Épisode 209 : Baptiste Beaulieu : le médecin du côté des mères

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Baptiste Beaulieu fait partie des personnalités que j’admire le plus pour sa capacité à comprendre, analyser et mettre en mots les travers de notre société.

Avec son prisme de médecin de famille et d’écrivain, Baptiste vient vous éclairer sur le quotidien de millions de femmes et particulièrement de mères.

Sa sensibilité et son charisme nous entraînent dans un monde où la souffrance et les difficultés sont mises à nus pour mieux les accueillir. 

Je vous souhaite une très bonne écoute.

🗣️ Au programme :

🎙️ Parcours de Baptiste Beaulieu (00:00 – 08:28)
👨‍⚕️ Pratique médicale et empathie (08:28 – 17:38)
👨‍👩‍👧 Parentalité et société (17:38 – 26:58)
🏳️‍🌈 Homosexualité et parentalité (26:58 – 36:47)
🧠 Santé mentale et parentalité (36:47 – 45:15)
📚 Écriture et engagement (45:15 – 55:57)
🌈 Identité et estime de soi (55:59 – 01:05:04)

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TRANSCRIPTION DE L’EPISODE

Clémentine Sarlat
Baptiste Beaulieu fait partie des personnalités que j’admire le plus pour sa capacité à comprendre, à analyser et mettre en mots les travers de notre société. Avec son prisme de médecin de famille et d’écrivain, Baptiste vient vous éclairer sur le quotidien de millions de femmes et particulièrement de mères. Sa sensibilité et son charisme nous entraînent dans un monde où la souffrance et les difficultés sont mises à nu pour mieux les accueillir, je vous souhaite une très bonne écoute.

Bonjour, Baptiste, et bienvenue dans le podcast de La Matrescence.

Merci beaucoup d’avoir accepté de venir avec nous. Ça va?


Baptiste Beaulieu
Ça va. Un petit peu stressé, comme avant chaque interview, mais c’est normal.


Clémentine Sarlat
C’est vrai. Toi, t’es stressé ?


Baptiste Beaulieu
Oui. Mon métier, si tu veux, c’est un métier très solitaire. Moi, j’accueille des gens. Ils déposent leurs plaintes et puis, c’est pas l’inverse, quoi. Je ne fais pas le tour du bureau, pour moi, parler, c’est les autres qui parlent dans mon quotidien, donc c’est toujours un peu angoissant de passer de l’autre côté du bureau, entre guillemets.


Clémentine Sarlat
C’est marrant, parce que tu vois, la 1ʳᵉ fois où j’ai eu affaire à toi dans les médias, ce n’est pas vraiment affaire à toi, mais tu intervenais dans l’émission de France inter sur l’accouchement à la maison. J’ai accouché à la maison deux fois. Et je t’avais trouvé tellement percutant et fort, tu vois? T’as pas peur de donner ton opinion, aller en frontal avec des gens qui sont très sûrs de leur posture. Et je t’avais trouvé en fait très courageux, parce que c’est rare, les discours qui vont un peu dans le sens inverse dans la médecine.


Baptiste Beaulieu
Il m’a fallu du temps pour. Pour savoir m’imposer aussi, et puis pour pouvoir imposer mes opinions et avoir outrecuidance de penser qu’elles sont valables. Autant valables que celles de la personne en face. Et je crois que c’est l’apprentissage de toute une vie, ça, d’arriver à se faire confiance.


Clémentine Sarlat
Mais ça me rassure de venir que des gens qui paraissent comme toi, hyper. Pas forcément hyper à l’aise, mais qui n’ont pas peur d’exprimer leurs opinions, qui ont quand même une petite voix à l’intérieur qui dit « je suis stressé ».


Baptiste Beaulieu
C’est l’angoisse totale. C’est un syndrome d’imposteur permanent. À chaque fois. Chaque fois, on se demande pourquoi on me demande mon avis. Qui je suis pour donner cet avis? Quand je vais en dédicace, qu’il y a des gens qui font la queue pour faire signer leur livre, je me dis mais qui ces gens viennent voir, quoi? Parce que. Parce que moi, je me connais et je ferais pas la queue pour moi. Et du coup, pourquoi eux la font?
Oui, c’est un syndrome d’imposteur permanent. Alors ça, c’est avec les livres, mais avec la médecine, c’est pareil. Moi, j’ai encore, là, ça fait. Disons que je suis médecin de famille. Ça fait 10 ans que j’ai une petite voix dans ma tête qui me mais en fait, tu joues au Dʳ, là. Tu fais semblant.
Alors j’ai l’impression d’essayer de bien faire semblant, mais je ne me sens toujours pas légitime.
C’est tellement empoisonnant, ce syndrome de l’imposteur.


Clémentine Sarlat
Pourquoi t’as voulu devenir médecin ?


Baptiste Beaulieu
Alors, chaque personne a une raison très particulière. Je me souviens d’une cheffe aux urgences qu’on adorait, qui était brillantissime. Elle était toute petite, toute sèche, et je n’ai jamais, enfin, rarement rencontré quelqu’un d’aussi brillant. Et on n’avait jamais peur avec elle quand on partait en intervention avec le SAMU.
Et un jour, je lui demande Isabelle, pourquoi tu as voulu devenir médecin ? Ah et elle me dit « ah mais c’est très intime comme question ». J’avais eu l’impression de lui poser vraiment la plus intime de toutes les questions. Intime, quoi. Bon. Et finalement, je la cuisine un peu, et elle me dit :  « Quand j’étais ado, j’ai fait le tour de l’école et je suis allé fumer en cachette derrière les poubelles avec une copine. Il y a eu un accident de voiture juste sous nos yeux.
Et en attendant les secours, ma copine s’est enfuie parce qu’elle avait peur qu’on les engueule parce qu’elle fumait, alors quelqu’un était encastré dans un véhicule et que clairement, deux ados qui fument, c’était pas la priorité. Et je me suis retrouvé à tenir la main de la personne encastrée, incarcérée dans la voiture en attendant les secours. Et j’ai ressenti un tel sentiment d’impuissance que je me suis promis de ne plus jamais me sentir aussi impuissante. »
Et elle a fait ses études de médecine, est devenue médecin, la médecin brillante que j’ai rencontrée. Et moi, ça m’a interrogé sur mes propres motivations. Et j’imagine qu’il y en a plusieurs, mais il y en a une fondamentale, et qui est très bête avec le recul, qui était l’envie d’être utile, de rendre service.


Et puis on vieillit et on s’aperçoit que n’importe quel métier, quand il est fait avec du cœur, avec le souci de l’autre, avec un A majuscule, c’est du soin. J’ai un avocat qui prend pas bien soin de ses patients, de ses clients. Les clients sont. Sont dans la merde. Et c’est pareil pour n’importe quel métier.

Mais pour moi, il y avait cette illusion là que le médecin, c’était le métier le plus utile du monde. Et maintenant que ça fait 10 ans que je m’aperçois qu’on guérit très peu les gens se guérissent eux mêmes. Nous, on les accompagne beaucoup, on les écoute, et c’est déjà pas mal. Mais 90% du boulot, c’est le patient qui s’en charge lui même.

Clémentine Sarlat

C’est rare, un discours comme le tien.


Baptiste Beaulieu

Je ne sais pas. Enfin, moi, j’ai vraiment cette impression là. C’est que. C’est que. Oui, oui.
On accueille la plainte. Et ça, c’est fondamental dans notre société, où il n’y a malheureusement plus assez d’espace ou de lieu sanctuarisé où on peut déposer sa plainte, alors sans avoir le sentiment d’être jugé. Donc évidemment, tous les médecins ne procurent pas ce sentiment-là.
Mais théoriquement, le cabinet médical devrait être un sanctuaire où on peut venir pleurer, avoir le droit de pleurer sans être jugé, et avoir quelqu’un qui nous écoute, ni plus ni moins. Malheureusement, on y reviendra peut-être. Mais oui. Sans doute que tous les cabinets médicaux ne sont pas comme ça.



Tu veux dire que tu es une exception dans la médecine ?


Baptiste Beaulieu
Non, pas du tout. Non, tu sais, quand je parle de maltraitance médicale, je ne me dédouane jamais du troupeau. Je fais partie du troupeau. Je ne suis pas le même médecin le lundi matin que le vendredi soir. On n’accueille pas du tout les gens de la même manière. Et puis il m’est arrivé même parfois d’essayer de prendre un peu de recul sur mes pratiques et de m’apercevoir que j’avais merdé à tel ou tel endroit.
Mais là, je m’aperçois que je t’ai fait un peu une réponse de Gascon et que je n’ai pas voulu me livrer totalement sur les raisons pour lesquelles j’ai fait médecine.

Clémentine Sarlat

Vas y, je t’écoute alors.


