion sur est-ce qu’il a droit de monter ou pas sur la table? Tu vois, c’est un débat où ça peut animer des preuves d’enfance pendant quasiment deux heures, quoi. Plus qu’une série Netflix, tu vois, de bonne qualité, c’est vraiment un truc. Et en fait, on se dit OK, mais est-ce que l’enfant, il est vraiment en insécurité quand il monte sur une table? Il y en a qui vont dire oui, non, oui, non.
Et en fait, on remarque quand même chez absolument 99% des adultes, beaucoup d’adultes, qu’il y a une marge énorme entre la sécurité réelle et la sécurité estimée, enfin, est-ce que vraiment l’enfant a sa sécurité qui est mise en jeu s’il monte sur une table? Et en fait, rarement, tu vois, c’est vraiment un problème de peur d’adulte, en fait. Donc, du coup, ça aussi, c’est un point qui est assez négociable. Mais s’il est vraiment, s’il met vraiment sa sécurité en jeu, dans ce cas-là, ce serait un interdit incontournable, quoi.
Clémentine Sarlat
Oui, donc c’est, par exemple, traverser, on tient toujours la main avec un enfant.
Héloïse Junier
Genre faire le poirier sur le bord du cinquième étage, sur la fenêtre.
Clémentine Sarlat
Ce n’est pas possible.
Héloïse Junier
Ce n’est pas possible. Il y a vraiment des trucs qui mettent en insécurité, mais pour de vrai, tu vois, c’est pas juste…
Clémentine Sarlat
Grimper sur le canapé, c’est bon.
Héloïse Junier
C’est clairement… Et ça, c’est plus de la convention culturelle. Ça, c’est clairement négociable selon les foyers.
Clémentine Sarlat
Mais c’est vrai que c’est des petits détails auxquels on ne pense pas avant d’avoir des enfants, de se dire « comment ça, toi, t’autorises pas qu’elle grimpe sur le canapé, mais moi, je m’en fiche ». En fait, on est confronté au moment présent de se dire « OK, donc là, on n’est pas d’accord ». Et c’est difficile quand on est sur le fait accompli, si on n’a pas anticipé. Mais c’est encore plus difficile de voir toutes les situations qui peuvent arriver. On peut pas quasiment.
Héloïse Junier
Mais en fait, tu peux pas. Mais en fait, tu en discutes au fur et à mesure, quoi. Le truc qui se passe dans pas mal de familles, que les personnes me confient, alors c’est surtout les femmes, je te cache pas, elles me disent, moi, je suis au clair avec ci, ça, ça. J’ai vachement travaillé ma parentalité. J’ai bossé ma remise en question totale. Et par contre, mon conjoint, il est sur les vieux relents d’éducation de sa famille, il n’arrive pas à prendre du recul, il n’arrive pas à raisonner leur éducation. Et du coup, ça crée vraiment des divergences fortes, mais des fois violentes en termes d’éducation dans les familles, vraiment très fortes. Et c’est dommage, en fait, parce que… Et bien sûr, le compagnon ne veut pas aller chez le psy ou chez… Bien sûr, c’est évident.
Donc, ça crée vraiment des fois des points de non-retour où ils n’arrivent plus à communiquer ensemble.
Clémentine Sarlat
Justement, comment on sort de ce schéma un peu binaire où il y en a un qui est pour l’évolution, qui fait son travail et dans un couple hétérosexuel, souvent, c’est la femme qui est en charge du projet éducatif et l’homme qui est un peu plus résistant. Comment tu fais dans ces cas-là pour… Aider le dialogue, en tout cas, et faire en sorte que chacun sente respecté dans ce qu’il a besoin.
Héloïse Junier
En fait, là, c’est marrant, parce que c’est la question que m’a posée une journaliste ce matin, et je ne savais pas quoi répondre. C’est toujours la situation, je trouve, extrêmement compliquée, parce que tous les tips, ce que vous me proposez, ça dépend tellement du profil du compagnon. En fait, l’idée serait… Alors, pour la conjointe, mais non pour la femme, ce serait d’essayer d’écouter déjà ce que son compagnon allait lui dire. Mais après, c’est en théorie. En pratique, c’est tellement bordel. Mais c’est de se dire, voilà, j’entends que c’est compliqué pour toi. Tu ressens quoi quand il fait ça? Pourquoi tu as besoin vraiment, toi, de dire non? Pourquoi tu as besoin de lui crier dessus quand il ne fait pas ce que tu demandes? Vas-y, dis-moi ce que tu ressens, en fait.
Donc, essayer déjà de faire un pas en avant. C’est facile, des fois, ça demande beaucoup de… De prise qu’on prend sur nous en tant que femmes, d’aller vers l’autre en le faisant preuve d’empathie. Et ça peut être une manière, pour lui, de baisser un peu les armes et d’essayer de communiquer sur ça. Mais des fois, ça marche pas. Des fois, tu les personnes, tu leur dis qu’est-ce que tu ressens par rapport à ça? Tu me saoules avec tes trucs de gonzesse. J’ai une maman qui m’a dit ça, que son compagnon l’avait renvoyé vers ça aussi, parce que c’est très stéréotypé, très genré, alors que les hommes sont autant éducateurs que les femmes, en fait. Donc, du coup, ça dépend vraiment du profil. Donc, déjà, faire preuve d’empathie, ça peut être une idée.
Lui donner des supports aussi qu’il peut lire pour essayer de découvrir un petit peu ce que c’est que la parentalité non violente, par exemple.
Clémentine Sarlat
Ou écouter ce podcast.
Héloïse Junier
Ou écouter le podcast. Ouais, les podcasts aussi, effectivement. Enfin, donner des supports qu’il peut consulter. Mais souvent, les femmes me disent « Ouais, mais il ne lit pas ». Pareil, c’est très compliqué aussi. D’ailleurs, je fais des BD pour que les hommes puissent lire à la base. Et d’ailleurs, j’avais une fois une lectrice qui m’avait dit qu’elle avait mis… Enfin, moi, mes BD, elle les mettait aux toilettes. Et c’était tellement un honneur pour moi d’être aux toilettes. Elle me disait, j’enlève tous les magazines, je fais la BD aux toilettes, je prends le portable de mon conjoint, je prétexte un truc, je le laisse aux toilettes et je le laisse mijoter. Et elle me disait, généralement, et c’est vrai que j’ai eu une fois un retour comme ça, il prend une BD et le pauvre, il n’a rien d’autre à faire, en fait.
Il consulte et après, il a poursuit la lecture dans un lieu neutre, normal, quoi. Mais c’est vrai que c’est dur de les faire lire, en fait.
Clémentine Sarlat
Ça commence aux toilettes, c’est ça qu’il faut retenir.
Héloïse Junier
Tout commence aux toilettes. C’est une idée parmi d’autres. Je lance des projets comme ça.
Clémentine Sarlat
Et surtout, comment on sort de ce stéréotype où on est encore, tu l’as dit, dans une culture française très autoritaire, où le père est garant de l’autorité et d’être celui qui est un petit peu le méchant de la famille. Et la maman est celle qui caline et qui, donc, réconforte. Tu vois comment on sort de ce schéma hyper stéréotypé? Parce que du coup, ça a avoir avec le cadre.
Héloïse Junier
Oui, c’est sûr.
Clémentine Sarlat
Ça a à voir avec le cadre, puisque dans ces cas-là, le père représente l’autorité et la mère est un peu plus souple quoi.
Héloïse Junier
Oui, c’est vrai.
Clémentine Sarlat
C’est très genré, très stéréotypé.
Héloïse Junier
C’est très genré et stéréotypé, oui. C’est sûr. Après, comment on sort de ce cadre? Je pense que l’évolution des mœurs, c’est… Je pense que la génération d’enfants qu’on est en train d’éduquer, je parle de toi et moi, de tout le monde qui nous écoute, elle sera beaucoup moins genrée, beaucoup moins stéréotypée. Il y a quand même beaucoup moins le poids patriarcat sur notre génération là qui arrive que sur notre génération à nous. Je l’ai espéré qu’avec l’évolution des mœurs et l’éducation qu’on propose aujourd’hui aux enfants, qu’ils soient moins engenrés. Mais elle est toujours engenrée. Moi, à la maison, il n’y a que des licornes et des paillettes partout.
