Épisode 168 – La prématurité et sa prise en charge en France, Alexandra Nuytten

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Dans l’épisode du jour on va s’intéresser aux touts petits nourrissons via la prématurité.

Dans cette interview Alexandra Nuytten, qui est pédiatre spécialisée en néonatologie, vous embarque dans le monde inconnu des bébés nés après 24 semaines de grossesse.

Alexandra reprend les bases et nous explique les différents niveaux de maternité, parce que chaque niveau correspond à une capacité d’accueil d’un nouveau né, en fonction de ses problématiques.

Elle décrit les besoins spécifiques de ces bébés préma et leurs particularités. Elle y parle des enjeux liés à leurs survie et ce que nous pouvons faire en tant que parents de prématurés pour améliorer les conditions de vie de ces bébés né avant l’heure.

Elle donne des pistes à l’entourage, aux amis, aux famille ou aux collègues, pour soutenir ces personnes devenus parents bien plus rapidement que prévu.

Je vous souhaite une bonne écoute.  

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LES LIENS UTILES
L’invité :
Alexandra Nuytten

Podcast à écouter :
Episode 16 : Dr Catherine Gueguen – Comprendre son enfant à travers les neurosciences

Autres ressources :
SOS Préma
Le DU à Paris-Sorbonne
TEDX de Catherine Gueguen


TRANSCRIPTION DE L’ÉPISODE

Clémentine Sarlat : Salut Alexandra.

Alexandra Nuytten : Salut Clémentine !

Clémentine Sarlat : Je suis ravie de te recevoir et surtout je te remercie de m’avoir envoyé un mail pour me proposer ta candidature pour être interviewée parce que j’aime beaucoup le profil que tu as et je n’ai jamais interviewé une pédiatre qui travaille en réa et chez les tout petits et on va parler de la prématurité. Déjà ma première question, pourquoi tu as voulu devenir pédiatre et te spécialiser dans les enfants ?

Alexandra Nuytten : Parce que j’ai fait des stages, on est dans les études de médecine, on accède assez vite à l’hôpital au bout de la quatrième, enfin deuxième, troisième, quatrième année. Mais à partir de la quatrième année, on fait des stages qui se durent plusieurs semaines dans les services et on est inclus plus ou moins dans les soins. Et je suis passée à ce moment-là dans un service qui faisait de la néonatologie. Et voilà, il y a eu un coup de cœur. Alors c’était pas la réanimation, c’était pas des bébés super malades, c’était des bébés en convalescence mais j’ai eu un coup de cœur pour cet exercice. Et puis, j’aime bien les enfants aussi, mais j’ai vraiment eu un coup de cœur dès le début pour les bébés. Et puis, la pédiatrie a cette particularité-là d’avoir un lien important avec les parents. Alors, il y a des gens qui me disent, je ne sais pas comment tu fais, moi, c’est difficile de gérer et le patient et les parents, mais pour le coup, moi, c’est quelque chose que j’aime bien. Donc, je pense que tout ça a participé à mon choix de devenir pédiatre.

Clémentine Sarlat : Oui c’est vrai parce qu’il y a deux aspects, tu gères la pathologie des enfants mais nous parents, on vous sollicite beaucoup les pédiatres, on a beaucoup de besoins de réassurance et tu vas nous en parler tout à l’heure sur notamment la prématurité et le truc c’est que donc tu es devenu pédiatre mais après tu t’es surspécialisée, tu t’es surspécialisée donc dans la réanimation, dans la néonatalogie. Là aussi, pourquoi est-ce que tu as été dans un domaine qui est très particulier et où il y a peu d’élus finalement, où vous êtes peu à faire ce métier ?

Alexandra Nuytten : Alors c’est pas forcément qu’il y a peu d’élus, c’est qu’on est beaucoup en pédiatrie à faire un cursus général, on est beaucoup à se surspécialiser, on a beaucoup de casquettes, on peut avoir un pneumopédiatre, un gastropédiatre, un neuropédiatre, et puis la néonatologie fait partie de ces surspécialités de la pédiatrie. Moi j’avais eu ce coup de cœur pour la néonate déjà pendant mes études de médecine et ça s’est confirmé pendant mon internat où j’ai fait des stages en néonate. Et donc voilà, je me suis dit, c’est ça que je veux faire et j’ai fait cette surspécialité qui se déroule sur deux ans et qui est très pratique. En pratique, c’est des acquis d’expérience et puis des cours spécifiques. Et c’est une spécialité qui est très riche et très variée parce que c’est très technique parce qu’en effet, on fait de la réanimation, on prend en charge des enfants qui vont qui peuvent aller très mal, il y a des gestes techniques précis, donc c’est très stimulant. Mais à la fois, c’est pas que ça.

Alors pour être néonatologue, il faut faire la réa, il faut savoir réanimer les enfants, il faut avoir fait des gardes en réanimation, il faut savoir faire ça. Mais c’est aussi le bébé convalescent, le bébé qui va mal, qui est hospitalisé dans le premier mois de vie pour une bronchiolite, par exemple. C’est aussi le bébé qui va mieux, qui n’est plus en danger pour sa vie, mais qu’on accompagne vers le retour à domicile, c’est aussi la relation avec les parents. Et tout ça, ça m’a plu et ça m’a poussé vers cette surspécialité, qui est une spécialité hospitalière. Les gens me disent parfois, mais si tu en as marre t’irais en ville, je ne peux pas, ça n’existe pas ce que je fais en ville ni en clinique, c’est vraiment une spécialité hospitalière.

Clémentine Sarlat : Oui, c’est ce que j’allais te poser comme question. Ça veut dire que tu as fait le choix de passer toute ta pratique en milieu hospitalier en ayant la conscience que tu ne serais pas dans une routine d’un cabinet. Il y a vraiment d’autres critères qui rentrent dans tes choix pour ce qui est la réalité de ton travail.

Alexandra Nuytten : Après j’ai le diplôme de pédiatre, j’ai fait deux ans de surspécialisation donc si demain je me dis je veux sortir de l’hôpital et aller en ville, je peux être pédiatre en ville, installer ma plaque, mais ce serait une pratique que je découvrirais parce que finalement moi autant je suis très à l’aise pour accueillir un bébé en salle de naissance, autant quand on me demande de regarder des boutons j’avoue que parfois c’est pas ce que je vois au quotidien donc voilà.

Clémentine Sarlat : Je sais plus travailler sous pression et à l’urgence que dans la tranquillité d’un cabinet.

Alexandra Nuytten : C’est pas le même exercice.

Clémentine Sarlat : C’est pas si tranquille, j’imagine, de recevoir tout le temps des enfants malades. Alors, quand on parle de néonatalogie, on fait référence à quoi exactement ?

Alexandra Nuytten : On fait référence à la médecine et le soin d’enfants jusqu’à peu près le premier mois de vie. C’est vraiment la naissance et ce premier mois de vie. C’est vraiment cette transition bien spécifique de la vie intra-utérine à l’adaptation à la vie extra-utérine. En effet, c’est une période très spécifique. Alors le premier mois de vie pour des enfants qui seraient nés à terme, des enfants qui naissent en avance, on compte en âge corrigé, donc on les garde un petit peu plus longtemps qu’un mois.

Clémentine Sarlat : Donc, t’es vraiment dans une spécialité où tu ne vois que des nourrissons, où tu vois vraiment des tout petits, tout petits êtres humains. Et une fois qu’ils passent en néonatologie, ces bébés, ils vont dans un autre service. Une fois qu’ils ont passé un mois, ils vont ailleurs où ils restent. Tu peux avoir des bébés qui sont plus âgés.

Alexandra Nuytten : Alors, c’est pas un mois, tu t’en vas, ça dépend du parcours. Grosso modo, les enfants qui sont nés en avance ou vulnérables, ils restent en néonatologie jusqu’à ce qu’ils puissent sortir à la maison. Des enfants qui ont vraiment une pathologie particulières qui doivent rester longtemps et qui, en âge corrigé, arrivent à deux mois et qu’on sent que nous, on touche nos limites de néonatologues parce qu’on peut transférer à ce moment-là vers la pédiatrie. Et puis, si c’est un bébé qui va bien, qui est né, qui rentre à la maison, puis qui vient aux urgences parce qu’il a une bronchiolide, par exemple, à deux mois, il sera hospitalisé à ce moment-là en pédiatrie et pas en néonate.

Clémentine Sarlat : Nous, on veut s’intéresser aujourd’hui à la prématurité. C’est un sujet qui te touche au quotidien. Il se passe quoi, par exemple, quand tu accueilles une maman qui accouche d’un bébé prématuré à 24 semaines, 25 semaines ? C’est quoi le terme exact en termes de limite de semaine ? Comment est-ce que ça se passe, raconte-nous.