Baptiste Beaulieu

Mais non, parce que je me dis, je tourne autour du pot. Non, il y a plein de raisons. Il y en a une qui est toute bête.
C’est, je devais avoir trois, quatre ans, j’étais petit, c’était l’été. Et il y avait un lézard sur la terrasse comme ca, tranquillou. Et quand on est petit, tu sais, on prend une pierre, on écrase les animaux pour voir ce que c’est, la vie, la mort. Pour tester, en fait, pour dire bah, je l’ai tué, ça existe pas ou qu’est ce que c’est que la vie? Et mon grand-père, qui avait fait la 2ᵈᵉ guerre mondiale et qui avait perdu énormément d’amis, la 2ᵈᵉ guerre mondiale me voit faire ce geste. Et il en est jamais vraiment revenu de la guerre. Ça l’a laissé quand même vraiment fragile sur le plan psychique. Et donc il prend le corps du lézard, il me le met dans la main, il me dit tu vois, la vie, c’est précieux. On n’a pas le droit de la gâcher comme ça.
Et il m’a obligé à garder le lézard jusqu’au retour de mes parents du travail le soir, donc toute l’après-midi, avec lézard dans la main.
Et puis maintenant, je suis grand, je m’aperçois que c’est quand même assez violent comme pédagogie. Et je crois qu’une part de moi a voulu faire médecine pour se racheter du crime horrible que j’ai commis quand j’avais trois ans, d’avoir tué ce alors là, il y a tous les psychanalystes ou les psychologues qui vont nous écouter, qui vont se frotter les mains. C’est passionnant…. Mais, en fait, pour tout dire, je crois que j’ai fait médecine parce que c’est le seul métier où on peut se laver 20 fois les mains par jour. Et tout le monde te regarde « qu’est ce qu’il est professionnel ». Alors qu’en fait, c’est juste complètement névrosé.
Voilà, c’est ça. Et moi, je me lavais les mains beaucoup, beaucoup


Clémentine Sarlat.
Tu parles beaucoup, là, dans ton métier de médecin, d’accueillir les plaintes, à quel point c’est essentiel pour les patients, les patientes. Est ce que tu peux nous raconter, je pense que les gens n’ont pas trop conscience. Est ce que ce sont des cours que vous recevez en médecine, ou est ce que tu as dû apprendre sur le tas à être quelqu’un qui écoute?


Baptiste Beaulieu
C’est terrible, mais on a malheureusement aucune formation sur le sujet. L’essentiel de notre boulot, c’est d’accueillir des gens, d’accueillir la plainte, de les écouter. On n’a aucune formation, c’est à dire, en 10 ans d’études de médecine, on a une seule heure de cours qui s’appelle consultation et annonce d’une maladie grave à un patient.
Et donc, une fois que cette heure de cours est passée, si vous ne savez pas annoncer une maladie grave à un patient avant l’heure de cours, vous ne le saurez pas après l’heure de cours. Et il en résulte, j’imagine, d’immenses dégâts fait chez les patients et les patientes, puisque l’essentiel de notre boulot, c’est d’accueillir des gens et de parler avec eux. Mais on ne nous apprend pas à accueillir les gens, à parler avec eux.

Moi, je pense que ça s’apprend sur le tas. Et surtout, j’ai eu. À postériori, je peux le dire, j’ai eu cette chance immense d’être tombé malade et donc d’être passé de l’autre côté de la barrière. Et je pense que ça a fait de moi un bien meilleur médecin que si je n’étais pas tombé malade. Et je ne vais pas dire que je souhaite à tous les médecins toujours tomber malade pour savoir ce que ça fait. Mais il n’empêche, je crois que c’est un bon exercice d’empathie que de connaître.

Aussi ce que ça fait parfois de sentir extrêmement vulnérable face au corps médical.


Clémentine Sarlat
C’est ton expérience personnelle qui t’a donné un peu des billes ?


Baptiste Beaulieu
Moi, ça a commencé à l’âge de 13 ans, j’avais un petit lupus. C’est pas grand chose, c’est un peu empoisonnant au quotidien, c’est des petites tâches rouges sur le visage qui vont, qui viennent. Mais je me, enfin, à l’âge de 13 ans, on n’a qu’une envie, c’est d’être mignon, c’est de plaire. On est là, on met son gel sur les cheveux et tout, on s’habille bien, et puis on commence à avoir des taches rouges qui apparaissent sur le visage. Et puis les gens qui se moquent à l’école et on va voir un médecin qui nous dit non, c’est rien ça, tu vas mettre cette crème ou tu vas prendre ce traitement et ça va passer. Et ça passe pas.
Et le médecin continue de relativiser en disant mais non, c’est rien. Sauf qu’à 13 ans, en fait, c’est tout. L’essentiel de ta vie, elle est concentrée sur l’image que tu veux renvoyer aux autres. Maintenant j’en ai 40, j’en ai plus rien à foutre. Mais il n’empêche qu’à 13 ans, c’est pas les mêmes enjeux. Et ça m’a fait prendre conscience aussi qu’il faut trouver dans ce colloque singulier entre soignants et soignés, il faut trouver ce qui anime le patient, ce qui le blesse au quotidien, dans la maladie qu’il a à gérer. Et je te donne un exemple, un ancien postier par exemple, qui venait me voir, qui avait des douleurs chroniques, et on n’arrivait pas à soulager ces douleurs. Et donc je cherchais un moyen, absolument de soulager ses douleurs. Et lui, ça l’empêchait tous les matins d’aller faire son petit tiercé ou je ne sais plus.

Avec ses anciens collègues de boulot, tous les matins, il allait boire son café plus, faire une petite activité, genre un bingo, j’en sais rien. Il adorait ce moment-là. Et je me suis aperçu que j’ai vraiment réussi à le, à le soigner. Le jour où je l’ai vraiment écouté, où j’ai compris qu’en fait ce qui était important chez lui, c’était pas d’avoir mal, il s’était fait à cette douleur. C’était que cette douleur l’empêchait d’aller tous les matins voir ses collègues et s’amuser comme il le faisait d’habitude. Et donc le jour où on a dit « on va augmenter plutôt les traitements le matin plutôt, plutôt que d’en prendre régulièrement toute la journée,  puisque ce qui vous fait du bien, c’est ce moment là. »
Et il est revenu quelques mois plus tard, il avait pu retrouver goût à la vie, simplement parce qu’on lui avait redonné ce petit moment là, qui était le moment important pour lui de la journée, où il voulait être débarrassé de ses douleurs. Mais ça, je n’aurais pas pu réussir si je n’avais pas écouté les spécificités qui font que ce patient avait besoin de ça à ce moment là, de la journée et pas un autre moment.


Clémentine Sarlat
Tu dis, c’est une danse. C’est rigolo, de voir entre vous et les patients comment est-ce que vous interagissez. Il y a des fois, ça fit pas aussi.


Baptiste Beaulieu
Pas du tout. Et ça peut arriver. Je pense que c’est important aussi de le dire aux patients. Alors bon, c’est pas toi, c’est moi. En général, c’est ce qui est obstacle. Je leur dis non, mais c’est pas vous. C’est voilà, c’est moi. Alors qu’en fait, parfois, c’est totalement eux.

Clémentine Sarlat

Mais pour moi, ça passera.

Baptiste Beaulieu

Mais dans l’intérêt aussi du patient que le médecin lui permet d’aller consulter quelqu’un d’autre. J’ai quelques exemples. Mais après, souvent, c’est sur un malentendu, sur un problème de communication. Moi, je me souviens d’une patiente, par exemple. Un matin, mon père m’appelle très tôt pour m’annoncer le décès de ma grand-mère. Donc j’arrive au cabinet médical où j’étais remplaçant, et évidemment, j’étais très préoccupé par cette nouvelle. J’aimais beaucoup ma grand-mère.
Et une patiente arrive et me dit. Voilà, je viens pour renouveler mon arrêt maladie deux, trois mois. Et je lui demande évidemment pourquoi elle est en arrêt maladie. Je n’allais pas remplir le papier. Elle me dit mais le médecin habituel, il le sait pourquoi, remplissez moi le papier. Et puis je passe à autre chose. Je dis mais non, je ne peux pas. J’ai besoin de savoir. Et je ne sais pas comment, mais en 2 min, elle était debout. J’étais debout, on se hurlait dessus. Je lui ouvrais la porte et je lui disais de s’en aller. Et puis l’après midi passe. Je n’arrêtais pas de penser à cette consultation, à mon vouloir. Et lendemain, donc, je retourne au cabinet médical, je cherche dans le dossier, je trouve son numéro de téléphone, je la rappelle, et je sais pas ce qui m’a pris.
Je lui écoutez, voilà. Je voulais m’excuser pour ce qui s’est passé hier. En fait, je vous dis la vérité. J’ai appris le décès de ma grand-mère, je n’étais pas dans mon assiette forcément. Et je suis aussi un jeune médecin et j’avais besoin de savoir pour quelle raison vous étiez en arrêt maladie. Parce que sinon j’aurais eu l’impression de mal faire mon travail. Et elle me dit et ça c’est son point de vue, mais vous ne rendez pas compte, moi j’ai une encéphalite chronique. Chaque fois que mon médecin traitant, un remplaçant, je dois raconter mon calvaire, raconter toutes ces années de souffrance. Et moi je n’ai pas envie de raconter ça parce que c’est ma vie en fait c’est ce que je vis au jour le jour.
Et j’ai compris son point de vue, je me suis excusé au téléphone et je me suis bon ben elle reviendra jamais m’avoir vu, comment on s’est gueulé dessus, même si on a une explication. Et depuis je me suis installé dans ce cabinet et ben elle ne vient voir plus que moi. Et je me suis demandé pourquoi elle ne venait voir que moi. Et en fait je crois qu’elle a compris que ce jour-là j’étais un humain comme les autres, que je n’étais pas un robot. Et je crois que les gens ont besoin de sentir qu’ils ne se font pas soigner par des robots.