Clémentine Sarlat
Chez moi aussi.
Héloïse Junier
C’est foireux parce que t’es avec des filles, moi aussi. Mais du coup, elle est quand même moins genrée et on est quand même beaucoup plus sensibles aujourd’hui à une notion de consentement, d’équilibration des tâches au sein du foyer. Les pères changent également. Je pense qu’au bout de trois générations, ça marchera. J’espère.
Clémentine Sarlat
Alors après, on sort du stéréotype. Si on repart entre deux adultes qui ont eu une enfance complètement différente, il y en a pour qui c’est très compliqué de poser un cadre parce que ces personnes-là n’ont pas eu vraiment de cadre enfant. Par quoi on commence quand on doit poser des limites pour la sécurité de l’enfant?
Héloïse Junier
Peut-être ce… Les personnes qui ont très peu de cadres dans l’enfance, c’est assez rare quand même, mais t’en as, mais c’est vrai que c’est pas la majorité. Mais si c’est le cas, je conseillerais la première étape, le premier axe de réflexion, c’est de se dire de quoi mon enfant a besoin. Toi, tu repars sur ton enfant et sur ses besoins fondamentaux. Tu repars vraiment de la base. Même quand il y a des désaccords dans le couple ou dans les équipes de crèche que j’accompagne, on repart de quoi l’enfant a besoin. C’est comme ça, au moins tout le monde se met d’accord.
Et sur la base de ces besoins à lui, genre besoin de manger, besoin de dormir, besoin d’être respecté, besoin de se mouvoir, de bouger aussi, par rapport à ces besoins-là, du coup, tu pourras pouvoir établir tout un tas de règles de limite. Parce qu’on a vu que le style démocratique, c’est un style qui répondait aux besoins de l’enfant plus que ses envies. Donc, différencier besoin et envie, souvent, c’est un petit peu confus dans la tête des gens, et partir des besoins de l’enfant. C’est dans son intérêt à lui qu’on fait ça, en fait. Et comme on l’aime, on est motivés.
Clémentine Sarlat
Et à l’inverse, quelqu’un qui a eu un cadre donc très français, très autoritaire, avec une éducation pyramidale. Donc, si vous voyez bien en France, même dans le management, on est très pyramidal, on n’est pas très démocratique. Il y a un sachant, qui est souvent l’homme, et le reste doit écouter. Qu’est-ce que cette personne-là doit faire pour aller plus vers un style démocratique ?
Héloïse Junier
Alors, du coup, je pense que c’est repartir de la base aussi, en fait, à partir des besoins aussi. On garde en tête que le style autoritaire, c’est un style avec un cadre très strict, qui est appliqué de manière violente auprès de l’enfant. Mais souvent, il y a trop de règles, trop d’interdits. Donc, c’est trop, en fait, c’est trop oppressant. Et donc, repartir aussi des besoins de l’enfant, dans tous les cas, c’est la base, en fait, de réflexion des parents. Ça devrait être une base de réflexion et se dire OK, quand je choisis tel ou tel interdit, est-ce qu’il va dans le sens des besoins de mon enfant ou à ce qui va à l’encontre des besoins de l’enfant. Par exemple, tu vois, un interdit classique qui est un peu abusif, on pourrait prendre quoi à la maison?
Il est interdit, par exemple, de sauter sur le canapé. Bon, alors ça, je crois que tout le monde va crier, enfin j’imagine tout le monde s’offusquer à l’autre côté. Interdire un enfant d’être sur un canapé pour sauter dessus, il y a des règles dans les familles où on ne peut qu’être assis sur un canapé. C’est une vision d’adultes, en fait, ça va à l’encontre du besoin simple d’affordance et d’exploration de l’enfant dans son environnement. Plus tu laisses… Alors, ça va peut-être paraître hyper, au contraire, permissif ce que je dis, mais plus tu laisses un enfant évoluer dans son environnement comme il en a besoin, explorer son environnement comme il en a besoin, grimper sur le tableau base…
Avec une notion de sécurité quand même, tu vois, aller sauter sur le canapé, sauter sur le matelas, je sais pas, moi, faire des roulets-boulets dans le jardin, j’en sais rien. Et bien, plus tu laisses l’enfant évoluer dans son environnement comme il en a besoin, plus il va développer ses compétences cognitives qui sont très, très liées aux activités motrices. Et plus elle rend des brouillards et moins il risque de chute, au contraire, en fait. Donc, en fait, l’interdit, il est interdit de sauter sur un canapé. C’est interdit qui est discutable, qui est culturel, qui dépend de la valeur de la famille, mais qui ne va pas forcément permettre à l’enfant de satisfaire son besoin fondamental de se mouvoir et d’explorer son environnement. Donc, il y a des choses qui sont négociables ou pas.
Clémentine Sarlat
Comment on fait aussi, quand on est face à nous, on est avec quelqu’un qui va dire c’est comme ça, c’est pas autrement parce que moi, j’ai été élevée comme ça. Et on ne discute pas, parce que ça, c’est le style plutôt à la française. C’est quoi l’argument que tu peux dire? C’est vrai, il y a des règles. Qu’on ne changeront pas. Mais on n’est pas obligé de tourner de manière à dire c’est comme ça, c’est pas autrement. On peut expliquer.
Héloïse Junier
Oui, tu veux dire les parents qui sortent une règle, l’enfant veut dire mais non, c’est pas juste. Et après, ils le disent comme c’est pas autrement. C’est ça, c’est le parent…Oui, d’accord, OK. C’est vrai que vraiment, c’est très français. Enfin, je pense que c’est très, c’est très… C’est très top down, quoi. C’est très… Ça descend du haut vers le bas. Et du coup, c’est quoi ta question, pardon, excuse moi.
Clémentine Sarlat
C’est plus… Comment on change le phrasé ? Parce que j’entends l’intention du parent de vouloir sécuriser. Non, c’est comme ça et je ne vais pas discuter 20 ans. Mais ne pas être dans le… « C’est comme ça, c’est pas autrement » qu’il laisse l’enfant à ne pas vraiment comprendre ce qui s’est passé et pourquoi c’est comme ça.
Héloïse Junier
D’accord, je vois ce que tu veux dire.
Clémentine Sarlat
Comment on change notre approche quand on donne une règle pour le bien-être de l’enfant ?
Héloïse Junier
Qui donc, pour nous, est non négociable. C’est ça. En fait, alors le mieux, en théorie, c’est pareil, c’est un monde entre la théorie et la pratique, mais en théorie, quand on a vraiment un interdit qui est non négociable, qu’on sort à l’enfant et on est vraiment sûr, mais à 300 %, dans ces cas-là, ce qu’on peut faire pour que ça passe mieux auprès de l’enfant, parce qu’on respecte l’enfant, parce qu’on estime notre enfant, c’est lui expliquer effectivement pourquoi on a choisi cet interdit-là. Et être quand même à l’écoute de ce qu’il ressent, même si le cadre ne bouge pas. Tu vois, par exemple, si le parent estime, et il a le droit, qu’aller sur un canapé et sauter dessus, c’est non, c’est no way, c’est vraiment un interdit non négociable. C’est son choix en tant que parent.
Dans ces cas-là, on explique pourquoi on pense à cet interdit-là. On a peur, j’ai peur que tu chutes, j’ai peur que tu tombes. Moi, quand j’étais petite, je suis tombée, ça m’a fait peur. Maintenant, tu vois, quand je te vois, là, ça me stresse beaucoup. Et ça t’embête, toi? L’enfant va dire bah oui, ça m’embête. Bah ouais, vraiment, ça me désole, mais vraiment, je ne peux pas. Pour moi, c’est pas possible. À la maison, c’est interdit. Mais tu vois, mais du coup, on n’est pas vraiment dans un modèle un peu descendant. On va vraiment expliquer et surtout parler de ce que… Enfin, laisser l’enfant exprimer sur ce qu’il ressent. Je pense que c’est ça aussi un début de relation démocratique. C’est quand tu estimes la personne en face douée d’émotions, de besoins.