Alexandra Nuytten : En termes de viabilité, on sait qu’il n’y a aucune naissance qui est aboutie à la vie avant 22 semaines d’aménorée. D’ailleurs, je précise dont on parle de 22 semaines d’aménorée, mais on ne compte jamais en semaine de grossesse ou en mois de grossesse, c’est vraiment un langage international et universel, donc 22 semaines, on sait qu’il n’y a pas de vie possible. Après, la limite à partir de quand on prend en charge. Ça dépend un petit peu des centres, ça dépend un petit peu des expériences, et puis ça dépend du temps avec lequel on avance, parce que ce que je dis aujourd’hui, ce n’est pas forcément ce qui se passe il y a 10 ans, et c’est sans doute pas ce qui se passera dans 10 ans. Aujourd’hui, il y a beaucoup de réanimations de niveau 3 qui prennent en charge à partir de 24 semaines. Mais il y a des centres où on peut prendre en charge si c’est 23, plus 5, plus 6, si les dames ont pu avoir une corticothérapie antennatale pour favoriser la maturation, notamment des poumons du bébé. Et ça dépend aussi du contexte de prématurité. Est-ce que c’est un bébé qui né très en avance et en plus avec un gros retard de croissance, où on aura des inquiétudes plus importantes pour sa survie et son devenir ou un bébé qui a eu le temps d’avoir les corticoïdes, on a pu gagner un petit peu de temps, qui a un bon poids ? Tout ça, ça rentre en compte. Et dans ces âges extrêmes dont tu me parles, on fait aussi une information aux parents et c’est des âges où on peut parfois discuter avec des parents jusqu’où on peut aller.

Clémentine Sarlat : Ça, c’est une décision que vous prenez en commun avec les parents. C’est-à-dire jusqu’où on peut aller, ça veut dire quoi quand tu dis ça ?

Alexandra Nuytten : Ça veut dire que pour des bébés qui sont au-delà de 25, 26, 27 semaines, cette question se pose moins parce que c’est des bébés où les chances sont meilleures et les morbidités moins importantes, mais dans ces zones grises vraiment, les bébés qui seraient à la limite de, on ne sait pas vers quoi on va, et on sait qu’il peut y avoir une morbidité importante, des conséquences importantes. C’est des discussions qu’il faut avoir avec les parents parce qu’on peut entendre de « c’est tout mon bébé, je ne veux pas qu’il ait une réanimation super intensive, je ne veux pas qu’il soit relié à des fils, à des tuyaux, je ne veux pas qu’on aille trop jusqu’au bout si il a besoin de petits gestes, il n’a pas besoin d’être réanimé de trop, et bien c’est bien, mais par exemple je ne veux pas qu’il ait besoin d’un massage cardiaque, et ça c’est vraiment des discussions qu’il faut essayer d’avoir, notamment pour ces quelques enfants, ces quelques grossesses qui sont à la limite, parce qu’on peut entendre des parents qui disent, mais moi il faut tout faire pour mon bébé, j’accueillerai quoi qu’il en deviennent et voilà, il y a des parents qui peuvent nous dire ah non mais moi je me projette pas du tout avec un enfant qui aurait des besoins spécifiques, c’est compliqué, c’est pas possible et voilà si tout va bien ça va mais si c’est trop compliqué… on va pas forcément faire des réanimations hyper intensives, hyper poussées. Donc ça, c’est des discussions qu’on essaie d’avoir un maximum avec les parents dans les zones grises. Et puis après, pour les bébés pour qui on n’a pas ces inquiétudes là de ce qu’on va devoir faire, on essaye un maximum de voir les parents avant la naissance. Une dame qui se présente à 25, 26, 32 semaines parce qu’on parle souvent des extrêmes prématurés, mais les moins grands prématurés sont quand même des prématurés et on essaie de les informer, c’est quoi, qu’est-ce qui va se passer, quelles vont être les prochaines étapes, est-ce que vous avez des questions, parce qu’on sait que cette information avant la naissance est très importante pour la suite.

Clémentine Sarlat :

Explique-moi comment tu reçois des patients en amont ? Comment tu peux prédire qu’il va y avoir de la prématurité ?

Alexandra Nuytten : En fait, les dames qui ont sont à risque de prématurité, elles viennent nous consulter aux urgences. Et heureusement, il y a beaucoup de menaces d’accouchements prématurés qui n’accouchent pas tout de suite. Voilà, c’est des contractions, le col qui se modifie un peu, il existe des médicaments pour ralentir le travail qui peuvent bien fonctionner, et puis on essaie de gagner un peu de temps. Et les dames qui ont une menace d’accouchement prématuré, on les voit. Si ça découle sur une prématurité, on aura fait l’information, puis si elles poursuivent leur grossesse et qu’on n’a pas besoin de les voir, en néonatalogies plus tard tant mieux, mais on les voit. Les risques, si le risque est là, on essaie de faire l’information, de répondre aux questions, et puis, si c’est une prématurité qui n’arrive pas tout de suite, c’est tant mieux. Si elle arrive deux, trois semaines plus tard, on aura gagné trois semaines. Mais en même temps, on aura déjà vu ses parents qui auront eu les informations. Donc, quand ça arrive et que les dames accouchent tout de suite, on n’a pas le temps de faire ça. Mais généralement, on essaie quand même absolument de les voir avant.

Clémentine Sarlat : Il y a des cas d’accouchement prématurés qui arrivent ultra soudainement où les parents, la maman notamment, ne sont absolument pas préparés à cette éventualité. Comment est-ce que tu les accueilles, ces parents-là, qui n’ont eu aucune information et qui se prennent en pleine face à un tsunami extrêmement difficile puisqu’il y a l’enjeu de la vie de leur bébé et cette double réalité de « je ne suis plus enceinte et là on est arrivé à terme ».

Alexandra Nuytten : Oui c’est très important cet accueil là qu’on leur fait comme tu dis il y a un choc alors on sait qu’en plus il y a beaucoup d’informations à donner que parfois il y a des choses qu’on dit mais qui passent un peu au dessus donc on sait que c’est des informations qui vont se faire en plusieurs fois on donne une place au papa aussi dès le début c’est à dire si la maman, elle accouche prématurément, rapidement le papa, le co-parent ou la personne de confiance qui est là va pouvoir, dès le début, être avec nous en salle de naissance avec le bébé. C’est important de ne pas perdre ce lien. Il y aura au moins ce témoin-là. On fait des photos pour avoir ces premiers instants-là avec l’enfant. Voilà, c’est des traces qui restent. Et puis, idéalement, il faut qu’il y ait le moins de séparations possibles de l’enfant avec ses parents. Donc, si c’est un enfant qui va bien, qui est stable, sur le plan cardio-respiratoire, on peut proposer aux coparents de faire du peau-à-peau. Dès que la maman n’a plus besoin de surveillance spécifique de la salle de naissance, elle passe dans le service où son bébé est, pareil, on installe du peau-à-peau, on parle d’allaitement, on parle.. on les accueille et ce que je fais de plus en plus quand j’étais un bébé médecin, on a tendance à vouloir donner toutes les informations. Moi maintenant je m’appuie beaucoup sur les questions des parents parce qu’ils peuvent avoir des interrogations très diverses et variées en fonction des histoires et ce que je leur demande aussi c’est est-ce qu’ils connaissent la prématurité, est-ce qu’ils en ont une représentation, est-ce qu’ils ont des craintes particulières parce qu’on peut me dire mais non mais mon bébé il est né à 32 semaines mais est-ce qu’il va mourir alors que pour moi, c’est une évidence que cet enfant ne va pas mourir, mais en fait, quand on ne connaît pas la prématurité, on n’en sait rien. Ou alors, ça peut être mon petit frère, il était né prématuré, ça s’est bien passé. Enfin, voilà, ça, c’est important.

Clémentine Sarlat : Alors tu peux nous décrire exactement ce que c’est la prématurité ?

Alexandra Nuytten : Oui, alors, on est considéré comme prématuré quand on est avant 37 semaines d’aménorée et on décrit différents stades de la prématurité. Il y a l’extrême prématurité avant 28 semaines, la grande prématurité entre 28 et 32 semaines, et la prématurité modérée au-delà de 32 semaines, 32, 34, après on dit la prématurité tardive. Et c’est vrai qu’il y a prématurité et prématurité, c’est pas du tout la même chose d’être à 24 semaines qu’à 28, 32, 36.

Clémentine Sarlat : Les statistiques de chances de survie, elles varient quand même en fonction des semaines, même des jours ? Je crois que vous avez vraiment des moments cruciaux.