Clémentine Sarlat
Dans ton cabinet, tu en parles souvent sur les réseaux sociaux, tu reçois très souvent des parents quand même, des mères, et tu abordes en tout cas sur les réseaux sociaux cette question de la santé mentale des parents particulièrement. Donc la charge mentale des mères. Pourquoi est ce que ce sont des sujets dont tu parles publiquement?


Baptiste Beaulieu
J’en parle publiquement parce que en fait, c’est le fruit d’un cheminement mental. C’est. Moi, j’ai commencé ce métier il y a 10 ans, j’étais absolument pas militant, j’étais même plutôt privilégié dans mon genre, médecin et homme blanc. Donc dans notre société, oui, j’étais carrément privilégié. Et puis on se lève le matin, on va au travail, et puis on reçoit tous les jours 30 patients, dont 60% à 70% de patientes. Et puis les années passent, les jours passent, les mois passent, et on finit par se lever le matin et se dire mais ce n’est pas possible. La vie des femmes dans notre société, elle est. Enfin, il y a quelque chose de profondément anormal.
On va me trouver très naïf quand je dis ça, mais moi c’est le cheminement que j’ai eu et oui, j’ai fini par me lever un matin très ébranlé dans la prise de conscience qui est que oui, naître dans cette société avec un pénis et des testicules, ça vous confère une sacrée panoplie d’avantages par rapport aux femmes. C’est quelque chose qui vient petit à petit. Mais moi, je ne comprends pas les médecins qui ne sont pas violemment du côté des femmes. Parce que notre métier, c’est de voir concrètement, je le dis, voilà 60% à 70% de patientes. Mais comment est ce qu’on peut voir ce qu’on voit au cabinet médical et pas finir par sentir violemment du côté des femmes? Pour moi, il y a quelque chose qui ne colle pas chez certains médecins. Enfin, qui percute pas, c’est pas possible.
Enfin, j’ai vu des choses au cabinet médical. J’ai vu une patiente très âgée qui venait tout le temps me voir, qui était toujours très parfumée, très maquillée, toute belle, et on s’en occupait bien et elle allait très bien. Et elle montrait rien, juste un sourire de façade. Une vieille dame. Et un jour, elle vient me voir et elle me dit. J’ai pris la décision de divorcer, dʳ. Elle avait 89 ans. Ce n’est pas anodin de divorcer à 89 ans. Des années et des années de vie commune. Je lui demande pourquoi. Elle me mais parce qu’il m’a battu toute ma vie. Donc. Donc j’ai compris pourquoi elle mettait du maquillage, pourquoi elle était pomponnée. Et elle me dit cette phrase j’ai subi ça toute ma vie, je ne veux pas qu’on m’enterre à côté de lui. Je ne veux pas que ça continue après. Voilà.

Et je me dis c’est dingue, cette femme qui a accepté. Ok, cette vie. Cette vie de chien, voilà. De violence, mais qui dit stop. Ça s’arrête maintenant, quoi. Et comment est ce qu’on peut écouter ça, écouter ce récit, puis rentrer chez soi et se dire ok, tout va bien dans ce pays, quoi. Il n’y a pas un problème avec les hommes. Et ça, c’est qu’un exemple, mais j’en ai plein, dont certains, je pense, je peux pas les dire ici, tellement ils sont. Ils sont. Ils sont violents. Mais ça met immensément en colère.


Clémentine Sarlat
Et je pense que tu pointes du doigt quelque chose qui est systémique, qui fait beaucoup de bien aux femmes, d’entendre un médecin soignant homme reconnaître que le vécu des femmes particulièrement, peut être complexe, notamment dans la sphère familiale, la sphère intime, puisque, comme tu dis, en étant médecin, vous avez accès un petit peu plus à cette sphère-là qui peut, de façade, paraître tout à fait normale. Ça aussi, est ce que vous avez une formation sur détecter les violences conjugales ? Détecter les problématiques liées aux gens dans votre pratique ?


Baptiste Beaulieu
Non, on n’en a pas. Et c’est dramatique ce que je vais dire. Mais moi une bonne part de cette pratique là quotidienne, je l’ai acquise en lisant des comptes féministes sur les réseaux sociaux, pas à la fac de médecine quoi. Maintenant c’est une question que je pose systématiquement lors du 1ᵉʳ entretien. Tu sais, dans ce qu’on appelle le recueil d’informations, c’est à dire, voilà, l’histoire de la maladie, les symptômes, les antécédents personnels, familiaux. Et j’essaye, parce que c’est quand même une question qui peut être particulièrement violente, de la rendre la plus clinique possible, c’est à dire est ce que vous avez des antécédents médicaux, c’est à dire des fractures, des opérations ? Avez-vous déjà été agressé dans l’enfance ?  
Et tu vois, j’essaie de faire passer cette question de manière clinique, voilà. Et ben je suis bien content de la poser maintenant, parce que ça débloque parfois des situations difficiles et puis on se retrouve parfois avec des réponses dont on ne sait pas trop quoi faire. Moi je me souviens de cette patiente, j’avais un doute sur ça parce que, elle refusait tout le temps que je l’examine. Elle venait me voir, mais elle me demandait juste que je ne la touche pas, ce qui est pour un médecin un peu paradoxal parce que nous on palpe, on ausculte. Et donc je respectais son choix. Et donc je lui demandais de prendre elle-même sa tension artérielle à la maison, et elle le faisait.
Et les années passant, je crois qu’elle m’a fait confiance, justement parce qu’elle se rend compte que toutes ces années après, je continuais à respecter son choix de pas être touchée. Et un jour on parle de son enfance et je lui pose la question, voilà. Et elle se met à pleurer en me disant je ne peux pas vous parler de quelque chose dont je ne me souviens pas tout en étant évidemment en larmes. Donc on se dit voilà peut-être une bonne part des réponses qu’on cherche à ces douleurs diffuses qu’elle traîne depuis des années dans tout son corps. Et c’est là qu’on se dit, ça met parfois du temps de guérir, parfois, ça met des années, mais il faut pas désespérer, il faut juste attendre le bon moment pour pouvoir cueillir la vérité avec la patiente.


Clémentine Sarlat
Est ce que tu reçois beaucoup de jeunes mamans qui viennent d’avoir donc un nouveau-né, et qui sont déboussolées, désemparées, qui cherchent des réponses auprès des médecins, puisque c’est souvent sur vous qu’on se tourne dans ton cabinet ? Et comment est-ce que tu traites ces patientes-là.


Baptiste Beaulieu
Alors moi, ma vision de la parentalité, elle a radicalement changé depuis que je suis devenu père. Avant, j’avais déjà beaucoup d’empathie pour les jeunes mamans. Maintenant, mon empathie pour elle a vraiment décuplé, on va dire ça comme ça, particulièrement les mères célibataires. Enfin, on ne va pas se leurrer, il y a quand même un problème avec les hommes qui se barrent, quoi. Moi, j’ai commencé ce métier en pensant que c’était un petit peut être un stéréotype ou un préjugé. Voilà. L’homme qui met enceinte sa compagne et puis qui, le jour ou dans les semaines qui suivent l’accouchement, s’en va et laisse gérer toute seule. Mais ce n’est tellement pas un stéréotype, tellement pas un préjugé. Et puis évidemment, on est médecin, donc scientifique.
Donc on creuse un peu, on regarde les stats de l’Insee qui disent qu’en France, il y a 24% de familles monoparentales, dont 83% de femmes seules.


Clémentine Sarlat
Et 20% qui vivent sous le seuil de pauvreté.


