Est-ce que l’adolescence est forcément problématique ?
Est-ce qu’on n’est pas un peu trop focalisé sur cet aspect là ?
L’adolescence est une période charnière parfois empreinte de difficultés qui ne sont pas à nier, mais c’est aussi un moment formidable d’émancipation.
Emmanuelle Piquet est thérapeute, fondatrice des centres à 180°- chagrin d’école.
Avec beaucoup d’humour elle vous aide à prendre un virage à 180° pour tenter d’apaiser les relations avec vos adolescents et rendre l’ambiance à la maison plus respirable.
Dans cet épisode, à travers de cas concrets, Emmanuelle explique les spécificités des conflits avec les ados.
Et un mot d’ordre AUTONOMIE
Les adolescents sont dans une période de leur vie, certes, intense et complexe, mais qui leur demande d’apprendre l’autonomie pour entrer dans le monde adulte.
Embarquez avec nous pour rire et dédramatiser ce moment de vie par lequel on est toutes et tous passé.
LIENS UTILES
Épisodes :
Épisode 131 – Comment aider son enfant dans la relation aux autres, notamment en cas d’harcèlement scolaire? Emmanuelle Piquet psychopraticienne
Livre :
Mon ado, ma bataille de Emmanuelle Piquet
TRANSCRIPTION DE L’ÉPISODE
Clémentine Sarlat : Bonjour Emmanuelle.
Emmanuelle Piquet : Bonjour Clémentine.
Clémentine Sarlat : Je suis ravie de vous recevoir en face à face.
Emmanuelle Piquet : Moi aussi je suis ravie, vraiment.
Clémentine Sarlat : Parce que j’avais adoré notre épisode en 2023. Il a beaucoup plu d’ailleurs aux parents, je tiens à vous le dire. Que vous avez fait rigoler pour un sujet qui est grave et qui est difficile sur le harcèlement scolaire, donc je ne peux qu’encourager les auditeurs et les auditrices à écouter cet épisode. Mais aujourd’hui, on va parler d’un sujet beaucoup plus grave (je rigole), mais qu’on décrit comme ça, parfois. On va parler de l’adolescence. Et déjà, je voulais savoir pourquoi vous avez écrit ce livre, donc Mon ado, ma bataille, en 2017, qui se consacre à cette période de la vie ?
Emmanuelle Piquet : Parce que je reçois beaucoup de parents, moi, en consultation, mon équipe aussi, on a beaucoup de parents d’enfants et d’adolescents aussi. Et en fait ceux qui nous touchent le plus sont souvent les parents d’adolescents, parce qu’en fait ils sont dans une espèce de souffrance absolue, parce qu’à la fois ils sont quand même très agacés par ce que leurs adolescents font à certains moments ; à la fois ils sont très anxieux parce qu’ils ont hyper peur de ce qui peut advenir derrière ; à la fois ils sentent coupables de ne pas y arriver à certains moments ; et puis en plus ils sentent extrêmement démunis. Donc ça fait vraiment toute une espèce de maelstrom émotionnel très douloureux. Et je me suis dit, je trouve que c’est dommage parce que je pense que…
Alors d’abord, je pense que ce sont les parents d’adolescents qui souffrent plus que les adolescents, qu’on soit parfaitement clair, en tout cas dans notre échantillon. Il n’y a pas de doute là-dessus. Et je trouvais que c’était dommage parce que il y avait juste parfois certains combats à cesser pour que la relation s’apaise et pour que tout le monde aille mieux dans ce moment très complexe, très intense, qui est le moment où ils vont se jeter dans la vie, comme s’ils étaient au bord d’une falaise. Et la question c’est que parfois on a un peu tendance à courir à côté d’eux en les tenant par la capuche pour ne pas qu’ils courent trop vite.
Et donc ils se débattent et c’est très intense puisque le vide se rapproche et du coup tout le monde est très très mal et la plupart du temps ça fait rater le saut, je trouve moi. Du coup je me suis dit comment est-ce qu’en effet avec un livre on peut aider les parents à réfléchir à ça.
Clémentine Sarlat : Alors comment est-ce que vous décririez l’adolescence?
Emmanuelle Piquet : Alors, c’est intéressant ça parce que, en fait, quand j’ai écrit ce livre, j’ai forcément fait une recherche pour voir un peu ce qu’il en était de ce concept. Parce que c’est un concept qui a été complètement créé par le monde adulte et qui est assez récent en fait. Il date de la fin du 19e, début du 20e. Alors il y a beaucoup de faits, enfin de “faits”, en tout cas de personnes qui se sont penchées sur son berceau. Il y a la psychanalyse notamment beaucoup, qui a beaucoup travaillé là-dessus, on va dire au milieu des années du 20e, d’une certaine manière. Et en fait ce qui en a été ressorti, c’est que c’est une période forcément critique. C’est-à-dire que Mélanie Klein disait même qu’être bien à ce moment-là c’est anormal en fait. On doit ne pas être bien.
Alors c’est très étrange parce que c’est pas vrai, c’est-à-dire qu’il y a plein d’endroits sur la Terre où l’adolescence n’est pas un problème, où il n’y a pas toute cette… légende autour de ça. Et puis surtout, ce que je crois moi, c’est que le fait que nous, dans nos civilisations, on regarde au fond l’adolescence comme étant un problème, c’est qu’on regarde l’adolescent comme étant problématique, comme étant un peu paroxystique, comme étant trop excessive dans un certain nombre de sujets. Et du coup, quand on est regardé comme ça, forcément, on déclenche des comportements qui sont souvent conformes à ce qu’on attend de nous quoi.
Et donc je trouvais que cette définition de l’adolescence, elle génère au fond, avant même qu’il se passe quoi que ce soit d’interactionnel en fait entre le parent et l’ado, il y a déjà un problème en fait. Et par exemple j’ai pas mal de parents qui me disent, qui viennent plutôt pour des tout-petits, qui me disent : “Quand je vois comme elle est pénible à 4 ans, je me dis, à l’adolescence…”
Et puis j’ai des couples qui me disent : “Là il est en train de faire sa crise d’adolescence, à 40 ans”, comme si c’était forcément critique en fait, et forcément paroxystique. Donc moi je le définirais un peu autrement, en essayant d’induire le moins de choses possibles négatives là dessus parce que je trouve que déjà ils sont pas aidés les pauvres bichoux.
Non mais c’est vrai franchement parce que vraiment on les regarde en disant : “Tu es tellement problématique” donc franchement ça met pas en bonne santé mentale ça moi je trouve. Du coup oui je trouve qu’en vrai la définition qui est la plus intéressante c’est de se dire que c’est un moment où, en effet, ils sont en train de passer de l’âge enfant à l’âge adulte et où, parce que c’est surtout ça le plus intéressant, ils ont envie d’autonomie. Alors vous me direz : “à 4 ans ils ont envie d’autonomie”, c’est sûr également, mais là ils ont envie d’une autonomie pour, encore une fois, se lancer dans cette vie qui les attend. Et qui les attend pas d’ailleurs avec beaucoup de gentillesse.
Ils savent qu’on est quand même bizuté à peu près dans tous les endroits où on va quand on commence, que ce soit entreprise ou dans des études supérieures ou ailleurs, d’une façon plus ou moins explicite. Donc je pense que quand on regarde l’adolescence comme ça, comme ce moment là, on se dit au fond “comment je peux être à côté de lui de façon la plus apaisante possible, la plus positive possible, la plus accueillante possible”, mais c’est compliqué parce que c’est émotionnellement douloureux.
Clémentine Sarlat : Pourquoi est-ce qu’on veut absolument voir donc l’adolescence comme quelque chose de problématique? Qu’est-ce que ça dit de notre société et de notre rapport à cet âge-là?
Emmanuelle Piquet : Je ne sais pas trop. En fait, ça dépend vraiment des périodes, d’après ce que j’ai pu en lire. Mais il y a toujours un peu quelque chose de (en tout cas depuis un siècle et demi) quelque chose de l’ordre de : “Ils sont quand même problématiques”. J’ai lu que, vraiment, quand on a commencé à parler d’abolir la peine de mort, mais il y a assez longtemps avant que ça soit effectif, il y avait des politiques qui disaient “quand on voit notre adolescence, comment voulez-vous qu’on abolisse la peine de mort en fait, parce que vraiment ils sont très problématiques”. C’est comme si on les regardait toujours comme étant un peu problématiques et en même temps des fois on en a eu besoin dans d’autres périodes. On en a eu besoin pour aller à la guerre par exemple.
Clémentine Sarlat : La main d’oeuvre, ouais.
Emmanuelle Piquet : Au Moyen-Âge, ça commence à 14 ans, l’adolescence. Donc je ne sais pas ce qui fait qu’on la regarde de façon problématique. Je pense qu’il y a quelque chose de l’ordre de notre autorité qui est mise à mal. Justement parce que, comme ils sont dans cette recherche d’autonomie, puisqu’ils veulent déployer leurs ailes ( ou en tout cas ils savent qu’on attend d’eux qu’ils déploient leurs ailes) et bien ils nous mettent un peu en déséquilibre. Parce que jusqu’à présent, ils nous idolâtraient.
Pour l’instant, vous avez des enfants qui ne font que vous idolâtriez. Et ça, c’est quand même le bonheur, profitez bien, parce qu’à un moment donné, on sent qu’on est tombé du piédestal, très clairement. Et je crois que ça nous met un peu mal et qu’on préfère expliquer que c’est eux qui sont problématiques plutôt que nous qui nous en sortons pas, en fait.
Clémentine Sarlat : C’est quoi une relation qui est saine et bonne, entre un parent et son adolescent ?