Et du coup, tu prends en compte quand même ces émotions quand tu poses l’interdit non négociable.
Clémentine Sarlat
Là, on fait un scénario avec un enfant qui parle, qui a un raisonnement avec qui on peut un peu, oui, discuter, avoir des émotions.
Héloïse Junier
C’est vrai.
Clémentine Sarlat
Pour un enfant qui a 18 mois, par exemple, qui commence à s’affirmer, qui va explorer. Donc, on va peut-être considérer que c’est une bêtise parce qu’il se met en danger. Parce qu’il ouvre le placard, il sort toutes les assiettes. Il expérimente et on n’a pas assez sécurisé l’environnement. Comment est-ce qu’on apprend à ces âges-là qu’il y a des choses qui sont OK et d’autres qui ne sont pas OK, sans mettre au coin, sans avoir une conséquence qui est démesurée par rapport à l’âge cognitif de l’enfant?
Héloïse Junier
En fait, ce qu’on peut faire, je trouve, dès le plus jeune âge, ce qui marche bien avec les enfants, c’est les orienter sur ce qu’ils peuvent faire autrement. Toi, par exemple, t’as plein de parents qui me disent, oui, j’en ai marre que mon enfant ouvre les tiroirs, j’en ai marre que mon enfant monte sur la table basse, j’en ai marre que mon enfant tire la queue du chat. C’est un truc tout bête. Et en fait, je leur dis, OK, mais tu veux que ton enfant, il fasse quoi? Ils disent, j’aimerais bien que le chat, il le caresse. J’aimerais bien que le tiroir, il le laisse fermer. Et je leur dis ok, est-ce que tu lui as montré comment faire? Est-ce que tu lui montres ce que tu attends de lui en fait? Et ils disent bah non.
Et j’ai dit quand ça arrive, c’est bon comportement, qu’est-ce que tu fais? Et là, il me dit bah rien, c’est normal. Je dis bah c’est pas normal, au contraire, fais la fête, encourage-le. Et en fait, on voit bien que ce qui marche vraiment dans la science du comportement, ce qui marche le mieux, c’est finalement de montrer à l’enfant ce qu’on attend de lui montrer le bon exemple, finalement le bon comportement. Et quand ce bon comportement-là arrive, et bien là, on l’encourage, on le valorise, on met l’accent dessus. Et en fait, ce qui est dommage, c’est qu’au quotidien, on passe nos temps à sur… Enfin, à accorder notre attention à des comportements qui ne vont pas. On va mettre l’hyperfocus dessus, ce qui va augmenter leur fréquence malgré nous. Et du coup, on oublie de valoriser les comportements qui vont bien.
Donc en rise à fond. Et c’est sûr que ça a tendance à renverser un peu la tendance des fréquences de comportement.
Clémentine Sarlat
Parce que si on va s’énerver tout de suite pour lui dire c’est pas ça, en pensant que parce qu’on lui a dit que c’était pas comme ça, tout de suite, il aura compris comment faire autrement. Et en fait, c’est qu’on oublie une étape dans l’éducation, c’est que les enfants ne naissent pas en sachant tous les codes sociaux.
Héloïse Junier
Bah oui, en plus, ils mettent longtemps à l’intégrer, c’est vrai.
Clémentine Sarlat
Donc, c’est à nous de leur montrer ce qui est OK et ce qui n’est pas OK.
Héloïse Junier
Ce qu’on peut faire.
Clémentine Sarlat
Mais ce que tu dis, c’est qu’on oublie souvent de montrer ce qui est OK.
Héloïse Junier
On oublie de leur apprendre ce qui est OK. On apprend à un enfant à lire, à écrire, à compter, et on ne l’apprend pas à interagir correctement avec un tel ou un tel. On n’apprend pas les bons comportements. Quand on punit un enfant dès qu’il a un comportement qui ne va pas, c’est comme si on le punissait dès qu’il faisait une erreur de calcul. Tu sais, ça paraît… Enfin, beaucoup le font, tu vas me dire aussi, mais ça n’a pas de sens, en fait. Plutôt lui montrer comment faire autrement en termes de calcul. Bah non, 4 plus 3, ça ne fait pas 9, tu vois, ça fait 7. Et en fait, on lui explique. Normalement, c’est ça l’enseignement. Mais avec les enfants, on n’a pas cette capacité d’enseignement. Je ne sais pas, c’est assez curieux.
On se braque tout de suite en qualifiant ça de bêtise et en le violentant. Alors, pas tout le temps, mais tu vois, c’est assez rapide quand même, je trouve. Ce n’est pas une bonne manière d’apprendre. Ce n’est pas comme ça qu’on apprend en étant être humain.
Clémentine Sarlat
C’est parce qu’on ne nous a pas appris à faire ça.
Héloïse Junier
Et bien oui, aussi. Et nos parents, on ne leur a pas appris non plus à faire comme ça. Donc, on est tous bien mal barrés.
Clémentine Sarlat
On essaye.
Héloïse Junier
On essaye. On essaye bien.
Clémentine Sarlat
Parce que c’est vrai que dans la notion de mettre un cadre, ça veut dire évoquer les règles, ça veut dire quand les règles ne sont pas respectées, il y a des conséquences. Comment est-ce qu’on sort de cette… Manière de voir les choses en punissant, en grondant et en étant dure. Je m’inclue dedans. Moi aussi, des fois, je gronde, je punis pas, mais je gronde. Comment on fait pour que ce soit le plus efficace possible, que l’enfant ait compris l’interdit?
Héloïse Junier
Mais en fait, c’est vraiment… Déjà, juste rappeler la punition, parce que c’est important, parce que c’est quelque chose qui est très français qu’on fait. Alors, je pense qu’on le fait plus ou moins tous, c’est des punitions qu’on appelle un peu déguisées. Tu vois, la punition classique, ça va être filer dans ta chambre, la punition basique, on va voir qu’elle n’a pas d’intérêt, elle ne marche pas. Mais la punition déguisée, le fait de crier, c’est une punition déguisée, c’est une conséquence négative. Le fait de t’énerver, le fait de dire… Parce que c’est comme ça, on ne va pas au parc, c’est une punition déguisée. Donc, on la pratique beaucoup tous, en fait. Même moi, je ne veux pas la pratiquer, mais des fois, je tombe dedans. D’ailleurs, ma fille de 8 ans me dit « c’est une punition déguisée!
Elle m’avait dit « Tu fais l’inverse de ce que tu dis dans tes livres ». Elle m’avait dit. C’est trop dur. Elle avait trop raison, j’ai dit « Mais excuse-moi, c’est vrai ». N’empêche que, déjà de base, rappeler pourquoi la punition, puisque beaucoup pensent que ça fonctionne, mais si on laisse de côté vraiment les droits de l’enfant, on laisse de côté l’énorme truc, on laisse de côté l’éthique, la déontologie, ce que tu veux, est-ce que ça marche de punir un enfant? Parce que beaucoup se disent, ouais, mais quand même, ça fonctionne.
Et en fait, on voit que ça ne marche pas. Et tu as plusieurs raisons, tu as quatre grandes raisons que je vois.
Déjà, petite 1, la punition, elle perd. Donc, punition, c’est fait d’associer une conséquence négative à un comportement. Genre, je sais pas, en priver son enfant dessert, par exemple.
Petite 1, elle perd son effet dissuasif progressivement. En fait, comme un phénomène un peu d’habituation de l’enfant à la punition. Donc, pour que ça fonctionne, il faudrait être de plus en plus fort, de plus en plus violent. En fait, ça veut dire ça. Ou l’envoyer dans sa chambre de manière de plus en plus longue, en fait, pour vraiment l’embêter beaucoup, l’enfant. C’est ce qu’on veut, c’est pas vraiment ce qu’on veut.