Baptiste Beaulieu

Et oui, qui sont les 1ʳᵉˢ touchées par la précarité. Et donc il faut se mettre un petit peu à la place de ces femmes, c’est à dire, non seulement tu te retrouves à élever un enfant seul, nous, on est deux. En plus, on est deux mecs. Donc autant te dire qu’on fait vraiment 50-50, sinon on se bouffe le museau, quoi. Il n’y en a pas un qui va faire plus que l’autre parce qu’on est tous les deux des grosses feignasses et on est épuisé. Et donc je me dis mais comment font les mères célibataires, quoi ?
Ou au-delà de ça, les femmes en couple hétérosexuel avec un homme lambda qui pense mériter une médaille parce qu’il a fait la vaisselle et qu’il a nettoyé les biberons, quoi. Et qui va se lever le matin en ayant bien dormi avec sa compagne qui est explosée parce qu’elle s’est levée trois fois. Et je me dis mais c’est terrible, quoi, c’est terrible. Nous, on est deux, on est épuisés. Je ne sais pas comment font les femmes, les femmes célibataires, c’est vrai que maintenant, quand elles arrivent au cabinet, j’ai tendance à leur donner des arrêts maladifs facilement. Si la sécu écoute, je vais me prendre un contrôle. Mais c’est tellement épuisant, quoi. Le petit se réveille trois fois la nuit, il faut s’enquiller la journée de boulot, lendemain, tout en souriant, ne pas montrer l’immense détresse qui est à l’intérieur. Parce que souvent, ces femmes, c’est pas la vision de la vie qu’elles avaient, parce qu’elles ont dû gérer non seulement une parentalité solo, mais en plus un immense chagrin d’amour, parce qu’elles n’avaient pas dans l’idée que le gars se barrait une fois qu’elles auraient accouché, quoi. Et donc moi, je me retrouve avec ces femmes qui gèrent toutes seules et qui gèrent en plus cet immense chagrin d’amour. Donc. Ouais, mon empathie, elle a décuplé depuis que je suis papa, quoi.  


Clémentine Sarlat
Ça m’arrive vraiment d’avoir les larmes aux yeux, ça m’est arrivé, c’est pour ça.

Baptiste Beaulieu

Je suis désolé pardon.

Clémentine Sarlat

Non, non ça va, aujourd’hui. C’est rare quand un médecin reconnaît ce genre de choses. C’est pour ça, parce qu’on passe souvent inaperçu aux yeux de la société.
C’est rare que je sois émue pendant un podcast. Tu viens juste de décrire ce que j’ai vécu. J’ai cru mourir à un moment.


Baptiste Beaulieu
On peut. On peut parler?

Clémentine Sarlat

Oui, oui, j’ai aucun souci d’en parler, mais ça m’a fait bizarre d’être émue, c’est pour ça.

Baptiste Beaulieu

Mais Dieu sait qu’on a voulu notre. Notre fils. Et on voulait vraiment un bébé. On voulait vraiment être père, mais tu vas rire, mais on. Enfin, je ne pensais pas que ce serait aussi difficile, aussi dur. Et Dieu sait qu’on l’aime, mais c’est terrible. Et alors, même que je suis médecin, c’est à dire que je suis censé savoir gérer certaines crises, mais je perds absolument tous mes moyens dès l’instant qu’il se met à ne plus aller bien. Je ne suis plus médecin, j’ai oublié tous mes cours. Je suis en stress total. Et je me suis jamais senti autant fatigué depuis que je suis. Je suis père.
Mais même fatigué, pas seulement moralement, c’est à dire physiquement. J’ai mal au dos, j’ai une tendinite du poignet parce qu’il pèse 13 kilos maintenant. Et qui veut tout le temps être dans les bras. Et donc ça. Ça casse le corps aussi. Physiquement, je veux dire, ce n’est pas que le moral, parce que je te parle même pas. Enfin, tu sais. Mais les nuits sans dormir, il y a. Enfin, moi, je trouve que c’est la pire des tortures, vraiment. Puis devoir enchaîner le matin. Moi, je baille toute la journée. Le patient doit se dire qu’est-ce qu’il est fatigué, le patient. Le médecin, pardon, je dois le faire chier avec mes histoires alors qu’en fait, ben parfois il m’ennuie un peu, mais là en l’occurrence, c’est juste que je suis fatigué. Et comme je le dis, voilà, nous on est deux hommes.
Donc on a aucun rôle prédéterminé au sein du couple. C’est à dire la société ne nous a jamais dit bah toi tu es la femme, tu vas faire ça, toi tu es l’homme, tu vas faire comme ça. Il faut que toi, la femme, tu vas faire un peu plus que l’homme, parce que l’instinct maternel, blablabla, et puis c’est dans les gènes, vous adorez ça être maman et tout.
Ben non, nous on n’a pas ce genre de bullshit à la maison et on le voit même avec notre entourage qui du coup a pas de femmes sur qui faire reposer certaines attentes ou certaines pressions, tu vois, et du coup je les sens parfois un petit peu décontenancé parce qu’ils ont, ils ont personne à qui faire des reproches ou adresser des reproches et puis en même temps, comme on est deux hommes, on n’aura jamais droit à ce qu’on droit. Les hommes en couple hétérosexuel, c’est à dire, personne ne va nous applaudir parce qu’on  lui donne le bain parce que, on nettoie les biberons parce qu’on, lui change les couches parce que, on repasse ses vêtements parce qu’on met de la soupline, que ça sent bon, enfin parce que, parce que, parce que c’est comme ça et qu’on est deux hommes et qu’on le fait.
Et ça me fait penser que du coup on vit quand même dans un sacré mensonge dans notre société, qui est qu’il y a des rôles qui sont traditionnellement ou naturellement, c’est encore pire, attribués aux hommes, et d’autres rôles qui sont naturellement attribués aux femmes, et que ces rôles-là ne seraient pas interchangeables. Moi je le vois, dans mon foyer, dans ma cellule familiale, absolument que ces rôles sont interchangeables en fait. Et nous on fait aussi bien que n’importe quel couple.
Ce qui veut bien dire que les hommes, quand ils n’ont pas le choix, quand il n’y a pas de femmes dans l’équation, ils font aussi bien qu’une femme. Mais personne, en tout cas aucun homme n’a intérêt à dire que ces rôles-là sont interchangeables. Et donc ça reste comme ça.
Je te donne un exemple.
On s’est fait une promesse, on s’était fait deux promesses.

La 1ʳᵉ promesse c’était si jamais on s’engueule après l’arrivée du petit, on ira voir une psy pour. Pour parler, voilà, on laissera pas le truc pourrir quoi. Bon évidemment on est allé voir une psycho rapidement parce qu’on s’engueulait pour du sel, pour n’importe quoi, à cause du manque de sommeil, ça fait des goupiller.

Et la 2ᵉ promesse qu’on s’était faite, c’était alors qu’on est deux professions libérales tous les deux et qu’on travaille énormément. C’était tous les rendez vous médicaux. On y va ensemble, voilà. Et quand il sera plus grand, ben, les conseils de classe, j’en sais rien. Enfin, les moments où on doit aller à l’école, on ira ensemble. Ben je suis désolé de le dire, mais c’est la vérité.
Chaque fois qu’on va chez la pédiatre, on est les deux seuls gars dans la salle d’attente. Il n’y a que des femmes qui viennent avec leur gamin. Alors elles nous regardent avec des grands yeux attendris, pleins d’empathie en disant oh là là, ils sont mignons tous les deux, ils s’en occupent bien. Mais elles font exactement la même chose que nous, sauf qu’elles, elles n’ont pas droit au regard plein d’empathie. Et c’est pas très juste quoi.


Clémentine Sarlat.

Tu as dévoilé le secret : Vous êtes capable en fait.

Baptiste Beaulieu

Mais on est capable.


Clémentine Sarlat
Mais heureusement il y a quand même des pères qui le savent.

Baptiste Beaulieu

Mais oui mais bien sûr que ces rôles sont interchangeables. Mais les hommes n’ont aucun intérêt à ce que ça change.

Clémentine Sarlat

Dans la société en général, ça arrange tout le monde.

Baptiste Beaulieu

Moins, les femmes, surtout. Les hommes.

Clémentine Sarlat

Oui, pour pouvoir maintenir aussi au travail leur carrière, bien sûr. Et tout ça on est bien d’accord.
Et ça a changé quoi dans ta pratique de la médecine, devenir père ?

Baptiste Beaulieu

Ça, ça va paraître très naïf ce que je vais dire, je ne sais pas si tu vois, mais je trouve qu’en vieillissant on perd un petit peu une forme de vérité essentielle qui est que ça compte et que c’est important de prendre soin d’un plus petit que soi. Et alors c’est bête, j’ai l’impression de parler comme dans un Disney, mais d’un seul coup tu as ce petit, on te le donne et on dit voilà, maintenant il est avec vous. Si vous n’en occupez pas, si vous ne le baignez pas, si vous ne l’aimez pas, si vous ne le nourrissez pas, il meurt grosso modo.
Et tu dis bah ouais, mais c’est merveilleux en fait, de prendre soin d’un plus fragile que soi. Et ça reconnecte avec une part en nous naturellement bonne, et qui peut être s’était fait beaucoup abîmer par les autres et qui avait eu tendance à disparaître un petit peu.

Et ben moi, ça m’a rappelé qu’elle était. Je suis un peu ému. Ça m’a rappelé qu’elle était toujours là, cette part là. Voilà.


Clémentine Sarlat.

Ça redonne de l’empathie pour..


Baptiste Beaulieu

Oui, pour les autres, oui pour les autres, pour les patients, pour les patientes Particulièrement pour les mamans.
Et puis oui, ça reconnecte avec des vérités basiques, quoi, qui est que peut être, peut être que l’être humain est pas entièrement acheté, quoi.