Emmanuelle Piquet : Alors, mon Dieu si je savais, je serais vraiment très heureuse parce que je pourrais aider plus de gens. Mais moi, je trouve que l’indicateur intéressant, c’est quand même l’indicateur de la souffrance. C’est celui qui m’intéresse puisque mon métier, c’est d’apaiser les souffrances. Et je pense qu’à partir du moment où, dans la relation, il y a quelqu’un qui souffre, c’est qu’elle n’est pas satisfaisante, cette relation. Ça veut dire aussi qu’en effet nous dans notre approche thérapeutique on est absolument non normatif, ça veut dire que si on trouve que les gens font des choses extrêmement bizarres mais que pour autant ça a l’air d’être tout à fait satisfaisant de part et d’autre, alors nous on n’y touche pas en fait.
D’une certaine façon je raconte dans le livre cette maman qui raconte avoir une relation hyper sympa avec sa jeune ado, mais qui a en effet décidé de se teindre les cheveux en bleu et de faire quelques piercings, dont l’anneau dans le nez, qui est quand même extrêmement désagréable pour cette maman et aussi pour ce papa. Et au fond, cette maman a toujours plutôt responsabilisé cet enfant parce que c’est pas un sujet pour elle et qu’à un moment donné il se passe un problème et que là tout le monde lui tombe dessus en disant “mais c’est normal tu as été hyper laxiste et tout ça”.
Et je lui dis “mais au fond il y a eu ce problème là en effet mais depuis 17 ans il n’y a pas de problème en fait”. Parce qu’elle a tendance un peu à jeter tout en fait, à dire “oh la la j’ai fait n’importe quoi pendant 17 ans”, mais pas du tout. Pendant 17 ans elle a très bien fait et puis là elle se rigidifie. Souvent ce que je constate dans les relations qui créent de la souffrance c’est qu’il y a une des deux parties qui se met dans une rigidité (parfois les deux), dans quelque chose de très rigide et quand on est très rigide comme ça dans une relation on est comme une espèce de statut de verre et n’importe quel événement peut nous faire exploser en mille morceaux.
Donc je dirais que souvent c’est des relations un peu souples qui font du bien.
Clémentine Sarlat : Vous donnez plein d’exemples dans le livre et c’est vraiment à chaque fois assez drôle, mine de rien. Même si parfois les problèmes sont quand même sérieux, il faut bien le noter. Comment aussi on interagit avec un adolescent? Parce que c’est pas du tout la même façon d’interagir avec un adolescent qu’avec un enfant. Et c’est ça aussi qui peut poser problème aux parents, qui ne s’est pas adapté à la maturité de son enfant?
Emmanuelle Piquet : Exactement, et notamment en ce qui concerne les règles. C’est-à-dire qu’en fait, ce qui est très difficile dans ce métier-là, le métier de parent je veux dire, c’est qu’il faut en permanence faire évoluer les règles qui ne sont pas du tout pareilles pour un enfant de 12 ans que pour un adolescent de 14 ans. Il faut modifier en permanence. Il faut le suivre en fait, d’une certaine façon, et c’est ça qui demande de la souplesse au fond, d’une certaine façon. Et en fait, la question que je me suis posée en écrivant ce livre, je me suis dit : “puisque c’est bien d’autorité qu’il s’agit, en quoi est-ce qu’au fond, on peut maintenir une autorité (parce que l’autorité est nécessaire) tout en maintenant une bonne relation?” C’est ça, le paradoxe auquel sont confrontés les parents d’adolescents.
Et en fait, je me suis dit, c’est vrai qu’il y a deux façons d’être autoritaire. Il y a une première façon qui consiste à imposer un certain nombre de choses par la force, soit par l’ascendant. Par la supériorité, soit physique, soit morale, qu’on a sur quelqu’un. Donc ça, ça veut dire être autoritaire. Voilà, il y a plein de fois où ça fonctionne, il y a plein de régimes où ça fonctionnerait bien. Mais souvent ça crée à la fois de la dissimulation, à la fois du mensonge, à la fois des explosions potentielles et parfois même des ruptures, quand en effet on s’arc-boute sur le fait de vouloir absolument contrôler de façon autoritaire un ado.
Et puis il y a une autre façon qui est celle que je nomme « faire autorité », c’est-à-dire être en fait l’adulte à qui l’adolescent a envie de parler quand il a un problème, quand il est face à un choix, à une situation troublante, à quelque chose qui le met mal à l’aise. Et pourquoi il s’adresse à cet adulte-là qui, selon lui, fait autorité? D’abord parce que son avis compte pour lui, bien entendu, mais aussi parce qu’il sait que cet adulte-là ne lui imposera pas son point de vue. Et en fait, je trouve que c’est hyper difficile d’incarner cette personne-là, mais c’est celle qui génère à certains moments des choses d’ailleurs, qui peuvent être inquiétantes pour l’ado, parce que la liberté au fond c’est inquiétant, l’autonomie c’est inquiétant.
Je vois quand j’ai une maman en tapis volant ou un papa en tapis volant en permanence autour de moi, qui fait en sorte que rien ne m’arrive et qui prend en charge tout, c’est énervant. Parce que c’est très énervant, mais en même temps c’est très confortable.
Clémentine Sarlat : C’est les parents hélicoptère, c’est ça?
Emmanuelle Piquet : Oui voilà, par exemple. Non mais tout à fait, c’est des parents qui le font parce qu’ils sont ultra inquiets et très aimants.
Clémentine Sarlat : Ça part de bonnes intentions bien sûr.
Emmanuelle Piquet : Sauf que le cocktail amour-inquiétude… Il est rarement très productif. Regardez dans certains couples par exemple. C’est pas très bon en fait ce cocktail-là. Et du coup, l’inverse d’être inquiet, c’est quand même faire confiance. Mais faire confiance, ça demande du courage quoi en fait aux parents, souvent.
Clémentine Sarlat : Vous en thérapie, quand vous recevez des adolescents, vous faites toujours alliance avec eux. Vous leur montrez que vous êtes de leur côté. Parce que le monde est plutôt contre eux ?
Emmanuelle Piquet : Oui, pour les définitions qu’on a vues tout à l’heure, c’est-à-dire que le monde est plutôt en train de les regarder en disant “ça va lui passer”, donc ça c’est quand même le gros truc, “ça va lui passer”. Mais d’ailleurs c’est dramatique parce que, à certains égards c’est dramatique parce que comme on a cette idée que ça va lui passer parce que c’est transitoire, parce qu’il est ado et qu’il a des boutons et tout ça, et que donc c’est pour ça qu’il est énervé, ce que je peux concevoir, eh bien du coup il y a des choses qui sont pas liées à l’adolescence du tout. Mais qu’on va considérer comme faisant partie de la crise d’adolescence et donc on ne va pas s’en occuper, en fait. Je pense au harcèlement, par exemple.
Souvent, comme ça commence au collège, voilà, au début des années collège où c’est vraiment extrêmement problématique, et que du coup ils deviennent un peu, par exemple, on voit qu’ils ne sont pas bien, on voit qu’ils sont un peu cruels avec la fratrie, par exemple, à la maison. On va mettre ça sur le compte de l’adolescence alors qu’en réalité il se passe quelque chose de tout à fait dramatique. De la même façon il y a des manifestations psychiatriques qui arrivent pendant l’adolescence dont on peut se dire “bah c’est lui un peu excessif” alors qu’en vrai non il faut le traiter. Donc je trouve que ça vient de là, ça vient du fait qu’en effet c’est difficile de communiquer avec eux parce qu’ils sont a priori un peu sur la défensive quoi.
Et en fait, je pense vraiment que chaque fois qu’on les responsabilise, on leur fait du bien. Et nous, en thérapie, ce qu’on fait c’est qu’on voit le parent en première séance qui nous explique à quel point c’est horrible et tout ça, affreux. Quand on pense que c’est nécessaire, parce que des fois on pense que c’est pas du tout nécessaire de voir l’ado. On pense que c’est pas nécessaire quand, par exemple, il est déjà beaucoup regardé par plein de spécialistes différents, il a été beaucoup diagnostiqué, il a été beaucoup scruté, etc. Là on se dit c’est pas la peine d’en rajouter, visiblement ça fonctionne pas très bien. Donc on préfère travailler avec le parent, main dans la main, comme si c’était notre co-thérapeute. On fait beaucoup ça.
Et puis des fois on va se dire, avec le parent, que c’est intéressant qu’on le voit quand même parce qu’on sent une vraie souffrance. Et donc là on fait en effet ce qu’on appelle des offres de service. Donc on écrit, après avoir demandé l’autorisation d’avoir son numéro de portable, on écrit un sms en disant : “j’ai vu les parents, ils ont l’air inquiets, bon je comprendrais que t’aies pas du tout envie de me voir parce que je suis vieille et en même temps si jamais je peux t’aider je serais hyper contente mais vraiment décide, moi je serais pas vexée si tu viens pas”. Et ça, rien que ça, ils se disent : “elle a l’air extrêmement bizarre. En plus, elle est vieille, elle l’admet, donc c’est bien”.
Et donc, franchement, je pense qu’à 90% des cas, quand on fait une offre de service, les ados viennent. Et donc, après, oui, il y a une façon de communiquer avec eux. Alors, nous, c’est hyper facile, on ne va pas se mentir. Je veux dire, l’adolescent, quand on vit avec lui, ce n’est pas simple. On ne va pas non plus tout positiver. Je veux dire, c’est extrêmement compliqué. Moi j’ai vécu 4 périodes d’adolescence avec mes enfants. Très sincèrement j’ai choisi une maison très loin de tout pour qu’ils puissent partir assez rapidement, je veux dire vers 18 ans, pour qu’ils ne puissent pas faire d’études autour en fait.
Clémentine Sarlat : Pour qu’ils aillent prendre leur appartement.
Emmanuelle Piquet : Qu’ils partent, vraiment, parce que c’est très fatigant, je veux dire, de 13 à 18 ans. C’est très fatigant, surtout quand on en a quatre. Et je plains beaucoup mes amis parisiens qui disent… Leurs enfants disent : “non, je reste là, du coup”. Mon Dieu!