Deuxième inconvénient, ça a tendance à engendrer de la frustration. Alors, des fois, les frustrations peuvent être légitimes, adaptées, mais quand un enfant est frustré de manière gratuite, ça a tendance à le stresser. Et plus il est stressé, plus ça augmente son impulsivité et plus il va avoir un rapport au cadre qui va être hyper frontal.
Donc, en fait, on se tire une balle dans le pied, littéralement. Et en plus, ça a tendance à détériorer la qualité de la relation entre l’adulte et l’enfant. Donc, plus on punit un enfant, moins la relation sera bonne et moins l’enfant aura cette tendance à être dans la coopération, donc pas y insérer une balle dans le pied. Et surtout, ça apprend pas à l’enfant le bon comportement. Donc, en fait, en tous les cas, c’est inefficace en tant que tel, voire contre-productif. Tout dépend de la fréquence, mais généralement, ça ne marche pas.
Clémentine Sarlat
Ça, on est d’accord. Moi, personnellement, je suis d’accord que la punition, ça ne sert à rien, mais j’ai eu la chance d’être élevée sans punition. Donc, c’est plus simple pour moi de l’intégrer de cette manière. Il y avait sûrement des punitions déguisées, mais je n’ai jamais eu une punition.
Héloïse Junier
Ouais, classique.
Clémentine Sarlat
Tu vas dans ta chambre.
Héloïse Junier
Gratuite, comme ça.
Clémentine Sarlat
Ce mot n’existait pas, en fait, dans chez moi. Il y avait d’autres choses, mais pas ça. Qu’est-ce qu’on fait si on ne punit pas?
Héloïse Junier
Alors, demande un exemple concret, qu’on parte sur un exemple.
Clémentine Sarlat
Ton enfant… Vas-y, j’essaie de réfléchir.
Héloïse Junier
Un enfant qui, je sais pas, qui arrache un peu genre une fratrie. Le petit frère arrache des mains à un jouet de la sœur, par exemple. Et après, elle répond avec un coup où ça enclenche un conflit. Genre, elle passe son temps à arracher des mains, peut-être.
Alors du coup, la punition, ce serait de dire tu vas dans ta chambre, tu arrêtes. Je te retire le jouet.
Clémentine Sarlat
Au petit?
Héloïse Junier
Au petit. Tu vas dans ta chambre et tu restes enfermé jusqu’à ce que tu sois calmé. Tu réfléchis à ce que t’as fait. Donc ça, ça marche pas. On le sait bien. Ça a été éprouvé plein de fois. Et la manière démocratique de réagir, du coup, ce serait de trouver, comme Alain Kazdin dit, le comportement positif opposé. Donc là, ce serait de dire, au lieu de le punir quand il a le mauvais comportement, on va lui apprendre à avoir le bon comportement. Et ce qu’on veut, c’est, par exemple, qu’il apprenne à demander plutôt qu’arracher des mains. C’est quelque chose qui n’est pas mal. Et du coup, on va lui dire, écoute, non, tu vas demander de le jouer et non l’arracher. Donc, on va assister plus sur le bon comportement. Il va dire au début, il va pas savoir faire.
Donc, on va dire, écoute, c’est pas grave, je vais te montrer. Donc, tu me donnes le jouet, s’il te plaît. Et là, on tourne la main, on fait un sourire. On s’en fout si l’enfant en face, il répond pas. En fait, ce qu’on veut, c’est que l’enfant ait le bon comportement. Au bout d’un moment, le petit enfant va commencer à avoir les mêmes mots. Il va prendre le bon comportement de l’adulte. Et une fois, par imitation, qu’il a le bon comportement. Là, on va l’encourager. On va dire, super, t’as été vraiment trop fort. Et la prochaine fois, tu recommences. Et dès qu’il recommence, à chaque fois, on a la même manière de réagir. On se pose, on ne violente pas l’enfant, on ne le charge pas en tant qu’enfant un peu, genre, auteur de crime ou agresseur.
Et on lui montre comment faire autrement et on l’encourage quand il fait autrement. Mais ça demande une super… Un super self-control, quoi. Mais ça marche vraiment bien, en fait. C’est comme ça qu’on devrait faire, idéalement, en fait.
Clémentine Sarlat
Ça, c’est… Tu parles d’un exemple où il y a un conflit dans une fratrie. Tu vois, il y a un exemple qui me vient. Un des enfants est à table, a une crise émotionnelle forte, il jette l’assiette. Même pas qu’à 18 mois ou… Enfin, il y a des âges où c’est normal de jeter la nourriture, ils testent. Mais il y a des âges où, voilà, ils ont 4 ans, 5 ans, ils sont juste en colère et ils veulent nous montrer en faisant un geste assez brusque. Qu’est-ce que tu fais dans ces cas-là?
Héloïse Junier
Alors, en fait, dans ces cas-là, ce qu’on nous apprend, c’est que dans tous les cas, si l’enfant est en dysrégulation des émotions, parce qu’il est vraiment parti, tu dois le stabiliser. C’est comme s’il y avait un feu en face de toi, t’es obligé de l’éteindre le feu pour commencer à travailler un peu sur le terrain. Donc, en fait, du coup, dans ces cas-là, c’est pas du laxisme, mais c’est… Alors, ça dépend pourquoi il a jeté l’assiette.
Pourquoi il a jeté l’assiette d’ailleurs?
Clémentine Sarlat
Non, mais s’il a eu une colère énorme ou… J’en sais rien, des fois, il y a des enfants, on ne sait pas ce qui s’est passé, on ne sait pas ce qu’il avait creusé.
Héloïse Junier
Ouais donc, t’as pas d’envie qui manifeste.
Clémentine Sarlat
C’est ce qui est le plus dur. C’est quand tu ne sais pas pourquoi la crise est déclenchée et qu’est-ce qui fait que là, à l’instant T, il n’y a rien qui va.
Héloïse Junier
Bon, en tout cas, on ne sait pas pourquoi, mais en tout cas, s’il a une crise, on va essayer de le stabiliser. Donc, pour ça, on se met autour de l’enfant. Idéalement, ça, c’est le monde idéal. Ce n’est pas ce que je fais tout le temps. C’est ce qu’on devrait faire tous et toutes, autant qu’on est avec humilité. Donc, on se met autour de l’enfant. On garde en tête que dans tous les cas, c’est purement émotionnel, mais quand l’enfant est en plateau de colère, quand il en pique, il est en plateau, Il est un peu en état modifié de conscience. Tu ne peux pas accéder à son raisonnement. Tu ne peux pas, en fait. Donc, dans tous les cas, tu attends. Alors, ça veut dire que ton environnement, tu l’as sécurisé, genre pas qu’il se blesse avec une fourchette, le coin de la table.
Donc, tu le stabilises, tu restes à côté et tu attends qu’il redescende parce que tu ne peux pas l’arrêter autrement de toute façon. Ça ne sert à rien de lui parler. Ça ne sert à rien. Il n’entend pas. Il y en a qui disent oui, t’es en colère. Enfin, il n’entend même pas. Il est parti très, très loin. Et une fois qu’il redescend un tout petit peu de son plateau de colère, ça peut durer le plateau, il peut durer de quelques secondes à plus de 20 minutes, ça peut être super long. Là, tu vas commencer à pouvoir recréer du lien avec lui. Et là, tu vas pouvoir reposer le cadre, en fait, de la situation. C’est vraiment comme ça que je vois ça. En fait, quand l’enfant est en pleine émotion, tu ne peux rien faire, en fait. On n’a plus qu’à laisser descendre.