Clémentine Sarlat
Quand on regarde nos enfants, c’est vrai qu’on peut avoir de l’espoir.


Baptiste Beaulieu

Oui, mais cette innocence-là, elle est merveilleuse, quoi. Et puis c’est. Tu vois, si tu me demandais, qu’est ce que ça a changé en tant que..  j’ai publié plein de bouquins, j’ai été traduit dans plein de pays, j’ai ma chronique à France Inter. J’ai eu beaucoup de succès avec les livres ? Tu vois. Et puis je suis médecin, et ben pourtant, depuis que j’ai mon fils, c’est la 1ʳᵉ fois de ma vie que je me sens important.


Clémentine Sarlat
Ça se prend. Oui.
Est ce que tu reçois dans ton cabinet ? Tu veux qu’on fasse une pause ?

Baptiste Beaulieu

Non, ça va, ça va.

Clémentine Sarlat

Des hommes, des papas qui osent venir te dire à toi, je n’y arrive pas, c’est dur. Je suis en souffrance. Parce que tu vois, en parlant de, évidemment de la santé mentale des mères. C’est très important, mais le tabou est encore plus fort sur les hommes. Est-ce que parce que toi, tu es homme et père, ils peuvent venir se confier ou tu as rarement cette parole ?


Baptiste Beaulieu
J’ai très rarement eu cette parole après ce que j’ai eu plus, et ça m’avait beaucoup touché. C’est un autre sujet qui est proche de celui-ci, mais dont elle parle peu, c’est les hommes qui sont en mal d’enfants, des hommes qui voudraient des enfants avec leur compagne, mais n’y arrivent pas et on éprouve une grande souffrance. Et ça, c’est un peu le corollaire de la question que tu viens de me poser, mais dont on ne parle pas non plus beaucoup. Et moi, j’étais dans cette situation-là, c’est à dire que je sais même pas comment te dire. C’est venu. Je voulais pas spécialement d’enfant, et puis. Et puis petit à petit, au cabinet médical, je sais pas pourquoi, de tenir des bébés, les bébés des autres, ça agitait un truc en moi de très fort. Et puis. Et puis il y a des matins où tu t’occupes des bébés des autres et tu vois que ces bébés ne sont pas aimés ou pas aimés comme ils devraient l’être. Ou que, à moins de tomber sur un prof à l’école, un prof génial, ben ils ont deux ans, trois ans, et c’est déjà foutu pour eux pour plein de raisons. Manque d’amour, manque d’attention. Et tu essaies de pas juger les parents, mais tu les juges quand même un peu. Parce que toi tu crèverais d’envie d’avoir un enfant et que tu ne comprends pas pourquoi c’est si facile pour les autres et pourquoi ils gâchent cette chance là qu’ils ont, et qu’ils s’en rendent pas compte.
Et que oui, petit à petit, tu deviens aigri, tu deviens mauvais au fond de toi, tu deviens envieux. Et puis. Et puis un jour, au hasard d’une consultation en fin de journée, il n’y a plus de patient en salle d’attente. Tu reçois un patient, une grande baraque, rugbyman qui fait 2 m, puis on parle de son métier, puis il travaille à l’aide sociale à l’enfance, il place des gamins. Et au cours de la discussion, il te confie qu’avec sa femme, son parcours PMA depuis plusieurs années maintenant, qu’il n’y arrive pas, ils n’y arrivent pas tous les deux. Et que c’est dur pour lui au quotidien de voir ses gamins fracassés et de ne pas pouvoir en avoir un. Et de voir tous ses parents qui ont gâché cette chance-là, immense, ce trésor-là qui est un enfant.
Et donc toi tu commences aussi un petit peu à parler de la manière dont tu supportes plus de voir certains bébés ou certains enfants au cabinet médical. Je vois des gamins, ils ont un an un an et demi, et ils sont déjà, ils ont déjà les dents cariées, tu vois à cause du coca. Ou devant les écrans toute la journée, et tu te dis à l’époque, je me disais des choses horribles, quoi. Et donc tu parles avec ce gars et puis vous finissez en larmes en vous promettant que vous allez y arriver et tout. Il est devenu père aussi depuis, et je suis content pour lui.


Clémentine Sarlat
Donc t’arrives à voir les difficultés des pères, on va dire en amont, parce que c’est encore peut être plus facile de dire, mais on n’arrive pas à avoir un enfant, et ça me touche. Mais une fois qu’ils sont dans la difficulté paternelle, comme on peut être, nous, dans la difficulté maternelle, là, par contre, tu reçois pas de..


Baptiste Beaulieu
Non, pas trop.

Clémentine Sarlat

Après, c’est fou, parce qu’on le sait statistiquement, il y en a, bien sûr.

Baptiste Beaulieu

Bien sûr, il y en a. Et même. Même moi, je veux t’avouer que Dieu sait qu’on l’a voulu, mais le 1ᵉʳ mois, j’ai pris un sacré coup derrière la tête. Mon compagnon, ça a été l’amour instantané, vraiment. Il l’a rencontré, il l’a pris dans les bras et c’était son fils. Et moi, ça a été plus compliqué, parce que je me suis senti dépossédé de ma vie d’avant. Et ça a été terrible, ça. Ça a été terrible. Et je m’en suis voulu.

Parce que tu as le sentiment, quand tu galères à avoir un enfant, que tu as interdiction de te plaindre et interdiction de dire aux autres que c’est dur, alors qu’en fait, t’as le droit aussi de trouver ça dur, comme n’importe quel néo parent.

Mais oui. Les gens, ils vont dire tu l’as voulu, tu l’as eu, grosso modo. Sauf que moi, je passais de mon métier de médecin et d’écrivain à quelqu’un qui vivait toute la journée à la maison lancer des lessives, ranger le linge, nettoyer les biberons, nettoyer les couches, ne pas dormir. Et je me suis dit mon Dieu, mais ça va être comme ça jusqu’à ce qu’il ait 18 ans. Je me suis dit mais qu’est-ce que tu as fait ? C’est. Ou enfin, c’est. Dieu merci, ça dure pas jusqu’à 18 ans. Mais j’ai eu un petit moment de. Voilà, de grands troubles, de grands vertiges, et on était deux pour en parler. Je pense que c’est encore plus difficile quand on se retrouve seul avec ces interrogations là.


Clémentine Sarlat
Comment toi, tu fais pour te protéger ou en tout cas prendre soin de toi par rapport à ce que tu reçois des patients ? Tu vois, tu le disais, là. Tu vois, des enfants de un an qui va sont maltraités. Des patientes de 90 ans qui sont maltraitées, des hommes qui sont maltraités au travail, peu importe la configuration, qui viennent déposer ça vers toi, comment tu gères pour.. Parce que j’ai l’impression que tu es sensible, quand même, pour pas que ça t’affecte en permanence.


Baptiste Beaulieu
Ouais. Ouais.

J’ai l’écriture, évidemment, l’écriture, ça me permet vraiment d’’être mon petit château fort mental. Voilà donc l’écriture. Évidemment, j’ai mon fils, mon compagnon, ma famille. Ça. Ça aide énormément. Après, il y a aussi. Il y a aussi la gestion de la colère qui pour moi est vraiment quelque chose de compliqué. C’est à dire, je n’arrive pas. Je n’arrive pas à laisser. À laisser les problèmes des autres, les problèmes des femmes que je rencontre au cabinet médical glisser sur. Sur moi quoi. Je ne suis pas imperméable à ça, moi, j’ai pris. J’ai pris 10 à 15 kilos depuis que je suis installé comme médecin, quoi. Et je sais pourquoi.
Il suffit qu’il y ait deux trois femmes qui chialent au cabinet médical. Je vais rentrer chez moi et je vais bouffer quoi. Et je vais bouffer. Et il ne faudrait pas, mais ça me fait du bien en fait, ça me console de ce que j’ai vu dans la journée, quoi. Et je me laisse parfois aussi bouffer un peu par la colère, parce que. Parce que qui rend justice à ces femmes qui viennent pleurer dans mon cabinet médical ?
Personne. Et du coup. Du coup. Ouais, du coup on a envie de casser le monde en deux.


Clémentine Sarlat
Mais c’est important pour toi de continuer ta pratique pour pouvoir être là ? Ou est-ce que tu as déjà pensé à dire je peux plus ?


Baptiste Beaulieu
Alors j’y ai pensé, mais j’y reviens toujours. D’abord parce que j’ai fait 10 ans d’études et qu’on ne va pas gaspiller tout ça. Mes parents feraient une attaque, je pense. Mais. Et puis d’abord parce que j’aime ce métier et que ça compte d’être là, d’écouter les gens, de les accompagner. oui, ça compte d’avoir la responsabilité d’ouvrir chaque matin ce sanctuaire, là où les gens peuvent venir déposer quelque chose de lourd.


Clémentine Sarlat
Et tu dirais que depuis que tu es père encore plus sensible aux vibrations, enfin tu vois ce que les gens peuvent te redonner ? Parce qu’on est un peu plus fragile, parce qu’on dort moins, parce que évidemment, on comprend aussi un sens plus grand de la vie.