Clémentine Sarlat : … jusqu’à 28 ans.
Emmanuelle Piquet : Jusqu’à 44. Bref, donc… Donc oui, il y a une façon de communiquer avec eux, mais je redis, quand au quotidien on est face à un adolescent, c’est difficile de communiquer de façon très apaisée, sereine et responsabilisante. Nous c’est beaucoup plus facile, c’est dans un temps court.
Clémentine Sarlat : Et vous êtes extérieur au foyer.
Emmanuelle Piquet : Exactement.
Clémentine Sarlat : Mais donc c’est facile de faire alliance avec eux et de montrer que vous êtes de leur côté.
Emmanuelle Piquet : Beaucoup plus facile.
Clémentine Sarlat : Et vous adoptez leur code, c’est-à-dire que vous parlez un peu de leur façon, vous montrez que vous êtes vieille mais quand même un peu jeune parce que vous comprenez. Vous savez dire “je m’en balek”.
Emmanuelle Piquet : Oui on va s’adapter quand c’est nécessaire parce qu’il y a des adolescents qui ont un vocabulaire extrêmement élaboré et avec lesquels il ne faut pas du tout faire ça. Mais si je commence à hausser les sourcils quand ils me disent « Ouais balek», du coup je ne suis pas crédible. Alors si je ne comprends pas ce qu’ils me disent, je leur dis, je dis « Pardon, je suis extrêmement âgé, je ne comprends pas ce que tu dis ». Donc c’est très souple en fait, d’une certaine façon.
Mais ce qui est très intéressant je trouve, c’est de leur faire un virage eux aussi à 180 degrés puisque, comme vous l’avez vu dans le livre, en fait nous on travaille vraiment avec l’école de Palo Alto, en thérapie systémique, et l’école de Palo Alto consiste à aider les gens à arrêter de faire ce qu’ils font et qui alimentent le problème. Et parfois, donc parfois c’est le parent d’adolescent qui n’écoutant que son inquiétude et son amour fait un certain nombre de choses inopérantes, mais parfois l’adolescent est pas très brillant non plus, très clairement, dans la relation je veux dire. Et donc, par exemple, des fois ils viennent, je sens qu’il y a quand même une souffrance, que le conflit pose problème quoi, aussi à l’adolescent. Et donc je leur dis : “bah tiens, donc toi qu’est-ce qui se passe? Alors qu’est-ce qui se passe?”
Alors ils me disent : “bah ouais, on fait que s’engueuler, c’est un peu horrible” et tout ça. Et je lui dis : “mais tu fais quoi en fait pour que ça soit plus cool ?” Parce que “ils ne m’autorisent rien, parce qu’ils n’ont rien compris, t’façon c’est trop abusé”. Et donc je lui dis : “mais qu’est-ce que tu fais toi, par exemple, pour qu’elle te laisse plus sortir ta mère, tu fais quoi?” Et ils me disent : “ben j’lui c’est trop abusé, tous les autres parents ils sont hyper cool et toi tu fais de la merde”. Donc je lui dis : “ça marche?” Il me dit “non”. Je lui dis : “mais donc pourquoi tu fais ça en fait tu vois bien que ce n’est pas stratégique du tout”.
Et je leur dis “en fait les parents ils sont hyper faciles à gérer et franchement c’est des petites choses fragiles, manipulées.” Donc je leur donne des cours de management parental donc je dis par exemple : “si ta mère tu lui dis une fois par semaine, en modifiant bien entendu les modalités ne soit pas idiot soit un peu créatif, mais en gros si tu lui dis une fois par semaine << quand je regarde les autres daronne et que je te regarde toi je me dis que j’ai trop de chance >>. Si tu fais ça une fois par semaine, tu obtiens ce que tu veux, je te jure chérie. Dans le même temps, il faut gérer ton père. Ton père c’est différent, c’est pas la même chose. Ton père, tu vas le voir et tu lui dis : << Est-ce que tu peux me réexpliquer le conflit israélo-palestinien? Parce que j’ai pas ultra bien compris, ça les pères adorent.” Alors après tu écoutes, je suis obligée de leur dire, tu restes par contre. Faut écouter la leçon. Sinon ça ne marche pas, on est d’accord? Et donc tu prends un air extrêmement passionné pendant un quart d’heure. Là, tu peux être sûre que le soir dans le lit, les deux se disent, en fait il est mature, il devient vraiment plus mature. Et donc ça marche tellement bien que moi mes filles, c’est moi qui l’ai inventé, mes filles le faisaient avec moi, ça marche.
Clémentine Sarlat : Ah vous vous faisiez avoir.
Emmanuelle Piquet : Oui, totalement. Donc, il y a des choses à faire des deux côtés, en fait, d’une certaine manière, quand, en effet, le problème, c’est le conflit.
Clémentine Sarlat : Mais c’est ce que vous dites, de toute façon, dans tous vos livres, c’est que la relation, elle est à deux. Il n’y a pas un responsable plus que l’autre. On accepte ou on n’accepte pas le comportement de l’autre et on majeure ou pas le conflit ou la réaction épidermique, parfois, des parents face aux adolescents, qui sont parfois durs à gérer. Est-ce que vous faites des formations de mise à jour du vocabulaire des adolescents ou des codes ? Parce que vous le dites dans le livre : “je ne suis pas là pour parler des codes parce que ça évolue en permanence”. Sinon votre livre n’est pas lisible aujourd’hui, ne serait-ce que 6 ans plus tard. Mais vous faites ça, vous vous immergez avec des adolescents, vous essayez de comprendre un peu.
Emmanuelle Piquet : C’est ça, c’est-à-dire qu’on les a en consultation tous les jours. Donc on a toutes sortes d’adolescents qui viennent, en permanence, nous remettre à jour d’une certaine façon et surtout qui nous racontent la réalité, vous avez raison, en même temps que les codes évoluent en fait. La réalité du harcèlement aujourd’hui par exemple, c’est pas du tout la même qu’à cette époque-là. On a des choses très singulières sur l’adolescence actuelle, je trouve. Entre nous, quand on est en réunion, on appelle ça les adolescentes des années 20. Et c’est drôle parce qu’en fait c’est vrai, il y a une adolescente des années 20. On a l’impression qu’on parle de 1920, mais en vrai non, on parle de 2020. Elles ont un certain nombre de caractéristiques, notamment le fait que, pour certaines d’entre elles, pas toutes, elles se sentent en difficulté pour intégrer un groupe, par exemple, un groupe d’amis.
Elles sont très focalisées sur les pairs. La réputation, c’est vraiment quelque chose d’extrêmement important, mais aussi l’intérêt qu’on suscite chez ces gens-là. Parce que le reste du monde on s’en fiche totalement. Et par exemple, nous, on a beaucoup de jeunes filles qui, d’une certaine manière, se sont saisies de la psychiatrisation, en fait, pour être reconnues, pour être intégrées, pour être importantes. Et qui donc sont dans des choses qui sont très inquiétantes pour les parents : qui vont se scarifier, qui vont montrer des comportements un peu paroxystiques à certains moments. Et en fait c’est ce qui explique selon nous le fait qu’il y a eu vraiment une recrudescence des hospitalisations pour tentative de suicide chez les jeunes filles, uniquement. Zéro augmentation chez les garçons. Zéro. Depuis 2021. Mais en revanche chez les filles c’est très net.
Chez les filles de 15, un peu moins même, 14-18 ans je crois. C’est pas des suicides avérés, c’est des tentatives de suicide, mais ça nous éclaire sur une façon qu’elles ont d’être au monde en ce moment qui peut être très inquiétante et qu’il faut à la fois ne pas considérer comme ultra problématique parce que du coup ça fait un peu monter, mais d’un autre côté il faut pas non plus le banaliser parce que c’est très compliqué. C’est pour ça que j’en reviens à cette idée que le parent d’adolescent est en permanence sur une ligne de crête, c’est extrêmement compliqué.
Il y a aussi, dans les situations adolescentes qui nous sont amenées en consultation, en ce moment, de façon très moderne, il y a beaucoup d’évitements scolaires, et ça c’est lié en fait au Covid, parce que le Covid a institutionnalisé l’évitement de l’école comme étant ok, valable, et tout ça et donc les gamins ils l’ont bien senti et les parents aussi l’ont vécu et donc ça fait une espèce d’oscillation un peu molle en disant “ce serait bien que tu ailles en cours mais si tu veux pas y aller alors reste à la maison” ce qui est un tout petit peu paradoxal quoi. Et du coup on a vraiment beaucoup d’adolescentes qu’on remet à l’école doucement mais pas en faisant des choses partielles quoi je veux dire parce que là moi j’ai des adolescents qui vont en cours pendant les récrés.
Je comprends l’intention, mais je crois qu’on continue à institutionnaliser l’évitement en faisant ça. Je crois qu’il faut les aider à affronter déjà à l’intérieur d’eux-mêmes ce qui pourrait se passer d’horrible s’ils y retournent, et puis ensuite il faut qu’ils y aillent, vraiment, et il faut que le parent soit assez déterminé. Et puis la troisième singularité qu’on a sur cette peuplade contemporaine des adolescents, ce sont les souffrances liées au genre, en fait, liées aux transitions, qui peuvent générer aussi entre les parents et les adolescents des moments extrêmement difficiles, extrêmement complexes, avec une souffrance très forte de part et d’autre. C’est vraiment, je trouve en ce moment, ce qui génère le plus de souffrance à la fois chez le parent et à la fois chez l’adolescent. Et donc ça c’est vraiment les trois singularités je dirais de cette… D’aujourd’hui quoi.