Alexandra Nuytten : Oui, c’est vrai que les semaines comptent beaucoup. Alors on a des études épidémiologiques françaises, on a de la chance d’avoir une recherche en néonatologie en France qui est développée et très intéressante, donc on a de gros études épidémiologiques qui nous donnent ces chiffres. On sait que l’évolution de la survie augmente avec l’âge gestationnel et l’évolution de la survie sans morbidité, donc sans complications, elle augmente avec l’âge gestationnel. Donc à 24 semaines, la survie, dans la dernière étude qu’on a fait, c’était Epipage 2 qui était fait en 2011, donc ça commence déjà à dater les choses, peut-être si on faisait aujourd’hui ne serait pas les mêmes. Quand on est à 24 semaines, la survie elle est autour de 30% à peu près et puis dès qu’on dès qu’on gagne une semaine, 25 semaines, on arrive déjà presque à 60%. Et au-delà de 28 semaines, on a une survie qui est au-delà de 90%, quasiment. Et après, c’est les complications qui sont aussi de moins en moins fréquentes au fur et à mesure qu’on avance en termes.

Clémentine Sarlat : Donc déjà, 28 semaines, c’est un énorme marqueur dans la capacité du bébé à pouvoir survivre.

Alexandra Nuytten :

Les extrêmes prématurés, 24, 25, 26. Et puis, au-delà de 27, 28, il y a quand même une sorte de gap qui se passe et c’est vrai qu’au-delà de 30 semaines, on n’est pas inquiet pour la survie des enfants. Et après, chaque enfant est unique et les statistiques en population, et il y a la situation unique de l’enfant, mais c’est vrai qu’on a quand même ces repères.

Clémentine Sarlat : Comment tu expliques qu’entre 24 et 25, il y a autant de différences en termes de pourcentage de survie ? Ce passe quoi sur juste une semaine par rapport au développement d’un bébé inutéro ?

Alexandra Nuytten : Et ben la maturation des poumons, la maturation du cerveau, la maturation de la peau, la maturation des reins et c’est vrai qu’on peut se dire une semaine c’est rien du tout mais une semaine en fait si c’est énorme et une dame qui arrive en menace d’accouchement prématurée à 24 semaines et qui finalement va accoucher à 27 ça reste une grande prématurité, une extrême prématurité mais elle aura gagné trois semaines et même quand on gagne quelques jours et ben voilà. Et c’est terrible parce que je dis, quand on gagne, on n’y peut rien en fait. La dame, elle n’y peut rien, d’avoir gagné ou pas. Elle n’y peut rien, que ça ait tenu ou pas. Mais on sait qu’une semaine, ça change les choses parce que la maturation fétale, en effet, elle évolue très très vite.

Clémentine Sarlat : Alors, tu viens de le dire, on n’y peut rien. En revanche, est-ce que vous avez des connaissances sur pourquoi il y a des bébés qui naissent de manière prématurée, d’extrême prématurité ? Et pourquoi d’autres vont à terme ? Qu’est-ce qui serait un déclencheur ou pas ? Vous avez des connaissances sur ça ?

Alexandra Nuytten : Oui, alors il y a deux grandes catégories de prématurité, il y a la prématurité spontanée, ça veut dire, voilà, tout se passait bien jusque là, puis le travail se met en route et j’accouche. Ça, ça peut être à cause du facteur de l’utérus, ça peut être le col qui est plus sensible, on parle d’incompétence de col mais c’est horrible ce mot parce que les dames qui entendent dire une incompétence de col, comment ça mon corps est incompétent ? Mais en même temps, c’est le seul auquel on peut rien. Ça peut être des infections. Quand on est prématuré, on est toujours très attentif à l’infection parce qu’on sait que quand il y a des infections qui arrivent, le corps fait son travail et ça peut mettre en route le travail. S’il y a des ruptures prématurées des membranes, si on perd les os trop tôt, ça arrive. Ca, c’est à gros risque parce que la protection, l’enveloppe protectrice, elle s’est rompue, donc on sait que c’est à gros risque d’infection et du coup de déclenchement du travail, mais ça encore, on ne sait pas exactement pourquoi ça arrive. Et l’autre catégorie de prématurité, c’est la prématurité induite. Et là, c’est quand il faut interrompre la grossesse, enfin, faire sortir le bébé vivant, parce qu’il y a des pathologies autour de la grossesse ou de la maman. Ça peut être de l’hypertension intérieure très importante, de la pré-éclampsie, avec des retards de croissance intra-utérin. Ça, on ne sait pas non plus exactement pourquoi. Mais le placenta, il ne fait plus très bien son travail. Du coup, le bébé, il ne grossit plus bien. Et puis, la maman, elle a la tension qui monte, qui monte. Et c’est dangereux et pour le bébé et pour la maman. Donc, quand c’est comme ça, généralement, on a le temps de faire les corticoïdes de gagner quelques jours. Et puis, au bout d’un moment, la balance bénéficie, le bébé doit rester dans le vent de sa mère et c’est dangereux peut-être pour lui et pour sa maman ou il sera mieux dehors et on décide alors d’une césarienne et c’est une prématurité induite.

Clémentine Sarlat :

Est-ce qu’il y a plus de prématurité chez les grossesses gémellaires ?

Alexandra Nuytten :

Ah oui, énormément, énormément. J’avais noté le chiffre, donc en cas de grossesse multiple, il y a 53% de prématurité versus 5% des grossesses uniques.

Clémentine Sarlat : Et on sait pourquoi ?

Alexandra Nuytten : Il y a un facteur mécanique avec le fait qu’il y ait deux bébés, donc l’utérus, bien que très compétents, au bout d’un moment, ça prend trop de place. Ça peut se mettre en route. Prématurité, c’est avant 37 semaines. Ça ne veut pas dire que tous les grossesses gémellaires arrivent à 24, 25, 26. Mais c’est vrai que la prématurité, c’est plus souvent chez les grossesses multiples.

Clémentine Sarlat :

Tu veux dire que de manière générale, c’est peut-être des grossesses qui vont à quasiment un mois avant le terme, qui ne sont pas des très grandes prématurités, mais quand même ne sont pas à terme ?

Alexandra Nuytten : C’est quand même des prématurités.

Clémentine Sarlat :

Je me demandais si c’était une fausse croyance qu’on avait, où on se dit, j’ai l’impression de voir beaucoup de gens qui sont jumeaux, qui m’ont dit, je suis née avant, ou est-ce qu’il y avait vraiment des stats… Mais là, ils sont forts les stats, c’est plus de 50 %.

Alexandra Nuytten :

En tant que néanatologue, annoncer une grossesse gémellaires, ce n’est pas juste mince, qu’est-ce que je vais faire avec deux bébés, c’est mince, est-ce que ma grossesse va bien se passer ? C’est vrai. Mais avec un biais cognitif bien connu, il y a plein de grossesses gémellaires qui se passent bien.

Clémentine Sarlat : Ah oui. Heureusement quand même. Est-ce que tu peux nous expliquer, tu le disais toi, tu pratiques forcément en milieu hospitalier, mais pas dans n’importe quel milieu hospitalier. Les milieux hospitaliers qui peuvent accueillir des très, très grandes prématurités, c’est pas forcément toutes les maternités. Tu peux nous expliquer les dénominations niveau 1, niveau 2, niveau 3, je pense que tout le monde ne connaît pas ça.

Alexandra Nuytten : Exactement, tout le monde ne connaît pas et je pense que c’est important de comprendre un peu ce que c’est qu’une maternité niveau 1, niveau 2, niveau 2A, niveau 2B, niveau 3 parce que c’est pas la même chose.