Baptiste Beaulieu
J’ai développer mon super pouvoir qui est d’arriver à faire pleurer les patients, et ça c’est un super pouvoir précieux parce que je trouve qu’on laisse passer la possibilité dans notre société aux gens de pleurer, de pouvoir lâcher prise. L’autre jour, une patiente qui arrive avec son petit qui devait avoir l’âge du mien, et qui en le berçant dans les bras, en disant Dʳ, il pleure tout le temps, vraiment il pleure. Je me souviens, je prends le petit en disant au petit, en parlant au petit alors qu’il n’avait pas l’âge de comprendre « allez, vient avec moi, Charles, ou Louis, je ne sais plus, viens avec moi, Charles, on va laisser maman pleurer ». Et là, elle fond en sanglots comme si je lui avais donné la permission, comme le médecin lui a donné la permission de pleurer. Et je crois que ça lui a fait du bien et qu’elle avait besoin quelqu’un lui dise c’est normal de ne pas aller bien, c’est normal d’avoir envie de pleurer. Et tu peux lâcher maintenant, et je m’occupe du petit, juste 10 min, voilà, le temps que tu puisses sortir ce qu’il y a à l’intérieur et qui a besoin de sortir.

Et puis une autre patiente, qui est cette fois ci, c’est l’autre côté du spectre, est très, très âgé et qui vient pour le renouvellement du médicament de son mari. Bon, ça aussi on pourra en parler, des femmes qui s’occupent de la santé de leur mari. Elle était très âgée, elle vient pour le, donc le renouvellement du traitement de son mari. Je lui demande comment elle va, me fait ça va, ça va. Je fais non, mais vraiment, je vous pose la question comment vous allez vous ? Et là, elle se met à pleurer, mais je pense que. Parce que c’était un automatisme, quoi. Tout le monde lui demande comment ça va? Mais sans vraiment attendre de réponse. Et là, le simple fait, quand le médecin lui demande j’attends une vraie réponse, Mᵐᵉ. Et elle s’est sentie capable de la donner, quoi.


Clémentine Sarlat
Est ce que tu fais plus attention aujourd’hui, quand tu reçois une jeune mère, à la dépression du post partum, on sait que tous les soignants sont pas formés, que voilà, c’est encore une maladie qui est mal détectée, le suicide est la 1ʳᵉ cause du décès des mères.


Baptiste Beaulieu.

Bien sûr.


Clémentine Sarlat
Tu as une attention particulière. Comment tu abordes ça ?


Baptiste Beaulieu
Je pose systématiquement la question parce que je sais combien c’est difficile d’avoir un nouveau-né qui se réveille trois, quatre fois la nuit, qui a parfois des reflux, qui a parfois des douleurs. Et donc je la posais avant, mais peut être que je la pose maintenant avec un peu plus d’attention ou en tout cas un peu plus d’insistance, voilà. Parce qu’il y a quand même dans notre société, toujours avec ces questions de foutu instinct maternel et compagnie. Je pense chez certaines femmes un besoin de dissimuler leur mal être.
Parce qu’après tout, la société les serines depuis qu’elles sont gamines sur le fait que être mère est l’accomplissement de leur vie, et même parfois l’accomplissement de leur nature féminine. Quand on gave les gamins et les gamines avec des contes de fées qui finissent tous par semaillèrent beaucoup d’enfants, ils furent heureux.

Dans la tête des petites filles, on leur dit dès leur plus jeune âge, qu’une part de leur accomplissement personnel doit passer par le mariage et par la maternité, quoi. Et comment on fait quand on est grande, qu’on se marie, qu’on a des enfants, et qu’on n’est pas forcément très heureuse, quoi ? Et bien, il faut. Il faut offrir à ces femmes-là la possibilité de dire. Mais moi, ce n’est pas comme dans les contes de fées, Dʳ, je suis pas très très heureuse.
Et pourtant je suis marié, on a beaucoup d’enfants, mais je suis pas très très heureuse. Et il faut juste offrir cette possibilité-là, entre ouvrir la porte et c’est même.

Je vais aller plus loin, ça va être le moment le plus chant du podcast. C’est que ça fait partie de notre mission. Ça, c’est l’OMS qui le dit. Le médecin généraliste a une obligation de s’assurer de la santé physique, évidemment morale et sociale de ces patients. Ça veut dire que. On ne peut pas juste demander aux gens vous avez mal au coude ? Vous avez mal ici ? Il faut leur demander aussi comment ça va moralement, et puis comment ça va aussi au boulot, socialement parlant, quoi. Ça, ça fait partie de notre mission. Il ne faut pas l’oublier, quoi.
Souvent, j’ai des patients. Bah oui, ça va. Pourquoi vous me poser cette question? Parce qu’ils n’ont tellement pas l’habitude qu’on leur demande comment ça va moralement que pour eux, c’est presque intrusif, comme question, quoi.


Clémentine Sarlat
Et avec une vraie intention d’écouter.


Baptiste Beaulieu
Bah oui. Parce que ça fait partie de la mission, quoi.

Clémentine Sarlat

Et puis tu dois naviguer autour de la honte. Il y a beaucoup de honte et de stigmatisation autour de la santé mentale.

Baptiste Beaulieu

Moi, ce qui m’a le plus bouleversé, versé, si tu veux, c’est ce sujet tabou qui est celui des pensées intrusives et des pensées parasites. Voilà. Moi, c’est un truc dont j’ai parlé très rapidement. Et je me souviens d’une soirée qu’on avait fait chez des amis que j’aime beaucoup. Ils ont trois enfants. Les enfants sont très grands maintenant, sont partis. C’est des amis plus âgés que nous. Et j’en avais parlé sur France inter dans une chronique des pensées parasites. Je fais un petit résumé. Mais les gens savent en général.
Des pensées intrusives, c’est.
Ça touche, je crois, 2/5 à 3/5 femmes, en début de parentalité, c’est, on tient son enfant dans les bras et on se met à avoir des pensées qui sont d’une extrême violence vis à vis de cet enfant, je pourrais le jeter contre le mur ou le balancer par la fenêtre, alors qu’on a aucune envie de le jeter contre le mur ou de le balancer par la fenêtre. Mais comme c’est horrible de penser ça, l’esprit est très malin et nous oblige du coup à y penser, alors qu’on n’a pas du tout envie d’y penser, qu’on n’a pas envie du tout de le faire, quoi. Et donc, j’avais écrit un chronique sur ça, sur Inter.
Et je vois mon ami, père de trois enfants, qui me dit mais j’ai écouté cette chronique, qu’est ce que c’est que ça? C’est pas possible. On ne peut pas aimer ses enfants et avoir des pensées pareilles qui nous traversent l’esprit.

Clémentine Sarlat

J’en ai eu,

Baptiste Beaulieu

Et là, je vois sa femme qui explose dans son dos, se lève et part dans la cuisine. Et je me suis aperçu alors qu’ils sont mariés depuis des années, que non seulement on pouvait, mais qu’en plus, il n’y avait pas d’espace de liberté de parole sur ces sujets-là dans notre société.

Et que c’est tellement meilleur quand on vous dit que, un, c’est fréquent, deux, ce n’est pas anormal, et deux, c’est une manière pour l’esprit d’apaiser des angoisses, des inquiétudes, et que surtout, il n’y a jamais de passage à l’acte. Mais tous ces sujets-là tabous, je me dis que. Je me dis que si c’était les hommes qui portaient des bébés, qui géraient les 1ᵉʳˢ mois de vie avec bébé tout seul à la maison, peut-être qu’on parlerait beaucoup plus de ces sujets-là.


Clémentine Sarlat
Ce qui est chouette, c’est que tu es médecin, mais on a bien compris, t’es écrivain. Si personne ne sait lisez ses livres, ils sont géniaux. Tu as vraiment une écriture très humaine, pleine d’empathie, où tu racontes les histoires de la vraie vie, mais avec cette sensibilité qu’on a pu voir là. Est ce que c’est ton quotidien de médecin qui t’inspire le plus, ou tu puises l’inspiration ailleurs ?


Baptiste Beaulieu
Moi, j’ai dû écrire six ou sept romans, tu vois, et il y en a très peu qui parlent la médecine. Il y en a. Il doit y en avoir deux ou trois, maximum. En fait, la seule chose qui décide de ce que je vais écrire ou pas, c’est joie, je mets mal à table. Et si je suis heureux, et si je sens au fond de moi un sentiment profond d’exaltation, en écrivant l’histoire que j’ai envie d’écrire, alors je sais que je suis sur la bonne voie.
Et puis j’ai cette chance-là qui n’est pas donnée à tout le monde. Et c’est vrai, quand on vend beaucoup de livres, on a cette chance-là d’avoir du pouvoir dans le milieu éditorial, qui est un milieu difficile. Faut pas se leurrer, si tu vends pas beaucoup de livres, ben tu seras déconsidéré. Si tu vends des livres, tu es considéré, et c’est triste et c’est comme ça. Et moi, j’ai cette chance-là, c’est que j’en vends pas mal. Et du coup, je me suis jamais obligé d’écrire quelque chose que j’avais pas envie d’écrire. Personne ne m’a jamais tordu le bras. Et je me c’est la seule promesse que je peux faire au lecteur, c’est que j’écris vraiment les livres qui me rendent heureux au moment de l’écriture.