Clémentine Sarlat : Quand vous recevez les adolescents et qu’ils sont face à des grosses angoisses, à des grandes souffrances, vous leur demandez d’imaginer pendant plusieurs jours, souvent sur deux semaines, le pire scénario qui pourrait arriver et se passer si cette souffrance continuait ou en tout cas si le problème n’était pas résolu. À quoi ça sert de faire ça?
Emmanuelle Piquet : Alors, je leur fais imaginer en effet, vous avez parfaitement raison, ce qui pourrait arriver de pire selon eux, pas seulement si… C’est-à-dire en fait, ce qui se passe c’est que par exemple, l’histoire de cette adolescente qui avait extrêmement peur parce qu’elle était en fort conflit avec sa maman, qui avait extrêmement peur que sa maman se suicide si jamais elle décidait de ne plus aller la voir alors qu’elle était dans une relation extrêmement négative, extrêmement maltraitante. Mais elle ne voulait pas l’envisager en fait. Elle était complètement secouée de l’intérieur en disant il faut que j’y aille mais je ne peux pas, mais il faut que j’y aille mais je ne peux pas, mais en même temps je ne peux pas ne pas y aller, enfin c’était affreux.
Et en fait tout le monde lui disait “Mais ne t’inquiète pas, mais il va rien se passer”, comme on dit aux enfants. “Tout va très bien se passer, tu n’as aucune raison d’avoir peur”, etc. Sauf qu’elle, elle est tétanisée d’angoisse. Et en fait, en séance, elle ne me dit pas ce qui lui fait peur, parce que quand on est dans l’évitement de l’angoisse, on n’arrive même pas à l’envisager, on n’arrive même pas à le dire. Et donc, nous, notre métier, en effet, en séance, c’est de dire, il faut qu’on imagine ce qui pourrait arriver de pire, parce que si tu ne l’imagines pas, ça continue à l’intérieur de toi, en fait. Et nous, ce qu’il faut, c’est qu’on déroule ce scénario épouvantable pour que tu ailles regarder ta peur dans les yeux.
Parce que quand on regarde une peur dans les yeux, elle se transforme en courage. Alors que quand on lui court derrière, enfin devant pardon, et qu’elle nous court derrière, alors là elle se transforme en angoisse supplémentaire d’une certaine manière. Donc c’est un exercice qui consiste à apaiser la peur en la regardant en face en fait.
Clémentine Sarlat : Et c’est efficace, non?
Emmanuelle Piquet : C’est extrêmement efficace, mais tout le monde l’a vécu un jour ou l’autre en fait. À un moment donné, regarder ce qui pourrait se passer de pire et de constater qu’en effet, ça s’appelle, ça ne veut pas dire que ça disparaît, mais ça atténue clairement la peur.
Clémentine Sarlat : On revient à un truc plus rationnel, qui est moins fantasmé.
Emmanuelle Piquet : Exactement, oui, puisqu’on arrête de se battre avec soi-même en fait. C’est quand même souvent une histoire de combat.
Clémentine Sarlat : Alors il y a plus ou moins cinq ou six sujets qui reviennent sur la table au moment de l’adolescence entre les parents et les enfants. C’est très simple : l’alcool, la drogue, la sexualité, les fréquentations et les écrans. Je schématise et je caricature, mais c’est comme ça.
Emmanuelle Piquet : Et les devoirs !
Clémentine Sarlat : Et la réussite scolaire, vous avez raison. Est-ce qu’il y a une recette pour arriver à aborder ces sujets-là sans que ça génère des crises, des tensions avec les adolescents?
Emmanuelle Piquet : Alors, il n’y a pas de recette je ne pense pas, enfin en tout cas moi je n’en connais pas clairement. En revanche, ce que je trouve très intéressant avec l’école de Palo Alto, c’est de se dire, j’ai tel objectif avec lui, avec elle, qu’est-ce que j’ai mis en place pour l’instant pour essayer d’atteindre cet objectif et qui visiblement ne fonctionne pas, parce que si ça fonctionne, il faut continuer simplement, tout ça est très logique. Et l’école de Palo Alto dit : “si ça n’a pas du tout fonctionné alors que vous l’avez fait 10 fois, 100 fois, 200 fois, et bien peut-être ce serait intéressant d’essayer l’inverse”. Et en ce sens-là, ça c’est une modalité de réflexion qui peut être très intéressante pour les parents.
Alors parfois c’est difficile de voir ce qu’on a fait, on trouve qu’on a fait que des choses hyper intelligentes et très diverses, alors qu’en réalité souvent c’est extrêmement monotone, même si les parents sont très créatifs pour se faire croire à eux-mêmes qu’ils font des choses différentes. Et donc, je crois que l’idée c’est vraiment de se dire : “ ok, imaginons que je suis un hamster dans une roue avec cet objectif, c’est-à-dire que je n’attends rien du tout, et que surtout je suis extrêmement fatiguée, et qu’en plus la relation se détériore”. Parce que, ce que je crois et qu’on n’a peut-être pas dit, c’est que, à ce moment précis, la qualité de la relation, elle est primordiale.
À ce moment précis du développement d’un individu, je pense que la qualité de la relation est primordiale et c’est là où elle a le plus mis à mal en fait. Donc imaginons que je suis un hamster dans une roue, moi maman d’ado, moi papa d’ado, imaginons que je descende de cette roue et que je regarde dans quel sens je vais pour ensuite essayer d’aller dans l’autre sens quoi. C’est vraiment ça en fait je trouve qui peut permettre de prendre un peu de recul par rapport à des situations qui génèrent de la douleur.
Clémentine Sarlat : Et vous le dites quasiment tout au long du livre, et c’est ce qui ressort de chaque cas pratique que vous mettez en avant, c’est que l’autonomie c’est la clé.
Emmanuelle Piquet : Oui, je crois vraiment parce que c’est, comme on le disait tout à l’heure, c’est vraiment cet objectif-là qu’ils ont les ados, et paradoxalement c’est aussi l’objectif qu’on devrait avoir, puisqu’en fait ils vont partir normalement, sauf si on veut les garder jusqu’à 32 ans. Mais en vrai c’est ça, c’est-à-dire que moi souvent je dis aux parents : “Voilà, imaginez que vous êtes en conduite accompagnée avec lui, et que voilà, la route c’est la vie quoi, donc vous êtes en conduite accompagnée avec lui, et donc à un moment donné il va falloir que vous sortiez du véhicule, et que vous le regardiez s’élancer sur cette route tout seul, et ni vous ni moi ne savons s’il va se prendre un pylône ou pas, je suis désolée! On n’en sait rien en fait, et c’est ça qui est hyper stressant.
Mais en même temps, rester dans la voiture toute sa vie n’est pas forcément une très bonne idée pour lui en fait, parce que c’est étroit quand même un habitacle de voiture pour qu’il y mette toute sa famille avec vous, enfin je veux dire tout ça n’a pas de sens. Donc il va bien falloir sortir de cette voiture”.
Et au fond ce que je trouve très paradoxal c’est que quand on a beaucoup pris en charge, et quand je dis prendre en charge, ça veut dire “faire à la place de”. Quand on a beaucoup pris en charge un enfant, depuis toujours, jusqu’au bac, puisque visiblement c’est le graal absolu, alors moi je ne comprends pas pourquoi, eh bien c’est difficile de le lâcher à ce moment-là.
Parce que c’est beaucoup plus facile de lâcher un enfant de 6 ans, enfin de responsabiliser un enfant de 6 ans, que de responsabiliser un ado de 18 ans qui en plus a été tellement pris en charge qu’il est complètement démusclé et à moitié “poulpaire et qui ne sait rien faire. Parce que c’est ça qui se passe. Quand ils se retrouvent à la fac après le bac qu’ils ont eu parce que maman les a hissés (ce truc-là à force de hurlements pendant toutes les soirées consacrées aux devoirs), Mais là ils arrivent, ils ne savent pas faire en fait. Parce qu’ils ont puisé dans les ressources de leurs parents, ils n’ont pas puisé dans les leurs. Et quand on ne puise pas dans ses propres ressources, on ne les active pas en fait.
Et c’est la raison pour laquelle, à mon avis, il y a un pourcentage aussi élevé d’enfants en première année post-bac qui se retrouvent en échec. Mais échec et puis déprime en fait, parce qu’ils sentent totalement inaptes.
Clémentine Sarlat : Ils n’ont pas de but.
Emmanuelle Piquet : Ils n’ont pas de but, ils n’ont pas d’autonomie, ils ne savent pas faire en fait, puisqu’on a fait à leur place. Parce qu’en fait, je crois que ça c’est vraiment un point extrêmement important quand on est un parent qui prend en charge, parce que voilà, tous les parents ne prennent pas en charge, évidemment. Il y a des parents qui sont complètement abandonnés, vraiment c’est pas du tout ça que je préconise. Moi ce que je préconise c’est la responsabilisation, comme on l’a dit, c’est-à-dire je serai toujours là pour toi, mais en même temps je vais pas faire à ta place. Ce qui est quand même un juste milieu de mon point de vue.
Mais très clairement, les enfants qu’on a pris en charge et les parents qui prennent en charge ne se rendent pas compte qu’en fait ils envoient deux messages à l’enfant, à l’adolescent, c’est valable pour le conjoint aussi (je le dis, parce que comme ça je donne quelques recettes aussi conjugales). Non mais je plaisante, mais c’est vrai, quand on fait à la place de l’autre ce qu’il devrait être capable de faire, comme par exemple, ramasser ses chaussettes par terre. Eh bien on lui envoie deux messages, donc là je parle plutôt de la scolarité, de toutes sortes de choses par rapport aux ados. Le premier c’est je t’aime. Je t’aime, je t’aime tellement que j’ai pas envie que t’arrive quoi que ce soit de mal. Et le deuxième, c’est tu n’es pas capable.