Une maternité de niveau 1 c’est pour les grossesses sans risque et les enfants qui vont bien. C’est un endroit où grosso modo il y a un accompagnement, mais pas d’intervention particulière, notamment pour le bébé, il reste avec sa maman, il n’y a pas de néonatologie sur place, il n’y a pas forcément de pédiatres sur place. En salle de naissance, les sages-femmes, elles sont formées à accueillir un bébé en salle de naissance et à faire les premiers gestes de réanimation. Mais si la nuit, il y avait besoin d’une réanimation plus poussée, c’est des pédiatres qui normalement sont d’astreinte ou alors c’est le smur pédiatrique de proximité qui va être déclenché. Mais voilà, niveau 1, c’est tout se passe bien. Les maternités de niveau 2, c’est des endroits où il y a des néonatalogies. Il y a des niveaux 2A, ça veut dire qu’il y a un service de néonatalogie pour des bébés qui ont besoin d’être hospitalisés et surveillés, mais pas besoin de soins intensifs ou de grosses réanimations. Généralement, c’est des maternités qui prennent en charge les bébés à partir de 33 semaines, 1,5Kg-1,8kg kg en fonction des centres, et les bébés peuvent être perfusés si besoin, recevoir des antibiotiques, avoir une oxygénothérapie avec des petites lunettes et puis poursuivre leur petite vie ex utero. Après, il y a les maternités de niveau 2B où il y a des soins intensifs néonato. Globalement, en France, on dit 32 semaines, 1,5 kg. Il existe des maternités de niveau 2B+, comme celle dans laquelle je travaille actuellement, où on prend en charge les bébés plus tôt, à partir de 29 semaines et 1000 grammes. On fait quand même des soins intensifs où le bébé peut avoir besoin d’une ventilation non invasive mais plus conséquente, d’un cathéter central pour recevoir une nutrition parentérale, donc une alimentation par les veines, des antibiotiques, bien sûr, et ça peut être une hospitalisation qui est plus longue, avec des bébés qui peuvent être monitorés, c’est-à-dire, on a un scope qui montre la fréquence cardiaque, la saturation, qui est relié en centrale, donc ils sont surveillés tout le temps, et s’il y a un problème, ça sonne et on est là. Et puis, allez, maternité de niveau 3, c’est en néonatologie, il y a une réanimation néonatale. Ça veut dire que dans ces centres-là, on peut accueillir des bébés qui arrivent extrêmes prématurés, qui peuvent avoir besoin d’être ventilés, d’être intubés, d’avoir une réanimation plus poussée sur le plan de l’hémodynamique, du cœur, et qui ont vraiment besoin d’un soin à la fois médical et paramédical plus soutenu. Et ça, c’est déterminé par des décrets. Quand on est en réanimation neonatale, il faut une puéricultrice ou infirmière pour deux enfants. Et quand on est aux soins intensifs, il faut une puéricultrice ou infirmière pour trois enfants. Donc ça, c’est très bien décrit dans un décret qui explique tout ça. Au delà des niveaux 3, il y a aussi des centres qui sont un peu comme des 3B+, ou des 3+, c’est des centres qui sont avec des recours chirurgicaux, c’est souvent les centres hospitaliers universitaires, et c’est là où il y aura tous les sur-spécialistes. Par exemple, j’ai un bébé qui a une malformation cardiaque, une malformation ORL qui a besoin spécifique de gastropédiatres ou d’un chirurgien-pédiatres, ce sera à ces niveaux-là, donc souvent c’est les CHU qui rassemblent ces enfants-là.

Clémentine Sarlat : C’est vrai que je t’en avais parlé quand on s’est appelé pour préparer le podcast, que moi qui ai accouché à la maison, notre sage-femme, elle nous oblige à nous inscrire en maternité au CHU de Bordeaux, qui est une maternité niveau 3, évidemment, parce qu’elle nous dit s’il y a un problème, en fait, moi ma maternité d’à côté, c’est niveau 1, elle est à deux minutes de chez moi, elle dit ça sert à rien, je fais exactement la même chose que la maternité. En revanche, si j’ai besoin d’aide, c’est qu’il faut aller dans une maternité niveau 3 où il y a le personnel qualifié. Et c’est vrai que ça m’a paru bizarre au début, maintenant j’ai compris, mais encore plus avec tes explications, c’est tout à fait logique ce qu’elle demande en fait d’être redirigée vers un endroit où il y a tout ce qu’il faut pour accueillir un bébé en détresse. Ce qui veut dire que par exemple, quand il y a une menace d’accouchement prématuré, automatiquement on est redirigé vers une maternité niveau 3 ?

Alexandra Nuytten : Oui, ça, ça s’appelle la régionalisation des soins. C’est très important parce qu’on sait que naître pour un bébé prématuré, naître dans un niveau qui n’est pas le sien, c’est moins bien. Donc, quand il y a des menaces d’accouchement prématuré, les dames, elles se présentent souvent dans la maternité dans laquelle elles sont suivies et c’est bien normal. Et après, il y a une régulation. Dans le Nord, on a de la chance, on a la régulation périnatale. On a une sage-femme au SAMU qui est dédiée à ça, aux transports périnataux et qui va appeler les maternités du secteur pour dire voilà j’ai une dame en menace d’accouchement prématuré à 32 semaines, est-ce que vous avez de la place et pour la maman et pour le bébé pour l’accueillir et puis les transferts se font un maximum in-utero pour que la naissance se fasse dans le niveau de mieux adapté, c’est important.

Clémentine Sarlat : Et si ça arrivait, je vais prendre l’exemple, si vous suivez sur les réseaux sociaux, Amélie Chaléa qui a beaucoup documenté la prématurité de sa fille qui est arrivée quand elle était en extérieur, elle vivait à Paris, elle était à Lyon, et donc ensuite elle a été transférée à Paris. Quand ça nous arrive parce que c’est soudain et qu’on n’est pas où il faut, ça se passe comment dans ces cas-là ?

Alexandra Nuytten : Dans ce cas-là, le SMUR pédiatrique est appelé pour dire si c’est dans une maternité de niveau 1 et qu’il y a une dame qui est en train vraiment d’accoucher, il nous appelle le plus vite possible pour que si possible on arrive avant la naissance. Et alors, sur place, il y a quand même normalement des gens formés à la réanimation de salles de naissance, donc les sages femmes, on forme aussi des anesthésistes parce que l’anesthésiste peut être sur place aussi et on arrive dès que possible pour soutenir et continuer la réanimation du bébé et ensuite on le transporte alors avec le smur pédiatrique dans un incubateur vers le niveau adapté.

Clémentine Sarlat : C’est quoi le premier enjeu quand vous recevez un bébé prématuré ? Quand il est né, une fois que vous l’avez, il est en vie, il est sorti, c’est quoi le premier enjeu pour vous ?

Alexandra Nuytten : Alors bébé prématuré ou bébé à terme, le premier enjeu, il faut qu’il soit ventilé. Il faut que l’interface liquide-air se fasse. On sait que dans l’adaptation à la vie extra-utérine de la naissance, il faut que la respiration se mette en place pour que tout puisse se mettre en place. Donc l’enjeu, c’est que l’enfant soit bien ventilé. Donc toutes les salles de naissance sont équipées de matériel pour ventiler un bébé, même dans la maternité niveau 1, même on sait ventiler les bébés. Et la plupart du temps, une fois que la ventilation est installée, il n’y a pas d’urgence à lui mettre une voie veineuse, il n’y a pas d’urgence à l’intuber, il y a même les grands prématurés il faut qu’ils soient ventilés et ça, dans toutes les salles de naissance, on a de quoi ventiler les bébés. Il ne faut pas qu’ils aient froid. Plus ils sont petits, plus ils se refroidissent. Donc les tout petits bébés, avec des petits termes et des petits poids avant 1,5 kg, quand ils naissent, on les met dans des sacs plastiques. Alors, ce qui peut choquer, on l’explique aux parents parce que sinon ça fait un peu bizarre, vous avez mis mon enfant dans un sac congélation, mais le mettre dans le sac plastique, en fait, ça fait tout ça de surface en moins, de déperdition de chaleur. L’enfant, il est mouillé, on le met dans le sac plastique mouillé, le sac, il colle contre sa peau et ça fait comme une couche immédiatement. Et les tables de réanimation, elles sont chauffées, on met tout de suite le bonnet. Et ça, c’est un autre enjeu très important, qu’il garde une bonne température. C’est la ventilation et la température.

Clémentine Sarlat :

Ça veut dire qu’un bébé… Enfin, j’ai du mal à me représenter, évidemment, la très grande prématurité. Un bébé qui naît à 24, 25, 26 semaines, il est capable de respirer tout seul ? Non

Alexandra Nuytten :

Il a souvent donné un petit coup de pouce pour mettre en route les choses, c’est-à-dire qu’on lui fasse les premières insufflations, Mais après, oui, il peut avoir une ventilation efficace. Il y a des bébés qui naissent à 25 semaines, qui ont reçu des corticoïdes avant la naissance et qui ne sont jamais intubés. Ils sont en ventilation spontanée. On a des machines de plus en plus performantes pour faire des ventilations non-invasives. Donc, c’est des masques sur leur nez qui font une pression positive permanente. Ça souffle de l’air, ça leur permet de garder les poumons bien ouverts. Mais le travail respiratoire, c’est eux qu’ils le font. Si besoin de leur administrer le surfactant, c’est quand ils sont très prématurés parfois. Le surfactant, c’est le liquide qui permet de garder les alvéoles pulmonaires bien ouvertes. Parfois, il y a un défaut de surfactant, ça s’appelle la maladie des membranes hyalines, c’est fréquent. On leur administre directement dans la trachée. Jusqu’à encore une dizaine d’années, on intubait les enfants, on mettait le surfactant et puis c’est la machine qui les ventilait. Et puis maintenant, on fait des méthodes non invasives. Donc, on met le surfactant dans la trachée et pendant tout ce temps-là, l’enfant reste en ventilation spontanée. Et après, une fois qu’on a mis le médicament, il reste en ventilation spontanée, il n’a pas besoin d’être intubé. Donc, on fait des progrès. C’est une spécialité assez récente, la neonate, et on fait des progrès vraiment chouettes pour être finalement le moins invasif possible.