Clémentine Sarlat
Je vais te parler des deux derniers livres que tu as écrits, parce qu’il y en a un pour les enfants et il y en a un pour les adultes. Dans celui pour les adultes, ton dernier roman qui s’appelle tous les silences ne font pas le même bruit, tu as voulu parler de la question de l’homosexualité à travers l’histoire d’un fils et de sa maman. Pourquoi est-ce que cette histoire, tu as voulu la raconter à ce moment-là de ta vie?


Baptiste Beaulieu
Ça s’est imposé. Au moment où je suis devenu père, j’ai voulu solder un petit peu les comptes avec le passé, en me disant ben, tout ce qui est terrible, tout ce qui est difficile et qui a pu t’arriver, tu le mets dans 1 livre puis tu passes à autre chose et tu fais table rase du passé et tu accueilles ton enfant dans un espace serein, apaisé de toutes ces questions-là, toutes ces questions là et sans regret, sans rancœur, évidemment. Ça marche, ça marche pas comme ça.


Clémentine Sarlat
C’est un beau projet en tout cas.


Baptiste Beaulieu
Oui, mais, ça marche pas comme ça. Et puis je me dis aussi que c’était l’occasion d’écrire 1 livre en espérant faire changer un petit peu la société, quoi. Parce que. Parce que je veux que mon enfant grandisse dans une société meilleure, plus. Plus tranquille, plus apaisée. Et que maintenant qu’il est là, je veux tout faire pour le protéger. Ça passe aussi peut être par vouloir profondément changer cette société de fond en comble. Il y a une part de moi qui se demande si..
Moi j’ai très peur par exemple qu’il soit moqué à l’école parce qu’il a deux papas. Tu vois?

Je mets un peu à nu là, mais. Et donc je me demande s’il n’y a pas une part de moi qui comme par hasard il y a deux ans, s’est mis à écrire des albums jeunesse. Ça marche très bien et c’est beaucoup lu dans les écoles. Et en fait je dis, je crois qu’inconsciemment j’ai fait ça parce que. Parce que je veux que quand il aura l’âge d’aller à l’école, ce soit mes livres qu’on lise à l’école, que les maîtresses sachent que c’est mon fils et que du coup elles en prennent plus soin et qu’elles soient plus à l’écoute et qu’elles fassent plus attention à ce qui peut être dit sur ces deux papas par d’autres camarades. Et donc je me demande si voilà, inconsciemment j’ai pas cherché des moyens de le protéger un peu à chaque fois. Je dis de protéger de l’homosexualité de ses parents et en fait non protéger de l’homophobie de la société. Il faut à chaque fois que je fasse.. parce que c’est pas nous le problème, c’est jamais nous le problème.


Clémentine Sarlat
Qu’est-ce que tu dirais à un parent qui veut soutenir son enfant pour pas qu’il s’enferme dans ce silence dont tu parles dans le livre et que ce soit ok d’avoir peu importe la sexualité qu’on a ?


Baptiste Beaulieu
Parce que. ça va pas être prétentieux, mais moi le livre c’est vraiment écrit aussi comme un mode d’emploi pour que les personnes terminent ce livre et sentent beaucoup plus libres de penser ce qu’elles pensent et d’être moins déterminées par ce qu’elles peuvent penser au sujet de la différence. Parce que en fait en vrai le livre tu changes homosexualité par noir ou gros ou même femme.
Et en fait je crois que tout le livre se tient et c’est ce qui est terrible c’est qu’en fait toutes les discriminations se vivent différemment, mais elles se ressemblent toutes quand même beaucoup. Elles se toutes plus ou moins de la même manière. Et donc, moi si j’ai un conseil à donner à un parent, c’est de peut-être laisser traîner des livres sur le sujet sur la table pour montrer à son enfant qu’il n’y a pas de problème, quoi, il n’y a pas de problème. Et que l’enjeu fondamental de toutes ces questions-là d’orientation sexuelle, c’est celui de la liberté individuelle. Moi, je développe de longs chapitres dans le livre sur ça, mais parce que c’est une question fondamentale. Pendant des années, je me suis réfugié derrière l’idée de ce qu’on appelle le born this way. Je suis né comme ça, en gros ne me frappez pas, c’est pas ma faute, je suis né comme ça et j’en suis largement revenu parce que c’est une bêtise de penser ça. En fait c’est ne me frappez pas, parce que qui que ce soit ou qui que vous soyez, vous n’avez rien à faire, rien à faire dans la chambre à coucher deux adultes consentants et personne dans la société. Les homophobes, pas plus quelqu’un d’autre n’a rien à faire ÿ dans la chambre à coucher deux adultes consentants. Et à partir du moment où la société s’immisce dans ces espaces-là, alors on perd une partie de nos libertés individuelles. Et donc la question ce n’est pas de dire je suis gay, hétéro, lesbienne, la question c’est je suis libre, et la société n’a rien à faire dans cet espace-là.
Et si je dis ça, c’est parce que je suis sûr que peut être des gens vont se dire mais en quoi ce livre me concerne? Si l’homophobie. Moi je ne suis pas homophobe. En fait si, vous êtes concerné. Parce qu’à partir du moment où on le voit aux États Unis, ils ont commencé par s’attaquer aux personnes trans, après ça a été le corps des femmes avec les questions autour de l’avortement, puis évidemment maintenant ils en sont à rediscuter pour re légiférer autour du mariage pour tous. Il y a déjà des états au Texas où ils en sont à légiférer sur l’interdiction de la fellation, la sodomie pour les couples hétérosexuels dans la chambre à coucher. Et donc ça ne s’arrête jamais, en fait c’est. Ils vont aller jusqu’au bout. Et donc tout le monde est concerné à un moment donné par cette question de liberté individuelle


Clémentine Sarlat

Mais j’aime bien ce que tu dis autour des parents, de montrer, peut-être pas forcément de manière très assumer, de laisser l’espace, en tout cas pour l’enfant, pour savoir qu’il est soutenu, qu’il est là que le parent est là.


Baptiste Beaulieu

Mais c’est très dur ça, parce que je m’aperçois que je dois lutter en permanence contre ma propre homophobie, parce qu’on peut être une femme et avoir des réflexes sexistes, on peut être un homme homosexuel, avoir des réflexes homophobes. Et moi j’essaye de lutter contre mes propres réflexes homophobes. Moi, j’ai très peur que mon gamin commette des bêtises à l’adolescence parce que je me dis on dira que c’est à cause. À cause de l’homosexualité de ses parents, alors qu’en fait c’est juste un ado. Et que les ados commettent des bêtises et que ça arrive. Et de tout temps.

Clémentine Sarlat

Et peu importe les parents.

Baptiste Beaulieu

Oui. Et peu importe les parents. Et du coup je mets une pression par rapport à ça. Pareil, je dis j’espère secrètement qu’il sera hétérosexuel, parce que si ce n’est pas le cas, on dira ben non, il est homosexuel parce que ses parents sont homosexuels, alors que non, c’est juste comme ça. Après je dis toujours que j’espère qu’il sera hétéro, comme ça il ne nous quittera jamais pour un autre homme.

Mais. Mais non, blague à part, en fait, si tu veux. Et c’est vrai aussi, c’est que la société nous a donné ce droit récemment. Enfin, on lui a arraché ce droit récemment. Et donc je pense qu’il y a une part chez beaucoup d’homosexuels, de lesbiennes, de couples homoparentaux lesbiens ou gays, de pression. On doit être les parents irréprochables d’un enfant irréprochable, parce que sinon la société dira ben vous voyez, on avait bien fait de dire qu’il ne fallait pas leur donner ce droit-là. Et donc oui c’est dur.


Clémentine Sarlat
Dans le podcast, j’ai reçu Héloïse Junier, je sais pas si tu connais, elle est psychologue, et Héloïse, elle parle souvent, dans les livres qu’elle a écrit, des études qui ont été faites sur les parents homosexuels, qui sont en fait la meilleure combinaison. Les enfants, ils s’en sortent le mieux en fait.


Baptiste Beaulieu,

Mais oui, mais c’est incroyable. Qui aurait pu croire que des parents qui galèrent à avoir un enfant quand ils en ont un, le choix. Et c’est incroyable. Et c’est incroyable, qui aurait pu croire ça?


Clémentine Sarlat

Oui mais donc là, pour le coup, vraiment, où il y a plein d’études qui ont été faites, donc on peut se référer là-dessus. Dans ton autre dernier livre qu’on a à la maison, qu’on lit beaucoup, on a écrit deux pour les enfants, comme tu as dit, qui sont illustrés par Qin Leng, je suis moi et personne d’autre. Surtout celui là, après les gens sont beaux.