Donc ils entendent les deux, c’est pour ça qu’ils sont ambivalents par rapport à cette prise en charge, c’est-à-dire qu’à la fois ils aiment bien qu’on les aime évidemment, c’est parfaitement logique, et puis aussi c’est confortable d’être pris en charge, et puis à la fois ils voient bien qu’il y a quelque chose de très… De très diminuant, je sais pas comment on peut dire ça, mais quelque chose qui vient leur dire… Quelque chose qui vient leur dire t’es pas à la hauteur, t’es pas apte. T’es pas apte. Et d’ailleurs, je dois dire que les cas de violence dans des foyers avec des adolescents très violents physiquement, avec leurs parents qui en arrivent vraiment à des choses très douloureuses, c’est souvent des adolescents qui ont été hyper pris en charge.
Parce qu’ils se débattent à un moment donné, ils ne savent plus faire en fait. Ils sont totalement déréglés parce qu’encore une fois, ils ne sont pas allés puiser dans leurs ressources mais dans celles de leurs parents.
Clémentine Sarlat : Vous dites une phrase qui est hyper percutante et vous demandez aux parents d’ailleurs de relire plusieurs fois cette phrase. “Tu sais mieux que moi ce qui est bon pour toi”. Pourquoi c’est dur pour les parents de lire ça, ou en tout cas d’appliquer cette phrase-là et de dire autrefois ?
Emmanuelle Piquet : Mais déjà de la dire, c’est-à-dire que moi quand je leur dis en consultation, imaginez que je suis donc Thomas, votre fils de 17 ans, regardez-moi et dites-moi : ‘‘tu sais mieux Thomas, tu sais mieux que moi ce qui est bon pour toi’’. Elles sont là : “tu sais, tu… Alors je… Tu sais pas”. En fait je dis non, alors faites un effort quand même. Elles n’y arrivent pas parce qu’elles ont cette certitude qui sont inaptes en fait, et qu’elles savent mieux que ce qui est bon pour eux. Et quand on a quelqu’un qui sait mieux que nous ce qui est bon pour nous, et notamment par exemple au niveau des émotions, on pourra en reparler, c’est profondément déstabilisant en fait. Surtout à 17 ans, je veux dire que à 17 ans on commence à savoir un peu ce qui est bon pour nous ou pas.
Et donc, quand par exemple un parent parce qu’il y a ça aussi chez les adolescents, il y a cette idée, enfin la perception qu’on en a, notre perception c’est qu’ils sont un peu excessifs au niveau émotionnel, ils partent dans les tours, ils pleurent pour rien, enfin tout ça est très… Voilà. Et du coup… On ne prend pas tellement, je trouve, en considération leurs émotions, quoi, et on leur dit que : “voilà, pourquoi ils s’excitent comme ça vis-à-vis de leur belle-mère à cariatres, ou pourquoi ils s’énervent comme ça vis-à-vis de tels profs injustes, ou pourquoi ils sont tellement attachés à telle enseignante”, enfin je veux dire, on est beaucoup en train de leur dire : “calme-toi, enfin je veux dire, t’es un peu… “
Et je pense que c’est pas bon, ça, parce que je pense qu’ils savent mieux que nous ce qu’ils ressentent. Et que dire à quelqu’un « tu ne ressens pas les choses correctement », c’est ultra violent. Et les adolescents, en fait, quand on leur dit beaucoup « tu devrais être moins triste, tu devrais avoir moins peur, tu devrais être plus joyeux, tu devrais être plus reconnaissant à tes parents magnifiques », eh ben ils ont deux possibilités s’ils ne ressentent pas ça.
Soit ils se disent “ non mais pas du tout en fait, c’est moi qui ressens et tais toi, donc ça, ça crée des conflits pas très agréables “, soit ils se disent “ maman a raison, c’est elle qui ressent mieux que moi les choses” et ça c’est pas du tout bon pour la santé psychique vraiment c’est très très mauvais quoi.
Clémentine Sarlat : Est-ce qu’on a tendance à moins bien parler à nos ados qu’on le ferait à des enfants plus petits ou à des adultes parce qu’on a cette posture de toute façon cette phase là on part d’emblée avec nos lunettes de ces problématiques et donc on interagit avec eux de manière moins respectueuse?
Emmanuelle Piquet : Je crois qu’on est beaucoup plus méprisant avec les adolescents qu’avec les enfants, en fait. Mais parce que les enfants nous idolâtrent, donc on les trouve vraiment tout à fait intéressants, alors que les adolescents on trouve qu’ils n’ont vraiment aucune valeur. Et en fait, les mamans le disent, en fait, souvent elles disent : “Quand je m’adresse à lui, je suis déjà énervée, déjà méprisante, déjà, en effet, pas très respectueuse, quoi, parce que”… Mais en même temps, il y a un passif, quoi, en effet, donc elle l’explique comme ça, quoi. Sauf que du coup, en fait, j’ai l’habitude de leur dire : Par rapport à un adolescent, et ça je le travaille aussi beaucoup avec les enseignants, il y a ce que Bateson appelait l’escalade donc en l’occurrence symétrique, c’est-à-dire entre un ado qui cherche, le parent qui essaye de mater en disant c’est qui l’adulte? C’est comme quand les gens dans une entreprise ils disent c’est qui le patron, t’as envie de dire ben pas toi visiblement puisque tu demandes. Donc c’est qui l’adulte ?
Et donc je leur dis, quand vous commencez à monter dans une escalade symétrique de cet ordre là, sachez que vous allez perdre, avec un adolescent, contre un adolescent, vous allez toujours perdre, même si au bout du compte il s’en va en claquant la porte, même si au bout du compte vous mettez à hurler et que du coup il se soumet. Au bout du compte, vous aurez perdu parce que vous aurez perdu le contrôle. Et donc, avec un adolescent, ce qu’il faut, c’est savoir rester en bas de l’échelle. C’est compliqué parce qu’il nous agace à certains moments. Mais c’est valable avec d’autres personnes. Je veux dire, moi, mon mari, par exemple, a une maman de 96 ans qu’on appelle “Dédé L’embrouille” dans l’intimité.
Clémentine Sarlat : Bonjour Dédé!
Emmanuelle Piquet : Salut Dédé! Un de ses amis disait qu’elle ferait s’engueuler les deux fesses d’un même cul. C’est pour vous dire la personne. Et donc elle est très très culpabilisante. Vous voyez donc quand mon mari va la voir deux fois par semaine, ce qui est déjà absolument énorme je trouve personnellement, elle dit « tu es venu finalement ». Alors que bon, il va tous les deux jours quoi. « Ton frère vient plus souvent mais en même temps toi tu es très pris… » Elle fait un truc très culpabilisant. Et lui ça monte et donc là il se retient quoi en fait. Il se retient ou alors il fait deux trois petites remarques acerbes et là il dit « Arrête de me parler comme ça! ».
Et donc ça monte un grand, et puis bref, et à un moment donné c’est lui qui explose, évidemment, et là du coup elle est totalement victimaire en mode, voilà “c’est affreux”, et je lui dis en fait, et ça je le dis souvent aussi aux parents d’adolescents, je lui dis, il faut considérer que la première marche de l’échelle, donc je lui dis, imagine ta maman avec un bleu de travail et une échelle, voilà, c’est la première fois, la prochaine fois que tu la vois, et je dis ça aux parents d’adolescents, imaginez-le avec un bleu de travail et une échelle, il met l’échelle comme ça, et puis il monte pour regarder ce que vous allez faire. Et là, il faut que vous disiez, je monte pas moi, je reste en bas.
Et je lui dis considère, et je leur dis : “considère que la première marche sur laquelle tu montes c’est un trampoline. Parce que si tu montes sur la première marche t’es foutu en fait, avec un adolescent”.
Clémentine Sarlat : C’est l’escalade en haut. C’est une belle image pour les peintres.
Emmanuelle Piquet : Le bleu travail. C’est bien le bleu travail.
Clémentine Sarlat : L’échelle de dire “non, je vais mettre des poids à mes chevilles pour rester en bas et rester droit dans mes bottes et ne pas rentrer dans un jeu en fait”.
Emmanuelle Piquet : Ouais ouais, ne rentre pas dans ce jeu parce que tu vas perdre. Et puis ça lui fait pas du bien à lui, par ailleurs. Mais en plus… Ça ne restaure pas l’autorité du tout, en fait. Oui, c’est pas productif.
Clémentine Sarlat : Est-ce qu’on accueille différemment les émotions d’un adolescent que d’un enfant? Ou est-ce que c’est le même processus?
Emmanuelle Piquet : Pour moi, c’est le même processus. Je pense qu’il faut vraiment enlever le « mais ».
C’est-à-dire que, par exemple, quand on a un ado qui a un chagrin d’amour, même si on trouvait que vraiment cette personne avec qui il était n’était pas adéquate, qui est souvent le cas de parents d’adolescents, je pense que le chagrin d’amour de l’adolescent il faut l’accueillir mais vraiment de façon absolument inconditionnelle en disant “mais mon amour c’est horrible c’est un des plus des jours les plus horribles de ta vie en fait parce que c’était ton premier amour et t’avais mis plein de choses et surtout pas dire mais t’inquiète on t’entendra et je te fais un câlin mon amour viens faire un câlin parce que je peux rien faire d’autre que ça”.
C’est vraiment cette idée de d’accueillir l’émotion sans essayer de vouloir l’atténuer sans essayer de vouloir la normaliser, enfin la normaliser, la pathologiser au contraire, en la normalisant bien au contraire et en disant tout ça est parfaitement logique en quelque chose de très utile je trouve dans la quête des émotions des ados c’est de dire : “moi à ton âge j’ai ressenti exactement la même chose c’était horrible”, parce que comme on a cette espèce de perception que leurs émotions sont hyper excessives de façon globale parfois ils peuvent avoir honte de leurs émotions et donc pas nous les dire et donc le fait de dire : “moi tu sais je ressentais exactement la même chose” ça enlève complètement la honte quoi. Donc oui bien sûr on accueille de la même façon moi je trouve.