Clémentine Sarlat : C’est vrai que c’est ça l’enjeu aussi même au niveau évidemment du ressenti du bébé en tant qu’être humain, mais peut-être aussi pour les parents qui ne voient pas leur enfant avec des fils de partout et ça permet aussi d’avoir un lien qui est plus facile pour les parents quand ils ne sont pas accrochés à des fils dans tous les sens.

Alexandra Nuytten : Alors même quand ils sont accrochés à des fils dans tous les sens, ce lien, il est d’une importance capitale. Donc la néonatalogies, c’est une spécialité récente. Encore hier, j’ai un collègue qui part bientôt en retraite, qui m’a dit, mais parfois j’ai honte de ce qu’on a fait à l’époque. Mais à l’époque, c’était le début, en fait. Enfin, c’est normal. À l’époque, il n’y avait pas de surfactant exogène, il n’y avait pas de corticothérapie anténatale. Donc ce n’était pas du tout la même chose et on n’avait pas les connaissances qu’on a aujourd’hui. J’ai grandi dans un service où il y avait un couloir avec des fenêtres et c’était pour les visites, en fait. Et les parents, il y avait des horaires de visite, ils pouvaient pas venir tout le temps.

Aujourd’hui, c’est une aberration de voir ça comme ça. Donc aujourd’hui, le lien avec les parents, il est majeur. On essaie qu’il y ait le moins de séparations possibles et on viserait à faire du zéro séparation. Et le parent, il a de la place auprès de son enfant, même un enfant réanimatoire, même un enfant de branché de partout. Ce lien, il est super important. Et après d’être moins invasif, on sait que c’est aussi bien pour l’enfant, parce que moins on est dystimulé, mieux c’est pour… Voilà, personne n’aime être embêté, personne n’aime avoir mal. Donc voilà, les bébés c’est pareil, on essaie de les embêter le moins possible et de les laisser le plus possible avec leurs parents.

Clémentine Sarlat : Tu vois, je fais une petite aparté, j’ai eu deux bébés hospitalisés, mis avec les petites lunettes, branchés, les uns travaillent, enfin bref, plein de trucs à 4 mois et à 22 mois pour mes deux filles. Et tu vois, un an et demi après, on a fait de la thérapie en EMDR et c’était extrêmement puissant de voir à quel point ça les avait complètement traumatisées et comment elle a été un an et demi après encore très activée. Dès qu’on parlait de l’hôpital, dès qu’on parlait, elle bougeait dans tous les sens. Ma plus petite, elle a tellement transpiré, elle a mouillé toute sa tête comme si on lui avait jeté un verre d’eau sur la tête quand on a parlé de l’hôpital des gestes invasifs et qu’elle avait subi pour une bronchiolite. Donc forcément, il y a la kinérespiration, on vient respirer, donc c’est quand même pas hyper sympa. Et tu dis mais je m’en rendais pas compte sur le moment elle avait que quatre mois donc j’imagine même pas un bébé emmené en néonat qui passe des mois et des mois avec des gestes plus ou moins invasifs qui sont nécessaires pour la survie le trauma quelque part que ça laisse après c’est une empreinte. Et ça m’intéresse vraiment et j’aimais beaucoup ce que tu m’as proposé dans l’épisode et pourquoi tu m’as contacté, c’est que tu as aussi été formée un peu plus tard avec le docteur Catherine Gueguen sur tout ce qu’elle propose aux médecins, aux pédiatres par rapport à la théorie de l’attachement et tout ça. Est-ce que tu peux m’expliquer ce que ça a changé dans ta pratique d’avoir ces connaissances et qu’est-ce que ça a apporté ?

Alexandra Nuytten : Alors c’est vrai que j’ai fait le début d’accompagnement à la parentalité il n’y a pas très longtemps, c’était un appel pour moi, il y avait des amis qui l’avaient fait et j’avais d’autres choses à faire à ce moment là mais j’ai écouté cet appel parce que je savais qu’il fallait que j’y aille, parce qu’en néonate on accompagne les bébés et leurs familles. Et cette théorie de l’attachement, on a eu un cours et j’ai d’abord été très en colère parce que je me suis dit mais je suis pédiatre, je suis néonatologue, mon métier c’est de m’occuper des enfants et je n’avais jamais entendu parler de la théorie d’attachement. Comment c’est possible en fait ? Parce que ça fait vraiment sens, il y a des études scientifiques qui soutiennent vraiment cette théorie et il y a plein de choses que je faisais qui sont tombées sous le sens au regard de la théorie de l’attachement. Ce qui a changé dans ma pratique, alors ce que je faisais déjà, mais ce pourquoi je me bats encore avec encore plus de hargne, c’est cette proximité parent-enfant, bien sûr, parce que pour que le parent puisse répondre aux signaux d’attachement son bébé, il faut qu’il soit là. Mais surtout en fait, alors l’attachement, ça met du temps à se mettre en place, c’est 9 mois, 1 an, donc on est au natalogie. L’attachement du bébé vers son parent, c’est important, mais en fait, on a le temps. Mais par contre, pour moi, ce que j’ai compris, c’est aussi quand nous, notre système d’attachement en tant qu’adulte, il est activé, c’est-à-dire quand on n’est pas en sécurité, on n’est pas disponible pour être dans le caregiving. Et du coup, moi, je me bats pour que les parents soient le plus sécurisés possible pour être disponible auprès de leur bébé. Je me suis déjà battue, par exemple, parce que dans le service, les parents peuvent rester auprès de leur bébé, mais seulement un des deux. Et moi, ce n’est pas possible, c’est seulement un des deux. Si les deux parents veulent rester parce que le coparent est un soutien pour la maman qui n’en peut plus, qui allaite et qui a besoin de son compagnon ou sa compagnie auprès d’elle, en fait, il n’y a pas de raison qu’on le mette dehors pour la nuit. Qu’est-ce que ça nous change, nous, s’ils sont deux sur un pauvre petit lit ? Pour moi, ça, c’est des choses, par exemple, je ne laisse plus passer et le côté « oui, mais c’est la règle », ça ne passe plus. Parce que sécuriser le parent, c’est encore plus important et j’y fais vraiment encore plus attention et j’ai pris conscience qu’en tant que soignant, on était des figures d’attachement pour les parents qu’on accompagnait.

Clémentine Sarlat : Ça me met la char de bouche que tu mets. Tu vois, de se rendre compte que c’est possible d’avoir un personnel soignant qui a conscience de ça, qui est dans l’humanisation du soin et qui n’est pas juste dans la règle, comme tu dis, surtout dans cet environnement-là, avec des enfants, des bébés qui ont besoin encore plus du parent pour la survie. Parce qu’on le sait aussi, c’est ça, que plus le parent est présent, plus il y a du peau à peau, plus la chance de survie augmente. En fait, on sait que le parent, oui, plus le parent est présent et disponible pour son enfant, mieux c’est en termes de développement. Parce qu’il y a des choses que les parents peuvent faire qu’on ne peut pas faire. Alors, il y a l’allaitement, par exemple. On sait que les mamans qui accouchent en avance, elles peuvent allaiter. Le corps, il est fait pour, il n’y a pas de problème. Ça leur demande plus de travail parce qu’au lieu que ce soit le bébé qui tête parce qu’il n’a pas la capacité à le faire, ça va être le tir lait qui va faire le travail, donc ça veut dire tirer mon lait toutes les trois heures pour induire la lactation alors que je suis crevée, je suis stressée. Donc ça, c’est difficile et on sait que c’est difficile, donc c’est notre rôle d’accompagner les mamans dans l’allaitement. Mais on sait que c’est le lait le plus adapté pour le bébé et avant un certain terme et à certains points, on ne peut pas donner autre chose. Les mamans qui ne veulent pas ou qui ne peuvent pas allaiter, ça n’est pas grave, on reste dans le choix. On a du lait de lactarium en fonction des stocks. Mais voilà, il y a toujours des bébés qui seront prioritaires. Et puis il y a des mamans pour qui il n’y avait pas un projet d’allaitement, mais quand on leur dit, voilà, votre bébé est né en avance, on ne pourra pas lui donner autre chose que du lait maternel. Et c’est ce qu’il y a de mieux pour lui. Vous n’avez pas comme projet d’allaiter, mais si vous voulez, vous pouvez donner votre lait. Ça veut pas dire que la maman elle se projette dans « je veux me sortir avec un bébé au sein », mais c’est vrai qu’en attendant, il va recevoir du lait de maman. Il y a un certain nombre de dames pour qui ce n’était pas le projet, mais qui disent « quitte à avoir du lait de maman, autant que ce soit le bien » et qui donnent leur lait le temps que l’enfant grandisse un peu, le temps qu’on puisse donner du lait artificiel, et même si c’est partiellement, elle a choisi de donner leur lait.