Et après, une fois que tout est balancé par terre pendant la…
Si vraiment il balance tout, tu le contiens, bien sûr, mais on va dire que là, il a balancé, il fait la colère après. Et après, du coup, tu lui dis, écoute, tu vois, regarde, t’as été en colère, là, t’as vu ce que t’as fait? Il y a plein, partout par terre. Tu sais quoi? Maintenant, tu vas réparer? Alors, je peux t’aider, mais tu vas enlever ça, tu vas ramasser l’assiette, tu vas mettre à la poubelle. Là, on va essuyer avec un torchon. Tiens, regarde, je passe un torchon. Et en fait, c’est bien qu’il y ait une notion un peu de réparation derrière. Mais sans violenter l’enfant et sans l’humilier, c’est vraiment…
Genre, j’ai fait un truc qui n’allait pas trop à un instant T, mais avec ma mère, dans le respect mutuel, je répare. Puisqu’on garde en tête qu’ils sont quand même peu en âge encore de gérer leurs émotions. Donc, bon, on comprend ça aussi. Mais on reste inflexible. Genre, s’il a vrillé parce qu’il voulait, je ne sais pas, les Smarties en dessert, les Smarties, il ne les aura pas. Mais il est OK. Mais le reste, c’est OK. Il a le droit d’être en émotion. Logique, quoi.
Clémentine Sarlat
Il y a plein de situations qui me viennent à l’esprit quand on parle de ça, où parfois, c’est dur en tant que parent de dire non, parce que derrière, on sait qu’on va devoir gérer une émotion désagréable et que ça demande de la disponibilité, que parfois, prendre le raccourci de dire OK, vas-y, là, je t’achète la poupée que tu as vue dans les allées au centre commercial. Vas-y, parce que je n’ai pas envie de gérer ta crise. Pourquoi est-ce que c’est si dur pour nous de dire non ?
Héloïse Junier
Il y a plein de raisons. Il y a des parents qui me disent, vraiment texto, qu’ils passent tellement peu de minutes par jour avec leur enfant, genre des fois une heure et demie, qu’ils ne veulent pas faire de la police sur ce temps de présence. Il y a des parents, quand même, qui viennent chez eux, ils arrivent, il est 20 heures. Leur enfant se couche à 20h30, ils ont 30 minutes de présence. Avec leur enfant, ils n’ont clairement pas envie, tu vois, d’aller à l’encontre de ce qu’il veut, en fait. Ce n’est pas leur parentalité, quoi. Donc, du coup, c’est soit ça, par manque de temps, parfois. Donc, c’est des fois des relations qui ne sont pas forcément les mêmes, que si tu passes beaucoup de temps par jour avec ton enfant.
Ils ne seraient pas les mêmes parents en vacances, du coup, et en période scolaire. Forcément, ils sont plus là, plus fréquemment en vacances. Et aussi, tu as raison, des fois, on a envie de se dire, si je dis non maintenant, ça va vriller. Est-ce que j’ai vraiment envie que ça vrille? Est-ce que j’ai vraiment l’énergie? Est-ce que la vie en vaut la peine? Est-ce que c’est une bataille qui vaut la peine d’être menée? Et en fait, des fois, non. Et des fois, c’est vrai. Des fois, c’est vrai que ce n’est pas la peine de se prendre la tête pour rien. Je pense que des fois, il faudrait quand même essayer de sélectionner ces batailles et de voir ce qui est vraiment important ou pas. Genre, si je dis non maintenant à mon enfant, est-ce que c’est grave? Enfin, je me dis ça.
Héloïse Junier
Des fois, ça souplie un peu, du coup. Des fois, on dit non par tradition, mais…
Clémentine Sarlat
C’est ce qu’on dit, il faut choisir ses batailles dans la parentalité.
Héloïse Junier
Mais dans tout, en fait. Je pense que la vie est vraiment courte pour… Il y a plein de parents qui se prennent la tête pour rien, je pense, qui se prennent beaucoup la tête, qui se mettent une pression de dingue. Pour rien, j’en suis sûre.
Clémentine Sarlat
Oui, mais parce que j’en fais partie avec le podcast. J’essaie de montrer notre voix, de dire ce qu’on peut faire, mais parfois, ça résonne différemment. Si vous écoutez cet épisode, il y a des choses que vous allez retirer, que moi, je ne retirerai pas. C’est chacun notre façon de le voir. Et c’est vrai qu’on a beaucoup d’informations aujourd’hui.
Héloïse Junier
Ouais, c’est vrai.
Clémentine Sarlat
On sait aussi, quand même, aujourd’hui, on a quand même conscience que respecter l’enfant, c’est important, mais on n’a pas forcément les clés et donc, on essaye de bien faire. Et c’est vrai que des fois, j’avoue que moi aussi, des fois, je dis non, je ne peux pas dire non parce qu’il faut que je reste alignée dans mon cadre. Et en même temps, ça va me demander une énergie qui fait que derrière, je suis énervée et que je ne suis pas une super maman derrière.
Héloïse Junier
Bah ouais, c’est ça.
Clémentine Sarlat
Donc, c’est ce que tu dis. En fait, parfois, il faut dire oui, vas-y, prends le Kinder Bueno, tant pis.
Héloïse Junier
À la rigueur, tu peux garder en tête tes interdits non négociables et le reste, tu peux négocier un petit peu sur les contextes et les jours. Des fois, des parents qui me disent mais non, je le cède pas, je cède pas. Pourquoi vous cédez pas sur ce point-là? Pourquoi? Et en fait, ils me disent parce que… parce que… parce que… Je dis pourquoi alors? Parce que c’est comme ça, c’est la tradition, c’est normal en fait. Tu vois, des fois, ils n’ont pas de… Et en fait, je me dis, mais vous prenez la tête pour rien, en fait. Franchement, si vous lâchez une fois ou deux, est-ce que c’est grave? Vous passez un meilleur moment? Il y a moins de conflits? OK, imaginons, il mange, je sais pas.
Une fois, c’était un truc qu’une famille me racontait, qu’elle voulait absolument pas que sa fille mange cette espèce de gâteau avant de manger. Alors pareil, ça, c’est culturel, le fait de mettre le repas, le dessert à la fin, alors effectivement, c’est culturel. Effectivement, ça crée un pic de glycémie au début qui peut altérer l’appétit par la suite. Mais néanmoins, je dis OK, est-ce que si ce jour-là, d’un contexte un peu de fête, votre enfant, il mange le gâteau avant de manger, est-ce que c’est grave, en fait? Est-ce que pour vous, c’est grave? Et en fait, ça l’est rarement. Il faut donc faire attention. Flexibilité, nuance au quotidien, quoi. C’est ça que c’est compliqué.
Clémentine Sarlat
C’est hyper dur. Mais c’est pour ça qu’on fait cet épisode.
Héloïse Junier
Exactement.
Clémentine Sarlat
Pour essayer de déblayer un peu et de donner des petites pistes. J’espère que ça vous aide. Qu’on vous a pas embrouillé encore plus.
Par contre, chez l’enfant, parce que nous, c’est dur de dire non, mais chez l’enfant, quand on met une limite, quand on est clair avec notre cadre et qu’on le fait sans violence, qu’est-ce que ça provoque chez lui?
Héloïse Junier
Bah, ça dépend de la limite. Ça dépend si elle est légitime ou si elle ne l’est pas, tu vois. Limite, interdit, règle, ce serait quoi, du coup?
Clémentine Sarlat
Non, là, quelque chose de légitime qui est là…
Héloïse Junier
Tu as un exemple de limite légitime?
Clémentine Sarlat
Là, tu as regardé vingt minutes dessin animé, c’est terminé.
Héloïse Junier
Légitime.
Clémentine Sarlat
On arrête. Tu as eu ton quota pour le week-end et il n’y aura pas plus. Et l’enfant réessaye, réessaye, réessaye. Et…
Héloïse Junier
Ce qui est logique.
Clémentine Sarlat
Mais qu’est-ce que ça provoque chez lui, le fait qu’on soit clair et qu’on soit droit dans nos bottes et qu’on soit apaisé avec la décision qu’on a?