Clémentine Sarlat : Donc du coup, si enfant on a toujours réussi à bien accueillir, on n’a pas de raison de changer notre mode opératoire et devenir méprisant ou méprisante et de minimiser. Au final, si ça s’est toujours bien passé, on continue comme ça, même s’il nous agace.
Emmanuelle Piquet : Oui, c’est pas pareil parce qu’ils deviennent assez laids. Il faut quand même aussi l’admettre, c’est-à-dire que souvent l’adolescent n’est pas beau. Souvent il n’est pas beau, ça va mieux après. Ça allait beaucoup mieux avant et puis ça va mieux après. Mais franchement, moi je pense que les profs de collège ça a aussi un côté… Enfin parce que…. Il y a quand même un public qui est compliqué. Je veux dire, quand on prend l’adolescent garçon, je trouve, de quatrième, pour moi.
Clémentine Sarlat : C’est vraiment le… Ouais, le paroxysme du problème. C’est le paroxysme du problème, on est d’accord. Le quatrième…
Emmanuelle Piquet : Il y a la quatrième, c’est un truc…
Clémentine Sarlat : C’est marrant, moi j’étais en quatrième il y a plus de vingt ans, mais c’était déjà le quatrième, on se disait…
Emmanuelle Piquet : C’était déjà le problème, c’est bizarre. Et je pense que personne n’a envie de partir en vacances avec un quatrième. Personne. Je veux dire, si on laisse le choix, on choisit plein d’autres personnes. C’est compliqué. Ils sont avec ce grand corps là, ils bouffent, on ne sait pas comment, cet appareil dentaire mal lavé, toutes sortes de choses ignobles avec cette voix qui part dans les aigus. On n’aime pas cette personne, on l’aime pas tellement. Enfin je veux dire, a priori, et en même temps on l’adore parce que c’est le nôtre, et puis qu’on sait que ça va évoluer, mais je veux dire, il faut aussi comprendre que c’est beaucoup plus difficile, quoi, en fait. Et donc cette période-là, il faut câliner les parents aussi, quoi. Il faut les câliner. Parce que c’est pas facile. À plein d’égards, je veux dire.
Clémentine Sarlat : Et vous le dites, et ce que vous avez dit au début, c’est que souvent c’est eux les plus en souffrance finalement. Est-ce que ça peut bien se passer l’adolescence?
Emmanuelle Piquet : Mais complètement, je veux dire vraiment, non mais sincèrement, je pense que vraiment, moi je veux dire mes quatre enfants, pourtant j’avais des rebelles dans le tas, je veux dire j’avais pas du simple. J’ai pas le sentiment qu’il y ait eu crise d’adolescence, au sens où on me le dit, il y a eu des conflits et des choses sur lesquelles on n’était pas d’accord. Mais au fond, et puis voilà, j’en vois plein d’autres, je ne parle pas que des miens, je pense qu’il y a plein de moments où, de famille, où l’adolescence se passe plutôt bien. Il peut y avoir aussi des familles où ça se passe très bien avec un, pas du tout avec l’autre, parce qu’il n’y a pas d’environnement familial comme ça, avec des modes d’emploi.
Mais je crois que c’est difficile que ça se passe bien parce que c’est comme si on était enjoints tous à ce que ça se passe mal en fait.
Clémentine Sarlat : On est dans des prophéties autoréalisatrices.
Emmanuelle Piquet : Complètement, complètement. Et presque, si on n’a pas fait sa crise d’adolescence, on est un petit peu inquiet. Je pense qu’on ne sent pas exactement dans la norme quoi.
Clémentine Sarlat : Oui c’est vrai, je vous disais ça avant l’épisode, en lisant votre livre, je me disais “ben moi j’ai pas fait de crise d’adolescence” et j’ai compris aussi que mes parents m’avaient donné énormément d’autonomie et de responsabilisation avec des conséquences. Du coup, je me suis pas sentie enfermée dans un carcan à devoir leur prouver qu’ils avaient tort et à faire des conneries. C’est ça aussi, c’est que l’adolescent va se mettre en danger. Et là, on parle de choses quand même qui peuvent être graves. Dans le livre, vous expliquez une jeune fille qui a consommé beaucoup trop de cannabis et qui fait une crise psychotique. Donc ça arrive aussi?
Emmanuelle Piquet : Bien sûr, absolument.
Clémentine Sarlat : On n’est pas là à dire que c’est le monde des bisounours, c’est que l’adolescence, ils se mettent en danger.
Emmanuelle Piquet : Absolument, ils se mettent en danger, ça c’est certain, notamment, comme vous le dites très bien, parce qu’ils se débattent en fait. Et c’est pour ça que moi je trouve que c’est pas une bonne idée qu’ils se débattent. Et donc il faut regarder comment on peut faire en sorte que, d’une certaine manière, ils aient moins de raison de se débattre. Mais c’est compliqué parce que tout nous fait super peur. Et puis il y a un autre point, je trouve très frappant, c’est qu’il y a un moment donné où le conflit monte, monte, et ça crée comme un espèce de mur de briques, je trouve, entre l’adolescent et son parent. Et à un moment donné, c’est plus possible, en fait, de passer au-dessus de ce mur.
L’adolescent se disant : moi je continue à monter mon mur parce que de toute façon, si jamais je redescends le mur, ils vont me dire : ça y est, monsieur est redescendu ou madame a arrêté de faire…” Et donc ils sentent ça, enfin je le dis de façon un peu caricaturale, mais ils ont hyper peur en fait de l’accueil qui va leur être fait si jamais ils arrêtent, ils déposent les armes un peu d’une certaine façon. Et donc ils déposent pas les armes.
Et donc là moi je trouve que c’est hyper intéressant de travailler avec les parents en disant : c’est à vous d’enlever quelques petites briques à vous, de votre côté, et de dire à travers le trou que vous aurez fait, quoi qu’il arrive, si jamais à un moment donné t’as envie de me parler à nouveau, il n’y aura pas de reproches, il n’y aura pas de moralisation. Rien, il n’y aura rien du tout, il y aura juste mes bras en fait, si jamais tu décides qu’on doit faire la paix. Et ça je pense que c’est hyper intéressant parce que souvent on le voit pas ce mur de briques et on se dit mais on peut rien faire en fait, rien ne va. C’est parce qu’ils imaginent quelle va être notre réaction d’une certaine façon.
Clémentine Sarlat : Ou le « je te l’avais bien dit ».
Emmanuelle Piquet : La pire phrase « je te l’avais pourtant bien dit ».
Clémentine Sarlat : Et donc là ils repartent avec leurs mœurs. Mais ça, ça vaut dans toutes les relations un peu?
Emmanuelle Piquet : Oui, absolument.
Clémentine Sarlat : C’est plutôt commun à tous les êtres humains, non?
Emmanuelle Piquet : Oui, mais on le dit souvent aux adolescents je trouve quand même.
Clémentine Sarlat : Qu’est-ce qui effraie le plus les parents d’adolescents?
Emmanuelle Piquet : Ça dépend vraiment. Je pense que vraiment le côté SDF, mon fils va finir SDF, je vais le retrouver à la gare de Lyon et deux ans plus tard après là il me crachera au visage en disant “regarde ce que je suis devenue à cause de toi”, ça c’est vraiment un truc qui fait super peur. Ce qui est logique, on n’a pas envie évidemment. La drogue, le fait qu’il finisse toxicomane, en prison, tué parce qu’il est dans des trafics. La prostitution pour les filles, ça, ça fait super peur. Et puis il y a des peurs autres, il y a des peurs qui peuvent être aussi générées par exemple, moi j’avais un papa, j’en parle dans le livre, qui avait hyper peur que sa fille se convertisse à l’islam et qu’il ne la voit plus du tout. Et puis elle a peur qu’elle tombe sur quelqu’un de violent. Les parents sont très créatifs pour imaginer les choses les plus épouvantables qui pourraient arriver.
Clémentine Sarlat : D’ailleurs, sur l’exemple que vous donnez, je le dis parce qu’elle s’est convertie à l’islam, sa fille, et elle a une carrière brillante en théologie et il est très fier.
Emmanuelle Piquet : Il est très fier d’elle.
Clémentine Sarlat : C’est drôle, sa peur, au final, s’est transformée en quelque chose de super positif.
Emmanuelle Piquet : Oui, c’est ça. En fait, il avait vraiment peur qu’elle disparaisse.
Clémentine Sarlat : Mais c’était pas l’intention de sa fille au final?
Emmanuelle Piquet : Non, pas du tout. Donc oui, c’est des peurs très variées. Alors il y a des peurs aussi génétiques, ça c’est assez amusant. C’est-à-dire souvent les mamans qui disent j’ai peur qu’il soit comme mon ex.
Clémentine Sarlat : Oui, dans les séparations, l’enfant renvoie au conjoint qui ne fait plus partie du couple.
Emmanuelle Piquet : Oui, c’est ça. Il est addict comme son père, j’ai hyper peur qu’il devienne comme lui.
Clémentine Sarlat : Ou il est violent comme son père.
Emmanuelle Piquet : Absolument. Mais c’est très intime comme peur. Il faut les accueillir, il faut les traverser, parce que souvent ce sont ces peurs-là qui font faire des choses improductives en fait dans la relation. Donc avant tout il faut apprivoiser la peur.
Clémentine Sarlat : Oui, nos peurs induisent des comportements à effet inverse de ce qu’on voudrait. On les pousse à aller vers là où on a peur.
Emmanuelle Piquet : Exactement et en fait ce qui est très paradoxal c’est qu’on a ces comportements pour tenter de faire diminuer notre peur mais le feedback qu’il nous a envoyé augmente notre peur donc on continue.