Et les mamans pour qui ce n’est pas un choix ou ce n’est pas possible, on a du lait de dons, et puis à partir d’un certain point, on peut donner du lait artificiel. Donc ça, c’est quand même quelque chose qu’on ne peut pas faire à la place des parents. Ensuite, tu as parlé du peau à peau, et ça non plus, on ne peut pas le faire à la place des parents, et heureusement, mais ça, c’est un soin. Moi, j’aime bien quand je fais l’information aux parents, je leur dis “Si c’était un laboratoire pharmaceutique qui avait mis en place ce médicament, je peux vous dire que ça coûterait super cher, parce qu’en tout cas, c’est super efficace”. On sait que le peau à peau, ça a des bénéfices pour le bébé. Alors c’est vrai pour l’enfant prématuré, c’est vrai aussi pour l’enfant à terme, mais ça les aide dans la régulation thermique. On sait que c’est des bébés qui ont un meilleur sommeil, donc plus profond, plus réparateur, ce qui a la conséquence d’être plus disponible quand ils ont des phases d’éveil, parce qu’ils ont eu un bon sommeil, donc ils ont des phases d’éveil plus accessibles. Ca leur permet de maturer en fait ex utéro mais dans des conditions les plus douces possible. Ca les aide à digérer, les bébés en peau à peau, ils digèrent mieux, enfin tout ça c’est vraiment bénéfique donc plus il y a du peau à peau, mieux c’est pour l’enfant et mieux c’est pour les parents aussi parce qu’on sait que ça a des bénéfices sur les parents, plus il y a de peau à peau moins il y a de dépression du postpartum. On sait qu’en fait le peau à peau, c’est une machine à ocytocine. Quand on fait du peau à peau, on sécrète de l’ocytocine et le bébé est la maman. Et du coup, on est dans cet état un peu de bien-être. Le bébé, il dort sur son parent et le parent, il peut somnoler un peau à peau, s’est sécurisé avec un bandeau de peau à peau. Donc voilà, il y a des temps de récupération. Et ça, c’est un soin très important qu’on ne peut pas faire sans les parents. Après, il y a quelque chose qui est important qu’on ne peut pas faire à leur place. On parle au bébé, mais il y a ce contact vocal précoce. Il y a de plus en plus d’études qui sortent comme quoi parler au bébé et même au bébé prématuré, c’est important, ça les rassure. Ça peut même avoir le son de la voix de la maman, un effet antalgique sur des soins douloureux. Tout en respectant les phases de disponibilité de l’enfant, il ne s’agit pas de lui raconter sa journée alors qu’il dort profondément, mais dans des phases d’éveil, dans des phases de sommeil léger. Voilà, dire “comment tu vas” à ton bébé, c’est… voilà, “je suis contente de te voir”… Parler à son bébé, en fait, ça, c’est des choses… Alors nous, on parle au bébé, mais on n’a pas la voix des parents. C’est des choses que les parents font et que nous, on ne peut pas faire à leur place, par exemple.

Clémentine Sarlat : Chanter aussi, je crois que c’est un pouvoir hyper apaisant et la mélodie…

Alexandra Nuytten : Il y a des études qui regardent la différence entre chanter et parler, il y a des effets similaires, il y a des effets un peu différents. Il y a une étude qui montre que dans le chant, quand il y a un chant maternel, il y a une rythmicité du bébé qui se met en place. Je trouve ça magique.

Clémentine Sarlat : C’est clair. Tu peux nous expliquer simplement pourquoi est-ce que le bébé, jusqu’à un certain temps, il ne peut pas prendre autre chose que du lait maternel, juste pour peut-être donner encore plus envie aux femmes qui aillent et qui ont des trop plein de données au lactarium ? Parce que je pense qu’on n’a pas cette connaissance-là.

Alexandra Nuytten : Oui, alors avant 32 semaines et avant 1,5 kg, l’intestin de l’enfant est trop immature pour recevoir du lait artificiel. On sait que le lait qui est le plus adapté aux bébés humains, c’est le lait maternel. On a des laits artificiels qui font le travail, mais en dessous d’un certain âge, d’un certain poids, on ne peut pas parce que l’intestin est immature et il est par conséquent fragile. Il peut être inflammatoire. Donc vraiment c’est important de donner le lait le plus doux possible en fait, donc c’est le lait maternel.

Et magique aussi le corps humain, on sait que quand les dames elles accouchent prématurées, leur lait il est adapté au bébé prématuré, c’est-à-dire les tout petits ont besoin de plus de protéines et le lait maternel de maman, qui ont accouché en avance, c’est plus riche en protéines par exemple. Donc aussi c’est magique. Et on ne peut pas donner autre chose. Donc, en attendant que la montée de lait se fasse, parce qu’il faut quand même quelques jours avant que la montée de lait se fasse, on sait que c’est important de nourrir le bébé quand même. Parce que plus on met en route tout doucement un petit peu d’alimentation, plus l’intestin se met en route. Donc cette alimentation précoce, elle est importante. On donne du lait, du lactarium. Mais souvent, c’est pas ça qui vide le lactarium parce qu’on commence avec deux, trois, quatre ML. Et puis quand ça augmente, on donne soit le lait de la maman, soit le lait du lactarium. Et oui, parfois, il y a des phases. Des fois, au lactarium, on a du lait, donc c’est chouette. Parfois, on a des messages d’alerte. Attention, on est en déficit. Enfin, il y a de moins en moins de lait. Donnez le lait maternel que pour les bébés qui ont vraiment besoin. Parce que quand au lactarium, on a de la chance d’être un peu large, au-delà de 32 semaines 1,5 kg, on va quand même donner un petit peu de lait maternel. On va se donner un peu plus de largesse pour le donner. Mais oui. Donnez votre lait au Lactarium si vous avez plein de lait et que ça vous dit. On est toujours preneurs bien sûr.

Clémentine Sarlat : Je fais encore un petit aparté, mais c’est l’ex Miss-France Camille Cerf, qui habite dans la région du Nord. Elle habite à Lille et elle fait beaucoup de travail sur les réseaux sociaux pour montrer qu’elle donne son lait au Lactarium pour vous au CHU à Lille et à toute la région du Nord. C’est bien aussi qu’il y ait des personnalités très connues qui puissent montrer que c’est possible. Tout le monde n’a pas un trop plein de lait, attention, mais c’est celles qui peuvent en tout cas de pouvoir le faire. En fait, ça a une vraie importance. Je pense que c’est ça le discours d’ailleurs, c’est que des fois on ne se rend pas compte. Moi, tu vois, je n’avais pas assez d’infos qu’à avoir un certain âge, un bébé prépa, il ne pouvait pas prendre de lait infantile. C’est vrai que ça fait voir d’une autre façon le fait de donner son lait. Merci d’avoir expliqué ça, c’est hyper intéressant.

Toi, maintenant, dans ta prise en charge des parents, maintenant qu’en plus tu as fait le D.U. sur notamment la théorie de l’attachement, comment tu prends en charge des parents qui sont dans l’inquiétude du fait que le bébé va survivre ou pas ? Alexandra Nuytten : Je les écoute, ça c’est quelque chose que j’ai appris à écouter, j’avais pas appris ça pendant mes études de médecine et finalement réussir à écouter et mettre le doigt sur la crainte ça permet d’y répondre parce que parfois tant qu’on n’a pas en fait compris ce qui faisait peur aux parents on va pas pouvoir leur assurer vraiment on va tourner en boucle sur les informations qui nous semblent importantes mais en fait le parent il a peur d’une chose spécifique ou il a une représentation spécifique donc voilà, de l’écoute et après malheureusement parfois on ne peut pas complètement les rassurer quand on est inquiet sur le pronostic vital ou la suite. Parfois on ne peut pas complètement les rassurer mais on est là en tout cas, on les informe un maximum de où on en est, quelles sont les prochaines étapes et puis les parents ils sont acteurs de soins aussi donc j’essayais toujours de leur donner la place qu’ils peuvent prendre auprès de leur bébé. Parfois ils se sentent démunis, ça c’est quelque chose qu’on sait, les parents d’enfants n’est prématuré, ils peuvent se sentir un peu démunis de ne pas savoir quoi faire avec leur bébé ou trouver leur place. Parfois ils ont l’impression qu’ils ne font rien. Mais en fait, faire du peau à peau, c’est pas rien faire. Être là, c’est pas rien faire. Parler à son bébé, c’est pas rien faire. Contenir son bébé pendant des soins, même un soin qui peut sembler tout à fait anodin. Faut savoir que changer la couche d’un bébé extrême prémat, c’est pas anodin et c’est toute une technique. Donc ça fait des soins à quatre mains avec le soignant et le parent. C’est toutes des petites choses au quotidien qui sont importantes et qui font que le parent, il prend sa place auprès de son bébé.

Clémentine Sarlat : Vous travaillez en équipe, évidemment, dans ce type de service. C’est composé comment ? Un service de néonatalogie.