Héloïse Junier
Idéalement, cette limite-là, pour qu’elle soit mieux tolérée par l’enfant, il faut qu’elle soit un peu récurrente. Si à chaque fois, tu laisses deux heures de télétubbies, c’est complètement obsolète ce que je dis…
Clémentine Sarlat
Peppa pig ?
Héloïse Junier
Exactement. Et que ce jour-là, tu lui laisses 20 minutes ou 30 minutes, c’est pas négociable. Enfin, du coup, ça peut créer la frustration encore plus forte. Mais tout dépend du cadre habituel, en fait. Tout dépend de quel interdit t’as mis en place, tout dépend de l’harmonie, de l’interdit entre toi et le co-parent aussi. Donc, t’as plein de facteurs à prendre en compte. Mais par contre, ça rejoint cette question justement de la frustration. Beaucoup disent que la frustration fait grandir. Les enfants sont un peu assez frustrés aujourd’hui. Je sais pas qui a sorti une débité pareille, mais… Mais en fait, la frustration, elle existe une partie de la vie. Dès le début de la vie, l’enfant la vit, il expérimente.
Tout le monde a de la frustration, mais c’est juste que les frustrations qui font vraiment grandir, c’est celles qui sont légitimes, petit 1, et qui sont accompagnées, petit 2, avec respect. Tout le reste, les frustrations gratuites, elles ne font grandir personne. Donc du coup, si cette frustration qui est induite par cette limite que tu poses, elle est légitime parce qu’elle est habituelle, elle est expliquée, elle est accompagnée, l’enfant aura plus de facilité à l’accepter que si elle est légitime ou qu’elle s’accompagne de violences, par exemple.
Clémentine Sarlat
Et la récurrence, la régularité, c’est ce qui fait qu’un cadre est entournable et sécurisant pour l’enfant.
Héloïse Junier
Oui, c’est vraiment la régularité. Après, il y a souvent des parents qui me disent, est-ce que si mon conjoint n’a pas le même cadre que moi, c’est grave pour l’enfant? Alors, en soi, c’est pas fou, c’est pas l’idéal, mais on fait avec la vraie vie. Et en fait, ce que je leur explique, c’est que souvent, l’enfant s’adapte assez facilement, se synchronise en fait avec son interlocuteur. Et comme ça, on va s’adapter un peu au mode de vie de chaque personne. Il y a des enfants qui savent très bien ce qu’ils peuvent faire quand leurs parents sont là, le père est là, ce qu’ils ne font pas avec la mère. Quand je pars en déplacement et mon conjoint mène des filles au McDo, tu vois. Alors que moi, au McDo, je résiste à max. Donc, en fait, chaque enfant s’adapte assez bien à ça.
Ce n’est pas l’idéal, c’est sûr, mais en fait, c’est la vraie vie. Donc, du coup, ce n’est pas non plus… Il ne faut pas que ce soit un objet de culmabilité ou de grande frustration pour la famille non plus, tu vois.
Clémentine Sarlat
Surtout qu’on ne va pas se mentir, on les a tous vu faire. Papa, est-ce que je peux ça? Parce qu’ils savent que nous, c’est non. Maman, est-ce que je peux ça? Parce qu’ils savent que papa, c’est non.
Héloïse Junier
C’est pas qu’ils le manipulent, c’est que c’est la vie, en fait, c’est normal. Nous, on fait pareil.
Clémentine Sarlat
C’est qu’ils sont intelligents, en fait, ils comprennent.
Héloïse Junier
Après, au tout petit, ils le feront pas, tu vois. Mais effectivement, pour les plus grands, ils commencent à le faire. Et c’est une bonne guerre. Moi, j’aime bien.
Clémentine Sarlat
Moi aussi, ça me fait rire. Je dis, tu sais que tu viens me demander parce que tu sais que c’est ça. Là-bas, c’est non.
Héloïse Junier
Je prends du recul, en fait.
Clémentine Sarlat
On dit la régularité, c’est quelque chose de très important, mais on peut évoluer aussi. Et comment on fait dans une fratrie, dans une sœurie, je peux qu’on dit adelphie? Si il y a des enfants qui ne fonctionnent pas de la même manière et qui répondent pas de la même manière au cadre, comment on fait pour qu’il y ait une harmonie dans la famille?
Héloïse Junier
Ça, c’est vraiment compliqué. C’est vrai. En fait, déjà, il faut savoir qu’on n’est jamais… Enfin, on en reparlera à un autre moment sur la fratrie, mais on n’est jamais les mêmes parents pour le premier, pour le deuxième. Et les études montrent très clairement que l’aîné… Alors, certains peuvent être choqués, mais certains appellent l’aîné le brouillon. Parce que peut-être, chez l’aîné, on a plein d’idéaux parentaux, on a un cadre qui est beaucoup plus strict. On sait que les aînés sont souvent plus punis que les numéros 2 et les numéros 3. Et du coup, l’aîné, il prend cher, en fait. Il prend les idéaux parentaux, il prend un peu le perfectionnisme parental, il prend les attentes parentales très élevées. Et d’ailleurs, c’est marrant parce que les aînés ont plus de risques de souffrir de dépression et d’anxiété à cause, peut-être en partie, de notre rigidité parentale.
Donc, clairement, en tous les cas, on sait qu’on n’éduquera jamais les enfants de la même manière, selon leur position dans la fratrie. Ça, c’est sûr, en fait. Donc, cette neutralité, elle n’existe pas.
Après, si on veut essayer d’être un parent un peu éclairé, on veut essayer de lutter un peu contre cette tendance à être plus dur avec le premier et plus souple avec le deuxième, l’idée, ce serait effectivement de remettre un peu, de discuter avec le co-parent, le conjoint, mais le co-parent, de voir ce qu’on tolère, ce qu’on tolère pas. Et si vraiment un enfant, par exemple, a un profil développemental atypique, il a un trouble du neurodéveloppement, il ne peut pas faire la même chose que les autres de la fratrie, c’est être plus souple avec cet enfant-là en particulier.
Mais dans ces cas-là, on explique au reste de la fratrie pourquoi et on part de vraiment des difficultés qu’il a réelles. Donc, on fait tous du cas par cas avec les enfants. Ce ne sont pas tous les mêmes quantités, ce sont des particularités chacun et chacune. Donc, on peut faire du cas parfois, mais on le justifie et on l’accompagne pour ne pas que ça mette à mal le reste de la fratrie.
Clémentine Sarlat
Est-ce que si on sort du cadre, qu’on lâche, on l’a dit un petit peu tout à l’heure, mais on a tout foutu en l’air?
Héloïse Junier
Oui, tout est fini. C’est vrai que c’est souvent les parents me disent, c’est drôle ça. C’est vrai, je me dis vraiment, des fois, c’est une telle pression d’être parent. Je trouve que c’est beaucoup moins, des fois, éprouvant que ce qu’on pourrait peut-être le… Il y a moins de pression, il y a moins d’attente. En fait, effectivement, beaucoup de parents pensent, de pro aussi, mais en tant que parent, pensent que si ce jour-là ou ce jour-là, ils ont cédé, c’est un peu cédé, ils disent, là, j’ai cédé. Ils s’en mordent les doigts parfois, ils se disent, mais est-ce que vraiment ça va changer quelque chose? Et en fait, non, en fait, c’est vrai que ce qui compte, c’est la majorité du temps, la majeure partie du temps, quel cadre tu poses avec tes enfants, comment tu es en tant que parent.
Et en fait, les exceptions en tant que telles, c’est pas qu’on s’en fiche, mais c’est qu’elles auront moins d’impact que la régularité de tes rapports humains avec tes enfants. Donc, effectivement, si des fois tu lâches sur des points, puisque ça te paraît pas être le bon moment, parce que t’es fatigué, mais c’est OK, parce que si le reste du temps, t’es plutôt cohérente avec tes propres valeurs, quoi. Effectivement, pas de pression par rapport à ces… Il faut vraiment faire ses batailles. Il y a des jours où c’est pas comme ça et c’est pas grave, en fait. Il faut vraiment faire attention à ça. Si les parents se mettent trop de pression, après, ils s’en souffrent tellement eux-mêmes.