D’abord, de la délicate question, vraiment, de l’estime de soi, de savoir dire non, mettre des limites, s’affirmer. Là, pourquoi est ce que tu as voulu, au delà de ton fils, quand même aborder un sujet qui est pas simple pour les enfants, à comprendre à travers une histoire pour enfants?


Baptiste Beaulieu
C’est cet enfant qui arrive à la rentrée des classes et puis. Et puis il met son manteau sur le porte manteau, vous savez, où il y a le petit prénom au-dessus du porte manteau de tous les enfants. Et puis dans les jours qui suivent, il va vouloir dire oui pour avoir des copains. Et donc les copains disent viens, on va jouer au foot, et il dit oui alors qu’il n’aime pas le foot.
Et puis les copains disent viens, on va embêter les filles, alors il va embêter les filles, alors qu’il avait pas envie d’embêter les filles, il dit oui. Et chaque fois qu’il dit oui, il perd une lettre de son prénom. À la fin il a plus de prénom, il sait plus comment il s’appelle.

Bon, ça ne finit pas comme ça évidemment, mais. Mais j’avais envie de questionner ce sujet-là qui, enfin, c’est l’apprentissage de toute une vie, d’arriver à dire non, d’arriver à dire je me fiche de la vie autres, et j’existe par moi-même. Et c’est tellement compliqué, et c’est tellement paradoxal, parce que moi je l’ai vécu. Ce qui est étrange, c’est que je ne suis pas quelqu’un qui est dans le rapport de force. Moi ça ne m’intéresse pas les rapports de force avec les gens.
Et pourtant je me suis aperçu que malheureusement il y a des personnalités qui ne commencent à vous respecter que dès lors que vous avez posé vos limites. Et donc lorsque vous êtes-vous même dans un rapport de force. Et c’est malheureux. Mais moi je l’ai vécu souvent à l’hôpital, en tant qu’étudiant. Des chefs qui nous martyrisés. Et le jour où on n’en peut plus, et on se met à lui parler mal, mais parce qu’on vrille un peu, qu’on dégoupille, qu’on dit qu’importe les conséquences. Maintenant j’y vais et je lui dis que c’est plus possible. Et qui vous regarde un peu comme on regarde le fou dans le bus en disant Ouh là là, je vais être gentil avec lui.
Et bizarrement, à partir de ce jour-là, il commence à vous respecter et à vous respecter même pas que les autres, et dit c’est malheureux, mais il y a des gens comme ça qui ne demandent que le rapport de force pour avoir du respect. Et j’aurais bien aimé qu’on m’apprenne très rapidement que ça, que ça existe et que. On n’a pas forcément besoin de tout le monde dans la vie, ou de l’approbation de tout le monde. Et que c’est dur de dire non quand on est adulte. Je pense qu’il y a beaucoup d’adultes aussi. Un moment, le petit, il dit à sa mère ça a l’air dur de dire non quand on est adulte, et elle dit que c’est vrai que c’est difficile. Il lui demande mais alors à quoi ça sert d’être adulte ? À quoi ça sert d’être une grande personne ?
Mais je pense qu’il y a plein de grandes personnes qui ont perdu un peu le chemin de leur nom, quoi. Je pense, qu’on est nombreux à se dire c’est une phrase que je ne mérite pas, ou que je mérite plus, ou que je mérite trop peu. Et alors qu’aussi on mérite tous d’être capable de dire non, de poser ses limites et d’être respecté malgré. Malgré cette opposition et ce refus qu’on oppose aux autres, quoi


Clémentine Sarlat

Ce que j’aime beaucoup dans ce livre, tu vois, c’est que c’est facile de comprendre pour les enfants, parce qu’il y a la question du harcèlement qui est au cœur de ça.

Baptiste Beaulieu

Oui, bien sûr,

Clémentine Sarlat

A laquelle on les sensibilise de plus en plus quand même, à l’école, dans le milieu scolaire, comparé à avant. Mais pourtant ils ont quand même du mal à comprendre que dire non quand les autres sont méchants, ou ne pas suivre le groupe, c’est important, et ça ne fera pas d’eux quelqu’un de moins bien, ou en tout cas, le risque qu’ils prennent, il est bénéfique pour eux et pour la personne en face.

Je vois ma fille qui a sept ans, c’est l’effet de groupe, il est déjà là, et pourtant elle est éduquée dans ce genre d’environnement, et pourtant elle lit des livres. Mais ils ont du mal encore à on est des êtres sociaux, on a besoin du groupe.


Baptiste Beaulieu.

Après, l problème c’est que les enfants, ils apprennent aussi par imitation. Et donc comment leur apprendre à être libre si nous-mêmes on ne se l’autorise pas, quoi. Et donc je l’ai écrit aussi pour me le rappeler à moi. Je veux que mon fils puisse grandir en voyant son père capable de dire non et que, après, il a que 14 mois, je pense, quand il aura deux, trois ans, qu’il va nous dire non tout le temps, je vais me dire « Pourquoi tu as écrit ce livre ? »


Clémentine Sarlat
C’est une phrase. Ils aiment bien le non. Après, on peut discuter.

Baptiste Beaulieu

Il faut. Il faut. Je veux montrer à mon fils que, ouais. Que je peux le faire et que c’est important d’y arriver, quoi.

Clémentine Sarlat

Et tu vois au-delà de ça, donc c’est. Francisco, c’est cette estime de soi, en fait, l’identité de qui on est dont tu parles, de pas se perdre. Voilà. En disant non, on se protège, nous, on dit qui on est, nous.

Baptiste Beaulieu

Oui, oui. Et puis on finit par devenir quelqu’un d’autre. Et ça, je pense, c’est aussi un problème de l’âge de ces enfants ou de l’âge adulte qui, à force de dire oui, on perd le chemin de son nom et donc de soi même. Et parce qu’on a toujours l’impression que si je dis non, il va falloir que j’explique pourquoi je dis non. Ben non.


Clémentine Sarlat
Non est une phrase.

Baptiste Beaulieu

Non est une phrase complète et qu’on n’a pas forcément besoin d’expliciter et que ça devrait tenir tout seul. Voilà.

Clémentine Sarlat

Ça me fait penser, ce que tu dis sur l’identité de qui on est quand on est enfant. Le podcast, La Matrescence, c’est un concept psychologique qui explique le changement d’identité quand on devient mère. Mais la patrescence, ça existe. Est ce que toi, en devenant père, t’as senti, tu disais que t’as eu peur de perdre ta vie d’avant, mais est ce que t’as senti ce truc de je suis qui maintenant que je suis père ?

Baptiste Beaulieu

J’ai eu cette responsabilité écrasante et puis cet amour qui est venu comme ça. Je ne le connaissais pas il y a 14 mois, et puis maintenant, je n’envisage pas ma vie sans lui. Je préférais mourir 1 milliard de fois plutôt qu’il lui arrive quoi que ce soit, quoi.
Et en même temps, c’est bizarre, parce que quand du coup, c’est comme si j’avais créé les conditions de ma propre destruction totale et que j’avais mis mon cœur dans le corps de quelqu’un d’autre et que j’avais dit aux gens voilà, maintenant, toutes mes fragilités, elles sont là, et elles ne sont pas assez à l’abri d’après moi. C’est très étrange. Et en même temps, le soir, quand je vais le chercher chez l’assistante, je dis tout le temps l’assistante maternelle. Mais nous, on est deux papas, donc l’assistante paternelle. L’assistante parentale. Je m’aperçois que, à partir du moment où je pars du cabinet ou du bureau, jusqu’au moment où j’arrive en bas de chez elle, j’ai le sourire de Mona Lisa sur les lèvres. Je suis tout content d’aller, de le retrouver, quoi. Un sourire un peu nier.

Les gens doivent se dire là, il a l’air bête, celui. Mais je suis juste heureux de retrouver mon petit bout, quoi.

Clémentine Sarlat
Du coup, tu as plein d’idées de livres à écrire au fur et à mesure pour paver son existence, pour les 8-9 ans, pour les 10-12, à chaque fois, tu prépares le terrain, tu fais une liste.

 
Baptiste Beaulieu
J’ai plein de sujets que je voudrais aborder dans les albums jeunesse. Mais c’est aussi une promesse que je fais au lecteur.
C’est que j’écris vraiment les albums jeunesse que je voudrais lire à mon enfant plus tard pour en faire quelqu’un de bien, quoi.
Donc, c’est la promesse que je fais aux parents. Je ne triche pas, quoi.


Clémentine Sarlat
Ça sent, je pense. Tu le sais. Mais même si tu ne comprends pas pourquoi les gens viennent faire la queue pour te voir.

Baptiste Beaulieu

Non, je ne comprends toujours pas.

Clémentine Sarlat

Mais en tout cas, ils viennent. Merci beaucoup, Baptiste.

Baptiste Beaulieu

Merci, Clémentine. Merci à toi pour l’accueil. Merci du fond du cœur.

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