Clémentine Sarlat : Et dans votre pratique c’est donc le virage à 180 degrés donc faire l’inverse de ce qu’on était en train de faire puisque ça ne marche pas. Est-ce qu’il y a des cas où ça aussi c’est pas productif, ça marche quand même pas de changer son fusil d’épaule et de trouver autre chose?
Emmanuelle Piquet : Bien sûr, bien sûr. Alors nous on a cette chance-là de pouvoir l’évaluer puisque nous on fait évaluer toutes nos thérapies par nos patients, par 100% de nos patients. Et donc on le fait trois mois après la fin de la thérapie et puis deux ans après la fin de la thérapie. Et donc il y a plusieurs questions et une des questions c’est si sur une échelle de 0 à 10 votre problème était à 10 quand vous êtes venu en thérapie, à combien situe-t-il maintenant? C’est cette question là qui est la plus importante pour nous et nous on considère qu’à partir du moment où ils sont à 5, donc 5, 4, 3, 2, 1, 0, on considère qu’il y a eu un changement de niveau 2, ce qu’on appelle c’est à dire vraiment un changement un peu structurel et structurant.
Et donc on est à peu près à 80%, un peu au-dessus de 80%. Donc on a 20% d’échecs clairement. Alors moi j’ai tendance à dire que c’est parce qu’on n’a pas fait le bon virage, on ne leur a pas proposé, on a été mauvais en fait, on n’a pas proposé le bon virage à 180 degrés. Parce que c’est vraiment frappant de voir à quel point, notamment dans des problématiques très intenses comme celle-ci, à quel point c’est vraiment ce que la personne met en place. C’est pas que ça ne résout pas, c’est que ça alimente le problème. Un peu, voire ça l’amplifie parfois à certains moments, un peu comme une bûche qu’on mettrait sur un feu pour l’éteindre en fait. Dans un premier temps, et c’est ça qui est un peu pervers, c’est que dans un premier temps ça fonctionne.
Et puis ensuite ça crée une flambée en fait, et donc on continue à faire ça. Et donc normalement, si le 180° est bien fait, il y a forcément des choses qui se passent, qui sont de l’ordre de l’apaisement de la souffrance. Après, il y a aussi des personnes qui décident de ne pas le faire, le virage à 180°, parce que c’est trop douloureux, parce que ça leur fait lâcher trop de principes, parce que voilà. Et de ce point de vue-là, du coup, ils ne sont pas très apaisés, parce qu’ils continuent en fait à faire ce qu’ils faisaient. Donc voilà, non, on n’est pas à 100% évidemment.
Clémentine Sarlat : Non, de toute façon, il n’y a pas de recette parfaite et qui marche tout le temps, ça c’est sûr. Vous dites quelque chose qui m’a fait beaucoup rire dans le livre, c’est que vous êtes des psy biodégradables.
Emmanuelle Piquet : Oui.
Clémentine Sarlat : Ça veut dire quoi? J’ai compris mais je trouve que c’est très drôle.
Emmanuelle Piquet : Mais en fait oui, c’est-à-dire que nous ce qu’on aime bien c’est vraiment ne pas laisser de traces pratiquement. C’est pour ça que, vraiment, notre première intention, c’est vraiment de travailler avec le parent, sans voir l’enfant, pour qu’il ait zéro trace sur lui, et plutôt d’être à côté du parent en disant comment est-ce que vous allez faire avec l’adolescent pour que ça se passe différemment ? Pour qu’à un moment donné, on puisse sortir de ça rapidement, et que les nouvelles modalités relationnelles soient mises en place à l’intérieur de la famille. Et donc, de ce point de vue-là, c’est comme ça qu’on l’explique, on veut être biodégradable.
Clémentine Sarlat : Oui, en même temps, vous responsabilisez les parents et vous leur redonnez confiance en eux sur leur capacité à être parents.
Emmanuelle Piquet : En fait, on fait avec eux ce qu’on leur demande de faire avec leurs enfants.
Clémentine Sarlat : C’est vrai. Et j’aime beaucoup parce que, comment vous le racontez, vous allez aussi dans le sens des parents. C’est-à-dire que vous faites alliance avec l’ado, évidemment, mais dans le dos des parents, vous le faites et face aux parents, vous êtes là : “oui, c’est vraiment très dur ce que vous vivez”, même si parfois vous réalisez l’absurdité de la situation aussi.
Emmanuelle Piquet : Alors je réalise l’absurdité de la situation, en tout cas à quel point les gens peuvent continuer à faire des choses en effet totalement aggravantes, mais en même temps je ne remets jamais en cause l’émotion, parce que par définition elle est là et que si quelqu’un vient consulter, c’est qu’il y a douleur, d’une façon ou d’une autre. Parfois, c’est ce que je dis à mes étudiants, il faut que vous soyez focalisés sur la recherche de cette souffrance, que parfois on ne la voit pas. Parfois on a des parents tellement dans une espèce de rigidité extrêmement fragile en fait, d’une certaine manière, mais très arc-bouté, en fait, par rapport à ça, qu’on perçoit mal la souffrance.
On se dit juste, et puis nous, en plus, si on travaille dans cette matière, c’est qu’on adore les mômes, donc quand on a des parents qui nous expliquent à quel point leur gamin ne va pas, voilà… Et je leur dis : “allez chercher la souffrance de cette maman, parce qu’il y a une souffrance à se trouver face à un adolescent qui est l’exact inverse de ce qu’on voulait comme adolescent”. Il y a une souffrance, il faut l’admettre, il faut la caliner aussi, parce que c’est dur, quoi. Parce que je pense que quand on rate une thérapie, c’est parce qu’on n’a pas rejoint la personne qui souffrait sur sa souffrance.
Clémentine Sarlat : Vous êtes thérapeute, mais vous êtes aussi maman.
Emmanuelle Piquet : Oui.
Clémentine Sarlat : Et vous racontez au début du livre une scène très drôle avec votre fille. Est-ce que vous avez la sensation d’avoir galéré en tant que maman d’adolescent?
Emmanuelle Piquet : Pas du tout, sincèrement pas du tout. Il y a eu des moments difficiles, il y a eu des moments de tension, mais franchement j’ai plutôt des joyeux souvenirs, des souvenirs assez colorés de tout ça. Mais ça n’a pas été de tout repos comme je l’explique en effet dans le livre. Moi, je trouve, j’ai vraiment cette impression-là, sincèrement, et je leur dis souvent, alors maintenant ce sont de jeunes adultes, mais j’ai l’impression qu’à partir du moment où ils ont commencé justement à se rebeller, à aller chercher leurs propres idées, à nous confronter de façon extrêmement forte au niveau politique, etc., moi j’ai l’impression qu’ils m’élèvent, beaucoup plus que je les ai élevés, sincèrement.
Clémentine Sarlat : Parce que le regard, quand vous racontez cette scène avec votre fille, que j’invite les gens à lire parce que c’est vraiment très drôle par rapport au bac et au sport, on sent aussi beaucoup d’admiration dans leur façon de résoudre des problématiques, de leur créativité, de leur savoir-faire et de leur ingéniosité, parce que là votre fille elle a vraiment fait preuve d’ingéniosité. C’est pas souvent le discours qu’on entend des parents face à leurs adolescents justement.
Emmanuelle Piquet : Oui oui, alors que sincèrement, moi je trouve que les adolescents que je rencontre, on voit l’adulte en devenir derrière, on voit des aptitudes, alors c’est encore un peu flou on va dire quoi, mais je suis très agacée moi quand j’entends des gens dire que tous les ados sont devenus complètement débiles à cause des écrans, à cause de je sais pas quoi, quand je vois des livres du genre la fabrique du crétin digital, je me dis mais comment… Qu’est-ce que c’est que cette espèce de mépris absolu?
Moi je suis plutôt très en admiration, je suis très en empathie aussi parce que je trouve que c’est pas facile d’être adolescent en ce moment, tout comme c’est pas facile d’être parent d’adolescent. Et je trouve que c’est assez simple quand on s’y met un peu sérieusement d’aller voir tout ce qu’ils ont d’assez magnifique en fait.
Clémentine Sarlat : Oui, ce serait la clé aussi, non? D’avoir des relations apaisées. C’est de changer nos lunettes et pas d’oublier qu’ils peuvent être relous, si je parle devant d’autres, mais qu’il y a aussi quelque chose de positif en eux, sinon ils vont l’oublier eux aussi, c’est ça?
Emmanuelle Piquet : Oui, c’est ça, il y a quelque chose qui est en train de naître. Parfois, alors par contre, moi je pense qu’il faut savoir aussi dire quand on n’est pas du tout d’accord, je veux dire, mais pas pour les faire changer parce que notre confort à nous est… Voilà, par exemple… Je trouve ça absolument invraisemblable, mais j’ai des parents qui viennent me voir pour plein de choses concernant leur adolescent, mais notamment un point qui est, il ne vient pas manger quand je les appelle, quand je l’appelle, en collectif. Donc vraiment, elle me raconte la scène en fait, c’est là en disant : “donc je crie à table une fois, deux fois, trois fois, quatre fois, six fois, la septième fois j’en peux plus, je hurle, et là ils arrivent en gueulant en disant « mais ça va, il y avait fait au lac »”.