Alexandra Nuytten : Alors ça dépend en niveau 1, niveau 2. Avec les réanimations, il y a des puéricultrices, infirmières ou puéricultrices. Alors je le mets au féminin parce qu’il ne faut pas se leurrer, la majorité l’emporte et on travaille beaucoup entre femmes. Donc il y a des puéricultrices. Il y a des médecins et après il y a des étudiants en médecine aussi en fonction de quel hôpital on est. Si on est dans un hôpital universitaire, on peut avoir des externes, des étudiants en médecine. Il y a souvent des internes aussi dans les services de néonate qui sont là pour apprendre. Il y a des médecins qui sont en train de se surspécialiser. Il y a du monde autour de ces bébés et de ces familles. Il y a des auxiliaires de puériculture dans les soins continus de néonate, pas dans les soins intensifs ni dans les soins de réanimation. Et oui, c’est du travail d’équipe. Ça fait aussi partie des raisons pour lesquelles j’aime tant la néonatologie, puisque moi, j’aime beaucoup travailler en équipe.

Clémentine Sarlat : Est-ce qu’aujourd’hui, on parle beaucoup de la dégradation des conditions hospitalières du système de santé français, est-ce que ça impacte aussi la néonatologie où vous êtes protégé, vu l’enjeu et l’importance de ce que vous faites ?

Alexandra Nuytten : Alors, il y a un truc qui protège un peu, c’est ce fameux décret qui dit qu’il faut deux puéricultrices pour un enfant et trois puéricultrices pour un enfant en soins intensifs. Donc ça, disons que c’est des barrières qui font que si on n’a pas le personnel paramédical, on sait qu’il faut… C’est important de… Donc ça arrive parfois que des lits ferment parce qu’il manque… On sait qu’en termes de puéricultrices infirmières, ça passe pas et il faut rester en sécurité. Donc ça, c’est une petite barrière. Après, il n’y a pas de barrière pour les médecins. Donc voilà, on sait que là, en ce moment, la périnatalité en France est en difficulté. Il y a des centres qui ferment, il y a des centres qui ferment des lits. Parce qu’en fait, comme tu l’as dit au début, on n’est pas des élus, mais on n’est pas très nombreux à faire ça. Et plus il y a de centres, plus il faut des gens pour assurer la permanence des soins. Parce que quand on est en néonate et aux soins intensifs et en réa, on assure la permanence des soins. Ça veut dire qu’il y a un pédiatre 24h/24 qui est sur place. Donc voilà, ça c’est un peu plus compliqué. Et ce qui est difficile aussi, c’est que je te disais qu’on essaie d’être de moins en moins invasif avec le bébé, on fait ce qu’on appelle des soins de développement centrés sur l’enfant et sa famille qui consiste à embêter le moins possible l’enfant, c’est-à-dire éviter toutes les dystimulations, c’est-à-dire un bébé qui n’est pas prématuré, normalement il aurait dû être encore dans le ventre de sa mère, dans le noir, au chaud, à l’abri des sons trop forts, sans contact visuel agressif, sans douleur. Et donc on va essayer de reproduire un maximum ça, donc de limiter les stimulations douloureuses, de limiter les lumières ou les stimulations visuelles inadaptées, le bruit et de faire des soins vraiment centrés sur l’enfant avec la famille. Et ça, ça demande des moyens, des moyens humains. C’est-à-dire une puéricultrice qui s’occuperait de 3 ou 4 enfants en même temps, elle n’aura pas le temps forcément de prendre une demi-heure pour changer la couche avec le parent, faire une pause, parce qu’au bout du changement de couche, le bébé est fatigué, il faut faire la pause et attendre 10 minutes qu’il se réorganise avant de faire le soin suivant. Ça demande du temps et du personnel. Et en fait, d’apprendre à faire des soins de développement, on est encore plus frustré quand on n’a pas les moyens humains de le faire. Et ça, c’est contraire aussi que quand on met en place les soins de développement dans les équipes, c’est une source de frustration quand on n’a pas les moyens de le faire et de le faire bien. Et du coup, ça, c’est des choses difficiles. C’est quand on a l’impression de ne pas faire suffisamment bien son travail, on aimerait faire mieux.

Clémentine Sarlat : Il y a un point que je n’ai pas du tout abordé avec toi par rapport aux tout petits et aux bébés. Comment est-ce que vous faites pour la gestion de la douleur avec des enfants si petits ? Est-ce qu’il y a des choses très précises qui sont mises en place, des choses qui sont impossibles ? Comment on fait pour soulager au mieux un nourrisson prématuré ?

Alexandra Nuytten : Alors, on ne peut pas éviter toute douleur, malheureusement, parce que, notamment quand ils sont en réanimation, on aura besoin de faire des prises de sang, des contrôles de glycémie, des choses dont on a besoin, mais il y a quand même déjà, essayez de faire chaque examen de façon ciblée et orientée et pas de façon systématique parce qu’on est en réanimation et qu’on fait des gaz du sang toutes les 16 heures. Donc ça, c’est une première étape. Réfléchir à tout ce qu’on demande et avoir conscience que c’est une action sur le bé, ça peut le désorganiser, lui faire mal. Et après, il y a des choses qu’on connaît pour diminuer la douleur. On sait que les soins qui sont faits par exemple en peau à peau sont mieux tolérés que la succion. C’est antalgique sur le bébé. La succion non nutritive, donc juste avec une petite tétine, on peut administrer une goutte de lait maternel aussi pour qu’il y ait un peu de lait maternel ou du saccharose. On sait que ça a un vrai effet antalgique sur le bébé pour le soin.

La voie maternelle, d’essayer d’être le plus cocoonant possible pour l’enfant pendant un soin douloureux.

Clémentine Sarlat : Un parent a droit de rester H24 avec son bébé ?

Alexandra Nuytten : Oui

Clémentine Sarlat : Donc on peut dormir sur place et ne pas être…

Alexandra Nuytten : Oui. Il faut, j’ai envie de dire, s’il y a des parents qui ont des bébés qui sont hospitalisés en néonatologie et qui n’ont pas le droit de rester 24 heures sur 24, insurgez-vous. Votre place est auprès de votre bébé. Vous avez le droit de demander ça. Alors je ne pense pas, j’espère pas, comme ce soit le cas actuellement en France, mais la place du parent est auprès du bébé et on doit avoir le droit. Je mets un bémol sur les possibilités d’accueil hospitalière, on va dire. Ce ne sera pas forcément sur un lit, ce sera peut-être sur un fauteuil, ce sera peut-être pas très confortable. Mais pour moi aujourd’hui, il n’est pas possible qu’un parent ne puisse pas rester 24 heures sur 24 auprès de son bébé.

Clémentine Sarlat : J’ai une dernière question pour terminer cet entretien. Tu côtoies, on n’en a pas parlé, mais tu côtoies la mort au quotidien. Comment est-ce que toi tu le gères en tant que personne, en tant qu’être humain, d’être face à ce risque permanent et à cette difficulté de voir un bébé ne pas survivre ?

Alexandra Nuytten : Je pense que j’ai une gratitude très particulière pour la vie, c’est-à-dire que j’ai cette conscience que c’est fragile et que ça peut s’arrêter, et très très régulièrement, voilà, je me dis, je vais bien, mes enfants vont bien, je suis en bonne santé, et ça, ça fait relativiser beaucoup de choses, et des petits problèmes restent des petits problèmes. Et après, même quand les issues sont tristes et défavorables, je me dis que j’ai joué un rôle dans l’accompagnement de cette famille et que même si ça a été difficile et que l’issue est très triste, j’ai été là d’une façon ou d’une autre pour l’enfant, pour les parents et ça donne du sens aussi. C’est vrai que quand on fait de la réanimation, on fait du soin palliatif. Ça peut paraître antithétique, mais en fait, quand on fait de la réanimation néonatale, quand on fait de la réanimation pédiatrique, en réanimation adulte, je ne sais pas, je ne connais pas, mais sans doute, c’est là où arrivent les situations les plus compliquées, les potentiels échecs de réa, et on est formé à faire de l’accompagnement, du soin palliatif, et voilà. Ma force c’est mon entourage, je suis très bien entourée, j’ai mes figures d’attachement qui sont très présentes et c’est pour ça aussi que j’ai mon extérieur qui permet de se ressourcer parce que c’est vrai que ça peut être difficile ce qu’on vit, mais voilà.

Clémentine Sarlat : Vous avez une posture de soignant, évidemment, avec une certaine distance avec ce qui se passe pour pouvoir faire votre travail correctement. Est-ce que c’est possible de ne pas s’attacher à une famille en particulier, un bébé, à une histoire ? Est-ce que tu arrives tout le temps à garder cette distance ?