Clémentine Sarlat
Et à l’inverse, quand on a été un peu trop permissif parce que voilà, sur le moment, ça passait et qu’on ne s’est pas rendu compte qu’on instaurait des mauvaises habitudes… Ouais, ça peut être ça aussi, t’as raison. Comment on… Enfin, on rétroprédale, mais comment est-ce qu’on resserre le cadre de manière saine, sans violence, pour que ça s’écurise tout le monde?
Héloïse Junier
Avec des enfants plus âgés, du coup?
Clémentine Sarlat
Oui, avec des enfants, oui, qui peuvent interagir.
Héloïse Junier
Ce qui est pas mal, c’est qu’on parlait déjà avec le coparent. Toi, tu discutes avec le parent, tu communiques, tu dis, voilà, là, on a été un peu souple quand même. On n’a un peu abusé, on a peut-être un peu détendu. Tu ne penses pas qu’il faudrait remettre tel ou tel interdit. Le coparent te dit oui, non, peut-être. Tu discutes avec lui, tu définis avec lui les règles qui te paraissent importantes. Et là, ce qui est vraiment chouette à faire quand les enfants sont un peu plus grands, je trouve, c’est d’en parler aux enfants, de communiquer avec eux. Et ce que je trouve vraiment chouette, c’est d’établir les règles en co-construction avec eux. Genre, on va faire…
Voilà, il y a une nouvelle règle qu’ils vont mettre en place, puisqu’on a remarqué que là, c’est embêtant pour vous, c’est embêtant pour nous, c’est pas confortable pour la famille. Donc on va mettre en place des nouveaux interdits, des nouvelles règles, c’est mieux des règles ou des interdits. Et du coup, on peut les écrire aussi noir sur blanc. Ça marche bien. Et quand la transgression arrive, les règles, elles sont sur le frigo. Et on dit, ben non, on ne te rappellera pas la dernière fois, on a parlé de ça. Tu étais OK? Tu étais d’accord? Tu étais d’accord ou pas? Oui, j’étais d’accord. Alors ensemble, on va s’habituer à ces nouvelles règles-là. Elles sont marquées là. S’il y a besoin, je te les rappelle. Mais maintenant, on se dit qu’on les respecte toutes et tous, ces règles.
Clémentine Sarlat
C’est parfait, c’était ma prochaine question, mais à partir de quel âge on peut faire ça?
Héloïse Junier
Ça dépend du raisonnement de l’enfant, tu vois.
Clémentine Sarlat
Et tu dirais quoi, 5-6 ans en moyenne?
Héloïse Junier
Après, on peut mettre son avis avant, mais ils ont une telle mémoire qu’ils sont à l’instant présent. Donc pour eux, je dirais 5 ans, vers 5 ans. 4 ans et demi, 5 ans, ça dépend des enfants. On peut 4 ans, mais pas avant 4 ans, c’est compliqué.
Clémentine Sarlat
Oui, non, bien sûr.
Héloïse Junier
Mais vers cet âge-là, oui. Même s’ils ne lisent pas, mais le fait d’avoir des règles, tu vois, visibles.
Clémentine Sarlat
Moi, je me serais plus dit à l’entrée à la primaire parce que, bon, déjà une grande étape dans leur développement et parce qu’il y a la lecture. Du coup, ils peuvent aller lire eux-mêmes les règles et se poser des questions.
Héloïse Junier
Plus ils sont grands, plus c’est facile de communiquer avec eux, quoi. C’est sûr.
Clémentine Sarlat
Mais donc, ça, c’est clairement quelque chose de valorisant pour eux de les inclure dans les règles familiales, dans la rédaction et le choix de ce qui est OK ou pas, parce qu’ils vont mieux comprendre, ils vont mieux l’intégrer.
Héloïse Junier
Ils vont être plus coopératifs. En fait, ce qu’on veut, c’est vraiment essayer de communiquer avec l’enfant et de le rendre plus coopératif. Et clairement, si tu donnes un petit peu de choix ou une petite marge de manœuvre, même si elle est illusoire, on est d’accord, c’est tout ce qu’elle a fait de manœuvre, c’est nous qui l’avons le dernier mot. Mais n’empêche que si tu lui offres une petite marge de manœuvre, c’est quand même sympa pour lui. Et du coup, ça augmente probablement sur les profils sa coopérativité. Et du coup, c’est la chance qu’il adhère à cette règle-là. Que ce soit ce que tu lui imposes du jour au lendemain, ce que tu as disputé avec le coparent samedi soir et boom dimanche matin, ça change. Pour les enfants plus âgés, ça peut être compliqué.
Pour les plus jeunes, des fois, ils verront, ils ne vont pas comprendre trop le principe, mais pour les plus âgés, ça peut être compliqué.
Clémentine Sarlat
Tu vois la j’ai un exemple qui me viens avec ma fille, qui a 7 ans, qui est l’ainée, avec qui on peut discuter de pleins de choses, c’est un chouette âge.
On a une règle où on lui fait confiance, où elle a une montre, elle sait lire l’heure, où elle a le droit d’aller chez des copines dans le quartier, mais il faut qu’elle rentre à un horaire précis. On lui explique bien que c’est un lien de confiance, qu’on est ensemble en le faisant et que c’est pour la valoriser. Si jamais elle respectait pas… Tu vois, avec mon mari, on n’est pas d’accord. Si elle respecte pas l’horaire, même de ne serait-ce quatre ou cinq minutes, lui, il est en panique et il faut plus jamais qu’elle le refasse. Moi, j’ai tendance à dire qu’elle a le droit d’avoir cinq minutes de battement.
Mais bon, là, c’est parce que lui est plus stressé que moi et que ça lui fait peur parce qu’il sait pas où elle est. C’est ça qui est le stress. Moi, j’ai pas ce stress, mais… Si jamais, tu vois, par exemple, elle… C’est pas arrivé, mais si elle respectait pas, elle arrivait au lieu de 18h30, elle vient, il est 18h50, alors qu’elle sait très bien lire l’heure et qu’il n’y a pas de raison valable, c’est juste qu’elle ne l’a pas fait.
Héloïse Junier
D’accord.
Clémentine Sarlat
Est-ce qu’il y a une conséquence valable ? Est-ce que ce serait de « maintenant, on ne te fait plus confiance, tu ne peux plus y aller » ? Ou est-ce que ça ne serait pas valorisant pour elle et ça n’aurait aucun intérêt d’aller là-dessus ?
Héloïse Junier
Le problème, c’est que je ne ferais pas tomber de la punition déguisée, tu vois, de « comme ça, tu ne vas plus chez tes copines ». Là, on n’a rien gagné parce qu’elle va être moins coopérative, elle va être plus en rapport de force. En fait, on va laisser des plumes tous autant qu’on est, en fait. Donc, si ça arrive régulièrement, si ça arrive ponctuellement, c’est la première fois que ça arrive, on va essayer de se demander, on va dire, écoute, là, il était 18h30, je ne t’ai pas vu arriver? Ça m’a inquiétée. Franchement, j’étais vachement inquiète en tant que maman, tu sais, en tant que parent, on est toujours inquiets. Tu verras quand tu seras maman, ce sera pareil. Si elle veut être maman, s’il ne veut pas, d’ailleurs, c’est à son choix.
Mais du coup, on va aller interroger sur ça, parler de ce qu’on a ressenti. Et aussi, on est déçus. On n’est pas déçus d’elle, en fait. On est déçus un peu de son comportement. On va dire, « je ne comprends pas ce qui s’est passé, habituellement, tu es super ponctuelle ». Et là, ça va s’expliquer sur son point de vue, mais je pense que plus on crée à ce moment-là un lien vraiment de communication, on se dit « je suis vraiment étonnée de ce que tu as fait là, tu m’expliques ». Ça risque moins de se reproduire que si on entre en rapport de force et on va absolument avoir d’animaux. Je pense vraiment que priver un enfant de ses libertés comme ça, je comprends le projet, je comprends qu’on a envie de le faire.