Et donc là elle me dit “donc on passe un super mauvais moment parce que j’étais hyper énervée”, donc je dis « Oui, donc ça ne va pas, on va faire un peu différemment ». Et donc je leur dis “alors on va faire la chose suivante vous allez donc faire son plat préféré donc à base de féculents et de viande rouge essentiellement, mais vous allez le faire en petite quantité pour vous et votre mari uniquement et puis vous allez donc mettre la table pour trois. Et là vous allez juste dire « à table », comme ça très faiblement, presque pas audible. Et puis ensuite vous allez manger avec votre mari le plat. Donc là normalement il vient assez vite, parce qu’il trouve ça bizarre qu’on ne l’appelle pas, parce qu’ils sont très habitués en fait. Ils se disent « je viendrai la septième fois ». Donc là, quand il descend, il faut qu’il y ait un tout petit bout, un peu comme pour s’il était Ken, le mari de Barbie. Et là vous lui dites, donc s’il dit « mais c’est abusé, il n’y a plus sens », il faut dire « Mais chérie, je t’ai appelé, j’ai cru que t’avais pas faim, mon amour. Oh bah je suis désolée, je crois qu’il y a des cornes-flex dans le placard, si tu veux ».
Une fois, hein. Le lendemain, ils reviennent, à 19h, ils sont là « Je peux mettre la table? Qu’est-ce qu’on mange? ». Donc, il y a des fois, il faut savoir aussi être un peu… C’est ce qu’on appelle, nous, chez nous, le sabotage bienveillant. On adore, hein. Parce qu’il faut que la colère, à un moment donné, elle sorte quand ils abusent un peu, quoi. Vous voyez ce que je veux dire? Et donc, on s’amuse à faire un peu des choses qui… Tout en restant très “pardon chou, oh mon dieu mais comment j’ai cru t’avais pas faim mon amour”, c’est vraiment ça.
Clémentine Sarlat : En même temps vous leur demandez aux adolescents de manipuler leurs parents, il faut bien que vous demandiez aux parents de manipuler leurs enfants.
Emmanuelle Piquet : On est bien d’accord. Tout ça pour la paix de la famille.
Clémentine Sarlat : Mais c’est drôle parce qu’interagir avec des adolescents c’est quand même une phase à part dans la vie entière. Ils ont leurs codes, ils ont leurs émotions qui sont un peu plus fluctuantes ou plus intenses peut-être qu’à d’autres moments de la vie. Et ils ont un a priori aussi envers les adultes qui sont les vieux et qui peuvent pas les comprendre. Ça c’est un discours classique de l’adolescent?
Emmanuelle Piquet : Bah oui, c’est-à-dire que vraiment ils trouvent qu’on comprend rien quand même dans l’ensemble. Maintenant, moi j’en rencontre pas mal qui au fond se sont choisis des adultes de référence. Alors c’est ça que je trouve dommage, c’est-à-dire que je trouve dommage qu’ils soient obligés de se choisir des adultes de référence parce que ça se passe mal dans la relation avec leurs parents. Moi je préfère s’ils sont face à quelque chose d’hyper troublant sur les réseaux, par exemple pornographique, tout simplement. Je préfère qu’ils en parlent à leurs parents, plutôt qu’à je sais pas. Qui, en fait ? Mais un certain nombre d’entre eux choisissent des adultes de référence qui sont tout à fait bien. Je veux dire, les enseignants, il y a plein d’enseignants qui ont sauvé, je pense vraiment, des adolescents. Je pense à des infirmières scolaires, je pense à des psys aussi. Nous on a vraiment des retours d’ados qui sont extrêmement touchants.
Clémentine Sarlat : Les coachs de sport aussi?
Emmanuelle Piquet : Absolument, absolument. Donc ils ne nous trouvent pas tous nuls. Heureusement, mais ils ont en effet un a priori mais qui est le même que celui de la plupart des adultes quoi en fait.
Clémentine Sarlat : Est-ce qu’un adolescent qui continue d’admirer ses parents, c’est un adolescent qui n’est pas normal?
Emmanuelle Piquet : Pas du tout, non. Il n’y a pas besoin d’être en rébellion. Ca c’est vraiment encore un truc qui a été vraiment très construit. C’est obligé de se construire contre, etc. Alors il y a plein de fois où ça fonctionne, je ne suis pas contre, même si je trouve qu’il faut tenter de faire en sorte que ça laisse le moins de blessures possibles. Je connais des familles où les parents et les enfants ne se parlent plus du tout, ça existe. C’est quelque chose dont on parle pas trop dans les salons parce que c’est très honteux de dire bah moi je ne vois plus mes enfants en fait. Donc moi je trouve qu’il faut éviter ça, c’est quand même extrêmement douloureux à mon avis de part et d’autre.
Donc oui, s’élever contre, oui, essayons de le faire de la façon la plus écologique possible et puis parfois c’est pas du tout nécessaire en fait.
Clémentine Sarlat : Donc il y a de l’espoir, on n’est pas obligé de se dire qu’on est condamné à vivre quelque chose de difficile. Ça peut être fun, parce qu’ils sont fun les ados. Et est-ce que ça aussi c’est un de nos travers de parents, c’est qu’on peut être très rigide, on est happé par nos quotidiens, surtout s’il y a des grandes fratries et qu’il y a d’autres enfants à s’occuper, est-ce qu’on ne fait pas l’effort de rejoindre leur monde, d’essayer d’aller jouer avec eux, je n’en sais rien aux jeux vidéo, d’aller faire du sport avec eux, d’aller dessiner, peu importe ce qu’est leur activité. On oublie de faire ça quand on est parent d’ado?
Emmanuelle Piquet : Oui je crois que clairement on oublie de faire ça et puis donc ils ne nous rappellent pas trop à l’ordre parce qu’ils se sont trouvés d’autres distractions via les écrans par exemple. Et au fond moi ce que je trouve, c’est vraiment ça que je trouve dommage dans les écrans c’est que je pense que ça vient remplacer des interactions en fait. Je veux dire, si à la limite un ado est devant un écran en interaction avec son parent à côté, moi j’ai pas de problème avec les écrans. Ce qui m’ennuie, c’est que ça vient remplacer l’interaction.
Et du coup, je trouve qu’en effet, leur dire écoute je comprends rien à ton jeu, est-ce que tu peux m’expliquer sans jouer avec eux, mais juste qu’ils nous expliquent ce qu’ils trouvent intéressant là-dedans, ce que ça développe chez eux, c’est intéressant de les écouter nous parler de ça. Leur dire pourquoi ce manga à moitié sexiste, ils trouvent ça intéressant. Moi j’adore les ados quand ils racontent des choses absolument inintéressantes pour la peuplade adulte. Moi ça me fait… Mais j’adore aller en plongée sous-marine avec eux dans ce truc où ils sont là : “Et ouais donc je lui ai dit ça, il m’a dit ça, et donc après on s’est dit ça. Bon ben après c’était vraiment l’horreur parce qu’évidemment l’autre il a dit ça et donc c’était l’horreur”. J’adore, je trouve ça passionnant vraiment.
Parce que je suis avec eux en train de me dire “mais c’est affreux”. Parce qu’on se souvient pas, je sais pas, on fait une amnésie quand même. Mais on était pareil, on était dans les mêmes intensités quoi.
Clémentine Sarlat : Mais moi j’ai aimé être ado, parfois je me dis : “c’était cool l’adolescence”, il y a une excitation, il y a un truc quand même où tout est waouh, des fois. Les interactions qu’on a avec les autres ados, l’effet de groupe, alors je dis pas quand il y a harcèlement et quand c’est négatif, mais quand ça se passe bien, c’est quand même un truc hyper intense.
Emmanuelle Piquet : Carrément, et puis surtout quand on est responsabilisé, parce que du coup on a un adulte qui est là, mais pas un adulte qui nous empêche en fait.
Clémentine Sarlat : Je voudrais le dire, si un jour les parents de mes copines écoutent : “beaucoup de vos enfants ont dit qu’ils venaient chez moi alors qu’en fait ils ne venaient pas de chez moi, ils sortaient”. Parce que chez moi on avait le droit de sortir, on avait le droit de venir et qu’on était le point de relais.
Emmanuelle Piquet : C’est chouette! Mais c’est ça qui fait une adolescence heureuse aussi, c’est d’avoir été dans cette famille-là.
Clémentine Sarlat : Mais je me dis des fois “le nombre de mensonges qu’elles ont élaboré mes copines pour pouvoir vivre une vie d’ado” effectivement et d’avoir cette légèreté aussi autour de l’adolescence qui n’est pas une tare.
Emmanuelle Piquet : Non, qui est au contraire génial et le contrôle en effet génère souvent de la dissimulation et du mensonge ce qui est logique en fait pour échapper au contrôle. Voilà, on peut pas à la fois vouloir tout contrôler et puis vouloir que les gens soient totalement soumis, ça n’existe pas, ça n’a aucun sens en fait. Et en effet, je crois que les passages à l’acte dont on parlait tout à l’heure, les passages à l’acte un peu problématiques, enfin très problématiques même à certains endroits, c’est souvent des enfants qui ont été très contrôlés. Et qui donc, à un moment donné, voilà, ça explose quoi, littéralement.
Clémentine Sarlat : Pour terminer cette conversation sur les adolescents, si vous aviez un mot à dire aux parents d’adolescents, ce serait quoi?
Emmanuelle Piquet : Mais d’abord que je suis avec eux dans ce moment difficile et je sais à quel point c’est difficile. Leur dire qu’il n’y a clairement pas de mode d’emploi, mais que c’est hyper important qu’ils se disent qu’à un moment donné ils ont vraiment le droit de faire l’inverse de ce qu’ils ont fait jusqu’à présent et qui n’a pas fonctionné. Parce que, ça voudra dire d’ailleurs qu’ils font preuve d’une grande souplesse et d’une grande intelligence relationnelle pour moi, Et je terminerai en disant, je trouve que c’est hyper important qu’ils soient en permanence en train de regarder l’adulte qui est en train devenir leur adolescent. Plutôt que l’espèce d’enveloppe corporelle un peu problématique qu’il a pour l’instant.
Clémentine Sarlat : Donc ça va bien se passer. C’est ça qu’il faut retenir aussi. Merci beaucoup Emmanuelle.
Emmanuelle Piquet : Merci à vous.
Clémentine Sarlat : Je suis ravie de vous avoir reçue.