Alexandra Nuytten : J’arrive à garder de la distance dans le sens où ça m’attriste et je suis en totale empathie avec ce qui se passe, mais ça me désorganise pas moi. J’arrive à me ressourcer, à me dire que ce n’est pas en train de m’arriver à moi, mais ça m’est arrivé de pleurer avec des familles, de pleurer chez moi. Mais je pense que d’accepter que ce soit difficile c’est une partie du travail. On est humain, on travaille dans l’humain et ça sert à rien d’ériger des barrières, c’est ce qui fait qu’on est compétent aussi. Donc je garde une distance mais j’ai pleuré avec des familles, j’ai pleuré avec des parents, ça m’est arrivé d’aller à des funérailles. Voila, c’est au cas par cas.

Clémentine Sarlat : Juste de parler de ça, je me dis… Non mais c’est rien, c’est juste d’imaginer d’être dans la peau des parents, même de vous, l’équipe soignante qui êtes là, votre but c’est que le bébé survive quelque part, enfin c’est pas… Enfin, ou pas en fonction évidemment des pathologies, c’est de faire en sorte que le bébé ait une vie la plus douce possible au moment où ça arrive, mais quand on est parent, peut-être, ça déclenche encore plus d’émotions et de compréhension de ce que peuvent vivre ces familles-là au regard de ce que nous, on sait ce que c’est d’avoir un bébé. Est-ce que tu as été tout le temps dans ces services avant d’être mère et une fois que tu es devenue mère, ça a changé quelque chose ou pas ?

Alexandra Nuytten : Je suis devenue mère pendant mon internat, donc je côtoyais déjà les services, mais j’étais encore jeune. Mes enfants ont été mes ancres. Au dehors, à la réalité, parce que c’est vrai qu’on peut vite être emportée dans le quotidien. Notre travail prend beaucoup de place. On passe beaucoup de temps à l’hôpital et c’est vrai que c’est un travail qui est très incarné. Mes enfants ont été mes ancres, c’est-à-dire une fois sorti de l’hôpital, ok, il y a mes enfants, donc il faut que je m’en occupe parce qu’il faut que je sois présente pour eux aussi, donc je dois me déconnecter de ce qui s’est passé à l’hôpital et me reconnecter à mon enfant. Et voilà, mais oui, ça m’est arrivé de faire des gros gros câlins à mes enfants en rentrant de l’hôpital.

Clémentine Sarlat : Voilà, c’est vraiment ma dernière question. Est-ce que tu encouragerais les soignants à faire le DU que tu as suivi ? Est-ce que tu penses que ça devrait être inclus dans le cursus classique au final ?

Alexandra Nuytten : Moi, ça m’a vraiment beaucoup parlé, beaucoup aidé. Il y a eu un avant et un après ce DU. Mais je pense aussi que c’était le bon moment pour moi. C’est un DU qui est assez chamboulant parce qu’on y met un bout de soi et ça demande beaucoup de réflexivité sur sa pratique. Donc, bien sûr, j’encourage, mais je pense qu’il faut être prêt, faut être partant. Par contre, ce que je fais maintenant, c’est que je répand la théorie de l’attachement autour de moi. Donc, je fais de l’enseignement et je suis revenue, j’ai un pied à la fac et je suis revenue en disant mais moi je vais faire un cours aux internes de pédiatrie sur l’attachement il est hors de question que ça se passe autrement donc dans deux mois on fait cours aux internes de pédiatrie de Lille sur la théorie de l’attachement sur l’accompagnement à la parentalité alors ce sera à trois heures c’est une initiation mais je me dis faut quand même il faut qu’on en entende qu’on entend de parler. Donc ça, je forme maintenant, enfin, je diffuse un peu ce que j’ai compris et appris auprès des équipes soignantes, auprès des internes, des étudiants en médecine. Donc ça, ça m’a aidé.

Et alors, il y a quelque chose dont on n’a pas parlé, mais dont j’ai envie de parler, Clémentine. On a parlé de ce dont les parents peuvent faire, ce que les parents peuvent faire pour un bébé qui est né en néonate. Mais j’avais aussi de parler ce que peut faire l’entourage de famille d’un bébé qui est hospitalisé en néonate parce qu’un des secrets dans ce marathon, c’est d’être bien entouré parce que c’est des parents, c’est joli de dire que les parents, le mieux c’est qu’ils soient sur 24h/24 auprès de leur bébé, mais on imagine les difficultés que ça puisse être, ne serait-ce que sur le plan logistique notamment quand il y a des aînés à s’occuper. Donc l’entourage, qu’est-ce qu’il peut faire ? Ca c’est des questions que j’ai parfois, j’ai un ami ou une amie qui a accouché prématurément, qu’est-ce que je peux faire, qu’est-ce que je peux faire comme cadeau, qu’est-ce que… Donc déjà un cadeau, moi je réponds toujours à un bandeau de peau à peau, je pense que ça c’est le meilleur cadeau à faire à n’importe quel enfant qui naît, que ce soit prématuré ou à terme, c’est un bandeau de peau à peau, il ne devait avoir qu’une seule chose, même dans une valise de maternité classique c’est ça. Après c’est du soutien logistique, est-ce que je peux faire tes courses, est-ce que tu veux que je te fasse un petit plat, est-ce que si tu veux je m’occupe d’aller chercher les enfants à l’école, je les garde ce soir-là, enfin c’est vraiment du soutien logistique qui peut être utile et ne pas hésiter à demander des nouvelles, parfois quand les familles elles sont un peu assailli de plein de messages, ce qui peut être bien, c’est d’avoir une personne relais, c’est-à-dire c’est qui votre personne, votre personne de confiance, la personne à qui vous avez envie de raconter ce qui se passe pour vous, et bien voilà, c’est cette personne qui va faire le relais auprès des autres pour centraliser les informations, pour ne pas devoir répéter à 50 personnes dans la même journée, voilà où on en est, voilà les craintes, voilà ce que nous nous ont dit les médecins. Et dans le milieu du travail aussi, ça, je voulais en parler parce que c’est important et ça a changé les choses. C’est la présence du co-parent auprès du bébé. Il y a depuis 2019 quelque chose qui permet au co-parent ou la personne en tout cas vivant avec la maman de bénéficier d’un congé bébé hospitalisé. Quand le bébé est né, il a besoin d’être hospitalisé. Ça peut déclencher après les 3-4 jours naissance un congé pour le co-parent de 1 mois, 30 jours calendaires. C’est majeur, ça veut dire, et ça je le donne en information antenatal aussi, les familles ne sont pas au courant, mais ça veut dire que si demain votre bébé est né en avance, il a besoin d’être hospitalisé, vous êtes dispensé du travail pendant un mois. Vous pouvez être auprès de votre femme et votre enfant pendant un mois. Et après on peut enchaîner avec le congé de paternité donc potentiellement pendant deux mois le papa, le co-parent peut être là et c’est super important parce qu’en fait il ou elle a toute sa place pour soutenir la maman ça n’a rien à voir, enfin c’est vraiment. Et moi j’ai commencé la néonatologie, j’étais interne, en 2013 ça n’existait pas, et il y a eu un avant et un après. Donc sachez les familles que ça existe, sachez les employeurs que ça n’est pas cosmétique, que c’est important, ne mettez pas les bâtons dans les roues à des personnes qui ont des bébés qui naissent prématurés. Alors c’est rarement le cas, très souvent les employeurs sont confiants, mais vraiment ça m’est arrivé d’avoir des papas qui me disent non je dois prendre le travail, mon employeur ne veut pas me donner mon congé paternité, heureusement qu’il a le congé bébé hospitalisé, j’ai au moins eu un mois. Mais voilà, c’est pas juste façon, tu ne sers à rien, ton bébé est hospitalisé. Non, non, non, ça, c’est important et ça existe. Donc voilà, petit message que je voulais passer.

Clémentine Sarlat : T’as bien raison. J’espère que ça arrivera dans quelques oreilles et que ça pourra aider, ou comme tu dis, au moins informer les parents qu’ils ont ce droit-là dans le cadre de la prématurité. Merci beaucoup Alexandra. C’était un grand plaisir de t’avoir, de pouvoir écouter tes connaissances sur le sujet. Je sais que ça te passionne. Donc, merci d’avoir partagé ça avec nous. J’ai dans mes bras ma fille qui est malade, qui a 38 de fièvre, elle est trop grande pour que tu t’en occupe. Elle a trois ans et demi. Mais je crois qu’elle a grippe.

Alexandra Nuytten : Autre source d’informations pour des parents, des familles, des proches, il y a SOS Préma qui est une grosse grosse association sur plan national, qui a un super site internet, qui a des ressources, qui a des livrets, qui a des pairs soutenants, P-A-I-R, ce qui peuvent être pour les démarches administratives, pour à quoi j’ai droit quand mon bébé né préma, pour l’information, donc n’hésitez pas à aller voir ou vous renseigner auprès de SOS Préma.

Clémentine Sarlat : Merci

Alexandra Nuytten : Merci, Clémentine.

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