Si ça arrive trop souvent, on va le faire, mais ce n’est pas la meilleure option, la première option à essayer, en tout cas.
Clémentine Sarlat
T’as dit un truc hyper important dont on n’a pas parlé, c’est ce rapport de force, en fait. Ouais. Quand on est dans un cadre, parfois, on a juste tendance à vouloir être dans un rapport de force de ce que je te disais tout à l’heure, c’est comme ça, c’est pas autrement, et de ne jamais vouloir discuter, expliquer et avoir le dernier mot.
Héloïse Junier
Mais oui, par fierté parfois.
Clémentine Sarlat
Est-ce que c’est prouvé que ça a un… Ça marche, ça fonctionne de vouloir avoir le dernier mot dans l’éducation?
Héloïse Junier
Non, ça marche pas en fait. En fait, ça peut marcher à court terme, mais en fait, c’est la relation. Enfin, ça dépend. Est-ce que c’est la relation que tu veux avec ton enfant? Est-ce que c’est ça? Est-ce que tu veux apprendre les relations humaines? On a un rapport de force en permanence, ce qui risque en plus d’augmenter le rapport de force en permanence dans la fratrie aussi. Est-ce que c’est ce qu’on veut comme type de relation humaine? Ou est-ce qu’on prend sur nous? On essaie d’être plus flexible. Mais en même temps, je dis ça, mais des fois, enfin, mardi matin à 8h15, on doit être à 8h20 dans la rue pour aller à l’école. Si mes filles ne veulent pas faire ce que je veux, je dis, c’est pas possible, je décide parce qu’il faut y aller.
Tu es obligé, parfois, en tant que parent, de y aller, d’être dans un rapport de force. Des fois, tu n’as pas trop le choix. Quand tu le fais, tu te sens mal. Moi, je me sens très mal, mais tu n’as pas le choix. Mais quand tu as un tout petit peu de marge de manœuvre, quand c’est le bon moment pour discuter, il vaut mieux essayer d’éviter de le faire. Ne serait-ce que pour la qualité de la relation avec l’enfant.
Clémentine Sarlat
J’ai une dernière question parce que je pense qu’on a quand même assez balayé largement le sujet. Après, c’est vraiment… Vous, dans votre famille, vous savez ce qui sont vos valeurs, ce que sont vos besoins et comment vous pouvez fonctionner, donc c’est à vous de le faire. Mais est-ce que tu pourrais nous donner, toi, en tant que maman, même si tu es psy, les deux, trois règles sur lesquelles tu es intransigeante? Pour que juste on ait une notion, tu vois, de ce que… À quoi ça peut ressembler. Parce qu’il y a vraiment des gens, je pense, qui n’ont même pas juste d’idée de comment on… Qu’est-ce qui est important, en fait? Même si c’est chaque famille différent, mais. Qu’est-Ce que toi tu… Qu’est-ce que tu valorises quoi?
Héloïse Junier
Déjà, ce que je réalise à la maison, alors je sais pas si t’es déjà venue à la maison, je passe tout à le salon. En fait, il y a un salon où il y a des grosses structures motrices dans tous les sens. C’est un salon hyper atypique. Mais c’est que le point sur lequel j’insiste en permanence, c’est que mes filles, qui ont cinq habitants, puissent avoir accès à un maximum d’expérience motrice. Ça, c’est vraiment, vraiment important. Donc elles ont des canapés bien sûr, elles peuvent aller dessus, elles font des roues dessus, des souplesse arrière, des souplesse avant. Et ca depuis toutes petites, elles le font toutes. Et c’est vrai qu’on a un environnement qui est entièrement pensé et vraiment pensé pour les enfants à la maison. Donc, il n’y a pas de risque de blessures. Enfin, après, je leur fais confiance, mais…
Donc, ça, c’est vraiment une règle importante. Donc, en fait, on ne va pas avoir d’interdits trop forts par rapport à la motricité. Ce qui peut paraître être du laxisme pour certains, tu vois, parce que ce qu’elles font à la maison, c’est fou. Quand elles sautent du canapé à l’autre structure motrice, elles font une roulade avant dans le salon. Bon, ça peut paraître un peu fou. Et après, les interdits sur lesquels, du coup, je suis vraiment intransigeante, c’est ce que je disais tout à l’heure. Tout ce qui concerne la santé. S’ils ne veulent pas faire un lavage de nez, ils ne veulent pas prendre les antibiotiques. Pour moi, je suis intransigeante, c’est la santé, c’est leur bien-être premier. Donc, elles le savent qu’on ne peut pas avoir de marge de manœuvre sur ça.
À rigueur, un lavage de nez, par exemple, ma fille, elle n’aime pas trop. Elle a appris à le faire toute seule. Donc, maintenant, elle le fait toute seule. Elle trouve ça plus confort. C’est comme elle veut. Du bon que c’est fait. L’autre point, c’est les blessures, le fait de faire mal à l’autre. Ce que je disais tout à l’heure, pour moi, c’est inconcevable. Donc, elles se font mal. Je rassure tout le monde, elles se tapent dessus régulièrement. Mais ça m’énerve beaucoup, comme beaucoup de parents. Et du coup, j’essaie toujours d’essayer de renverser ces conflits en plus de communication. En tout cas, c’est un interdit qui est universel. Et aussi tout ce qui est lié à la sécurité. Mais la sécurité, je suis beaucoup plus large, je pense, qu’une famille classique. Parce que si elle tombe, moi, ça ne me fait pas peur, en fait.
C’est ça. C’est qu’en fait, si elle tombe, leur corps est fait pour la chute. Ce n’est pas une grosse chute non plus, mais généralement, je sais qu’il y a une énorme, tellement une part énorme, une marge énorme entre la peur réelle, la peur légitime ou non du parent, qu’elles ont de la marge de manœuvre, quoi, pour explorer. C’est vraiment ça, en tout cas, mais les valeurs sur lesquelles… Après bon, sur les écrans, j’avoue que… C’est affreux, mais ma grande à 8 ans, la pauvre, elle a toujours très peu d’écrans à la maison. Bon, voilà, c’est ça que les écrans, ça me… Je trouve que c’est une porte ouverte. Quand on ouvre cette porte à la maison, moi, je sais que j’aurai du mal à fermer après, en fait.
Héloïse Junier
Je l’ouvre le moins possible, parce que je sais que je suis une mère extrêmement lâche. Mais ouais, c’est les écrans aussi, peut-être.
Clémentine Sarlat
OK.
Héloïse Junier
Et le sucre un peu, j’essaye. Mais bon, ça, je… En même temps, je sais qu’il y a des barquettes de Lu au chocolat dans l’armoire, quoi. Mais c’est le père qui les a achetées.
Clémentine Sarlat
Je dénonce.
Héloïse Junier
C’est pour ça. Sinon, je ne serais pas là.
Clémentine Sarlat
Merci beaucoup, Héloïse. Je pense qu’on a fait un peu le tour, j’espère. En tout cas, sinon, il restait libre à lire les BD. Vous pouvez offrir les BD pour les toilettes des papas.
Héloïse Junier
Quel honneur!
C’est l’intimité, c’est beau, je trouve.
Clémentine Sarlat
C’est vrai, c’est pas faux. Mais il reste ça, si vous voulez aller plus loin, tu as écrit plusieurs ouvrages qui sont vraiment très bien pensés, écrits ou dessinés d’ailleurs. Et des ouvrages pour enfants qu’on lit beaucoup à la maison.
Héloïse Junier
Oui, c’est vrai.
Clémentine Sarlat
Donc tu as une collection chez Hattie qui est super avec les tout-petits. Merci d’avoir pris le temps.
Héloïse Junier
Avec plaisir, merci à toi pour l’invitation.
Clémentine Sarlat
À très vite.